Nous apprenons le décès du dessinateur Russ Heath, disparu cette semaine à l’âge vénérable de 91 ans. L’un de ses premiers travaux publiés remontant à 1942, Heath faisait partie de la première génération des grands des comics. Ancien collaborateur de DC Comics, Marvel, EC Comics ou Playboy, il était connu pour son réalisme détaillé et un talent certain pour représenter des scènes de guerre ou des récits de l’Ouest.
Selon ce que racontait le principal intéressé, Russ Heath commence machinalement à dessiner des cow-boys dans sa petite enfance car son propre père avait été « garçon-vacher ». Développant son talent, le jeune Russ peut se permettre d’aller taper à la porte de certains éditeurs de comics. Les histoires n’étant pas toujours signées, il est difficile de savoir quand Heath a précisément commencé à produire de façon professionnelle. Au plus tard, ses dessins paraissent dans Captain Aero Comics vol. 2, #2 (1942). Il a donc 16 ans. Dans un premier temps, il n’apparaît pas très productif, continuant d’abord ses études puis partant servir dans l’armée de l’air, en 1945. A son retour, pressé de s’établir, Heath trouve du travail dans une agence publicitaire mais, soucieux d’arrondir ses fins de mois en dehors des heures de bureau, recommence aussi à travailler pour les comics. Bientôt, son travail dans la BD est assez lucratif pour qu’il s’y consacre à plein temps, en particulier chez Timely/Marvel Comics, pour qui il dessine des BD de cow-boy à partir de 1948, matérialisant ainsi sa vocation d’enfance.
A l’époque où Heath redouble d’activité dans les comics, le genre super-héroïque est en déclin. L’artiste y touchera donc peu mais en 1950 Marvel commence à lui commander quelques récits de science-fiction pour la revue Unknow Worlds. Si bien que lorsque Marvel décide de tenter à nouveau un lancement de super-héros lorgnant sur la SF, Heath devient, avec Stan Lee, le co-créateur de l’éphémère Marvel Boy (revu récemment les Agents of Atlas). Après avoir été surtout un dessinateur de cow-boys, les sujets qu’il traite se diversifient considérablement pendant les Fifties. A partir de 1951, toujours chez Marvel, il commence aussi à goûter au récit de guerre via des titres comme War Comics ou Combat Kelly.
A partir de 1953, Marvel (qui opère désormais sous le nom d’Atlas) ne lui suffit plus. Il commence alors à travailler à l’occasion avec quelques petits éditeurs comme St. John ou Lev Gleason, sans renoncer à son employeur principal. C’est en travaillant pour St. John que Heath rencontre pour la première fois Joe Kubert. Mais pour l’instant Russ Heath est encore celui qui travaille chez Marvel et y dessine la résurrection d’Human Torch dans Young Men #54. Mais le renouveau super-héroïque de Marvel ne se produit pas et Heath se tient relativement à l’écart des justiciers en super-slips. Il expliquera bien plus tard avoir conscience que son style est en un sens « trop réaliste », qu’il a tendance à dessiner ces personnages comme s’ils existaient. Et que par la force des choses, quand on transpose ces héros dans un contexte réaliste, ils ont l’air ridicule. En 1954, son travail sur des récits de guerre lui permet d’arriver aussi chez DC, à travers quelques récits dans Star Spangled War Stories.
Mais le vrai tournant de sa carrière arrive quand il arrive – sans renoncer à ses autres clients – chez EC Comics et au sein de l’équipe de MAD. Harvey Kurtzman est en effet également un ancien de Timely. Il y a rencontré Heath à la fin des années 40. Kurtzman commande des pages à Heath pour Frontline Combat, titre de guerre d’EC Comics devenu légendaire. Mais il lui ouvre aussi les portes de Mad. Ce magazine humoristique publie dans l’été 1954 son Plastic Sam, parodie du héros Plastic Man. Heath a désormais ses entrées un peu partout dans le milieu des comics et voilà qu’il prouve qu’au-delà du seul réalisme il peut aussi faire dans l’humour quand besoin est. Outre Kubert ou Kurtzman, Heath multiplie les amitiés dans le milieu des comics. Il devient proche, en particulier, d’un jeune Ross Andru. Cette capacité à tisser des liens, à se montrer d’un contact facile, fait que Heath va passer la plus grande partie de sa carrière sans contrat d’exclusivité. Il expliquera plus tard qu’il lui suffisait d’aller manger et discuter avec des amis. Et que par la force des choses, dans la discussion, ces amis qui étaient des collègues lui confiaient du travail avant la fin du repas.
