French Collection #2
11 mars 2009[FRENCH] Aujourd’hui, découverte d’un super-héros quasiment inconnu (même aux Etats-Unis) et qui a pourtant fait les beaux jours d’un éditeur du Golden Age qui rivalisait au temps de sa gloire avec les plus grands. Petit historique du Masked Marvel de chez Centaur Publications aux Etats-Unis comme en France.
William Cook et John Mahon sont d’anciens employés de National Allied Publications, alors propriété du Major Malcolm Wheeler-Nicholson (qui fusionnera ultérieurement avec Detective Comics et All-American Publications). Ils sont mécontents de leurs conditions de travail au sein de National et décident de partir pour créer une maison d’édition qui deviendra Centaur Publications après plusieurs opérations de concentration (avec pour mémoire Star Comics, qui appartient à Harry « A » Chesler, et Ultem Publications).
L’éditeur devient rapidement l’un des acteurs important du marché avec National Periodical Publications (premier nom de DC Comics après le regroupement évoqué ci-dessus) et le Fox Features Publications. Son premier titre est publié en mai 1936, bien avant que Fawcett et Timely ne se lance dans les comics et que Quality ne soient créée.
Pour la production de ses magazines, Centaur fait appel à des artistes internes ou freelance ainsi qu’à des sociétés spécialisées comme le Harry « A » Chesler studio et le Will Eisner – S. M « Jerry » Iger studio. C’est ainsi que de très nombreux artistes qui deviendront des noms connus de la profession verront leurs travaux publiés dans un des magazines de Centaur. Nous pouvons citer pour mémoire George Brenner, Bill Everett, Paul Gustavson, Bob Kane, Tarpe Mills, Basil Wolverton, Ben Thompson, et Jack Binder. Il faut rajouter à ce vade-mecum les noms de Jerry Siegel et Joe Shuster qui publieront notamment un épisode de Dr. Mystic chez Centaur. Le personnage sera rebaptisé Dr. Occult dans les pages de More Fun et est considéré comme l’un des premiers personnages de la continuité de super héros de DC Comics. Centaur est un éditeur novateur et sera le premier à publier des Comics consacrés à un thème unique. Il s’agit de Detective Picture Stories (décembre 1936) bientôt suivit par Western Picture Stories et Funny Picture Stories. Il peut également s’enorgueillir d’avoir publié en premier The Clock, le premier héros masqué des comics, devançant de près de deux ans Crimson Avenger de DC Comics. En 1939, suite au formidable succès d’Action Comics et de Superman, Centaur décide de lancer un magazine consacré au genre super-héroïque. Il s’agira d’Amazing Man Comics qui débute au #5. Le héros éponyme est dessiné par Bill Everett qui quittera rapidement la société avec certains de ses cadres pour fonder Funnies Inc qui deviendra le studio responsable de la création de Marvel Comics.
Devant le succès des super-héros en tout genre, Centaur lance plusieurs autres séries dont une nous intéresse plus particulièrement aujourd’hui. Il s’agit de Masked Marvel qui débute dans les pages de Keen Detective Funnies Vol. 2 #7 en juillet 1939. Le personnage restera au sommaire du magazine jusqu’à son arrêt et aura même l’honneur d’avoir un magazine à son nom pendant trois petits numéros.
Comme beaucoup de personnages de Centaur, Masked Marvel ne possède pas d’identité secrète et consacre tout son temps à combattre le crime. Il s’agit plutôt d’un émule de Doc Savage que de Superman. Il possède une base secrète au sommet d’une montagne (l’équivalent de la forteresse de la solitude de l’homme de bronze, gimmick qui sera intégré au mythe de Superman pendant le silver age) dans laquelle il met au point de nombreux gadgets et appareils. On peut citer pour mémoire des avions ultramodernes à long rayon d’action et des appareils de vision à distance précurseurs de la télévision. De plus, il fait équipe avec trois coéquipiers mystérieux appelés ZR, ZY et ZL (ce dernier mourra d’ailleurs un peu dans l’indifférence générale dans un des premiers épisodes).
