French Collection #47

[FRENCH] Premier article d’une série consacrée au plus populaire des super-héros du golden age aux États-Unis comme en France, The Big Red Cheese. Devant le succès de Superman, nombreux furent les éditeurs qui se lancèrent sur le créneau quasi vierge du super-héros… avec des fortunes diverses. Il faut dire que rares furent ceux qui mobilisèrent des ressources éditoriales et financière importantes. En effet, les nombreux postulants partaient le plus souvent de rien comme Victor Fox (dont la légende veuille qu’il soit un ancien comptable de National Periodical Publications) qui créa le Fox Feature Syndicate, William Cook et John Mahon (anciens employés de National Periodical Publications alors propriété du Major Malcolm Wheeler-Nicholson) qui lancèrent les fondations de Centaur Publications ou bien Lloyd Jacquet (l’ancien directeur artistique de Centaur Publications) qui fut l’instigateur du sweatshop Funnies Inc qui posa les bases de l’éditeur Timely. Tous ces précurseurs furent des jeunes gens, souvent juifs (comme Jerry Siegel & Joe Shuster qui inventèrent Superman) souvent sans le sou qui gravitaient autour des pionniers du genre.

Une seule société importante s’intéressa à ce créneau, qu’elle présentait extrêmement porteur, et mis en œuvre une politique de création raisonnée. Il s’agit de Fawcett Publication (cf. French Collection #31). La société de Wilford Hamilton « Captain Billy » Fawcett est déjà bien implantée sur son marché et tente une diversification en puisant dans ses ressources financières et éditoriale. Lorsqu’elle décide de se lancer dans le comic field elle confie à deux des piliers de son équipe de prendre définir la ligne scénaristique et visuelle de la nouvelle ligne de comics. Il s’agit de William Parker et Charles Clarence Beck. Tous les deux sont diplômés et expérimentés, contrairement à de nombreux autres créateurs de personnages de l’époque. Après bien des déboires de titres et deux ashcans successifs paraît officiellement Whiz Comics #2 où le personnage de Captain Marvel a déjà les honneurs de la couverture.

Captain Marvel est le plus puissant des mortels et empruntent bien entendu quelques caractéristiques à Superman, son illustre prédécesseur. Mais il s’en différencie également par de nombreuses idées originales. Premièrement, son origine n’est pas liée à la science mais à la magie. En effet c’est le sorcier Shazam qui donne ses pouvoirs à Billy Batson qu’il a choisit comme successeur. Billy est orphelin comme Kal-L, mais n’a jamais été adopté et a dû se débrouiller seul en vendant des journaux alors qu’il n’est encore qu’un adolescent. Contrairement à Superman à qui ses valeurs morales ont été léguées par ses parents, Billy a acquis les siennes seul, dans l’adversité. Il a été spolié de son héritage par un oncle malveillant tandis que sa sœur jumelle et lui ont été séparés. Malgré ses épreuves, Billy a toujours fait face en pensant toujours aux autres. Et c’est pour cette raison que le magicien Shazam le remarque et le choisi pour prendre sa succession.

A l’inverse de Superman, Billy et Captain Marvel sont deux personnes distinctes qui ne partagent pas les mêmes connaissances (même s’ils semblent toujours connaître les actions de l’autre). Ainsi dans Captain Marvel Adventures #73, Zeus se trompe de cible avec son éclair et c’est un autre garçon qui est changé en Captain Marvel. Les jeunes lecteurs de l’époque auront plus de facilité à s’identifier avec ce jeune garçon qui devient un adulte invincible simplement en prononçant un mot magique.

Les pouvoirs de Captain Marvel sont comme nous l’avons dit d’origine magique. Ils ne sont pas innés mais l’héritage de l’antiquité représenté par le sorcier Shazam dont chacune des initiales fait référence à un dieu antique et à une qualité :

Salomon :    la sagesse
Hercule :    la force
Atlas :        la résistance
Zeus :        la puissance
Achille :    le courage
Mercure :    la rapidité

Il s’agit d’un mélange de qualités physiques et intellectuelles. Certains des pouvoirs de Superman sont repris voir même plus développés. C’est ainsi que Captain Marvel est tellement rapide qu’il vole (caractéristique dérivée du dieu Mercure qui vole au moyen de ses sandales ailées). Il est intéressant de remarquer que Superman ne développera ce pouvoir qu’ultérieurement (au début il bondit comme Hulk). Mais surtout Captain Marvel possède comme pouvoirs des qualités morales et intellectuelles et notamment la sagesse de Salomon, alors que ce n’est que bien après que Superman développera une super-intelligence.

