French Collection #1
4 mars 2009[FRENCH] NOUVELLE RUBRIQUE – Il y a un tout petit peu plus de soixante dix ans, la fusée portant le dernier fils de Krypton apparaissait sur les pages d’un journal illustré pour la jeunesse en langue française. Retour sur le début de carrière de celui qui mettra quelques temps à retrouver le nom de baptême que lui avait donné ses créateurs.
Superman est le premier super-héros de l’histoire des comics américains. Créé à l’origine comme un comic strip avec les contraintes de ce médium (des coupures fréquentes à suspens) les premières aventures de Superman seront remontées dans les premiers numéros d’Action Comics afin de mieux s’adapter au format des comics.
Mais suite au fulgurant succès du personnage, les journaux auquel il était initialement destiné s’emparent du personnage. Le Houston Chronicles fut ainsi le premier souscripteur (parution en date du 16 janvier 1939) du comic strip Superman.
C’est sous ce format que Superman arrivera en Europe. En effet, les agences de presse françaises comme « L’Agence Française de Presse » achètent les droits d’adaptations des comic strips étrangers et les proposent aux journaux français d’informations mais également aux illustrés pour la jeunesse. Les droits sont vendus par pays, les relations entre Etat partageant la même langue étant très peu développées (mis à part chez les frontaliers).
C’est ainsi que nous retrouvons dès mars 1939 (soit un peu moins d’un an après sa première apparition aux Etats-Unis) les comic strips dans deux publications en langue française : Le journal de Spirou édité en Belgique et Aventures publié en France.
Le journal de Spirou peut se targuer d’être le premier a publier une aventure de Superman en langue française dans son numéro 9 de 1939 (la plupart des journaux illustrés pour la jeunesse utilisaient un système de millésime et recommençaient leur numérotation au numéro un tous les ans) daté du 2 mars 1939.
Bien que publiant sa première planche des aventures de Superman cinq jours plus tard (dans son numéro 10 de 1939 daté du 7 mars 1939) le journal Aventures peut lui se vanter de la première apparition de Superman. En effet, conscient de l’énorme succès du personnage aux Etats-Unis, l’hebdomadaire français organise une campagne de promotion en publiant dans ses numéros 6 à 9 de 1939 (publiés entre le 7 et 28 février 1939) quatre « previews ». Deux sous formes d’images (dont celle de Superman) et deux autres sous formes de textes de présentation du personnage. La publication de ce premier épisode « Superman comes to Earth » s’échelonnera sur deux numéros du Journal de Spirou et trois d’Aventures.
Premières adaptations francophone du concept novateur de super-héros, la traduction du comic strip Superman subira de nombreuses avanies. La série sera baptisée « Marc Hercule moderne » par Le journal de Spirou en référence à son identité secrète devenue « Marc Costa » dans les pages de l’hebdomadaire wallon sans que nous ne sachions jamais le pourquoi de cette « adaptation ». Malgré le titre de la série, Superman sera traduit par « Le Surhomme » ou « L’homme d’acier » jusqu’au numéro 23 de 1939 qui verra l’apparition de son patronyme dans une case non retouchée avant d’être repris progressivement dans les planches mêmes.
Il faut dire que la traduction de Superman à une époque où un nombre infime de lecteur avait au mieux une vague connaissance de l’anglais posait des problèmes aux éditeurs.
C’est ainsi que la petite histoire veuille que le traducteur du journal Aventures ait proposé « Le Surhomme » comme titre (il faut dire que l’association avec les théories de Nietzsche était facile à faire pour l’époque). Cette traduction bien que techniquement juste (le titre a d’ailleurs été utilisé dans les pages du Journal de Spirou mais aussi de La Patrie, journal québécois) ne plût pas à Ettore Carozzo, propriétaire de la Sage et patriote italien antifasciste qui s’était réfugié en France, car jugé pas assez vendeur.
Superman était un extraterrestre et devait selon lui posséder un nom « exotique ». Il propose alors de baptiser le héros du prénom du fils d’un de ses amis qui avait fuit le franquisme : « Jordi ». Mais l’un des responsables de fabrication lui fit remarquer que le « J » est une lettre difficile à lettrer. En effet, Aventures lettrait les comic strips étrangers, contrairement au Journal de Spirou qui, la plupart du temps, typographiait les dialogues. « Jordi » devint donc « Yordi » et enchanta des générations de lecteurs dont les plus attentifs ont cependant dû se demander pendant des années pourquoi leur super-héros arborait un « S » sur sa poitrine (le zèle de l’éditeur n’ayant pas été jusqu’à retoucher chaque case pour des arguments économiques bien compréhensibles).
Au-delà du nom du personnage principal, ceux des « supporting characters » ont aussi subis des transformations plus ou moins hasardeuses ou fortuites.