Mais Masked Marvel possède également des caractéristiques mentales et physiques qui dépassent les limites humaines et le font pleinement rentrer dans la catégorie des super-héros. Il dispose ainsi d’une super-force lui permettant de tracter un avion sur une pente neigeuse. Il possède également une invulnérabilité relative qui lui permet de ne pas craindre les flammes et de résister à l’explosion d’une grenade lancée à ses pieds. De plus, au-delà de son intelligence supérieure lui permettant de mettre au point ses inventions, Masked Marvel a fait la démonstration d’aptitudes télépathiques réduites lui permettant ainsi de faire atterrir son avion à distance.
Bien que très connu pendant la fin des années trente et le début des années quarante Centaur Publications disparu complètement en 1942, visiblement à cause de problème de distribution (problématiques qui ont faillit tuer Marvel dans la fin des années cinquante). Michael Chambon y fera allusion dans son roman « Les aventures extraordinaires de Kavalier et Clay ».
Cette disparition prématurée occasionna un manque de visibilité de l’éditeur chez les premiers membres du fandom américain. Ce n’est qu’avec la publication des deux tomes du Gerber Photo-Journal, qui comportait nombres de couvertures des Comics de Centaur, que quelques collectionneurs s’intéressèrent véritablement à cet éditeur. Ce regain d’intérêt amena de nombreuses découvertes sur l’histoire de l’éditeur et de ses artistes, magazines et personnages.
C’est ainsi qu’au début des années 1990, l’éditeur Malibu repris à son compte la quasi-intégralité des personnages de Centaur dans le titre The Protectors ainsi que plusieurs spin-off. Cette ligne éditoriale sera assez rapidement abandonnée au profit de l’Ultra-verse et ceci avant la faillite de Malibu et son rachat par Marvel.
Ce que bien peu de spécialistes de Centaur savent, c’est que de nombreuses aventures de héros de Centaur, dont Masked Marvel, ont été traduites en France pendant les années quarante. Le personnage est tout d’abord apparut dans les pages de l’hebdomadaire L’Aventureux au numéro 6 de 1940 (comme la plupart des journaux illustrés pour la jeunesse de l’époque L’Aventureux utilisaient un système de millésime et recommençaient sa numérotation au numéro un tous les ans) daté du 11 février 1940.
Baptisé « L’homme prodige » le personnage aura même les honneurs de la première page couleur jusqu’au numéro 15 de 1940 où il sera reléguer en pages intérieures en noir et blanc au profit de Red Ryder (renommé « Le roi du far west). Masked Marvel sera interrompu en pleine aventure au numéro 25 de 1940 daté du 23 juin 1940 soit peu avant l’entrée des chars nazis dans Paris.
Il faudra ensuite attendre mars 1945 pour voir réapparaître Masked Marvel en Récit Complet dans la Collection Fantôme 1ère série (non numérotée) des Editions Mondiales pour des rééditions mais aussi des aventures inédites. Les problèmes de traduction que nous avons évoqués dans French Collection #1 frapperont également le personnage qui sera baptisé indifféremment L’homme prodigue, L’homme masqué ou L’homme d’acier (surnom attitré à l’époque à Steel Sterling de l’éditeur MLJ et pas encore à Superman).
Au total, dix épisodes au minimum de ce héros ont été publiés en France (dont sa première apparition), ce qui en fera l’un des super-héros les plus visible en France avant 1949. Plutôt honorable pour un personnage inconnu de la plupart des lecteurs de comics français et américains.
[Jean-Michel Ferragatti]
Toujours aussi érudit et intéressant, bravo ! J’espère que cette rubrique durera longtemps.
Je l’espère aussi, la traduction et l’adaptation française des comics est une histoire passionante.
