C’est une très grosse semaine pour le Millarworld avec trois sorties ce mercredi: la fin d’un arc de Kick-Ass, le début d’une nouvelle saison de Hit-Girl et enfin la conclusion de The Magic Order. Sur les trois, seul ce dernier est écrit par Mark Millar, qui termine son histoire en usant de ses techniques de prédilection mais servi par un Olivier Coipel en grande forme.
Scénario de Mark Millar
Dessins de Olivier Coipel
Parution aux USA le mercredi 13 février 2019
Les récits de Mark Millar pour son Millarworld peuvent souvent (bien que pas toujours) se rapprocher de concepts qu’il aurait pu écrire chez les « big two » (principalement chez DC) mais qu’il a repensé à sa manière. Wanted était une variation avouée sur la Secret Society of Super-Villains, Superior était Shazam, Nemesis lorgnait sur Batman et le Joker en mode « Red Hood », Jupiter’s Legacy était quand même pour une certaine partie dérivée de la Justice League. Cette grille de lecture ne marche pas toujours (Kick-Ass, Chosen, Reborn ou Empress découlent d’une autre logique) mais rajouter à cela des « marottes » scénaristiques de Millar comme des personnages animés par un énorme complexe d’Œdipe (Gabriel, ici, comme le protagoniste de Wanted ou certains persos de Jupiter’s Legacy ne veut rien d’autre que « tuer le père ») et une volonté accentuée ces dernières années d’aller plus facilement vers des personnages féminins (Reborn et Empress, donc mais il suffit de regarder les trois sorties de la semaine pour voir qu’elles concernent trois héroïnes). Tout cela pour dire que la logique Millarienne nous menait à ce sixième numéro de the Magic Order, débuté comme une histoire de famille (les Moonstone) mais qui s’est brusquement recentré sur le personnage de Cordelia (la demoiselle en couverture). Forcément c’est plus ou moins une bonne nouvelle selon que vous soyez client ou pas du travail de Millar (mais si vous ne l’êtes pas, vous ne vous êtes pas infligé les cinq numéros précédents, personne n’est donc trompé sur la marchandise). The Magic Order, malgré son titre collectif, pourrait se définir comme une Zatanna destroy, un peu punk, mouton noir de la famille et obligée de reprendre la petite entreprise familiale après l’élimination de tous ses proches (dans les 5 épisodes précédents). Clairement, c’est le nerf de Cordelia Moonstone qui donne sa personnalité à la série, d’autant qu’Olivier Coipel recentre cet ultime numéro sur les protagonistes plutôt que sur le contexte.
Millar aime les garnements, les sales gosses, les enfants punks, parfois même les bâtards nés en dehors de la famille et n’a que faire de ceux qui étaient, jusqu’au début de ses sagas, des « fils préférés ». Cordelia Moonstone en est une nouvelle incarnation. Mais Olivier Coipel lui-même se concentre sur les corps de l’héroïne et de ses adversaires. Il faut dire que cela fait très longtemps que l’on n’avait pas vu le dessinateur français sur six épisodes d’affilée et que celui a tenu grosso modo le choc en se gérant, véritablement, ses différents efforts sur les pages. Parfois éthérée sur les épisodes récents (on se souviendra de la scène du club, plutôt épurée), sa narration (qui emprunte aussi au cinéma, aux mangas) a fait la différence, en particulier avec ses choix de « caméra », de « points de vue », qui font que même une scène de dialogue s’en trouve d’autant plus rythmée. Ses cadrages sont pour ainsi dire déjà un storyboard prêt à l’emploi. Forcément, quand c’est d’un combat final qu’il s’agit, comme ici, le point de vue tourne autour des personnages mais aussi en dessus et en dessous (c’est un peu comme si la couverture de The Magic Order #1, avec la famille vue en contre-plongée, en l’air, avait été une déclaration d’intention de l’artiste). Gestionnaire de son effort, Coipel arrive donc à mener la bataille de ce sixième numéro en se concentrant sur les personnages et… en délaissant volontairement les décors (tout au plus une petite brique par ci, une pierre tombale par là où le lointain contour d’un bâtiment mais en dehors d’une scène de bibliothèque, peu ou pas de décor). Plein d’artistes se prendraient les pieds dans le tapis dans cet exercice (retournez voir les Thunderbolts de Jon Malin et vous verrez la différence). Les protagonistes gesticuleraient dans le vide, ne reposeraient sur rien. Là, au contraire, l’exercice est maîtrisé. Ce n’est pas du vide, c’est du cadrage, de l’énergie. Si l’histoire de Millar repose sur le caractère de Cordelia, la série The Magic Order en elle-même tient, à n’en pas douter, sur le talent de raconteur de Coipel (et ceci sans aucun esprit chauvin). D’autant qu’il faut bien le dire, qu’on soit fan ou pas fan de Millar, le scénariste écossais s’en tire quand même sur ce dernier épisode par deux pirouettes successives (une liée à Cordelia, logique, mais l’autre concernant son oncle) qui font que scénaristiquement on a l’impression que le bar sonne la fin de la soirée alors qu’on commençait à passer aux choses sérieuses. C’est un peu expédié sur ce plan-là, comme cela pouvait l’être déjà pour Reborn. Mais finalement on a de la sympathie pour Cordelia Moonstone et cet arc devrait former, aussi, une bonne lecture en recueil. Ce serait cependant intéressant que Miller et Coipel retouchent un jour à cette saga, via un Special ou un Annual, pour donner une sorte de conclusion plus dense.
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