Nous avions déjà évoqué dans French Collection n° 13, les publications du comic strip Superman dans la presse quotidienne et généraliste. Du fait des difficultés pratiques à trouver le matériel de base, ce sujet est assez peu traité par l’appareil critique alors même qu’il s’agit de l’espace de publication naturel des comic strips et que les journaux en langue française en ont fait un usage intensif (mais pas nécessairement de comic strip de super-héros).
Les lecteurs du fanzine Back-Up ont lus dans le numéro 11 un article sur la publication du comic strip de Wonder Woman en France par Eric Vignolles. Nous ne ferons qu’utiliser le sujet pour parler plus largement d’une des premières héroïnes du comic field et illustrer notre sujet. Nous laissons les lecteurs qui veulent en savoir plus acquérir le numéro précité auprès de l’association Back-Up.
Wonder Woman est la création d’un auteur de comics très atypique : William Moulton Marston (sous le pseudonyme de Charles Moulton). En effet Marston est avant tout un universitaire spécialisé en psychologie. Il est notamment crédité pour la découverte d’un test de pression sanguine qui sera incorporé au polygraphe, c’est-à-dire le détecteur de mensonge moderne.
Diplômé Docteur en psychologie de Harvard, professeur d’université, auteur de nombreux articles et ouvrages, Marston est également connu comme théoricien du féminisme. Marston était convaincu que les femmes était plus fiable que les hommes et pouvait travailler mieux et de manière bien plus rigoureuse. Une partie des problèmes de l’humanité serait résolu selon lui si les femmes dirigeaient le monde. Il faut dire que les femmes dirigeaient le sien. Marston avait épousé Elisabeth Holloway, une femme d’exception qui non seulement collaborait à ses travaux et partageait ses centres d’intérêts mais partageait également harmonieusement son mari avec une autre femme. Olive Byrne était une ancienne étudiante de Marston qui intégra pleinement la vie de ce couple atypique. Les deux femmes eurent chacun deux enfants de Marston et tous vécurent ensemble même après la mort de Marston.
C’est d’ailleurs au travers d’Olive que Marston investi le monde des comics. Olive publia une interview de son ancien professeur dans le magazine Family Circle intitulé « Don’t Laugh at the Comics ». Marston y développait une théorie sur le formidable potentiel pédagogique des comics. Cet article attira l’attention de Max Gaines, alors propriétaire en partenariat de All American Comics. Il décida d’engager Marston comme consultant pour All American Comics mais également National Periodicals (les deux sociétés qui fusionneront avec Detective Comics pour devenir DC Comics) afin d’apporter une sorte de caution morale à ses publications.
Max Gaines restera très attaché à cette approche puisqu’il vendra ses parts d’All American Comics afin de créer Educational Comics dont le but était de publier des comics éducatifs. La société changera complètement d’orientation à sa mort et se tournera sous la houlette de son fils vers le comic d’horreur. Elle connaitra le succès puis une infamie imméritée sous le nom d’EC Comics.
Très rapidement, Marston proposa à Gaines un projet de personnage dont la caractéristique était de triompher des obstacles non grâce à ses points mais grâce à ses capacités d’empathie. Sous l’impulsion de son épouse Elisabeth, le personnage se transforma en un projet de super-héroïne. La légende veut que les bracelets de Wonder Woman soient inspirés de bijoux que portait Olive, que de nombreuses qualités du personnage aient comme modèle celles que possédaient les deux femmes de Marston et que le lasso qui force à dire la vérité soit une métaphore du polygraphe.
Quoiqu’il en soit, après un travail éditorial effectué par Sheldon Mayer, le personnage fit son apparition dans All Star Comics #8 et le mois suivant dans Sensation Comics #1. Quelques mois plus tard, ce qui deviendra l’un des trois personnages les plus célèbres de l’éditeur DC Comics bénéficiera d’un magazine à son nom.
En effet, la popularité de l’héroïne dessinée par Harry G. Peter grandit très rapidement bien que la série soit critiquée par certaines associations familiales du fait des nombreuses scènes de bondage. En effet, Wonder Woman capture très régulièrement ses adversaires au moyen de son lasso, ce qui évite des scènes de combat à mains nues. Mais elle est également régulièrement attachée par ses adversaires. La légende veut en effet qu’une amazone perd ses pouvoirs lorsqu’elle est liée. Sous ce couvert scénaristique, Marston faisait la promotion d’une de ses théories féministe. Selon lui la soumission consentie était une forme de sublimation de la personnalité de celui qui se soumettait et Marston n’occultait aucunement dans ses propos le caractère sexuel fort qui sous tendait ses théories.
Bien que le décès prématuré de William Moulton Marston atténua ces aspects de la série, il convient de préciser qu’Elisabeth Holloway Marston conserva pendant longtemps un droit de regard sur les scénarios du personnage inventé par son mari (et sans doute un peu par elle). En effet, contrairement aux jeunes créateurs de comics que l’industrie spolia en partie de leur droit, Marston était un homme très éduqué et avisé. Il négocia donc avec un avocat un contrat avec Gaines qui lui reconnaissait des droits intellectuels sur sa création. Droits qui furent placés à son décès dans un trust ayant pour but de les gérer au profit de ses héritiers. Elisabeth Marston qui mourut centenaire continua donc de défendre les intérêts de sa famille et la vision originelle du personnage.
La célébrité de Wonder Woman fut t’elle qu’elle bénéficia comme nous l’avons dit d’un comic strip à son nom en syndication par le King Features Syndicate. Le comic strip a été publié aux USA pendant environ une année et est l’œuvre de Marston (sous le pseudonyme de Charles Moulton) aux scénarios et d’Harry G. Peter aux dessins. Le succès fut donc loin d’atteindre celui des comic strips de Superman et Batman qui durèrent pendant des années.
Cela suffit cependant pour que le comic strip soit vendu à une agence de presse française. Sa publication commence dans le quotidien France-Soir visiblement à partir du n° 624 du 1er juillet 1946 dans l’édition du soir (6ème édition de la journée) et ce jusqu’au numéro 641 du 20 juillet 1946.
Dans les bandes publiées par France-Soir, Wonder Woman (qui a été traduite par Super Femme) affronte Cheetah (qui a été traduite par La Tricheuse) une de ses ennemies emblématiques (et dont il s’agit de la première apparition) qui a séquestrée les Holliday Girls (supporting character récurrent des premières aventures de Wonder Woman). Il s’agit bien entendu pour tous ces personnages de leur première apparition en France.
La série durera donc moins d’un mois et il faudra attendre de nombreuses années (plus de deux décennies en fait) pour revoir Wonder Woman en France, mais sans que les théories défendues par son créateur n’apparaisse clairement aux yeux des jeunes lecteurs.
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