En 1955, Russ Heath dessine pour DC Comics le tout premier numéro de la série Brave & Bold. En compagnie du scénariste Ed Herron, Russ Heath y cocréé un véritable héros de péplum, le Golden Gladiator. A partir de là, si Heath est encore chez Marvel, DC Comics commence à prendre une importance de plus en plus notable dans sa production. D’autant que Marvel/Atlas connaît un certain nombre de problèmes financiers. L’éditeur baisse ses tarifs à la page, diminue le nombre de revues et de collaborateurs. A partir de 1957, avec presque dix ans de carrière régulière derrière lui, Heath devient essentiellement un artiste estampillé DC Comics. On le retrouve dans les pages d’Our Fighting Forces, Our Army at War, Star Spangled War Stories, All-American Men of War ou G.I. Combat, imposant alors l’image d’un dessinateur spécialisé dans les titres de guerre. Combats aériens, batailles navales, soldats menacés par des chars, rien ne lui résiste.
A la même époque, Heath se réinvente en matière de style. Autodidacte, il n’a jamais vraiment pris de recul sur ses méthodes de travail. Mais sa petite amie du moment est une étudiante d’art. Alors qu’elle partage sa vie et son appartement, Heath est exposé à ses cours, à son matériel. Il réalise alors que certains aspects techniques lui avaient manqués jusqu’ici et les intègre désormais à ses dessins. Mais le nouveau style est aussi plus exigeant en temps. Heath commence à être moins fiable sur les délais. Il produit graduellement moins d’histoires. Dans le même temps, il retrouve ses ex-collègues de Mad et EC Comics, Harvey Kurtzman et Will Elder, co-créateurs de Little Annie Fanny dans les pages de Playboy. Elder peine à assurer les délais et Heath va ainsi être appelé en renfort pour représenter cette ingénue pas vraiment douée pour conserver ses vêtements (rappelons qu’on est dans Playboy et pas chez DC Comics). En dehors de cette « évasion » éloignée de ses productions courantes, Heath reste fidèle au récit de guerre. Il continue de dessiner Haunted Tank et va reprendre aussi les aventures de Sgt. Rock. S’étant tenu éloigné de Marvel, Heath est cependant approché dans le milieu des années 70 par la nouvelle société de la famille Goodman, Atlas-Seaboard. Il reprend le dessin des séries Planet of Vampires et Thrilling Adventure Stories. Mais Atlas-Seaboard met la clé sous la porte un ou deux mois plus tard.
DC reste donc son principal employeur mais, vers la fin des années 70, Heath prend ses distances. D’abord il recommence à lorgner ailleurs. On le retrouve dans les magazines Warren (Creepy, Vampirella…) ou encore le National Lampoon Magazine. Parallèlement il déménage et se réoriente professionnellement. Il s’éloigne des comics pour travailler plutôt dans le milieu de l’animation. Dans les années qui suivent, il collabore ainsi aux designs du dessin animé Conan, Blackstar, G.I. Joe, Karate Kid, Godzilla, RoboCop, Solarman et aussi à la première version du cartoon des X-Men (« Pryde of the X-Men »), ce qui ne manque pas de sel quand on remarque à quel point l’essentiel de sa carrière s’est fait loin des super-héros.
Vu comme un spécialiste de l’ambiance de la Seconde Guerre Mondiale, c’est à lui que Disney fait appel pour dessiner… le Rocketeer. Ou plus exactement l’album de BD inspiré du film Disney lui-même inspiré du comic-book de Dave Stevens. Le dessinateur ne revient qu’en 1993 chez DC Comics où il dessine tout un arc de Legends of The Dark Knight, ce qui reste sans doute son projet le plus super-héroïque (quand bien même Batman appartient au même monde urbain que Moon Knight). Respecté par ses pairs et par les artistes qui sont arrivés après lui dans les comics, Russ Heath se voit invité par Frank Miller à dessiner une page de Sin City. Heath fait son autoportrait face à une mort certaine, alors qu’une des filles de Sin City s’apprête à le tuer.
Russ Heath est aussi connu pour avoir été, bien involontairement, l’un des « modèles » du peintre Roy Lichtenstein, l’un des premiers peintres à s’approprier et à aggrandir des cases des comics pour en faire des tableaux « pop art » au nez et à la barbe des artistes originaux. Si Heath n’est qu’un des dessinateurs ainsi « piratés » parmi tant d’autres, dans son cas l’amertume est peut-être plus intense puisqu’à la différence d’un Kirby, il n’a pas eu droit au même niveau de reconnaissance « maistream » de son style. Là où nombreux reconnaissaient forcément l’appropriation par Lichtenstein d’un Magneto kirbyesque, ce n’était pas la même affaire pour les dessins de Heath « pompés ». L’artiste de comics n’a – bien entendu – jamais rien touché sur les ventes colossales des tableaux de Lichtenstein. Et comme il n’a jamais créé de super-héros majeurs, Heath n’a pas non plus touché sur ses dernières années de chèque provenant des droits dérivés d’un blockbuster. En 2014, pour remercier le collectif Hero Alliance de lui avoir financé une opération du genou qu’il ne pouvait pas se payer, Heath exprima dans une petite BD toute la défiance qu’il avait envers Lichtenstein.
Russ Heath, c’était un génie des comics pas assez reconnu. Nous avons désormais l’éternité pour le rédécouvrir.
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