French Collection #301
30 mars 2016[FRENCH] Cette semaine, nous allons étudier un personnage atypique du monde des super-héros qui n’aura que très peu de succès à son lancement dans le sillage d’une tendance qui aura de bien meilleur représentant mais reviendra des décennies plus tard dans un rôle pivot.
A la fin des années soixante, l’industrie du comic vient de vivre une décennie extraordinaire menée par le renouveau du genre super-héroïque dans ce qui sera appelé le silver age (âge d’argent qui succède bien entendu à la période 1939 – 1949 appelé golden age ou âge d’or). Cette période sera marquée bien entendu par le renouveau des super-héros de l’éditeur DC Comics qui l’inaugure mais aussi par ce que les spécialistes du medium appellent l’ère Marvel moderne.
Mais à la fin des années soixante, les publications de comics marquent un peu le pas et plusieurs éditeurs craignant un nouveau désintérêt du public pour les comics de super-héros vont tenter plusieurs diversifications. L’un des thèmes de cette diversification visera ce que les anglophones appellent Sword & Sorcery, c’est-à-dire des récits mettant en scène des héros médiévaux dans des univers magiques. Il ne s’agit pas d’un genre totalement neuf puisque nous pouvons remonter à des personnages comme Prince Valiant d’Harold R. Foster. Plus proche en termes d’époque nous pouvons également évoquer les personnages de comics liés à la mythologie arthurienne comme Silent Knight (cf. French Collection #78) ou le Black Knight original de Marvel Comics (cf. French Collection #297). Nous pouvons biens sur également évoquer dans le sillage de Silent Knight le personnage de Viking Prince (cf. French Collection #80) avec qui il partagera le même magazine.
Le premier personnage moderne ressortant complétement de genre Sword & Sorcery sera Crom the Barbarian, un clone du personnage de Conan the Barbarian écrit par Gardner F. Fox (plus tard également auteur d’un clone littéraire de Conan nommé Kothar) publié par l’éditeur Avon dans le titre Out of this World #1 (1950 Series). Pour les curieux, tous les épisodes de Crom the Barbarian ont été publiés en France par le défunt éditeur Univers Comics. Mais comme souvent, avoir raison avant les autres signifie avoir tort en terme de succès commercial. La tentative suivante sera une nouvelle fois l’œuvre de DC Comics dans son magazine test Showcase (1956 Series) avec le #82. Il faut dire que le succès aux Etats-Unis de The Lord of the Rings (Le seigneur des anneaux) de John Ronald Reuel Tolkien & The Broken Sword (L’épée brisée) de Poul Anderson avait relancé le style littéraire et que les jeunes étudiants avaient également redécouverts les aventures de Conan the Barbarian grâce à l’édition de poche de Gnome Press.
Showcase #82 (1956 Series) s’ouvre malgré tout sur une scène bien moderne ou se produit The Electrics, un groupe de rock mené par Jim Rook à la guitare et au chant. Après le concert, il est rejoint par son amie Janet Jones suivie de peu par quelques importuns. Bien que chanteur à midinettes, Rook n’est pas du genre efféminé et met ko les trois fâcheux. Alors que lui et Janet se promène dans la ville, ils remarquent pour la première fois une boutique vide portant le nom de « Oblivion Inc » que nous pourrions traduire par « Oubli et compagnie ». Curieux, ils rentrent dans la boutique déserte et sont projetés dans une autre dimension. Jim est séparé de Janet et atterrit chez The King Zolto de Myrra, un monde magique.
King Zolto lui explique alors qu’il a lancé un sort pour convoquer le descendant d’un guerrier mythique. En effet, il y a mille ans vivaient deux guerriers extraordinaires à Myrra, Nacht & Brom (qui traduit de l’allemand signifie nuit & brome comme l’élément chimique pour ce dernier). Le roi de Myrra ordonna à son magicien Farben (qui signifie couleur en allemand) de fabriquer une arme magique pour chacun de ses guerriers. Nacht reçu The Sword of the Night (l’épée de la nuit) andis que Brom recevait The Mace of Mists (la masse des brumes). Mais rapidement, Brom se mit à jalouser le roi et avec l’aide du magicien Farben décida de le renverser. Mais les conjurés furent intercepter par Nacht qui les tua tous, même Brom après une journée entière de combat.
