Interview : A quelques jours de la sortie de The Dark Prince Charming, le premier Batman « à l’européenne », écrit dessiné et colorisé par Enrico Marini, talentueux auteur italien du Scorpion et des Aigles de Rome, l’heure était venu de lui demander de tout nous raconter, sur ce projet atypique et réussi.
Oui, depuis mon enfance ! Je lisais des comics de Batman et de Spider-Man avant même de découvrir la diversité de la BD franco-belge, qu’on ne trouvait pas beaucoup là où j’habitais, en Italie. Donc je lisais des fumetti et des comics ! Ce n’est évidemment donc pas un hasard si je me suis lancé dans cette aventure et je ne crois pas que j’aurai autant aimé faire un album avec un autre super héros que Batman.
On ne vous attendait pas dans ce registre, c’était un défi pour vous cet album ?
Oui ! Mais au départ ça vient surtout de mon envie et d’une plaisanterie. Puis Jim Lee a dit OK et c’est devenu une possibilité… Mais oui c’était un défi de rentrer de nouveau dans cet univers, même si je suivais Batman depuis des années, un défi d’écrire en anglais un comic-book pour la première fois, et de tout faire tout seul, scénario, dessins, couleurs ! Mais bon je ne me voyais pas travailler avec un scénariste, j’ai des idées, des envies, à ce stade autant les écrire moi-même.
Le tome 1 s’intitule The Dark Prince Charming, c’est vous qui avez trouvé ce titre ?
Oui, et je l’aime bien, parce qu’il y a un côté conte de fées moderne dans cette histoire, même si elle est très réaliste. Il y a quelques allusions de ce genre dans l’album, on parle de La Belle et la Bête, ou de la Belle au bois dormant, c’est volontaire parce que pour moi, Batman est comme le prince charmant qui arrive toujours un peu tard pour sauver la princesse… Et puis il a ce côté chevalier noir et le Joker lui est un monstre, un méchant comme dans les contes. Et pour finir, il y a dans ce titre également un petit clin d’oeil au Dark Knight de Frank Miller, qui est selon moi l’une des meilleures histoires de Batman jamais écrite. On a essayé de traduire The Dark Prince Charming en français, mais ça ne donnait pas grand-chose et on perdait ce clin d’oeil, alors on a gardé le titre en anglais.
Quels albums de Batman conseilleriez-vous à quelqu’un qui découvre le personnage ?
Un de mes préférés, c’est Batman year One de Miller et Mazzuchelli. Il y a un petit côté élégant, épuré, vintage dans cet album, j’adore ce style ! Ca me fait un peu penser à Alex Toth aussi. Et puis c’est vraiment une belle histoire surtout pour démarrer, puisque ça raconte la première année du héros justicier et du commissaire Gordon. De manière très réaliste. Un peu comme dans la trilogie des films de Nolan que j’aime beaucoup aussi. Dans mon enfance Batman était différent. Moi j’ai plutôt grandi avec les épisodes de Neal Adams, Jim Aparo, Kevin Nowlan, fin des années 70, c’est ça mes premières influences.
Justement, j’allais vous dire que cet album a un côté comics « à l’ancienne » en plus de la réunion « familiale » de vieilles connaissances, le Joker, Catwoman, Harley Quinn…
Eh bien je suis content, oui c’est un comic avec une approche classique et quelques touches modernes, surtout dans la narration et la technique de couleur directe. J’avais clairement le voeu de revenir aux sources des personnages, notamment du Joker, avec son côté distingué, smoking et compagnie. Et en même temps il a de multiples personnalités et je souhaitais le dépeindre un peu plus comme un clown et moins comme un monstre. Dans certaines aventures récentes je trouve que c’est limite gore et moins humoristique, alors que pour moi, le Joker fait des blagues ! Après on ne rit pas, mais c’est ma vision un peu slapstick comme ça. Je pense que ça le rend plus humain aussi, plus accessible… Même si je suis parfaitement conscient que c’est un psychopathe et un criminel ! (rires)
Diriez-vous qu’il est le meilleur méchant de l’univers Batman ?
