Nous apprenons la disparition du scénariste Gary Friedrich. Sans doute plus connu des lecteurs pour avoir cocréé le Ghost-Rider (« Le Motard Fantôme ») et le Fils de Satan, Friedrich a fait partie d’une certaine relève chez Marvel vers la fin des années 60 et le début des seventies. Entre autres choses, Il fût aussi, aux côtés de Steve Ditko, le co-créateur de Blue Beetle (la version Ted Kord du personnage).
Gary Friedrich (à ne pas confondre avec Mike Friedrich, un autre auteur de comics) débute dans les comics en 1966. A la base Friedrich n’envisageait pas cette carrière. Mais son ami Roy Thomas lui a expliqué que le secteur embauche à l’époque. Sur un coup de tête, Gary s’installe à New York et devient colocataire de Thomas. Ce dernier le recommande alors auprès de l’éditeur Charlton Comics. Il y a précisément 52 ans, à quelques jours près, son premier scénario est publié dans Love Diary, chez Charlton. S’il s’agit d’une série romantique, Friedrich profite pleinement du fait que l’éditeur, malgré la petite taille de sa gamme, aborde des genres très différents. Quelques semaines plus tard il créé donc déjà ses propres super-héros, les Sentinels, une équipe aujourd’hui méconnue. Son troisième script, paru le même mois, est bien plus notable : il collabore avec Steve Ditko pour mettre en forme un concept de ce dernier. Il s’agît de réinventer dans Captain Atom #83 (octobre 1966) le personnage de Blue Beetle (jusqu’ici une sorte de Superman) pour en faire un acrobate masqué, dans la veine de Spider-Man. Parallèlement l’auteur écrit aussi pour Go-Go, un titre parodique de Charlton, où il invente des pastiches de super-héros DC et Marvel tels que Blooperman (Superman), la Bestest League of America, Spider-Dan (Spider-Man), Captain Americuss…
Dès le début 1967, sans totalement abandonner Charlton, Friedrich débarque chez Marvel. Coloc de Roy Thomas, il co-écrit avec lui le premier épisode de Ghost-Rider. Mais il ne s’agit pas encore d’un motard. Le dessinateur Dick Ayers, qui a travaillé sur un cowboy fantomatique chez un concurrent disparu, décide de ramener ce concept chez Marvel. Ensemble, les trois hommes modifient assez l’idée pour qu’elle puisse être à nouveau déposée par l’éditeur. C’est le début du premier Ghost Rider de Marvel, le cow-boy Carter Slade (version qui reviendra par la suite sous des noms divers tels que Nightrider ou Phantom Rider). Sa production chez Charlton faisant preuve de sa capacité à jongler avec des genres très différents, Friedrich est mis à contribution sur des titres Marvel très différents les uns des autres. Il écrit aussi bien les aventures de cow-boy (Ghost Rider, donc, mais aussi Rawhide Kid ou Two-Gun Kid), d’héroïnes ingénues (Millie The Model) mais aussi, dès le printemps 1967, les récits de guerre.
Ses épisodes de Sgt. Fury, dessinés par Dick Ayers, son collaborateur de Ghost Rider, vont réellement permettre au scénariste de se faire remarquer. D’autant plus que Friedrich, sensibilisé par ce qui se passe alors au Viêt-Nam, va rendre le Sergent Fury pertinent par rapport à l’époque de sa publication. Il écrit ainsi Sgt. Fury Annual #3 (1967) qui, contrairement à l’habitude, ne se déroule pas pendant la Seconde Guerre Mondiale. Friedrich et Ayers décrive au contraire une réunion des anciens Howling Commandos, deux décennies plus tard, dans le contexte du conflit vietnamien. Fin 1967, toujours avec Ayers, le scénariste lance sa première véritable création Marvel, le Captain Savage, une sorte de dérivé de Sgt. Fury (là où Fury représente l’armée de terre, Savage est un marin). Mais comme Ghost Rider, Captain Savage n’aura qu’un succès limité. Pour la petite histoire notons que dans Not Brand Ecch #6, magazine parodique de Marvel, Friedrich est le premier à scénariser le mariage de Spider-Man, quand bien même il s’agit d’un pastiche.
