Wonder Woman Year One continue son cours : Il y a un homme sur l’île des Amazones. Et ces dernières, ayant rompu depuis des siècles avec le monde des mortels, sont un peu comme une poule qui aurait trouvé un œuf, tentent de déchiffrer les moindres symboles dont il est porteur. Et elles vont devoir se choisir une nouvelle championne pour renouer le lien. Greg Rucka et Nicola Scott font feu de tout bois, revenant aux bases avec beaucoup d’humanité.
Scénario de Greg Rucka
Dessins de Nicola Scott
Parution aux USA le mercredi 10 août 2016
A la fin du chapitre précédent, Steve Trevor et son équipage s’écrasaient sur l’île des Amazones. Et tandis qu’il est convalescent et que, de plus, il ne parle pas leur langue, les femmes tiennent un conseil de guerre en se passant, de main en main, des lambeaux d’uniformes et des armes à feu, qu’elles n’ont jamais vues. Elles doivent donc déchiffrer ce qu’est devenu le monde des hommes en leur absence, tout en reconnaissant qu’on n’arrive pas chez elles par hasard et que, quelque part, la volonté des dieux se manifeste, même si elles ne la comprennent pas encore. Raconter les origines de Wonder Woman est un exercice auquel DC Comics se livre de manière répétée ces derniers temps. Après que d’autres auteurs aient produit Legend of Wonder Woman puis l’album Wonder Woman Earth 1, Greg Rucka et Nicola Scott se lançent dans Wonder Woman Year One, raconté en alternance, un épisode sur deux, avec une intrigue moderne illustrée par Liam Sharp. Sans doute aussi qu’il y a plus d’espace, plus de latitude par rapport à d’autres géants de DC, sachant que les origines de Batman et Superman on les connait en long et en large, dans pratiquement toutes les variations possibles. De fait, l’approche de Greg Rucka ne fait pas double emploi avec les deux autres projets récents, on pourrait même dire qu’elle intervient comme un contre-champ. Par exemple dans Terre 1, Grant Morrison et Yanick Paquette montraient certes la société des amazones comme un endroit à part, coupé des hommes, mais on insistait aussi sur le fait que c’était au monde des hommes de se faire à elle. Ici, les choses sont pratiquement inversées. L’homme est une créature mystérieuse pour les Amazones, presque un ovni, et elles doivent tenter de le décoder avec le peu d’éléments dont elles disposent. Elles ne parlent pas d’une seule voix, discutent, se disputent mais leur réaction nous en dit beaucoup sur leur culture. Et au passage, mine de rien, Rucka éjecte les 52 épisodes qui ont précédé son run. Car on aura beau tourner la chose dans tous les sens : si ces amazones-là n’ont pas eu de contact avec les hommes au moins depuis l’invention des armes à feu, le concept initié par Brian Azzarello de guerrières castratrices tuant des marins pour se reproduire avant d’abandonner les garçons en esclavage n’est plus de mise. De la même manière que la mère de Wonder Woman est redevenue brune (un détail, oui, mais aussi un symbole) à la faveur de Rebirth, Rucka tire le rideau sur ces apports « hors norme » et revient à ce qui constitue réellement le personnage et sa philosophie.
« Fact: the gods are in motion, sisters. »
Rucka et Scott jouent aussi avec les attentes, avec les passages imposés, les dits et les non-dits. Ils se permettent ainsi une ellipse à un moment clé de l’histoire, ce qui permet d’une certaine manière d’envoyer un message complice aux lecteurs : « pas besoin de te montrer la suite, on sait tous ce qui se passe après çà ». Une autre équipe créative aurait sans doute préféré partir sur une splash page nous montrant l’évidence (et personne n’aurait trouvé ça curieux d’ailleurs). Mais en jouant avec ce rythme, en ne montrant pas l’acte, les deux auteurs insistent d’une certaine manière sur ce qui motive la prouesse : la seule détermination de Diana. C’est d’autant plus fort, d’autant plus évident, qu’il n’est plus besoin de « montrer ». La dessinatrice Nicola Scott donne ici sans doute le meilleur boulot de sa carrière, avec un souci de représenter, de détailler aussi bien les drapés que les textures, de ne pas utiliser la même silhouette pour deux amazones. Par contre elle n’est pas aidée par les couleurs de Romulo Fajardo Jr., qui a une sérieuse tendance à utiliser une palette restreinte. Si bien que tout ce qui est vert, par exemple, est exactement de la même teinte, que l’on parle du voile de la conseillère Castalia, de la végétation où d’un sac de l’armée US. Tout est colorisé comme s’il n’y avait pas de lumière d’ambiance et comme si les objets ou les corps avaient une couleur absolue quelle que soit la présence du soleil ou pas. C’est dommage, parce que pour le coup quand on fait abstraction de ces couleurs pour ne regarder que les traits et l’encrage, c’est bien plus fort (et peut-être, d’ailleurs, que cela supporterait très bien une édition N&B). Même si on pourrait souhaiter de meilleurs couleurs, Wonder Woman Year One fonctionne sous de bons auspices. Legend of Wonder Woman devait réinventer la chose pour un public un peu plus jeune. Wonder Woman Earth One se posait un peu la question (et avec un mérite certain dans la réponse apportée) « qu’est-ce que cela donnerait si on inventait Wonder Woman dans le monde moderne ». Rucka et Scott sont, eux, dans une démarche de consolidation. Pas besoin d’aller inventer midi à 14 heures quand tous les éléments sont là. Et de fait un élément du « mythe » de Diana qui n’avait pas été « visible » depuis des lustres dans la série et récupéré et incorporé. C’est plus que du folklore anecdotique. C’est, là aussi, un symbole. C’est Wonder Woman, la vraie, pas une « version », pas une imitation (« not a dream, not an imaginary story ! » comme dirait l’autre). C’est le « modèle » qu’il faut respecter sous peine, dans le cas contraire, de virer hors sujet. Mais Rucka et Scott, au contraire, maîtrisent la chose à merveille et donnent à WW, sa mère et ses sœurs une ration bien dosée d’humanité et majesté. Wonder Woman Year One, c’est l’amazone qu’on aimerait avoir à l’écran d’ici un an.
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