French Collection #19
8 juillet 2009[FRENCH] Deuxième éclairage sur l’année 1941 et sa cohorte de particularité avec un focus sur la personnage de The Shadow et ses deux éditions (l’une en zone occupée et l’autre en zone libre). Où les plus libéraux ne sont pas ceux que l’on pourrait penser.
Nous avions indiqué dans French Collection #15 en parlant des doubles éditions (zone libre ou zone occupée)de l’année 1941 que : « Afin d’être certain de ne rien rater, le collectionneur complétiste essaye donc de se procurer des numéros très rares (et donc très chers) pour ce rendre compte au finale qu’il possède déjà les épisodes en question dans d’autres numéros. »
Après ce premier exercice d’éclaircissement du sujet, cette chronique a pour but de nuancer cette vision générale. En effet, une lecture attentive des deux éditions permet de voir qu’elles ne sont pas complètement équivalentes. Et nous tiendrons dans le cadre de cette chronique uniquement aux bandes de super-héros publiées et absolument pas au reste du contenu des hebdomadaires.
Premièrement, a partir de Hurrah ! n° 285, ainsi que dans son supplément et dans L’Aventureux, est publié deux timbres-figurines à collectionner. De ce fait, la ou les dernières case(s) de chaque épisode est (ou seront) manquante(s) par rapport à la version de Tarzan et grandes explorations réunis qui ne participe pas à cette opération lancée uniquement dans les journaux de la zone occupée. Rappelons à cette occasion que Cino Del Duca, homme d’origine italienne et grand résistant opposé au fascisme sous toutes ses formes, avait déménagé ses éditions en zone libre tout en confiant visiblement celles restées en zone occupée à des proches. Bien que de contenu fort similaire, les deux éditions ont eu des lignes éditoriales présentant parfois des différences. Cette opération en est une illustration parmi d’autres.
Deux numéros seront affectés. C’est ainsi que dans Hurrah ! n° 285 il manque la grande case montrant Loïs en train de se faire écraser par un cheval. Dans Hurrah ! n° 286, ce sont deux cases de la réunion entre le maire, le chef de la police et Lewinson qui manquent. La différence s’arrête là, car à partir de Hurrah ! n° 287 la page de Superman disparaît contrairement à Tarzan et grandes explorations réunis n° 17 ou l’aventure continue. Il s’agit de la scène du sauvetage d’un bébé, sans doute jugée trop violente et que vous pouvez découvrir dans la chroniques. Superman ne réapparaîtra dans Hurrah ! que dans le n° 294. Mais cette fois-ci il n’y a plus de différence avec Tarzan et grandes explorations réunis car l’emplacement des timbres-figurines est utilisé pour faire de la publicité.
Mais Superman n’est pas le seule à faire l’objet d’une censure. L’autre super-héros de Hurrah ! la subi aussi mais pas de manière aussi radicale. Car si The Shadow continu son parcours (sous le nom de Judex) des différences existent avec l’édition de Tarzan et grandes explorations réunis.
Le n° 287 de Hurrah ! inaugure ainsi un décalage avec Tarzan et grandes explorations réunis suite à la suppression d’une scène sans doute également jugée trop violente. Il s’agit du début de l’épisode et plus particulièrement du combat de The Shadow avec l’équipage de la jonque. Mais la page elle-même comporte deux manques de strips la encore sans doute jugés trop violent car il y a « mort d’homme ». Il s’agit d’une part du combat à terre de The Shadow contre la bande de Brig qui se conclu par la mort de ce denier. Et d’autre part de l’affrontement entre The Shadow et le messager à la hachette qui n’a lui pas été totalement supprimé mais a fait l’objet de retouches pour supprimer la hachette et la mort de l’exécuteur (à qui il a fallu aussi changer le nom) comme vous pouvez le constater sur les extraits publiés.
Dans le Hurrah ! n° 289, la scène où Myra se déguise en Ming Dawn pour infiltrer la triade a également été retouchée. Cette fois-ci visiblement à cause de son aspect trop « déshabillée » (il faut dire qu’elle porte justement un déshabillé !). Une case a d’ailleurs été purement supprimée bien qu’il soit impossible de dire s’il s’agit de censure ou d’un ajustement technique pour manque de place. Dans le même numéro, la scène du combat a perdu une case et les autres ont été retouchées pour supprimer les armes des agresseurs. De la même manière, la lame de la guillotine a disparue. Le dialogue a été modifié en conséquence, même si le lecteur se demande bien quel est le terrible danger qui menace The Shadow.
Dans le Hurrah ! n° 290, lors de la retransformation de Ming Dawn en Myra, son décolleté sans doute jugé trop “profond” a été retouché. De plus, lors de l’évasion de The Shadow, la hachette de son agresseur a une nouvelle fois disparue de même que le combat qui s’en suit.
Quelle morale est il possible de tirer de cette étude des deux versions ?
Premièrement que la censure de la zone occupée est beaucoup plus dure que celle de la zone libre. Un comble pour les fonctionnaires du maréchal réputés pour leur combat contre toute sorte de licence et dont le slogan est « travail, famille, patrie ». Peut être faut il plus y voir le temps de mettre en place toute une administration acquise aux thèses du maréchal ?
Ce qui est certains c’est que la censure se fera bien plus présente vers la fin de 1941. Certaines publications s’arrêtent assez brutalement. C’est le cas de Tarzan dont les numéros 35 et 36 n’existent qu’en un seul exemplaire, sans doute rescapés d’une destruction par un employé de l’imprimerie. De la même manière, l’hebdomadaire Aventures de la S.A.G.E. subira également une mesure d’interdiction. Encore une fois, un unique exemplaire du numéro 39 a été mis en vente en plus de soixante ans. Par contre, des tirages en noir et blanc existent pour ce numéro ainsi que le suivant. Enfin, des planches de montage des numéros 41 et 42 ont été récemment mises en vente aux enchères comme l’avait rapporté Comic Box à l’époque.
Deuxièmement, que les autorités militaires d’une armée occupée à massacrer des millions de personnes au travers de l’Europe se préoccupaient de ne pas choquer des jeunes lecteurs en les exposants à des scènes violentes ou dénudées.
L’esprit humain restera encore longtemps un mystère pour beaucoup d’historiens.
[Jean-Michel Ferragatti]