L’auteur ne revient véritablement vers du super-héros « premier degré » qu’en mai 1968 (encore qu’il convienne de souligner qu’à l’époque il n’a qu’une année et demi de métier derrière lui). L’anthologie Tales To Astonish est alors supprimée et on lui confie l’écriture de la toute nouvelle série Incredible Hulk qui en résulte. Dans la foulée, Friedrich donne un coup de main à Roy Thomas pour l’écriture d’X-Men #44 (qui révèle l’origine d’Iceman) avant d’écrire, de façon autonome, plusieurs aventures des mutants. Véritable « joker » de Thomas, Friedrich reprend ensuite l’écriture du guerrier Kree Captain Marvel. En 1970, Friedrich est aussi le premier à écrire les aventures solo régulières de Black Widow, dans les pages d’Amazing Adventures. De façon presque prophétique, il passe aussi, dans le même temps, aux commandes de la série Daredevil.
Néanmoins Marvel ne suffit pas à l’employer pleinement. En 1971, on le retrouve aussi en parallèle chez un éditeur concurrent, Skywald, où Gary Friedrich s’essaie à un genre nouveau, le super-héros motard. Il créé ainsi Hell-Rider et quelques personnages annexes (Butterfly et The Wild Bunch). Si Hell-Rider est un échec cuisant, rapidement arrêté, Friedrich se concentre sur son travail pour Marvel tout en conservant quelques idées de cette expérimentation.
En 1972, Roy Thomas et lui réinventent entièrement le Ghost Rider en ne conservant guère que le titre. Cette fois il s’agît d’un motard qui a signé un pacte avec le diable et qui, dans certaines conditions, se transforme en un démon à « tête de mort ». Johnny Blaze, le Motard Fantôme, est né. La répartition des rôles dans cette création sera cependant par la suite un vrai sujet de polémique, Friedrich rapportant qu’il est le seul à avoir eu l’idée… et regrettant de ne pas toucher les royalties des produits dérivés, surtout à partir du moment où le Ghost Rider deviendra un personnage de film. Sans abandonner certaines activités (comme l’écriture de Sgt. Fury par exemple), Friedrich devient à partir de ce moment-là une sorte de « monsieur macabre » chez Marvel. On lui confie rapidement le lancement de la série Frankenstein (1973) qui non seulement adapte le roman de Mary Shelley mais importe dans les numéros suivants la Créature dans l’univers Marvel. Friedrich est aussi le co-créateur de Daimon Hellstrom, le Son of Satan (ou Hellstorm, pour certains lecteurs plus tardifs).
En 1975, Friedrich fait partie de l’éphémère aventure Atlas/Seaboard : la famille Goodman, ancienne propriétaire de Marvel, lance une nouvelle maison d’édition. Friedrich collabore à différents titres comme The Cougar, Iron Jaw, The Barbarians, The Brute… mais sans lendemain.
Pour Marvel, il prend aussi la suite de Chris Claremont pour l’écriture de Captain Britain, magazine produit à l’époque exclusivement pour la Grande-Bretagne. Sa production est, de toute manière en baisse, pour un ensemble de problèmes personnels. Vers la fin des années 70, Friedrich est en effet rattrapé par un mariage en échec et des soucis d’alcoolisme. En 1978, Friedrich quitte New York et met fin à sa carrière dans les comics, vivant à partir de là de petits boulots. En dehors d’un bref retour en 1993 pour une histoire le réunissant avec Roy Thomas et Dick Ayers, Friedrich se tient à l’écart du monde des comics jusqu’en 2007.
A cette époque, dans la perspective de la sortie du film Ghost Rider, le scénariste attaque Marvel pour demander des intérêts. La procédure, qui va durer jusqu’en 2011, va néanmoins tourner à l’avantage de Marvel, Friedrich ayant signé en 1978 un contrat abandonnant tous ses droits sur le personnage. Les échanges ayant apparemment été houleux, Friedrich se retrouvera à son tour poursuivi pour avoir vendu des produits « Ghost Rider » de son cru, estimant qu’il en avait le droit. Perdant devant le tribunal, Gary Friedrich retrouve cependant une forme de visibilité auprès du fandom américain et, à partir de là, participe de façon accrue à des conventions de comics. Un temps, il espère même en profiter pour trouver à nouveau du travail dans les comics mais sans grand résultat. Ces dernières années, souffrant de la maladie de Parkinson, il avait cependant espacé ses apparitions publiques.
Si sa carrière active a été finalement relativement brève (une douzaine d’années), on peut voir dans la production Marvel de Gary Friedrich une sorte de prototype de ce que seront plus tard les Midnight Sons chez l’éditeur (Ghost Rider, Son Of Satan, Frankenstein). Ou plus exactement il convient de le rapprocher de la production de Marv Wolfman pour obtenir un peu les Midnight Sons des années 70. Les lecteurs français de longue date se souviendront avoir lu l’essentiel de ses scénarios traduits en France chez Arédit-Artima, éditeur moins regardant sur la censure et plus apte à publier des récits alternants entre la guerre et le Fantastique.