La disparition de Stan Lee a soulevé une émotion internationale fin 2018 (émotion qui se répercute encore ces temps-ci dans le générique du film Captain Marvel). Un phénomène qui a décidé les français de Talent Editions à traduire la dernière biographie de « Stan The Man », dictée par Lee lui-même mais servie surtout par deux pros reconnus, Peter David et Colleen Doran. Si certains faits sont pour le moins « arrangés », il n’en demeure pas moins que l’ouvrage est une mine de tranches de vie et d’anecdotes qui sauront captiver les fans de comics.
Scénario de Peter David
Dessins de Colleen Doran
Déjà disponible en France
Stan Lee aura raconté les coulisses de sa carrière en trois grandes occasions : La première fois vers 1947, alors qu’il n’était pas encore « The Man », à travers un livret intitulé Secret Behind The Comics qui décrivait les usages et les principaux collaborateurs de la société de Martin Goodman. Puis dans les années 70, après que Marvel ait connu le succès que l’on sait, il a signé Origins of Marvel Comics (publié en France dans les Strange Bis Spécial Origines de Lug) et diverses suites du même ordre, qui racontaient comment lui, Jack Kirby, Steve Ditko et quelques autres avaient créés des héros devenus légendaires. Et puis, enfin, en décembre 2015 est paru aux USA Amazing Fantastic Incredible: A Marvelous Memoir: Stan Lee (traduit donc ces temps-ci en France sous le titre « Les mémoires incroyables de la vie fantastique de Stan Lee »), un troisième opus qui a la particularité de reposer sur les souvenirs de Stan Lee mais à une époque où celui-ci, déjà nonagénaire, n’était plus guère en état de se lancer dans la rédaction d’un livre, quand même bien même le livre en question est surtout une BD biographique. Le « racontage » est donc une tâche qui a été confiée au scénariste Peter David (X-Factor, Captain Marvel, Supergirl…) et à la dessinatrice Colleen Doran (A Distant Soil, Orbiter, Wonder Woman, Troll Bridge…) pour organiser tout cela. Organiser est un bien grand mot puisque l’ouvrage est raconté à la manière d’un témoignage oral, un peu comme si Stan Lee était en face de nous à nous raconter sa vie, ses joies et ses peines et s’arrêtait à l’occasion, prenait des chemins de traverses parce que tel moment lui fait penser à autre chose. Par exemple, le personnage de Lee est déjà en train de nous expliquer comment il a publié les épisodes anti-drogue de Spider-Man (et ainsi bravé le Comics Code) bien avant de nous raconter la création du Marvel Age (et donc de Spider-Man lui-même). C’est cependant une mine de renseignements, alors que Lee raconte avec une franchise et une transparence étonnante des choses très personnelles sur sa famille (essentiellement comment la misère a ravagé le couple de ses parents), sur le grand amour de sa vie ou sur la perte de sa seconde fille (un traumatisme qui hantera la famille Lee pendant les décennies suivantes) ou même ses tentatives d’adoption. Plus près du monde des comics, Lee raconte de manière hilarante de nombreuses choses : Comment et pourquoi le casque d’Iron Man s’est soudainement retrouvé affublé d’un « nez » dans les années 70 et comment et pourquoi ce « nez » a disparu aussi vite. Comment un comédien déguisé en Bouffon Vert a traumatisé la fille d’un Président des USA, obligeant Lee a s’interposer entre le « super-villain » et les responsables de la protection de la Maison Blanche. Rien que ce genre de « moment » vaut à lui seul la lecture de cette biographie dessinée.
