Oldies But Goodies: Captain America Comics #13 (1942)

[FRENCH] En 1941 Marvel avait lancé Captain America a une époque où l’entrée des USA dans la guerre était encore incertaine. Un an plus tard, Pearl Harbor était passé par là et la question ne se posait plus. L’éditeur pouvait même se demander comment surenchérir et créer de nouveaux héros patriotiques qui ne seraient non plus des précurseurs de l’effort de guerre mais bien l’incarnation du nouvel élan national. D’où la création dans Captain America Comics #13, en avril 1942, d’un nouveau super-héros « spécialisé », au nom étrange de « Secret Stamp » (soit le « Timbre Secret »).

Le Secret Stamp ! Quel personnage peut bien se cacher derrière un pseudonyme si atypique ? Lors du lancement du personnage, l’éditeur met les petits plats dans les grands en prenant soin de publier une pleine page de présentation où on ne voit pas encore le héros mais où on le définit en ces termes : « Jeunes américains, voici un strip à propos d’un gars juste comme vous ! Un garçon américain qui vend des timbres au bénéfice de la « Défense des États-Unis » et qui livre le journal pendant son temps libre. Son nom est Roddy Colt et Roddy n’aime pas le crime. Dans un petit moment vous verrez ce qu’il en fait.« . En fait, l’idée est de faire reposer le Secret Stamp sur la vente des timbres et des bonds d’emprunts qui circulent à l’époque pour financer le budget nécessaire à la guerre. A ce moment-là beaucoup d’adolescents sont encouragés par leurs écoles ou par les organisations de boy-scout à vendre ces bons/timbres un peu dans les mêmes conditions que s’il s’agissait d’une tombola scolaire. Le Secret Stamp, c’est un super-vendeur de timbres patriotiques, créé dans l’espoir que la jeunesse américaine s’identifie à lui. Le procédé est un peu l’inverse de ce qui s’était passé quelques mois plus tôt avec le lancement des Sentinels of America (le fan club officiel de Captain America) mis en scène dans des séries comme Young Allies. Bucky et ses amis personnalisaient à l’image le fan-club de la revue, encourageant les lecteurs à s’abonner au club. Là, dans le cas du Secret Stamp, c’est un peu comme si tous les gamins vendeurs de bonds avaient été considérés comme un fan-club existant de fait et qu’on avait décidé de leur fabriquer un héros sur mesure..

Roddy Colt est un jeune livreur de journaux qui fait sa tournée à vélo dans les rues de la cité fictive Freetown. Cette dernière fait partie des villes que Timely/Marvel tenta d’imposer dans ses revues à l’aube des années 40. Ainsi non seulement Freetown est le lieu de résidence de Roddy Colt mais on la voyait par ailleurs mentionnée également dans la revue U.S.A. Comics, où un autre super-héros patriotique, le Defender, y passait à l’occasion pour combattre le crime (comme les aventures du Defender et celles du Secret Stamp étaient dessinées par le même artiste, Don Rico, ceci explique peut-être cela). Roddy est donc livreur du Freetown Star, le quotidien local. A la différence de nombreux « gosses » dépeints par les comics de cette période, Roddy Colt n’est pas un orphelin solitaire comme Bucky, Robin, les Young Allies ou quelques autres. Bien que ses parents ne soient pas mentionnés, on fait la connaissance dès la première case de son petit frère Tom. Ce dernier accompagne Roddy dans sa tournée de livraison. A un moment, pour mieux aller distribuer ses exemplaires, le frère ainé laisse le petit à côté de sa bicyclette. Mais forcément le petit frère n’est qu’un espiègle garnement. Dès que Roddy tourne le dos, Tom enfourche le vélo en s’exclamant que c’est enfin l’occasion de faire comme son frère. Sa joie est de courte durée puisqu’une voiture déboule à toute vitesse du proche carrefour et visiblement Tom n’est pas assez habitué au vélo pour éviter la collision. Au demeurant les torts sont partagés et on pourrait penser que tout ça va s’arranger à l’amiable mais quand il sort de sa voiture l’automobiliste voit Tom tombé à terre ainsi que le contenu de la sacoche du vélo, qui s’est renversé sur la roue: « Hey ! Mais ce sont des timbres de la Défense ! Et il y en a beaucoup ! Ils valent de l’argent ! ». L’homme patibulaire s’empare des timbres et prend la fuite à bord de son auto, au nez et à la barbe des deux frères Colt.

