French Collection #12
20 mai 2009[FRENCH] Victor Fox, le propriétaire du Fox Features Syndicate est légendaire non pas pour son apport au comic, quoique rien que le fait que nous parlions de lui ici montre qu’il a été un acteur important du milieu, mais le plus souvent à cause de ses pratiques commerciales que nous qualifierons de « douteuses ».
Il reste ainsi unanimement connu pour être le deuxième éditeur de comic à s’être lancé dans le genre des super-héros (après bien entendu National Allied Publications l’éditeur de Superman). Mais ce titre de gloire est doublé d’infamie. Car le personnage titre du premier magazine publié par le Fox Features Syndicate n’était qu’un plagiat de Superman. L’ironie de l’histoire veuille qu’une autre des personnages de l’écurie de Victor Fox ait été impliqué dans une affaire de plagiat. Mais cette fois-ci en France et sans doute sans que Victor Fox ne le sache jamais.
Pour se remettre dans le contexte historique, il est nécessaire de se rappeler que comme aux Etats-Unis la publication des aventures de Superman en France marqua fortement les esprits des jeunes lecteurs (comme le prouve l’introduction de Remo Forlani au volume 1 de la réédition du comic strip dans la collection Copyright des éditions Futuropolis) ainsi que l’appétit des concurrents de la S.A.G.E. (qui publiait le comic strip sous le nom de Yordi dans son hebdomadaire « Aventures » à partir de mars 1939).
Les concurrents de la S.A.G.E. tentèrent leur chance avec des personnages comme Masked Marvel (French Collection #2), Yarko the great (French Collection #3), Fantom of the Fair (French Collection #5), Blue Beetle (French Collection #6), Amazing-Man (French Collection #8), Batman (French Collection #10), The Shadow, Black Condor (French Collection #11) et The Flame pour les Editions Mondiales (qui étaient son principal concurrent). Les Editions Théophraste Renaudot (très rapidement rebaptisé Editions de Demain) avait elles brièvement publié Batman après son rapide abandon par les Editions Mondiales.
Mais rien n’y fit et, bien que tous les personnages aient eu leur succès, Superman restait le premier dans le cœur des lecteurs français. Profitant de l’arrêt de parution d’Aventures, les Editions Mondiales décident de forcer le destin. Juste après la reprise de l’hebdomadaire Hurrah !, son numéro 266 voit apparaître les aventures d’un nouveau personnage prénommé François l’imbattable. Cette « période » dura jusqu’au numéro 273. Une analyse minutieuse nous permet cependant de constater qu’il ne s’agit que d’une reprise « maquillée » du comic strip de Superman.
Les Editions Mondiales ont visiblement demandé à un artiste français, le travail a été attribué par les exégètes à René Brantonne sans à mon sens de certitude, de refaire une grande partie des dessins. Par contre, les scénarios et découpages originaux ont été parfaitement respectés. Pour se faire, l’artiste a sans doute travaillé à partir du matériel originel et lui a fait subir deux opérations de « maquillage ». La première a été de retourner chacune des cases sur un axe vertical (rotation de droite à gauche) et la deuxième de redessiner dessus de manière à totalement changer l’apparence des personnages. Nous voici donc avec un personnage possédant les mêmes pouvoirs que Superman mais un nom typiquement français et une absence notoire de costume. L’ironie du sort veuille que cette « réinterprétation » soit fidèle à la vision originale du personnage de Joe Siegel et Jerry Schuster (personnage en simple tenue de sportif de l’époque). L’exemple ci-dessous permettra de mesurer le « travail » qui a été fait en France (à noter que des aventures totalement inédite du personnage de François l’imbattable ont été publiées dans Hurrah ! et Les Grandes Aventures mais nous y reviendrons dans un prochain French Collection).
Le numéro 275 voit l’arrivée de Blue Beetle (toujours appelé « Le Fantôme d’acier ») en remplacement pour trois aventures jusqu’au numéro 283. Cependant, la carrière du « Fantôme d’acier » ne cesse pas pour autant, elle se modifie. En effet, la dernière case du numéro 283 de Hurrah ! indique :
« Pour éviter toutes complications, Manigan décide de quitter la police et de développer son activité dans un nouveau milieu, le journalisme… »
Outre le fait que si Blue Beetle devait quitter la police se serait son alter ego Dan Garret qui le ferait et non Mike Mannigan qui est son co-équipier, ceci n’est jamais arrivé dans le comic originel. Cette case de transition a été rajoutée par les éditions Mondiales afin de permettre de garder une certaine continuité avec les épisodes de Superman qui vont être publiés à la suite et maquillés en épisodes de Blue Beetle. En effet, la deuxième case n’est pas tirée des aventures de Blue Beetle mais est la première case de l’épisode The Unknown Strikes tirée des comic strips de Superman. Les deux exemples qui vous trouverez ci-dessous donnerons une idée du travail de recréation qui a été nécessaire pour « maquiller » les comics strips de Superman afin qu’ils deviennent des épisodes de Blue Beetle.
