French Collection #32

[FRENCH] Suite des chroniques sur la publication des aventures de Batman en France avec l’étude de l’hebdomadaire d’après guerre Tarzan qui propulsera la popularité française du personnage vers des sommets. En 1943, Batman est dans sa cinquième année de publication dans Detective Comics et dans sa quatrième dans son magazine éponyme. Il s’agit d’un des trois personnages les plus populaires de DC Comics (avec bien sur Superman mais aussi Wonder Woman).

Malgré la byline « By Bob Kane » omniprésente sur les premières pages des épisodes, les responsables de DC Comics savent bien que les aventuriers du « caped crusader » sont l’œuvre d’un collectif et ce depuis le début. En effet, le scénariste Bill Finger a depuis la conception apporté sa contribution à la création du personnage puis assuré les scénarios de Batman puis du « dynamic duo ». Finger revendiquera également la création de Robin the Boy Wonder puis de The Joker. Mais il n’est pas le seul car Jerry Robinson, un autre des membres du Sweatshop informel de Bob Kane revendique aussi la paternité des personnages.

Ce qui est certain, c’est que la production de Bob Kane a été quasiment depuis le début insuffisante sur le plan graphique et quasiment inexistante sur le plan scénaristique. Il s’est donc entouré, sans que l’éditeur ne le sache initialement, de nombreux aides pour suppléer cette faiblesse. Mais assez rapidement DC Comics appris l’existence de ce Sweatshop informel et l’intégra à ses propres équipes. Bill Finger fut le co-créateur entre autres de Green Lantern & Wildcat (respectivement avec Martin Nodell & Irwin Hassen). Jerry Robinson et Dick Sprang se virent notamment confier les destins du « dynamic duo » respectivement aux scénarios et aux dessins.

Excellent négociateur, Bob Kane avait (contrairement à Jerry Siegel & Joe Shuster, les créateurs de Superman) négocié un contrat qui lui accordait une rémunération sur chaque publication de ce qu’il avait présenté comme sa seule et unique création. Néanmoins, afin de garder un certain contrôle sur le personnage, Kane souhaitait continuer à contribuer à la définition créative de l’univers de Batman.

Devant le succès énorme du personnage, la déclinaison naturelle d’un comic strip est négociée avec le McClure Synidcate (comme pour Superman). C’est le support idéal pour le faible rythme de production de Kane tout en conciliant son désir de continuer à influer sur la destiné du personnage. Il est également certain que cette déclinaison dans le plus prestigieux des supports de l’époque (tous les artistes souhaitaient obtenir un comic strip par reprise ou mieux encore par création) flattait l’égo de Kane. C’est donc ainsi que le daily comic strip Batman & Robin débuta dans les pages des quotidiens avec Bob Kane aux dessins et aux scénarios (au moins pour un temps).

En France, les Editions Mondiales avaient toujours été à la pointe de la publication des bandes dessinées d’origines américaines. Comic strips en premier puis comic book avec notamment Masked Marvel (French Collection #2), Yarko the great (French Collection #3), Phantom of the Fair (French Collection #5), Blue Beetle (French Collection #6), Amazing Man (French Collection #8), Black Condor (French Collection #11) mais aussi en publiant la première aventure de Batman dans les pages de Hurrah ! (French Collection #10).

Mais les vicissitudes de la guerre auront raison à la fois du personnage et en partie de l’élan du groupe de presse présidé par Cino Del Duca. Les Éditions Mondiales se replient en zone libre et lancent des versions « parallèles » des titres L’Aventureux (qui devient très rapidement L’Audacieux) et de Hurrah ! qui après bien des changements devient Tarzan. Mais la pression de plus en plus forte des autorités vis à vis des bandes dessinées étrangères signent l’arrêt de mort de l’hebdomadaire au numéro 36. Cino Del Duca se distinguera comme membre de la résistance à l’occupant et les publications de son groupe de presse bénéficieront lors de la libération de la France d’une autorisation de publication ainsi que d’un large quota de contingentement de papier. Le débarquement des alliés, avec un énorme contingent américain, a changé énormément de chose dans le pays et la culture américaine revient sur le devant de la scène avec la musique, le cinéma, les chewing gum, les danses, etc. La bande dessinée n’est pas en reste, même si rapidement un mouvement de résistance va se mettre en place avec en fer de lance le Parti Communiste (premier parti politique français de l’époque) et les associations familiales de la mouvance catholique. Ce mariage du rouge et du bleu mènera à la loi de 1949 sur les publications pour la jeunesse et à la création de la commission de censure qui sera contrôlé par les deux alliés de circonstances.

Mais à partir de 1945, les Editions Mondiales lancent de nouvelles publications et relancent certains titres. C’est ainsi que profitant du succès médiatique de l’homme singe (notamment au cinéma) le groupe de Cino Del Duca relance l’hebdomadaire Tarzan qui sera un énorme succès puisqu’il tirera à plus de 300.000 exemplaires par semaine.

Le personnage de La Chauve Souris apparaît dès le premier numéro. Bien qu’une mention indique « Texte et Dessins de Brantonne », un examen rapide permet de constater qu’il s’agit de la reprise exacte du comic strip américain dessiné par Bob Kane. Sans doute faut il voir dans ce maquillage la volonté des Editions Mondiales de donner une connotation plus française à l’hebdomadaire afin d’éviter les critiques des deux organisations politiques citées ci-dessus (déjà que Tarzan était critiqué pour apparaître à demi-nu en couverture de l’hebdomadaire).

La publication française aborde la publication du comic strip chronologiquement en reprenant l’introduction et le premier épisode américain de 1943. Le strip s’étale sur une page et demi de l’hebdomadaire en N & B. Mais en cela il respecte le matériel d’origine qui est un daily et n’est donc pas publié en couleur (contrairement à la Sunday Page).

La traduction est plutôt bonne et les personnages gardent notamment leur identité secrète d’origine. Par contre, sans doute dans un souci de donner corps à la « francisation », Batman est devenu La Chauve Souris et Robin, Le Rouge Gorge. C’est aussi la première fois que nous verrons apparaître Alfred, déjà dans son apparence « classique », et le commissaire Gordon.

Comme nous l’avons indiqué, la traduction se fera dans un ordre chronologique à une exception notable près. Dans le comic strip, assez peu de super-vilain apparaîtront, laissant la place à des bandits au physique un peu atypique visiblement inspirés des adversaires de Dick Tracy. Mais l’ennemi le plus connu du « dynamic duo » se devait d’apparaître dans le comic strip. C’est ainsi que le prince du crime, The Joker, se verra consacré un épisode entier.

Jugeant sans doute que cet épisode était trop amoral pour nos chers têtes blondes, et aussi afin d’éviter de prêter le flan à leur détracteur, les Editions Mondiales publièrent l’épisode en question dans une collection de Récit Complet réputés moins accessible aux enfants. Il s’agit de la collection « Supplément à Tarzan » (au début consacré à Superman puis notamment Red Ryder) dont deux des fascicules constituent l’intégralité de l’épisode.

Batman & Robin resteront eux dans l’hebdomadaire jusqu’au numéro 71 (avec une petite interruption de quelques numéros) alors que l’hebdomadaire durera plus de 290 numéros. Mais ce ne sera pas pour autant l’arrêt complet des aventures des deux personnages qui avait déjà trouvé refuge dans un autre titre du groupe. Mais cela est une autre histoire dont nous reparlerons bientôt dans un futur French Collection.

[Jean-Michel Ferragatti]
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