Toucher à l’intouchable. Voilà que c’est au tour de Tom King et de Jorge Fornès de s’essayer à l’exercice de la suite de Watchmen et en se concentrant ni plus ni moins que sur la mort du personnage qui donnait son sens à la saga. Rorschach. Un Rorschach en apparence bien vivant en 2020 et peut-être impliqué dans une tentative d’assassinat du président des USA. Mais sous couvert de Watchmen, King et Fornès ne lorgneraient-ils pas sur une autre œuvre majeure d’Alan Moore ? Ça pourrait.
Scénario de Tom King
Dessin de Jorge Fornés
Parution aux USA le mardi 13 octobre 2020
Faire des suites, des préquelles ou des parallèles à Watchmen, la porte est maintenant enfoncée depuis quelques années. On pourrait croire que cela facilite la tâche des auteurs de cette nouvelle minisérie Rorschach. D’une certaine manière il n’en est rien. Car en arrivant avec son « mystère » d’un Rorschach réapparaissant mystérieusement en 2020, Tom King passe après aussi bien Doomsday Clock que la série TV d’HBO. Le scénariste tente d’ailleurs le coup d’une continuité hybride, avec une allusion mineure « à ce qui s’est passé en Oklahoma » (comprenez Tulsa et donc les événements vus à la TV). Mais nous serions supposés être captivés par l’idée d’une résurrection ou d’une succession de Rorschach. Or, cet air a déjà été joué. Sans préjuger de ce que sera la voie choisie par King, la mélodie tourne à la rengaine. Peut-être l’a t’il lui-même anticipé, ce qui explique que dans cette série titrée Rorschach le personnage soit évoqué surtout par ellipse (à part surtout une scène forte). Ce premier épisode tel qu’écrit par King s’intéresse bien plus à un flic sur la piste de l’homme masqué, mystérieusement impliqué dans une tentative d’assassinat du leader suprême de l’Amérique. Watchmen, le vrai, était une fable sur la fin de la Guerre Froide. Doomsday Clock avait peu ou pas de portée politique, s’intéressant surtout à l’impact de la série Moore et Gibbons sur la culture populaire. Watchmen, la série TV, déboulait à l’heure des émeutes raciales. Rorschach, la minisérie, sur fond d’élections américaines, pourrait chercher à dire des choses sur ce que l’Amérique vit à l’instant T. Mais le calendrier de parution laisse entendre peu de possibilités de ce côté-là.
Beaucoup de choses restent à l’état d’un préambule et celui qui fait le show dans ce premier numéro, c’est l’excellent dessinateur Jorge Fornés qui donne à l’ensemble un parfum de polar, des ambiances à la fois modernes et « seventies ». C’est beau. Cette ambiance, cependant, ne passe pas (ou peu) par le scénario dont on a l’impression qu’il ne nous ressert pas tant Watchmen que cela mais plutôt… V For Vendetta. A part sa coupe de cheveux, le flic de King chargé d’enquêter sur le « terroriste » Rorschach nous fait furieusement penser au policier d’Alan Moore traquant V. Ce n’est qu’aux deux tiers de la lecture qu’un élément surprenant arrive en oblique, l’utilisation de noms réels d’auteurs de comics et des références à des membres disparus de leur propre famille. Là-dessus il y a de quoi laisser perplexe. Il faut bien sûr attendre de voir si King veut en faire quelque chose de particulier. Si les comics nous ont habitués à recaser les noms de grands auteurs pour baptiser des rues ou des immeubles, mentionner le décès de la fille du scénariste Otto Binder (réellement morte dans un accident de voiture) dans une sorte de séance de spiritisme semble… passablement crétin. Binder aurait-il apprécié qu’on utilise cette tragédie comme chair à pâté dans un comic-book ? On ne risque pas de lui demander, lui aussi est mort depuis longtemps. La référence se veut sans doute un hommage mais c’est maladroit ou déraisonnable. Dans un projet que beaucoup considèrent déjà comme blasphématoire envers Alan Moore, faire ainsi « parler les morts » semble un peu fort de café. La gestion de la suite a intérêt à apporter une explication respectueuse. Parce que les pages sont joliment dessinées par Fornés, donc. Et qu’on ne se fasse pas souci, avec l’appui de la marque, Rorschach #1 est assuré de faire un carton commercial. Mais le scénario parait bien mal barré… « We would like to contact the spirit man », tu m’étonnes…
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