Ce week-end, elle en aura estomaqué plus d’un visiteur. L’exposition consacrée à Batman dans les murs de l’Alpha, la médiathèque d’Angoulême, transformait ni plus ni moins une partie de l’endroit en véritable Batcave, cumulant éléments de la BD, des films (batmobile à l’appui) ou des dessins animés. Au final des dizaines de mètres de file d’attente pour voir de près (parce qu’attention, interdit de toucher !) le petit monde de Bruce Wayne, de ses alliés, de ses ennemis et des auteurs qui ont façonné son destin.
Batman est un personnage à part dans les comics. Sans doute parce qu’étant officiellement dépourvu de superpouvoirs (dans la pratique aucun être humain n’arriverait à faire la moitié de ce qu’il fait), il est considéré plus crédible par une partie du public moins sensible aux « effets spéciaux » qui accompagnent les exploits de Superman. C’est sans doute pour cela que le justicier de Gotham a droit cette année à une exposition spécifique alors que le dernier kryptonien, en un sens plus clivant et moins populaire, n’a pas connu le même traitement en 2018. C’est un héros multimédia mais aussi multigénérationnel, ce qui est sans doute l’une des explications de l’exposition en marge du Festival International de la BD d’Angoulême ce week-end. Organisé en petites salles, l’événement alternait donc les différentes facettes du héros, à commencer par une évocation peut-être un peu « cheap » de Crime Alley, la ruelle où les parents Wayne se sont fait assassiner. Des murs imitation brique, des signes « do not cross », des déchets et un graffiti « There’s no hope in Crime Alley » (« Il n’y a pas d’espoir à Crime Alley » plaçaient, certes, le début du parcours dans une tonalité ludique, avec des reproductions de planches des premiers épisodes de Batman dans Detective Comics. Mais c’est surtout à travers de la deuxième pièce que l’exposition se révélait vraiment : une pièce du manoir Wayne permettant d’expliquer aux néophytes qui est Alfred mais mettant aussi en scène un moment fameux, l’instant où la chauve-souris passe à travers la fenêtre de Bruce Wayne, lui donnant l’inspiration de son déguisement.
La troisième pièce était peut-être la plus spectaculaire pour le public non-initié : une reproduction du centre de commandes de Batman dans la Batcave, avec ses ordinateurs, ses écrans, son signal et même le Bat-costume trônant dans une vitrine, le tout décoré des plans « vintage » de la Batcave des comics ou de reproduction d’illustrations de Jim Lee (par exemple). Quatrième espace : un endroit mettant à l’honneur les femmes dans la vie de Batman, que l’on parle de Batgirl, Catwoman ou Huntress… Une cinquième pièce, plus sombre, mettait en scène le Batman des dessins animés, avec un éclair traversant le ciel. Puis, enfin, quelque chose d’incontournable : un couloir de l’asile d’Arkham, avec chaque cellule permettant d’évoquer un super-ennemi différent de Batman. Là, le public avait parfois un peu de mal avec l’ergonomie de cette section : plusieurs cellules étant défoncées, symbolisant le fait que l’Epouvantail ou d’autres venaient de s’échapper, quelques visiteurs pensaient qu’il était permis d’y entrer, obligeant les vrais surveillants de l’exposition à ouvrir l’œil. En bout de ligne, le bureau d’Harley Quinn ou la cellule vitrée du Joker ne laissaient pas la place au même malentendu, le clown du crime étant enfermé derrière une grande vitre, façon Silence des Agneaux.
Si l’exposition était assurément pédagogique, permettant de « parler » aussi bien aux admirateurs endurcis de Batman qu’à des fans plus récents ou modérés, le collectionneur de comics pouvait être quelque peu frustré par les premières pièces, mettant en évidence des reproductions de planches imprimées plus que des dessins originaux. Cette « lacune » était comblé dans l’ultime espace où là, pour le coup, il y avait de quoi satisfaire même les plus blasés. Planches originales de Neal Adams, Jim Lee, Walt Simonson, Frank Miller, Chris Bachalo ou Mike Mignola (pour n’en citer que quelques-uns), la rétrospective proposait même des dessins de Dick Sprang (dessinateur de Batman pendant le Golden Age) et, pour les plus attentifs, une curiosité bien spécifique : une planche d’essai de Batman par le dessinateur français Denis Sire, récemment disparu. Dans les années 80, il avait en effet un instant caressé l’espoir de produire chez DC son propre album de Batman. Née d’un partenariat entre le FIBD et Urban Comics, l’exposition n’oubliait pas, dans les derniers mètres, de proposer également un original de Marini tiré de son Dark Prince Charming. Forcément, si vous n’étiez pas à Angoulême ce week-end, un tel exposé et quelques photos peuvent éventuellement vous frustrer de ne pas avoir vu ça de vos propres yeux. Néanmoins vus les efforts dégagés et le prix des décors, on serait très étonné que tout cela n’ait servi que pendant quelques jours. Avec l’anniversaire de Batman qui s’étalera sur toute l’année, il y a fort à parier qu’au moins une partie de cette exposition se réincarnera en d’autres endroits. D’ici là, à 80 ans, Batman, création de Bill Finger et Bob Kane, reste un personnage riche, une idée que des générations d’auteurs ont su se réapproprier. Cette exposition en est la vibrante preuve.
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