PS:Si les personnages de Centaur comics ont été racheté par Malibu lui-même racheté par Marvel, doit-on en conclure que les personnages de Centaur dont aujourd’hui la propriété de Marvel?
Bravo et merci pour ces infos.Comme quoi il n’y a pas que STRANGE dans la vie ! lol .A Mercredi!
Les personnages de Malibu n’ont pas totalement été « rachetés » par Malibu. Ils sont tombés dans une sorte de domaine public, Centaur n’ayant pas renouvelé le copyright (c’est différent du vrai domaine public tel qu’on l’entend généralement). En l’absence de propriétaire, Malibu a à nouveau utilisé les personnages mais les a changé pour pouvoir à nouveau les enregistrer. A ceci s’ajoute que les contrats Malibu étaient plus permissifs que les contrats Marvel, ce qui fait que les auteurs ont plus de copyrights que dans la version Marvel. Donc du coup tout ca complique le retour des versions Malibu.
MAIS les versions « domaine public » peuvent être utilisées, du coup Amazing-Man est apparu aussi bien chez Dynamic (dans Project Superpowers) que chez Marvel…
A quand une réimpression en france?
Légalement, il faudrait attendre un peu. Car si les personnages Centaur sont relativement libres d’emploi aux USA parce qu’ils n’ont pas été réenregistrés au fil des ans, le droit français sur la propriété intellectuelle et sur le domaine public est différent. C’est ce qui avait causé le retard de parution en France des Lost Girls de Moore et Gebbie: aux USA ils avaient le droit d’utiliser des personnages tirés de Peter Pan mais pas en France car ici la notion réelle de domaine public n’intervient que 70 ans après la mort de l’auteur. Pour publier dans les règles un épisode de Masked Man, il faudrait s’assurer que toutes les personnes ayant participé à sa création sont mortes depuis au moins 70 ans (ce qui ne semble pas être le cas).
Merci pour cette chronique indispensable qui met en lumière des pans de l’histoire du comics US et surtout de sa traduction en France, qui reste souvent méconnu et réduite (souvent résumé à Lug ou Arédit voire la Sage mais avant ?).
Et ce grâce à un travail d’érudition impeccable de la part de JMF.
Espérons une longue vie à cette rubrique…
Merci encore une fois à tous pour vos commentaires. Sur les problématiques de droit de la propriété intellectuelle tout à été dit.
Tes deux rectifs ont été prises en compte 😉
Encore un très bel article. En regardant les strips, je suis frappé, par l’absence quasi-permanente de décors ! Étais-ce une habitude dans la période du Golden-age ?
Salut Johngiskan,
en effet, cela est assez caractéristique de l’époque et ceci pour deux raisons originelles (plus une liée à la parution française dans certains journaux) :
Premièrement, les artistes de comic books étaient jeunes et autodidactes. Joe Kubert a commencé dans le métier à 13 ou 14 ans. Les dessinateurs étaienr donc inexpérimentés et malhabiles. Il n’y avait à l’époque aucune école qui préparait au métier. Les plus aptes réussissaient à devenir artiste de comic strips (le pinacle à l’époque). Leur sens du détail était donc très faible et seul comptait la dynamique afin de garder le jeune lecteur en éveil et de se différencier des multiples publications concurrentes.
Deuxièmement, les tarifs offerts par les comic books étaient très faibles, contrairement au comic strips. Pour vivre il fallait donc travailler quasiment nuits et jours car les artistes étaient payés à la page. Donc moins de détails équivalait à plus de productivité donc plus de revenus. Comme quasiment tous les artistes de comic books étaient des enfants des quartiers pauvres, leur seul objectif était de gagner le plus possible.
Enfin, la publication en journaux en France a accentué cet absence de détail par l’absence de couleur. Les décors semblent plus vide en noir et blanc alors qu’en couleur un mur vert ou jaune donne un peu plus de profondeur au dessin.