Pour moi oui ! Il me charme… D’ailleurs parfois c’est peut être lui le Dark Prince charming… Il est très intéressant, car complètement imprévisible ! Il a de multiples facettes, même du point de vue d’un acteur qui joue ce rôle c’est un bonheur. Il est très coloré. Il change toutes les deux secondes. C’est l’opposé même d’un Batman, qui à part lorsqu’il est en action et donc agile, est plutôt sombre, rigide, réservé. Le Joker lui aime être sur la scène, il donne un spectacle. Les autres vilains aussi sont bons : Pingouin, Enigme, Mr Freeze ils sont tous magnifiques, mais j’ai un amour particulier pour le Joker. Parfois il pourrait presque voler la vedette à Batman ! Mais ce ne serait pas si grave en fait. On a aussi Catwoman et Harley Quinn dans l’album, même si elles ne sont pas très présentes. Harley parce que le Joker fait un certain nombre de choses pour elle, sa bien aimée. Et Catwoman, parce qu’elle veut la même chose qu’Harley… Mais bon, c’est surtout une histoire personnelle, un drame familial qui se joue dans le duo Batman/Joker.
Harley Quinn est devenue vraiment populaire récemment, vous l’aimez ou vous la trouvez folle ?
Elle est folle, bien sûr ! Peut-être pas autant que le Joker, mais déjà pour rester avec lui, il faut être dingue ! Mais bien sûr je comprends l’attraction qu’ils exercent tous deux sur les lecteurs, car ce sont des personnages très libres, ils font ce qu’ils veulent ! J’adore la version de Bruce Timm, dans Mad Love par exemple qui est un autre album incontournable à mon avis, malgré sa violence. Je n’ai pas trop aimé le film Suicide Squad ni l’utilisation de la magie à la fin, mais je pense qu’Harley y était assez réussie quand même. Elle manquait peut-être juste un peu d’humour. Car en fait c’est un personnage très drôle et très sexy. Mais bon, dans mon histoire elle n’a pas le premier rôle, un jour, peut-être… DC m’a ouvert le coffre et j’ai choisi mes jouets… Je ne pouvais pas tout prendre !
Justement ils ne vous ont pas donné de consignes sur les personnages, les costumes etc. ?
J’ai eu beaucoup de chance, j’ai eu toute la liberté possible. Du moment que je respectais l’univers et que je ne me moquais pas des personnages, j’avais carte blanche, c’était génial ! Comme l’album n’est pas dans une continuité, j’ai pu faire exactement ce que je voulais.
Depuis combien de temps travaillez-vous sur ce projet ?
Un peu plus d’un an et demi je dirais. J’ai écrit le scénario, il a été vite validé, puis j’ai fini un Aigle de Rome, puis j’ai repris, les dessins préparatoires, les designs importants comme la Batmobile etc. là aussi validés rapidement, puis je me suis lancé dans le story-board et je l’ai soumis. D’ailleurs je me dis qu’on devrait discuter avec DC de le sortir avec quelques dessins en plus. J’aime bien l’étape du story-board c’est là qu’on fait la mise en scène, qu’on est le plus créatif. Il y a une belle énergie, c’est spontané ! Et après ça je crois que j’ai mis 6-7 mois pour dessins et couleurs. J’espère faire même un peu mieux pour le tome 2 car on voudrait le sortir à l’été 2018 pour que les lecteurs n’attendent pas trop longtemps la suite de cette histoire. C’est un bon rythme, 6-7 mois pour 60 pages, un peu fatiguant, même. Surtout le lettrage que j’ai fait sur un nouveau programme et qui m’a pris un temps fou ! Mais bon, j’ai appris plein de choses, il y a eu beaucoup d’échanges, c’est comme si j’avais deux éditeurs entre DC et Dargaud, mais c’était vraiment une belle expérience.
