Le cru 2020 du Festival International de la Bande-Dessinée d’Angoulême aura permis d’honorer la mémoire de Jean Frisano, peintre emblématique des couvertures des magazines de super-héros des éditions Lug et de beaucoup d’autres choses. Des dizaines d’originaux de ces peintures avaient envahies les murs du Vaisseau Moebius, ravissant les fans de cette époque révolue mais sidérant aussi le public plus néophyte.
Pour toute une génération de lecteurs français de Marvel, le style Frisano est indissociable d’une certaine époque des comics. A l’époque, c’est souvent ce qui permettait de savoir immédiatement, instinctivement, si une revue était éditée par Lug, par opposition aux autres détenteurs de licences Marvel dans l’hexagone. Pas sûr du tout qu’en posant ses peintures si lumineuses Jean Frisano lui-même se soit posé la question de la postérité de ses œuvres, une fois que les numéros avaient disparus des kiosques. On a du mal à croire qu’il aurait pu imaginer être le sujet d’une exposition personnelle dans le cadre du Festival International de la Bande-Dessinée d’Angoulême. Déjà qu’à l’époque que l’intelligentzia de la Bande Dessinée méprisait allégrement la « BD de gare », la considération d’un artiste qui ne faisait « que » les couvertures ne risquait guère de l’emmener bien loin. La considération de Frisano ? elle est venue des lecteurs, pour qui ses peintures sont devenues comme une énorme madeleine de Proust. Frisano n’était pas « que » le peintre des couverture, il était l’auteur d’une véritable signalétique, d’un état d’esprit.
L’exposition, concrétisée en 2020, est magnifique. Reprenant les débuts de l’artiste et l’époque où Frisano réalisait des pages de BD, elle prend en compte ses premières couvertures (pas peintes mais tracées) pour des revues comme le Fantôme ou Mandrake. Et puis allégrement on glisse vers ses Tarzan puis vers les affiches de cinéma qu’il a réalisé dans un style ultraréaliste, pour des films mettant en vedette Burt Lancaster ou Clark Gable. Mais il faut dire ce qui est, la plus grande partie de l’expo reposait sur l’époque où Frisano a peint « du Marvel » et tout ce que l’éditeur américain représentait à l’époque, par extension en dehors de l’univers Marvel stricto-sensu. C’est à dire aussi Star Wars, Conan où Doc Savage.
Il y a des moments, comme ça, qui ne s’inventent pas : Au milieu de l’exposition, un couple s’arrête. L’homme porte un coup d’œil sévère aux crayonnés de l’artiste, puis à certaines de ses couvertures anciennes, quand il se cherchait encore. Plus loin il regarde une des affiches peintes par Frisano. Pour lui, c’est sûr, les styles n’ont rien à voir. Il s’agit forcément de plusieurs artistes !!! Et sa compagne, lui faisant une confiance aveugle, fulmine « Il n’y a pas les signatures dessus ! Pourquoi ils n’ont mis que le seul nom de ce Frisano ? ». La scène est une vraie « volupté de fin gourmet » chère à Courteline. Mais ces deux visiteurs, comiques sans le savoir et se méprenant sur la nature des dessins, ont l’avantage de prouver qu’à l’occasion de l’hommage rendu à Frisano a attiré bien plus que les seuls nostalgiques de Strange et autres revues associées. A côté des collectionneurs endurcis de comics, reconnaissant l’original de la couverture de Nova ou de Titans avec laquelle ils ont basculé dans ces lectures, on croisait aussi un grand nombre de curieux, médusés de constater le talent qu’un peintre pouvait mettre au service d’illustrés souvent sous-estimés.