Dans Le journal de Spirou les noms kryptoniens sont respectés malgré quelques fautes de frappes (Jor-L est parfois orthographié Jo-L, Kal-L parfois Karl-L et Krypton parfois Crypton). A noter que la mère de Superman s’appelle Lora. Mais il ne s’agit pas d’une erreur. En effet, celle que l’histoire des comics retiendra sous le nom de Lara s’appelait en effet Lora dans ce premier épisode américain.
Par contre, suivant la même logique que pour Superman, l’équipe de la Sage changera radicalement les noms des supporting characters. Jor-L est devenu Aldébaran, Lora est quant à elle devenue Liam. Enfin, Krypton est orthographié Crypton tout au long de l’épisode.
Dès le deuxième épisode, « War on crime », nous découvrons dans Le journal de Spirou que le Daily Star est devenu indifféremment « Soir » (nom d’un célèbre journal belge) ou « Le journal du soir » tandis que Loïs Lane a été traduit par « Jenny ». Dans Aventures, elle sera plus sobrement rebaptisée « Loyse Lane ».
Comme nous pouvons le voir, l’arrivée de Superman fut rapide et les éditeurs conscient de son potentiel le traitèrent plutôt bien si ce n’est pour son nom. Nous verrons dans d’autres chroniques l’accueil que lui réservèrent les enfants mais aussi les adultes ainsi que les mésaventures qui jalonnèrent sa carrière avant le début du silver age français.
[Jean-Michel Ferragatti]
Merci pour cet article très documenté. Comme d’hab avec JMF. ;o)
Ha ouais excellent article bravo et merci beaucoup !! 😀
Bravo et longue vie a cette nouvelle rubrique .
Ce sera chaque semaine, tous les mercredi ! 🙂
Pas mal la rubrique 🙂
Remarquez c’était pas mal « Yordi » ça sonnait un peu Kryptonien finalement..
Sage est devenu Sagédition après,n’est ce pas?
Bravo pour cette rubrique et vivement la suite !
“Yordi”, c’est mieux que “Jordy” (dur dur être un bébé, même de Krypton) 😉
En effet Pascal tu as raison. Initialement Sagédition s’appelait La libraire moderne. En 1939 elle est devenue la Société Anonyme Générale d’Edition (S.A.G.E.). Sans doute en 1967 la société est devenue Sagédition. C’est d’ailleurs le moment où elle s’est associée avec l’éditeur belge Interpresse pour lancer la série Superman et Batman & Robin. Nous en parlerons dans un French Collection mais dans très longtemps.
Bravo jm ! très bel article … à suivre …
Un French Collection sur le Net. Bravo J.M. Il y a 17 ans en lançant mon fanzine Golden Color, je pensais que nul ne serait interessé par ces héros oubliés du Golden Age, d’autant ceux publiés en France avant l’Ere Marvelienne de 69. Il ne s’agissait pas d’un retour à l’enfance, ces mystery-men n’ayant pas bercé mon enfance.Je suis un pur produit de « La Saga du Surfer d’Argent », du Iron Man de Tuska et d’autres repères iconiques des 70’s. Peut-on imaginer une nouvelle génération, accepter de se pencher vers des personnages oubliés, souvent fades et mal dessinés ? Et pourtant le charme est toujours là. Qui sont-ils derrière leurs couleurs criardes ces anonymes ? Je possédais une collection quasi-complète de tous les super-héros publiés entre 1939 et 1990. Il aurait été dommage de ne pas en faire profiter autrui. Le 1er n. de Golden Color publié, ce fut la surprise en recevant des réponses positives de mes lecteurs -une vingtaine de fans, un succès à mes yeux, surtout à une époque où le Net n’offrait pas une telle vitrine. L’expèrience dura près de six ans et des poussières.
Il y a quelques années de cela, Christian Castera me mit en contact avec JMF qui me parla de son projet. Le résultat est surprenant. Très bonne qualité de recherche et surtout la rigueur est omniprésente dans son « fanzine » Continuum.
JMF fait aussi preuve d’une grande modestie et d’un respect d’autrui, n’oubliant jamais de citer ses sources.
Je pense aussi à Tristan Lapoussière, aussi méthodologique que lui. J’espère que tous deux seront les Versins, Sadoul et comparses du XXIe siècle.
Avec JM l’avenir du passé est assuré de beaux jours.
Bonnes découvertes à tous. Et bravo, JM, pour ton travail.
Cdt. Eric
Pour ceux qui sont intéressés par le sujet de l’arrivée de Superman en France et veulent l’approfondir je recommande l’article d’Eric Vignolles (l’auteur du dernier commentaire) sur ce sujet dans le numéro 10 du fanzine Back Up de Tristan Lapoussière (encore disponible sur son site ou dans certaines boutiques).
Superbe ! On en redemande. Je sens que le rendez-vous du mercredi va être incontournable 🙂
Un vrai bonheur à lire.
A la fois précis, rigoureux et très facile d’accès pour tous ceux qui comme moi débutent dans la connaissance de cette grande période.
Comme toutes les bonnes séries, on attend avec impatience le prochain épisode.
Vive « French Collection »
Malheureusement, depuis ces commentaires, Back-Up a disparu…