French Collection #3
18 mars 2009[FRENCH] Will Eisner est une icône des comics. Artiste reconnu notamment grâce à sa création de The Spirit, il a donné son nom aux récompenses de la profession. Précurseur (si ce n’est inventeur) du concept de graphic novel il a également traversé toute l’histoire du comic en commençant sa carrière très jeune lors de l’éclosion du medium. C’est sur le début de cette carrière que nous revenons avec les publications françaises du personnage de Yarko the great.
Mai 1939, soit moins d’un an après la sortie d’Action Comics #1, The infamous (comme il sera surnommé après) Victor Fox lance le titre Wonder Comics featuring Wonder Man. Il s’agit de la seule et unique apparition de ce personnage qui restera célèbre pour deux raisons inextricablement liées. Il s’agit tout d’abord du premier plagiat de Superman. Une décision de justice interdira d’ailleurs à Victor Fox de poursuivre sa publication. Cet avis extrêmement tranché du tribunal est justifié par la flagrance des similitudes entre les deux personnages mais aussi par le témoignage de l’artiste de Wonder Man.
Le jeune Will Eisner est alors associé avec Jerry Iger au sein d’un studio qui produisait des comics « clef en mains » pour les éditeurs. Ne disposant pas d’équipe créative, Victor Fox a engagé leur studio pour produire Wonder Comics. Il a lourdement insisté pour avoir une copie de Superman comme personnage titre. Malgré sa réticence, Will Eisner exécute le travail de commande. Lorsque vient l’audition au tribunal, Victor Fox insiste fortement auprès du jeune artiste pour que celui-ci indique qu’il est l’unique responsable de la création du personnage. Mais avec l’honnêteté qui le caractérisera toute sa vie, Will Eisner ne se parjurera pas et raconte l’exacte vérité.
Cette décision coûtera beaucoup d’argent aux deux associés. Furieux de ce témoignage, Victor Fox rechigne à payer les en-cours au studio malgré qu’il continue de les faire travailler sur ces titres. Cela est très dommageable pour la structure, car contrairement aux autres studios le Will Eisner – S. M « Jerry » Iger studio versait un salaire fixe à ses artistes. Ceci pour les fidéliser mais aussi mieux contrôler leur production. Etant au début de l’industrie les acteurs sont peu nombreux et Eisner et Iger ne souhaitent pas se brouiller avec l’un des nouveaux entrants qui claironne à qui veut l’entendre qu’il a investi des millions de dollars dans le Fox Feature Syndicate et s’autoproclame « The King of the Comics ». Le studio continue donc de produire pour Fox. Ce dernier réussira à publier ses magazines pendant près d’un an avec le matériel du studio alors même qu’il ne paiera jamais les 3.000 dollars qu’il leur devra (ce qui a l’époque est une véritable fortune).
Contraint d’abandonner le personnage de Wonder Man le Fox Feature Syndicate n’en continue pas moins de publier Wonder Comics (même si suite à un problème de copyright avec un pulp’s il doit renoncer au titre et le rebaptisé Wonderworld Comics au numéro 3). Dès le numéro 2 apparaît le personnage de Yarko the great qui a même les honneurs de la couverture.
Will Eisner semble avoir réalisé l’ensemble du processus artistique sur cet épisode baptisé « The Old Hex House ». Néanmoins, les crédits d’époques étant rarissime et les méthodes travail du studio peuvent avoir amené d’autres artistes à « collaborer ».
Le personnage est très largement inspiré de la tradition initié par Mandrake the magician, qui dans les premiers épisodes du comic strip n’était pas encore devenu un simple illusionniste mais possédait de réels pouvoir magiques extrêmement puissant. Il inaugure par contre le port du turban (même si son costume est celui d’un « stage magician » comme Mandrake) qui sera repris par d’autres personnage comme Sargon The Sorcerer chez DC Comics et Ibis the Invincible chez Fawcett entre autre.
Yarko the great est un occidental qui a étudié dans le lointain orient et est devenu un maître de la magie, aidant ceux qui sont confrontés à des menaces surnaturelles en combattant les forces du mal. Le premier épisode le verra affronter Shaddiba, un sorcier maléfique. Au cours de l’épisode Yarko met un de ses amis en transe pour le forcer à dire la vérité, se transforme en hirondelle, ouvre d’un geste des chaînes qui retiennent des prisonniers, prend l’apparence de l’un d’entre eux, transforme un fouet en serpent et utilise de la télékinésie.
Mais la partie la plus spectaculaire de l’épisode réside dans l’affrontement de Yarko et Shaddiba sur le plan astral. Le talent déjà affirmé de Will Eisner donne une impression de force à ce combat épique qui n’est pas sans préfigurer celui que le Professor X et Amahl Farouk se livreront quarante ans plus tard dans les pages de Uncanny X-Men #117. Yarko the great livrera de nombreux autres combats dans les pages de Wonderworld Comics jusqu’à la fin du titre mais aussi dans d’autres publications du Fox Feature Syndicate comme Blue Beetle #1 qui réimprime plusieurs de ses premières aventures.
En France, le travail de Will Eisner aura plus de mal à percer qu’aux Etats-Unis. The Spirit n’apparaîtra en France qu’en 1969 dans les pages de Pogo. Bien que bénéficiant d’un fort succès critique, le personnage ne s’imposera jamais vraiment. Il naviguera entre Les Humanoïdes Associés (en 1977), les Editions Futuropolis, les Editions Neptune, les Editions Albin Michel, les Editions Peplum, les Editions Dargaud et les Editions Vents d’Ouest avant que Soleil ne commence la publication de l’intégrale en 2002.