On regrettera cependant un seul petit défaut, source de malentendu (ou de déformations de la part des journaux concernés, disons-le) ces derniers jours dans divers médias. Par manque de place (on ne peut pas résumer pas la carrière d’un grand artiste en quelques murs de texte, c’est bien compréhensible) et parce que c’est une exposition Frisano et pas Lug à proprement parler, l’impression donnée peut-être que Frisano a tout fait, du sol au plafond, qu’il a imposé Marvel à lui tout seul et même forcé un éditeur timoré (Lug) à passer aux couvertures peintes et qu’il a ainsi intéressé un public de dizaines de milliers de lecteurs qui ne s’intéressait pas aux pages intérieures (c’est pratiquement raconté ainsi dans certains journaux). Au mieux, c’est confondre nostalgie et vérité historique. Ca ne tient par à l’analyse des faits. On ne doute pas qu’il y avait un ou deux fans complétistes de Frisano mais pas dans de telles proportions puisque sinon TOUTES les revues illustrées par Frisano auraient connues un niveau similaire de ventes). Navarro était passé entre autres choses par l’écurie Chott, où les couvertures peintes étaient légion. Chez Sagédition (avec Tarzan) ou un concurrent lyonnais de Lug (les Editions du Rempart) Turok, Star Trek ou Magnus l’anti-robot, les peintures étaient courantes aussi. Même Arédit-Artima avait produit quelques couvertures peintes (de plus mauvaise facture) pour des séries comme Flash. Ne nous y trompons pas, sous ce fil narratif, au demeurant sympathique, du petit français qui aurait imposé Marvel en France (il aurait même converti le public à Captain America, peut-on lire dans un article) il y a le refrain des descendants de ceux qui distinguaient la bonne BD de la BD de gare quarante ans plus tôt. En s’engouffrant dans la brèche, quelques journaux peuvent ainsi nous dire de manière polie qu’il n’y avait pas la moindre qualité là-dedans, que tout était en surface. Les textes de l’exposition (bien involontairement), prêtent un peu le flanc à cette déformation avec une formutation parfois elliptique (signe que peut-être sur quelques passages certains coupes ont été obligatoires). On apprend donc que Frisano ne s’intéressait guère aux super-héros mais adorait quand même Spider-Man ou le Silver Surfer, John Buscema, Gil Kane, John Romita Jr. et quelques autres. On a connu des lecteurs de comics qui en connaissaient moins que ça… Bien sûr tout ca est à prendre dans le contexte et avec mesure. Mais de la mesure, certains n’en ont guère fait preuve ces derniers jours en transformant d’un coup de baguette magique Frisano en artiste méprisant les comics et qui cherchait à les rendre présentable. Bigre !
La magie des couvertures de Frisano ne tient pas en une sorte d’invention de l’illustration peinte, mais bien dans une sorte de rencontre collective, confrontant les aspirations artistiques du peintre, les impératifs éditoriaux de Lug et le matériel d’origine, avec des personnages beaucoup plus colorés que ce qu’on lui demandait pour des récits de western ou de guerre. On peut tenter de dire que les revues Marvel se sont vendues seulement à cause de leur couverture. Mais ce n’est pas tout à fait comme si les médias s’étaient précipités pour mettre à la une ses couvertures de Planètes des Singes. Non. Personne ne s’y trompe. Ce que le public préfère, c’est la rencontre des Frisano (Thomas, le fils, est lui aussi mentionné dans l’exposition, faisant doublement mentir nos visiteurs comiques convaincus que les noms ont été effacés) avec Spider-Man et les autres ressortissants de l’univers Marvel. Peut-être d’ailleurs parce que les personnages sont connus et qu’il est ainsi plus facile de voir ce que Frisano prend la peine de souligner, dans des originaux qui n’ont rien perdu de leur éclat. Une rencontre qui a de la patine, qui parfois réserve quelques surprises. A l’occasion le peintre greffe quelques détails d’un personnage sur un autre, comme Angel affublé d’un masque-visière qui semble appartenir au Mimic ou « Strange Girl » affublée d’une épaulette qu’elle n’a jamais possédé dans les comics.
Bien sûr, pour une lectrice ou un lecteur de longue date, il est difficile de s’engager dans cette expo sans tiquer deux ou trois fois pour des raisons qui n’ont rien à voir avec les pigments. Tiens, voilà la couverture du deuxième ou troisième Strange que l’on a lu. Tiens, voilà l’original du Nova qu’on avait acheté en telle année. C’est le poids de la nostalgie. On peut aussi rire sous cape (c’est le cas de le dire) de quelques convaincus d’une conspiration (le couple mentionné plus haut), affirmant maladroitement que Frisano était tout simplement trop bon pour être une seule personne. Mais ce genre d’exposition vaut qu’on en fasse quelques fois le tour, histoire de ne pas simplement se revisiter soi-même, ne pas rester empêtré dans ses souvenirs de 12 ans. Car l’important n’est la perception que l’on a pu en avoir quelques décennies auparavant (sinon il suffirait de rester chez soi à reregarder ses Strange). C’est là aussi une affaire de rencontre. Derrière la peinture il y a l’homme. Sous cet angle-là les commissaires d’exposition ont eu une riche idée de disposer quelques photos obtenues par la famille. Frisano était un homme, un artisan travaillant sur sa planche à dessin sans se demander combien de temps ses gouaches dureraient. Cela le rend encore plus génial et attachant.
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