La jambe de Tom a l’air très gravement blessée et Roddy se dit qu’il va falloir l’emmener au plus proche dispensaire, tout en se promettant que le voleur n’aura pas le dernier mot. Heureusement pour Roddy et Tom, ils ne sont pas sans amis dans la ville. Une autre voiture s’arrête, conduite par Jerry Dash, un reporter ami de Roddy (on en déduira que Dash travaille sans doute au Freetown Star, le journal distribué par le garçon). Dash emmène rapidement les deux enfants à l’hôpital, où ils apprennent que Tom a « simplement » une jambe cassée. Elle guérira. Mais les temps sont durs et Jerry Dash comprend vite qu’il y a quelque chose qui ne va pas guérir tout seul : le vélo de Roddy a été démoli dans l’accident (de façon induite, la mésaventure risque d’empêcher l’enfant de travailler). Décidé, Dash emmène Roddy chez un vendeur de vélo et lui offre la bicyclette la plus moderne qu’on puisse imaginer à l’époque. Non seulement elle est parfaite mais elle incorpore également une radio pour envoyer et recevoir des messages. Roddy est sidéré par ce coûteux cadeau mais est tout prêt à l’accepter à une condition : que Dash le laisse le rembourser par petits versements, chaque semaine. Le reporter lui explique alors qu’il a une autre idée. Lors de ses tournées en vélo, Roddy quadrille la ville et voit beaucoup de choses. A chaque fois que Roddy verra un scoop digne d’intérêt, il lui suffira de passer un message radio à Dash. En gros Roddy sera un informateur privilégié…

Jerry Dash est bien loin de se douter qu’il vient de donner un moyen de locomotion inespéré à un tout nouveau super-héros. Car le soir-même, dans sa chambre, Roddy s’admire dans son miroir, vêtu d’un masque et d’un costume aux couleurs patriotiques et d’une cape jaune. Le masque blanc est d’une certaine manière évocateur de Captain America, avec un insigne triangulaire sur le front qui évoque beaucoup le premier bouclier du héros étoilé. Sur sa poitrine, un gros cachet de la poste américaine lui tient lieu de logo identifiable : « Oui, j’aiderais Jerry à trouver des scoops ! Mais j’en ferais encore plus qu’il le saura ! Je prendrais sur moi de renverser le crime et de combattre les ennemis de notre programme de défense ! ». Et, de manière dramatique, le narrateur souligne : « Et ainsi le Secret Stamp est né ! Fléau des criminels, des espions et des saboteurs ! Avec un masque pour cacher son identité, Roddy Colt se lance dans une croisade contre le crime ! ». Une déclaration sans doute tonitruante puisque Roddy n’a pas le moindre pouvoir et que le seul sport qu’il semble pratiquer est le vélo (discipline pas vraiment utile dans le contexte d’un combat physique). Il n’empêche qu’en tournant la page on voit que le narrateur ne se trompait pas : différentes scènes nous montrent comment, en l’espace de quelques semaines, le Secret Stamp devient la coqueluche de Freetown, aidant tous les gens dans le besoin. Au passage ce terme de « Secret Stamp » est moins idiot qu’on pourrait le penser puisqu’il repose sur un jeu de mot. Il peut se comprendre non seulement comme « Timbre Secret » comme nous l’avons déjà vu mais peut également s’entendre comme « Estampillé Secret », une sorte de synonyme du « Secret Défense »…