Si Stan Lee est d’une candeur étonnante en ce qui concerne sa vie familiale, sa mémoire est un peu plus sélective en ce qui concerne le Silver Age. Non pas que les années de gloire de Marvel Age soient occultées. Lee brosse par exemple un portrait assez particulier de Martin Goodman, son cousin par alliance et fondateur de Marvel/Timely. Capricieux, du genre à s’attribuer le mérite des idées des autres, il est intéressant de voir que Lee décrit Goodman un peu comme les anciens collaborateurs de Lee l’ont lui-même décrit. Un peu comme si Goodman avait été le « Stan Lee de Stan Lee ». En fait si on regarde bien Goodman aura été le véritable inventeur du Marvel No-Prize en inventant une récompense qui n’avait pas de valeur et en la faisant miroiter à Lee. En d’autres endroits, on sent bien que les souvenirs de Lee ne suffisaient pas forcément à alimenter telle ou telle époque et qu’il a fallu que Peter David aille puiser ailleurs (ou que Lee aille lire les ouvrages des petits copains pour se rafraichir la mémoire). La scène où un jeune Stan Lee tape sur les nerfs de Joe Simon en jouant de l’ocarina ressemble tellement, au détail près, à ce qui est raconté dans les propres mémoires de Simon (The Comic Book Makers) pour que ce soit un hasard, surtout quand Lee lui-même reconnait qu’il a la mémoire d’un poisson rouge. Enfin, il y a les choses qui ne faut pas dire ou en tout cas pas raconter d’une certaine manière. Lee et David font l’impasse totale sur Stan Lee Media, la grosse faillite qu’a connu Stan après avoir quitté Marvel. Ils passent directement à la société qui a occupé les dernières années de sa vie, POW!. Et on ne peut guère leur jeter la pierre sur ce point précis car Stan Lee Media ayant été le théâtre de magouilles épiques de la part de certains des associés de Lee, revenir sur cette période en entrant dans les détails aurait sans doute été le plus sûr moyen de voir débarquer les avocats des anciens acolytes de Lee pour réclamer dommages et intérêts. Ce qui est plus vexatoire repose en une poignée de pages (finalement pas grand-chose quand on regarde l’épaisseur du bouquin) mais des pages qui comptent. Ainsi Stan Lee raconte à sa manière la création des grandes séries du Marvel Age. Tout a été son idée et il s’est contenté de donner à ses dessinateurs des mémos complets pour qu’ils n’aient plus qu’à dessiner selon ses ordres. A l’en croire les Fantastiques, les Avengers ou les X-Men n’auraient donc pas été une création collective. Bien que dûment désigné comme « cocréateur » dans l’ouvrage, Jack Kirby n’aurait fait que recevoir un cahier des charges et le mettre en images. Même chose pour le Doctor Strange de Steve Ditko. Dans cette version des événements, Lee raconte que Stephen Strange était son idée, largement dérivé de Chandu le Mystique, personnage qui le captivait à la radio, dans l’enfance. Et tant pis s’il existe une lettre de l’époque où Lee avoue à un lecteur que « Mister Strange » est totalement une idée de Ditko à laquelle il ne croit guère lui-même et pour laquelle il s’est contenté de changer le titre (le transformant en Doctor Strange). En un sens le Stan Lee de cette biographie est beaucoup plus conservateur que celui des Origins of Marvel Comics/Strange Spécial Origines. Si le Lee des années 70 citait déjà Chandu, il avait moins la main lourde en termes d’attribution des mérites. Il expliquait par le détail comment un Jack Kirby était capable de lui ramener un épisode en ayant décidé d’y ajouter un Silver Surfer, par exemple. Ici, sans doute refroidi par des années de procédures et de polémiques, Lee reste sur ses gardes. Surtout sa manière de raconter le départ de Kirby de la Marvel est hallucinant. D’après lui, Kirby voulait une augmentation et n’aurait tout bêtement jamais pensé ou jamais osé lui demander, il aurait donc claqué la porte alors que Lee, lui, était totalement disposé à lui donné plus. Olalah, ben dites-donc, quelle tête en l’air ce Kirby !