Mais rare sont ceux qui savent qu’une partie de ces travaux, avant son départ du Will Eisner – S. M « Jerry » Iger pour se consacrer uniquement au Spirit, ont été publiés en France. On peut citer pour les inconditionnels deux récits complets de pirates publiés dans la collection Les Belles Aventures des Editions Mondiales ; La défaite de Carlos (Numéro de dépôt légal 276) et Les boucaniers de la mer rouge (Numéro de dépôt légal 277). Plus proche du genre super-héroïque les curieux peuvent, vous l’aurez compris, lire dans la langue de Molière les aventures du Grand Yarko. Le personnage apparaît comme Masked Marvel, que nous avons étudié dans French Collection #2, dans les pages du numéro 6 de 1940 de l’hebdomadaire L’Aventureux (comme la plupart des journaux illustrés pour la jeunesse de l’époque L’Aventureux utilisaient un système de millésime et recommençaient sa numérotation au numéro un tous les ans) daté du 11 février 1940.
Du fait de son absence d’identité secrète il ne subit pas les tortures de la traduction comme ses devanciers. Il est publié dans les pages intérieures de l’hebdomadaire en noir et blanc. Encore une fois comme Masked Marvel ses aventures seront interrompues en pleine aventure au numéro 25 de 1940 daté du 23 juin 1940 soit peu avant l’entrée des chars nazis dans Paris.
Le numéro 80 de la collection « Aventuriers d’aujourd’hui » (Récit Complet à la française), dont il fait la couverture, publié par la SEPI (une filiale des Editions Mondiales) lui sera partiellement consacré dès 1941. Mais le personnage ne connaîtra plus la célébrité et seul un autre Récit Complet de la Collection Fantôme 2ème série (numéro 4) des Editions Mondiales publiera une de ses aventures inédites après la guerre. Enfin, pour les complétistes, citons l’existence d’un recueil regroupant quasiment tous ces épisodes dans la collection Golden Reprints (Vol. 1 #4) publié dans les années quatre-vingt dix par Eric Vignolles. Ce recueil ne reprend pas l’épisode publié dans la collection « Aventuriers d’aujourd’hui » et comporte malheureusement un manque (celui de la planche de L’Aventureux numéro 22 de 1940).
Au total moins d’une dizaine d’épisode dont seuls les deux premiers (le deuxième étant malheureusement l’épisode interrompu) sont de la main du maître mais dont tous bénéficient du charme indéfinissable du Golden Age des comics.
[Jean-Michel Ferragatti]
Une rubrique que je vais suivre de très pret !le monde des comics est si vaste, il y a tellement de choses a savoir que ce genre d’article apporte vraiment beaucoup. C’est aussi un réel plaisir de découvrir les débuts de Will Eisner !
C’est bizarre, je ne reconnais pas le style se Will Eisner dans ces dessins.
Il faut dire que, de lui, je ne connais que « le Spirit » et des guides humoristiques qu’il a rédigés et illustrés.
Bonjour Prof,
c’est du early Will Eisner en studio de surcroit. Bien avant qu’il ne commence ses expérimentations graphiques sur The Spirit et dans un temps ou la productivité était le seul objectif. Contrairement à Kirby qui est reconnaissable quasiment dès son premier dessin le style de Eisner s’est fortement affiné et il a aussi capable d’en changer pour s’adapter à son sujet. Un Eisner de The Spirit n’est pas un Eisner de ses graphic novels plus personnels.
Ce qui est surprenant c’est que Will Eisner soit déja à la tête d’un studio de production à l’époque, alors qu’il me semble qu’il ne devait avoir qu’une vingtaine d’année.
La plupart des créateurs de comics de l’époque n’avaient pas cet âge. De mémoire Joe Kubert a commencé à publier alors qu’il avait 12/13 ans. Les comics étaient une industrie de bouts de ficelle, créé dans l’arrière-boutique d’imprimeurs qui – au demeurant – souhaitaient surtout remplir des pages au moindre coup. Il y a aussi une différence de culture du travail entre cette époque et la notre : bien souvent quand on en entrait dans une activité, dans un emploi, on y restait jusqu’à la mort. Ce qui veut dire que mécaniquement une nouvelle activité telle que l’était le comic book à l’époque allait surtout attirer des gens sortant de l’école et cherchant du travail (les gens plus vieux s’étant déjà fixé ailleurs). Et puis les jeunes pouvaient être payés au prix d’un cireur de chaussures, alors que des gens ayant des familles à soutenir étaient forcément plus chers en terme de budget.
Gilles, je te conseille de lire l’autobiographie dessinée de Will Eisner qui vient de sortir en français : Le rêveur.
Merci pour le conseil,je vais la feuilleter;)
Un lecteur attentif avec des très bons souvenirs de ses cours d’histoire nous fait remarquer que l’armistice est signé le 22 juin 1940 et qu’Hitler visitera Paris le 23 juin 1940 soit le jour de la sortie de L’aventureux n° 25 de 1940.
Précisons donc que le numéro a été préparé avant l’entrée des chars nazis dans Paris et distribué alors que la capitale était occcupée.
Un membre du forum Pimpf (coucou Nasdine Hodja) nous fait remarqué que le me suis emmêlé les crayons sur les adaptations française de la série Hawks of the seas de Will Eisner
La bonne séquence des aventures de L’Epervier en Français est bien :
Les boucaniers de la mer rouge (numéro de dépôt légal 217)
La défaite de Carlos (numéro de dépôt légal 276)
L’île interdite (numéro de dépôt légal 277)