Concernant les raisons de ce « maquillage », il est probable que les Editions Mondiales ont été obligées de gérer une période de transition afin de ne pas avoir de problème juridique avec la S.A.G.E.. En effet, jusqu’à l’apparition des « aventures » de « François l’imbattable » puis du « Fantôme d’acier », les comic strips de Superman étaient publiés, comme nous l’avons indiqué, dans l’hebdomadaire Aventures de la S.A.G.E.. Cet état de fait s’arrête dans le numéro 10 du 15 mars 1941 avec le comic strip # 378. Bien qu’Aventures continuera à publier les aventures de Superman, il ne s’agira plus des comic strips mais de reprise d’Action Comics et ce jusqu’à la fin (au moins jusqu’au numéro 39 de 1941).
Par une heureuse coïncidence, la publication des comic strips de Superman maquillés commence avec le comic strip #378 sous le nom de François l’imbattable. La publication continue sous ce nom d’emprunt jusqu’au comic strip # 414 dans le Hurrah ! n° 273 du 12 février 1941. La publication des comic strips de Superman reprend après une brève interruption (du numéro 274 au 282) sous l’identité d’emprunt du « Fantôme d’acier » jusqu’au comic strip # 533 dans le Hurrah ! n° 310 du 29 octobre 1941. Par une autre heureuse coïncidence, Aventures cessera de paraître le 5 octobre 1941, laissant les droits du personnage complètement libre en France. Hurrah ! se lancera alors dans la publication à « visage découvert » du comic strip de Superman jusqu’au numéro 320.
Toutes ces coïncidences de dates nous amène donc penser, comme Eric Vignoles l’a déjà esquissé dans le n° 10 du fanzine Back Up, que la raison de ce maquillage pourrait être le résultat, non de la censure mais de la publication « frauduleuse » des aventures de Superman par les Editions Mondiales. Du fait de ces circonstances, l’audience de Blue Beetle a donc été plus importante que la simple publication de ses aventures propres comme nous l’avions indiqué dans French Collection #9.
Cet article ne serait pas complet sans évoquer l’autre plagiat auquel se livra involontairement Blue Beetle en France. A partir du numéro 264 de juin 1940 de Hurrah !, Blue Beetle perdit sa couleur originel. Il devient ce que les américains aurait appelé « Red Beetle », précédant ainsi le Scarlet Scarab de Roy Thomas de plusieurs décennies. En effet, les Editions Mondiales décident avec ce numéro de coloriser le costume de Blue Beetle en rouge. Et ceci pour deux raisons, la première technique. En effet, la couleur bleu est difficile à reproduire sur le matériel de l’époque. L’effort de guerre de la France rendant certains produits chimiques, comme certaines encres, indisponibles il était plus simple de changer la couleur du costume dans une teinte plus simple à produire (la même chose arriva aux Etats-Unis, ce qui explique la présence d’un Superman rouge dans certaines Sunday Pages). La deuxième, plus bassement matérielle, est qu’un autre personnage de la S.A.G.E. était aussi populaire que Superman. Il s’agit du Phantom (devenu du Bengale en France) dont le costume est très proche de celui de Blue Beetle à une différence prêt : la couleur. En devenant rouge, les Editions Mondiales espéraient sans doute qu’un peu du succès du Phantom déteigne sur leur protégé.
[Jean-Michel Ferragatti]
C’est incroyable toutes ces manipulations des éditeurs français de l’époque !
Maintenant avec l’internet, tout se sait très vite et nous évite ces trucages.
Est-ce qu’il est prévu d’aborder par la suite, le cas de Fantax ?
Je ne crois pas que « Internet nous évite les trucages » de manière directe. La vérité c’est plutôt qu’à l’époque c’était d’une part une littérature enfantine et que les notions de propriété intellectuelle ou de valeur artistique ne s’appliquait pas. Et il ne faut pas oublier que le plagiat, visuel ou scénaristique, arrive encore de temps à autres aux USA. Les choses sont simplement moins « organisées » ou « institutionalisées » qu’elles l’étaient à l’époque.