Si les Kirbyphiles les plus endurcis auront tiqué en lisant ces quelques lignes, il faut reconnaître aux « mémoires incroyables de la vie fantastique de Stan Lee » de ne pas être un livre d’histoire des comics (rien de comparable, dans l’ambition, à la biographie en deux tomes de Kirby signée par Jean Depelley ces dernières années) mais bien un témoignage. De même que si on s’intéressait à l’histoire du Premier Empire ce ne serait pas très « scientifique » de prendre pour argent comptant le témoignage de Napoléon ou d’un de ses proches, qu’il ne conviendrait pas de leur laisser écrire l’Histoire avec un grand H… Mais que dans le même temps, tomber sur le témoignage de Napoléon, tout subjectif qu’il soit, serait un élément important à verser au débat. Ici, c’est pareil. On ne peut pas prendre le témoignage d’un auteur comme argent comptant, surtout quand ce témoignage vieillissant intervient soixante ans après les faits. Et c’est sans compter sans la volonté de se montrer sous un jour favorable même quand la réalité ne l’est pas. On peut regretter que Kirby ou Ditko aient une place si minime dans l’ouvrage (à comparer, Lee prend presque autant de temps pour parler de son amitié avec Bob Kane) mais d’un autre côté la promesse ce n’est pas « l’histoire des comics » mais bien la vie de Stan Lee selon Stan Lee (avec David et Doran qui mettent en forme). Les quelques passages sujets à caution sont suffisamment connus (et finalement peu nombreux) pour qu’on sache à quoi s’en tenir. Et à l’inverse, sur d’autres périodes de sa vie (comme par exemple son passage à l’armée), c’est un récit d’une grande richesse. En fait l’album ne dit pas forcément de manière adéquate ce que Stan Lee a créé ou pas. Mais il donne sans doute un bon aperçu de qui était Stan Lee ou de la manière dont il se voyait lui-même. Il faut aussi préciser que l’équipe de POW! est créditée, dans les pages intérieures, parmi les auteurs et que peut-être que la volonté de sauvegarder l’image du patron explique cette frilosité sur certains sujets, par opposition à ce que Lee en disait lui-même quelques décennies plus tôt.
Malgré ces réserves sur la véracité de certains passages, il n’en demeure pas moins que cet ouvrage reste une bonne lecture, qui captivera quiconque s’intéresse un tant soi peu à l’histoire de Marvel. D’une part pour la valeur de témoignage déjà évoquée et puis aussi parce que c’est bien raconté. La patte de Peter David est omniprésente dans l’ouvrage. Lee donne la matière première mais c’est bien David qui la met en forme, arrivant d’ailleurs lui aussi à se glisser parmi les personnages, symbolisant la relation de Lee avec son public, une relation qui a fait la différence (tout un passage concerne l’implication de Stan dans les différents fanclubs de Marvel). La tâche de Collen Doran est un peu plus ardue. On connaît la dessinatrice pour son talent certain pour une forme de poésie et d’onirisme. Ici, le sujet ne s’y prête guère. Et il faut aussi jongler avec des passages où les tierces personnes n’ont pas forcément accordé leur droit à l’image (la page de garde liste les personnes qui ont donné leur accord). Si bien que l’artiste doit parfois représenter des auteurs connus sans que la ressemblance aille au déjà d’un certain degré. Enfin, il y a la « voix » en VF de Stan Lee. Traducteur abonné aux biographies et autobiographies chez Talent Editions, Elvis Roquand donne un travail qui, sans être déshonorant, est inégal. On ne retrouve pas forcément la gouaille qui caractérisait Stan Lee mais surtout la traduction tâtonne par moment dans les relations qui unissent les uns aux autres (par exemple, selon les cases, Joe Simon ne semble pas savoir s’il doit tutoyer ou vouvoyer le jeune Stan Lee). D’où une narration un peu trop factuelle par rapport à ce qu’on pouvait attendre. Mais cela n’annule pas l’intérêt de la lecture et des anecdotes dispensées par Peter David et Stan Lee. Les lecteurs de longue date y retrouveront un peu de la magie des Strange Spécial Origines, où on savait bien, déjà, que Stan Lee, en mode Barnum, était prompt à l’exagération et à quelques flous artistiques. Mais n’empêche, la magie était là. Et elle opère encore. Précisons, enfin, qu’une partie des bénéfices de l’ouvrage vont à The Hero Initiative, la structure qui vient en aide aux auteurs de comics dans le besoin.
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