En journée, Roddy continue cependant de vendre ses journaux dans les rues et il est d’ailleurs pris à partie un jour par son rival Spud Sickles. Visiblement Sickles est à Roddy Colt ce que Flash Thompson sera à Peter Parker dans les premières années de la série Amazing Spider-Man. Qui plus est Sickles vend un autre journal que le Freetown Star et se moque de Roddy en lui demandant quand est-ce qu’il se décidera à travailler pour un bon titre. Les deux gamins se toisent et finalement, comme Sickles était en route pour aller voir une vieille demeure du quartier, réputée pour être hantée, il défie Roddy d’avoir le courage de l’accompagner. On dit que le richissime banquier Williams vient d’y emménager et Spud espère bien lui vendre un abonnement du journal pour lequel il travaille. Aussitôt une course s’engage. Roddy espère bien arriver premier et non seulement arriver à vendre un abonnement pour le Freetown Star mais aussi quelques timbres de la Défense. Malheureusement, arriver le premier ne sert à rien. Quand Spud arrive devant la demeure, c’est juste à temps pour voir Roddy se faire éjecter à coups de pieds dans le derrière. Williams hurle qu’après sa vie ait été menacée par des gangsters il a d’autres choses à faire que s’abonner à un journal. Roddy a même eut le temps de comprendre que des maîtres-chanteurs ont ordonné à Williams de déposer une grosse somme dans le cimetière de la ville si le vieil homme veut être épargné. Les deux enfants se séparent, convaincus qu’aucun des deux n’est susceptible de vendre quelque chose à Williams.  Si ce n’est que Roddy, en s’éloignant, rumine que ce soir le cimetière recevra aussi la visite du Secret Stamp…

La nuit tombée, le jeune héros masqué est aux premières loges pour voir les gangsters parcourir les tombes et s’emparer de l’argent laissé là par Williams. Hélas pour le Secret Stamp il est pris d’un éternuement et les bandits le débusquent sans problème. Et malgré les prouesses de l’adolescent, il ne peut venir à bout des deux adultes, qui l’enferment à l’arrière de leur voiture, en prenant soin d’emmener aussi sa bicyclette pour ne pas laisser de trace. Leur idée est de rouler jusqu’à un endroit tranquille où ils pourront se débarrasser pour de bon du jeune curieux. Mais ils sont bien loin de se douter qu’ils lui ont laissé un important moyen de communication : la radio intégrée à la bicyclette ! Ayant entendu quelle est leur destination, Roddy adresse alors un message murmuré à l’attention de Jerry Dash en lui indiquant à quel endroit se rendre. Reste encore à survivre en attendant l’arrivée de Dash. Sorti du coffre, le Secret Stamp arrive à surprendre ses ravisseurs au moment où ils voulaient le jeter à l’eau, lesté d’une lourde pierre. Le Stamp se rebiffe et se précipite jusqu’à la voiture pour retrouver son arme de prédilection… son vélo. En ouvrant la portière il découvre de nombreux timbres de la Défense en déduit que ce sont les mêmes hommes qui ont renversé Tom. Puis enfourchant son deux-roues, il se rue sur les gangsters, les renversant en commentant « Vous ne vous attendiez pas à ça, hein ? Vous pensiez que personne n’était plus fort qu’un revolver ! Et bien maintenant vous savez ! »

Puis, pris d’une inspiration soudaine, le Secret Stamp profite que ses adversaires soient sonnés et leur colle chacun un timbre de la Défense sur le front : « Vous vouliez tant ces timbres ! Prenez-en un ! ». C’est une pratique qui fait plus ou moins inconsciemment référence aux pratiques des héros des romans pulps ou des premiers proto-super-héros. Il est était en effet assez courant que des personnages comme le Shadow, le Spider ou le Phantom marquent le front de leur ennemis. Sauf que dans le cas de ces prédécesseurs illustres, il s’agissait de sceaux indélébiles (des marques en forme de crane ou d’araignée). En général le héros concerné expliquait au gangster qu’ainsi il le reconnaîtrait s’il le croisait à nouveau et qu’il ne lui laisserait pas d’autre chance de se ranger. Là, la scène fait écho à ce genre de rituel si ce n’est qu’elle est dénuée de sens puisqu’il s’agit de timbres. Le marquage ne durera pas… Disons que c’est une sorte de signature pour que la police sache qui leur livre les brigands. D’ailleurs les policiers arrivent (accompagnés de Jerry Dash, qui les a prévenu) et le Secret Stamp s’éloigne à vélo avant d’être obligé de répondre à des questions sur son identité secrète. Non loin de là Roddy se change à nouveau en civil, lui-même étonné par l’idée de génie qu’il vient d’avoir. Il décide que désormais il prendra soin de « timbrer » ainsi de tous les adversaires qu’il rencontrera. Ne reste plus à Roddy qu’à se glisser auprès de Dash pour lui expliquer qu’il l’a prévenu par radio après avoir vu de loin le Secret Stamp en pleine action. Et Dash (qui est visiblement plus doué pour offrir des vélos que pour un véritable instinct de journalisme) se demande alors à voix haute qui peut être le mystérieux Secret Stamp…