Malheureusement, juste après sa victoire Farben exila Nacht dans une autre dimension : La Terre. Avant de disparaître, Nacht lança son épée qui se ficha dans un pilier de pierre d’où seul un de ses descendants pourrait l’enlever (reprenant ainsi un pan de la légende arthurienne). Pendant mille ans, les habitants de Myrra ont soutenus un siège contre les Warlocks, les descendants de Brom. King Zolto percevant un changement des alignements cosmiques a lancé le sort qui a attiré Jim & Janet. Mais alors que Jim ne souhaite que retrouver son amie et repartir sur Terre, ils sont attaqués par des Warlocks. Jim s’empare de The Sword of the Night et réussit comme guidé par l’épée à triompher des assaillants. King Zolto lui apprend ensuite que Janet a été capturée par The Warlocks.
Commence alors pour le terrien revêtu de l’armure magique et de l’épée de son ancêtre une quête qui va l’emmener à dos de Zelk, une sorte de sauterelle géante, en compagnie de Boz, un serviteur du King Zolto, à travers tout le continent de Myrra. Sa première étape le mènera au château de The Ice Witch (la sorcière des glaces). Celle-ci lui apparaitra sous l’apparence de Janet, mais heureusement The Sword of the Night vibre à son approche et son touché lui rendra son apparence et l’obligera à ouvrir la porte leur permettant d’accéder au domaine des Warlocks. Il est à noter que l’édition française de cet épisode verra les deux dernières pages montrant la confrontant avec The Ice Witch disparaître, sans doute pour éviter d’attirer le regard de la commission de censure. Heureusement pour le lecteur, l’épisode suivant comprend un rapide résumé montrant la fin de l’épisode précédent, lui permettant de deviner les pages manquantes.
Sur le chemin de la forteresse des Warlocks, celui qui s’appelle dorénavant The Nightmaster (le maître de la nuit, en référence à The Sword of the Night soit l’épée de la nuit) est attaqué par un barbare des steppes de Szasz. Bien qu’aidé par la magie de son épée, Jim Rook n’est pas un escrimeur capable de rivaliser avec le barbare. En désespoir de cause, il va lâcher son épée et triompher de son adversaire par une prise de judo. Selon les règles des steppes de Szasz, son adversaire vaincu est devenu son esclave. Il se nomme Tickeytarkapolis Trootrust aussitôt surnommé Tark par The Nightmaster [Jim Rook].
Accompagné du fidèle Boz, il continue son épopée pour sauver Janet en compagnie de Tark et de deux jeunes femmes qui sont des Sirens, une race de femmes à la voix extraordinaire que les Warlocks rendirent muettes en punition de leur rébellion. Toute la troupe va rejoindre le château des Warlocks ou ils vont essayer de s’emparer du Moonship (un navire lunaire volant) du Duke Spearo des Warlocks afin de retrouver Janet. Le Duke l’emmène auprès du roi des Warlocks car ils ont besoin de sa substance terrienne pour ouvrir une brèche entre les dimensions afin d’envahir la Terre. Malgré une bataille acharnée qui verra la voix des Sirens libérés, Nightmaster [Jim Rook] et ses compagnons ne réussiront pas à libérer Janet.
Tark et lui vont alors s’allier avec Mar-Grouch the Mystic, un minuscule magicien, pour les aider, mais le sorcier du Duke Spearo l’apprenant va métamorphoser Janet en Mizzi la servante dont le but est de tuer The Nightmaster [Jim Rook]. Cette transformation va empêcher Mar-Grouch de la détecter alors même qu’elle rejoint l’équipe. Il va néanmoins donner à ses nouveaux alliés des ailes leur permettant de rejoindre le Moonship. Une fois sur place, The Nightmaster [Jim Rook] et Tark vont être traitreusement capturé par The Duke Spearo et son sorcier. Une fois emprisonnés, ce dernier va lever son sort pour qu’ils se rendent compte de l’ironie d’avoir voyagé avec Mizzi pour trouver Janet alors qu’il ne s’agissait que de la seule et même personne. Fou de rage, The Nightmaster [Jim Rook] réussit à se libérer et se lance avec Janet dans le tourbillon mystique qui amène ses deux ennemis sur Terre. Revenu dans la boutique Oblivion Inc, il force les deux Warlocks à repartir sur Myrra en les menaçant de The Sword of the Night.