Il y a quelques très jolis plans de Gotham, ca a dû vous faire plaisir de dessiner cette ville…
Oui, Gotham est pratiquement un personnage de l’histoire d’ailleurs. Je pense que la ville est toujours très présente dans les meilleures histoires de Batman, sans Gotham, Batman n’existe pas. Une histoire de Batman dans les Dolomites par exemple, ça n’a pas de sens ! Personnellement je me suis inspiré entre autres du Gotham d’Anton Furst, le designer qui a fait le Batman de Tim Burton, et de vraies villes comme Chicago, ou New York, il y a un petit côté Blade Runner aussi. Mais bon, je n’ai pas voulu travailler trop sur des documents, ou copié quoi que ce soit, j’ai recréé une ville et voilà. En plus, les délais étaient quand même assez justes…
Vous aviez dès le début cette idée des couleurs sienne de certaines planches qui font penser à des photos sépias ?
Parfois quand on dessine le noir et blanc et qu’on ferme les yeux, on voit les couleurs qu’il y aura sur la planche et parfois on les change au dernier moment, il n’y a pas de règle. Mais en général, dès le story-board je sais quelle atmosphère je veux dans chaque scène, donc je connais les couleurs nécessaires pour la créer. L’important c’est d’être lisible, il faut que la lumière et les couleurs aient un sens par rapport à l’histoire. Parfois, comme au cinéma par exemple, on triche, la lumière n’est pas « juste », eux ils utilisent des filtres etc. mais si elle donne la bonne impression c’est ce qu’il fallait. Nous aussi, parfois on trompe le lecteur, mais c’est toujours pour faciliter la lecture. Personnellement je ne mélange pas beaucoup de couleurs en général, j’essaye plutôt de créer une harmonie. Je suis même fan du monochrome, comme sur la couverture par exemple. C’est très différent des couleurs pop des Batman des années 70 ! Ce serait marrant d’ailleurs un jour de les reprendre pour un album, mais pour que ça marche, il faudrait que tout soit rétro, même le papier !
La dernière planche est très belle, et elle forme une boucle avec le début de l’album, vous aviez conçu cette histoire avec des flashbacks ?
Quelques uns, oui, mais pas trop. Au début, DC voulait que je mette des dates sur les scènes pour qu’on comprenne mieux, mais moi je ne voulais pas, au contraire, je préfère créer une petite confusion chez le lecteur qu’il ne comprenne pas tout de suite (rires), il faut être attentif ! L’entrée du Joker n’est donc pas tout à fait le début de l’histoire…
A un moment Batman dit du Joker et de lui-même que le diable ne voudrait même pas d’eux, c’est un peu dépressif, non ?
C’est une réflexion que « certains » ont fait à propos du Joker, et que rapporte Batman, ce n’est pas forcément ce qu’il pense lui… Cela dit, c’est normal que certains pensent que le Joker est tellement too much et sans limites que même le diable n’en voudrait pas. D’autres pensent au contraire, qu’il est l’incarnation du Mal, pourquoi pas le diable lui-même, ou la métaphore du diable. Et d’autres encore ont tellement peur de Batman, qu’ils pensent la même chose de lui, qu’il vient de l’enfer. Mais je ne veux pas rentrer dans une analyse moraliste ou chrétienne, c’est une réflexion en voix-off, elle s’adresse au lecteur, chacun y comprendra ce qu’il veut…
Pour finir, quel avenir réservez-vous au personnage de la petite fille que vous avez créé ?
Tout ce que je peux dire c’est que mon idée n’est pas d’en faire un nouveau Robin ! Ou de lui faire endosser le costume de Robin à la fin, ce serait trop prévisible… Mais désormais elle appartient à DC, c’est très amusant et excitant de se voir ce qu’ils vont en faire ! Tout peut arriver…Elle peut évoluer, grandir etc. Evidemment si elle est vivante à la fin du tome 2…
[Propos recueillis par Lise Benkemoun]Batman – Dark Prince Charming, sortie le 3 novembre 2017 chez Dargaud.
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