L’épilogue nous permet de retrouver Roddy roulant aux côtés de son rival Spud. Roddy explique en fanfaronnant un peu que monsieur Williams était tellement content d’être libéré de la menace des gangsters qu’il lui a pris pour 100$ de timbres de la Défense. Spud joue alors les blasés en prétendant s’en moquer. Lui il sait quelque chose de bien plus important. Il sait… qui est le Secret Stamp ! Surpris et inquiet, Roddy lui demande alors qui est le héros… Et Spud répond en essayant de se donner une contenance « Et si je te disais que c’est moi le Secret Stamp, que dirais-tu ? ». Hilare, Roddy conclue « Spud, je ne pense pas que je te croirais », tandis que le narrateur prend soin de souligner que l’Amérique a besoin de vrais américains et, en prime, pour ne rien oublier dans la fibre civique , que la Croix Rouge a besoin de dons.

Le scénariste de ce personnage haut en couleurs, c’est Stan Lee, fraîchement nommé au poste de responsable éditorial après que Timely ait coupé les ponts avec Joe Simon et Jack Kirby. Et il suffit de voir la maquette des pages concernées pour comprendre que la société avait sans doute un format assez différent en ce qui concerne le Secret Stamp. A l’époque Captain America vivait des aventures qui pouvaient aller jusqu’à dix ou douze pages. Le Secret Stamp, lui, a droit à une page introductive puis à un « épisode » qui est constitué d’une suite de pages qui reprennent à chaque fois le titre « Secret Stamp » comme s’il s’agissait d’une page de daily strip publiée dans la presse quotidienne ou comme s’il avait été pensé pour être publié de manière feuilletonnesque, à raison d’une page à la fois (peut-être comme une sorte de « publicité d’utilité civique » comme il s’en faisait à l’époque). On peut même se demander si l’idée n’était pas de le publier dans une brochure à part « hors comics habituel » avant que, pour une raison ou pour une autre l’éditeur se ravise et le publie de manière conventionnelle. Il a de nombreux indices qui laissent penser que le Secret Stamp était une sorte de « deal » spécial, peut-être avec un organisme officiel quelconque, qui finalement a capoté avant qu’on en recycle les pages dans Captain America Comics. Entre de s’identifier à un timbre et un armement qui se limite à un vélo, on pourrait penser que la carrière du Secret Stamp fut brève. Pourtant, s’il est vrai que sa longévité ne fut pas celle d’un Human Torch ou d’un Sub-Mariner, ce héros pittoresque sera la vedette d’une vingtaine d’épisodes publiés dans Captain America Comics et dans U.S.A. Comics (assez bizarrement, une erreur tenace fait que beaucoup de sources indiquent de manière erronée que le Secret Stamp aurait commencé en 1943 dans les pages d’U.S.A. Comics, ce qui est totalement faux). C’est d’une certaine manière peu mais, sous un autre angle, beaucoup plus que des personnages comme Citizen V, Black Widow ou Dynamic Man, le tout venant des héros Timely, qui n’eurent souvent qu’une demi-douzaine d’épisodes avant de disparaître dans l’oubli.

Plus actif pendant la guerre, le Secret Stamp n’a cependant pas passé le cap. A la différence de ses collègues, il n’est pas revenu. Et pour cause : Difficile d’imaginer un Secret Stamp adulte qui, quelques années plus tard, continuerait de combattre le crime. Son image de marque est trop liée aux timbres spéciaux émis par le gouvernement américain au début des années 40 pour qu’on puisse décemment imaginer le voir en action une fois la guerre terminée. Et puis il y a la difficulté de le prendre au sérieux quand on le voit foncer sur les gangsters en se servant de son vélo comme d’un bélier. Néanmoins en un sens il n’est pas plus ridicule que de nombreux gamins patriotes de l’époque et ses aventures ne sont pas « irréalistes ». Voici un personnage qui n’aurait aucun intérêt dans l’ère moderne ( à l’extrême rigueur on pourrait l’imaginer vieillissant, devenu membre du Penance Council du V-Battalion puisque c’est une sorte de cercle réunissant d’anciens héros de la seconde guerre mondiale) mais qu’il serait intéressant de revoir dans lors de flashbacks montrant l’univers Marvel des années 40…

[Xavier Fournier]
Comic Box

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