Comme les deux terriens sortent désorientés de la boutique, Janet est persuadé qu’il ne s’agissait que d’un mauvais rêve, mais Jim tient toujours en mains The Sword of the Night. L’histoire ne semble donc pas terminée, mais après trois numéros consécutifs de Showcase (1956 Series) la série n’a visiblement pas trouvé son public et ce malgré un scénario assez agréable de Denny O’Neil et des dessins dus à Jerry Grandenetti mais surtout de Bernie Wrighston pour les deux autres sans parler des superbes couvertures de Joe Kubert. Encore une fois, avoir raison avant les autres signifie avoir tort en terme de succès commercial et c’est Marvel Comics qui fera fructifier le genre Sword & Sorcery grâce à l’insistance de Roy Thomas en lançant avec le succès que l’on sait quelques mois plus tard Conan the Barbarian (1970 Series).
La plupart des spécialistes datent d’ailleurs de ce lancement le bronze age qui suit bien entendu le silver age. Il s’agit d’un jeu de mot par rapport à l’époque ou se passe l’action de Conan the Barbarian réputé être avant l’antiquité mais la vraie raison en est que Conan the Barbarian #1 (1970 Series) fut le premier comic non super-héroïque a dépassé en recette les titres de super-héros de l’éditeur, le sauvant ainsi une première fois de la faillite et ceci au corps défendant du management de l’éditeur qui ne voyait aucun avenir à ce genre. Il est à noter que Roy Thomas avait déjà fait une tentative en créant lui aussi un clone de Conan the Barbarian en la personne de Starr the Slayer paru dans Chamber of Darkness #4 (1969 Series) sous la plume de l’artiste anglais Barry Smith qui sera également le premier artiste de Conan the Barbarian.
Mais bien que victime de son insuccès, The Nightmaster [Jim Rook] réapparaitra plusieurs fois. Jim Rook est maintenu devenu le propriétaire d’Oblivion Inc qu’il a transformé en librairie de l’occulte. Il ressortira son épée pour participer à quelques aventures avec des personnages de l’univers occulte de la continuité super-héroïque de DC Comics comme The Leymen ou Swamp Thing. Mais c’est avec les suites de la mini-série Infinite Crisis que The Nightmaster [Jim Rook] avec force. En effet, nous y apprenons qu’en plus de la boutique de livre, Jim Rook tient maintenant un bar auquel peuvent uniquement accéder les pratiquants de la magie. The Oblivion Bar est un espace dimensionnel à part ou peuvent se retrouver tous les magiciens sans crainte d’être attaqué. En effet, il s’agit d’un espace neutre dont le gardien est Blue Devil. La légende veuille que le bar tienne son nom de l’endroit où a disparu le dernier client à ne pas respecter cette règle (dans l’oubli donc).
The Oblivion Bar va devenir le refuge de tous les porteurs de magie survivant suite à la destruction du huitième age de la magie par The Spectre (cf. French Collection #46 & 137). C’est à cette occasion que mener par Detective Chimp (cf. French Collection #73) que The Nightmaster [Jim Rook] va rejoindre l’équipe occulte appelé Shadowpact qui se révélera être la série l’ayant vu le plus apparaître de toute son histoire. En France, les trois épisodes de Showcase (1956 Series) ont été publiés dans les numéros 26 & 27 du Petit Format N&B de l’éditeur nordiste Artima – Arédit Etranges Aventures 1ère série. Le personnage aura d’ailleurs l’honneur des deux couvertures. La traduction des épisodes ne fait pas preuve de grande originalité puisque le personnage y est appelé « Le Chevalier de la nuit » et « Oblivion Inc » est rebaptisé « L’obscure boutique Oubli ».
Les autres noms ont été considérés comme des noms propres y compris les Warlocks qui conserve leur version originale. Quant aux apparitions modernes de The Nightmaster [Jim Rook] et notamment la mini-série Days of Vengenace, elles peuvent être lus dans Infinite Crisis Prélude (Vol. 1) paru il y a quelques années chez Panini.
[Jean-Michel Ferragatti]
Encore un très bon billet. 🙂
L’histoire du Nightmaster me fait penser au Black Knight, notamment par le personnage obligé de prendre une épée magique, la lutte dans un autre monde (l’autre dimension pour l’un, les croisades pour l’autre), etc.