Concernant l’apparence de Captain Marvel elle apparaît assez similaire à celle de Superman, mais comme quantité d’autres super-héros. Mais, ce qu’il faut savoir c’est que le costume de Captain Marvel est la copie du costume du rôle titre de l’opérette de 1924 de Sigmund Romberg’s : The student prince. En effet, C. C. Beck avaient refusé la demande pressante des éditeurs de Fawcett pour avoir un personnage ressemblant à Superman mais avait dû céder sur la présence d’une cape. Par contre, C. C. Beck considérait que l’allure militaire du costume allait bien avec le nom du personnage, mais les éditeurs souhaitant limiter cet aspect du personnage le rabat de l’uniforme fut supprimé (il sera ensuite repris dans la version de Jerry Ordway chez DC Comics).

Il faudra attendre deux ans avant que Bill Parker n’abandonne le personnage après avoir mis en place la majorité des personnages de fonds du titre et que le scénariste emblématique de la série vienne sur le titre. Il s’agit d’Otto Binder, célèbre écrivain de science-fiction qui trouvera sans doute dans les aventures de Captain Marvel un dérivatif humoristique à son activité plus académique d’écrivain. Car, et nous en arrivons là à la différence fondamentale entre les séries de Superman et de Captain Marvel, le ton qu’insufflera Otto Binder sera résolument celui de la fantaisie (mais aussi de la science-fiction déjà amorcée sous la plume de son prédécesseur). En effet, si les premiers scénarios de Bill Parker sont assez en prise avec la réalité (proche en cela des premiers scénarios de Superman) l’arrivé d’Otto Binder va changer radicalement le ton de la série.

Énormément de choses sont à dire sur les adversaires de Captain Marvel, son entourage et la manière dont Fawcett développera son personnage. Nous y reviendrons dans de prochaines chroniques. Mais le plus notable est que le résultat du professionnalisme de départ de Fawcett et des créateurs du personnage va aboutir à un succès sans précédant. Captain Marvel sera le personnage le plus populaire du golden age et fera les meilleurs ventes. Certains de ses magazines seront tirés à plus d’un million d’exemplaire et il apparaîtra, avec sa « famille », dans plusieurs magazines simultanément.

Ce succès conduisit DC Comics a porté plainte pour plagiat contre Fawcett. Plusieurs jugements contradictoires furent rendus. Et pour finir, Fawcett abandonna son personnage en 1953 devant le montant important des frais d’avocats dans un contexte de baisse des ventes de tous les comics de super-héros. Plus assez rentable à cause de la vindicte de son concurrent, Captain Marvel rendit les armes. Étrangement, c’est le même DC comics qui lancera le revival du silver age de la série, dont nous reparlerons dans un lointain French Collection. Il est néanmoins important d’indiquer que le ton si particulier de la série originale sera conservé. Il est fort à parier que c’est justement ce qui causera sa perte. En effet, en pleine complexité de l’âge Marvel les aventures gentillettes de Captain Marvel et ses adversaires loufoques ne pouvaient pas intéresser les adolescents qui se reconnaissaient dans les problèmes existentiels de Spider-Man. Le lectorat des comics avait complètement changé et ce qui faisait vendre la série à plus d’un million d’exemplaire auprès des enfants de huit ans dans les années quarante n’intéressera aucunement les jeunes adolescents d’une quinzaine d’année des années post-soixante-huitardes.

En France aussi, Captain Marvel fut sans doute le super-héros le plus vendeur du golden age. Il apparaît après-guerre dans un magazine à son propre nom, une première !. Exemple assumé que la foudre peut frapper deux fois au même endroit, les Éditions Populaires Modernes (EPM) puis Périodiques et Éditions Illustrées (PEI) qui n’étaient autres que deux filiales de façades de la S.A.G.E. (sans doute utilisées pour des problèmes de rationnement de papier). La même société qui avait introduit le genre des super-héros en France en publiant Superman dans Aventures. Les fascicules sont de grandes tailles (quasiment du 21 x 29,7 cm) pour les vint cinq premiers numéros avec couverture en couleur. Ils comportent un à deux épisodes pour un total de 118 épisodes répartis sur 69 numéros qui furent édités de fin 1947 à novembre 1950. La quasi continuité de format et de périodicité sur une telle période a sans doute contribué à la reconnaissance du personnage ainsi que bien sur les qualités intrinsèques que nous avons déjà évoquées. Par ailleurs, le fait que Captain Marvel Jr (cf. French Collection #33) et Hoppy the Marvel Bunny (cf. French Collection #37) aient également été publiés a peut être augmenté son audience. Les traductions seront de bonne qualité même si pour cause d’orthographe Captain Marvel devient « Capitaine Marvel ». A signaler que le célèbre juron de Captain Marvel « Holy Moly » devient « Boudiou » en français. Les traducteurs de la S.A.G.E. ont visiblement fait beaucoup de progrès depuis « Yordi ».

Quoi qu’il en soit, le personnage est le dernier des super-héros publié en France après l’adoption de la loi n° 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse (cf. French Collection #4) et il faudra attendre plus de six ans pour voir timidement un personnage d’une continuité super-héroïque reparaître (discrètement) en France et préfiguré, comme nous le verrons dans le prochain numéro de notre chronique, les prémices du silver age en France.

[Jean-Michel Ferragatti]
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