French Collection #81

[FRENCH] La production Marvel ne sera introduite en France qu’avec la création de Fantask aux Editions Lug en 1969. C’est la thèse officielle… Et pourtant… Si les lecteurs attentifs de French Collection auront remarqués qu’un éditeur important du golden age (qui deviendra majeur pendant le silver age), Timely/Atlas/Marvel a été absent de nos chroniques il ne faut pas croire que la société était pour autant totalement inédite dans notre pays. Les débuts de Marvel en France se situent ainsi plus d’une décennie avant la « date officielle »…

Au travers des quatre-vingt premiers numéros de notre rubrique nous avons dressé un panorama exhaustif des publications du golden age. Au travers de ces études nous avons vu que quasiment tous les éditeurs américains significatifs ont été traduits en France : DC Comics, Centaur, Fox, Quality, Street & Smith, Fawcett & Fiction House. Un éditeur important qui deviendra majeur est pourtant absent de nos réflexions. Il s’agit bien entendu de Timely / Atlas / Marvel. Normal, me direz-vous car la production Marvel ne sera introduite en France qu’avec la création de Fantask au Editions Lug en 1969. Et pourtant…

A la fin des années soixante, le groupe d’édition de Martin Goodman (éditeur historique de Pulp’s qui se développa dans les comics) est connu sous l’appellation d’Atlas Comics. Il est le « descendant » de Timely Comics qui publia des personnages comme The Human Torch, The Sub-Mariner ou Captain America. Atlas était le nom de la compagnie de Martin Goodman qui distribuait les publications de ses multiples sociétés d’édition. En 1956, Goodman avait décidé d’arrêter cette activité et de confier la distribution de ses titres à American News Company qui était le plus gros distributeur de presse du pays. Mais en 1957 la société est dissoute et Goodman n’a pas d’autre choix que d’utiliser les services d’Independent News Distributors qui appartient à National Comics (l’ancêtre de DC Comics).

Atlas, qui publiait plus de soixante titres par mois, se voit contraint par son nouveau distributeur à limiter sa production mensuelle à douze titres. C’est donc une société moribonde que dirige Stanley Lieber (plus connu sous le nom de Stan Lee), le cousin de Martin Goodman. Suite au problème de distribution, Stan Lee a dû licencier quasiment tous le staff d’Atlas Comics et fonctionne au ralenti avec quelques piliers comme Jack Kirby, Dick Ayers, Don Heck, Joe Sinnott, Syd Shores et Steve Ditko.

La production d’Atlas s’oriente principalement sur trois thèmes majeurs :
–  les histoires de monstres (remplaçante des EC Comics disparus suite à l’adoption du Comics Code Authority) avec des titres comme Amazing Adventures, Tales to Astonish, etc..
–  les publications destinées aux jeunes filles comme Millie The Model et Patsy Walker.
–  les magazines de Western avec notamment Kid Colt Outlaw et Black Rider.

Martin Goodman avait très peu exporté sa production en dehors des frontières américaines (hors Canada et immédiate Amérique latine). L’histoire montre qu’après l’implosion de sa distribution il va se tourner vers les marchés étrangers comme un relais de croissance, confiant la distribution de sa production à l’agence Transworld Feature Syndicate. Cette société était représentée en France par Barbara d’Arnoux qui contacta tous les éditeurs français pour placer la production Marvel.

Des contacts préparatoires ont-ils été pris avant l’éclosion du Marvel Age ? Quoi qu’il en soit la Société Parisienne d’Edition (descendante de la librairie Offenstadt) est à ma connaissance le premier éditeur français à publié une production Atlas Comics en France et qui plus est un personnage qui est partie intégrante de la continuité super-héroïque Marvel !

En 1956, la Société Parisienne d’Edition (SPE) lance en octobre 1956 le titre Davy Crockett avec « Deux histoires complètes » !. La bande principale est anglaise (mais les couvertures des fascicules sont du dessinateur français Pascal) et elle ne nous intéresse que peu. La bande secondaire (back-up story) ne comporte que quelques pages (sur un fascicule de 52 pages couvertures comprises elle ne représente que 6 pages) mais est notre principale centre d’intérêt. Car pendant 16 numéros (jusqu’en mars 1959) le lecteur français de l’époque pourra lire les aventures de Black Rider. Les traducteurs français ayant une nouvelle fois sévies Black Rider deviendra « L’homme mystérieux de l’ouest », « Le cavalier mystère », « Le cavalier noir », etc.

Le personnage a été créé en 1948 dans All-Western Winners #2 (qui est la suite de All Winners Comics qui publiait The Human Torch, The Sub-Mariner ou Captain America et Blond Phantom et n’a connu qu’un numéro avant d’être transformé en titre de western) par Syd Shores aux crayons (le nom du scénariste est inconnu).

Le jeune Matthew Masters est connu sous le nom de Cactus Kid pour ses nombreux méfaits. Son plus grand exploit sera cependant d’avoir tué la bande de Luke David qui faisait régner la terreur à Jefferson County au Texas. Une revisite ultérieure des origines du personnage nous apprendra que la bande de Luke David était à l’origine du massacre de la famille du jeune Matthew Masters. Après cet « exploit » le jeune homme se rend à la justice qui se montre extrêmement clémente avec lui. Le gouverneur du Texas considère qu’il a agit pour le bien commun et l’amnistie. Il lui propose même de lui financer des études pour le remettre complètement sur le droit chemin en échange de sa parole de renoncer à toute violence.

Dès années plus tard, celui qui tout le monde a oublié comme Cactus Kid s’installe à Leadville (ville du plomb !) comme docteur. Son premier patient est Charlie Maddock, qui travaille comme contremaitre au ranch du vieux Jim Lathrop. Ce dernier est en conflit avec Blast Burroughs qui pour l’intimider va abattre Maddock devant le cabinet médical. Lathrop est perclus de rhumatismes et incapable d’arrêter Burroughs tandis que Masters est tenu par son engagement de renonciation à la violence. Mais Marie, la fille de Lathrop est incapable de le comprendre et le traite de lâche.

Masters va donc se créer l’identité du Black Rider qui lui permettra de combattre Burroughs sans rompre sa promesse. Et dans un schéma identique à celui de Superman, Marie tombera amoureux du Black Rider mais battra froid Masters qui l’aime et se fait passer pour un lâche. Le seul élément supplémentaire sera que Bobby Lathrop, le jeune frère de Marie découvrira l’identité secrète de Masters. Habillé tout de noir, Black Rider chevauchera son fidèle et Satan qui est en fait au quotidien la brave monture de Masters sous le nom d’Ichabod.

Il combattra son lot de voleurs de bétails, bandits de grands chemins, voleurs de diligence, etc. Il rencontrera quelques adversaires un peu atypiques comme The Spider, qui marque ses victimes de son symbole et qui aura au moins deux apparitions. Les aventures de Black Rider prendront également quelque fois un tout un peu mystique avec des Shamans amérindiens. Il est à noter que son apparence graphique varie selon les épisodes et les dessinateurs. Black Rider peut apparaître vêtu de noir avec un simple foulard lui couvrant le bas du visage ou avec un masque complet et une cape (apparence beaucoup plus « super-héroïque »).

Black Rider apparaitra dans All-Western Winners mais également dans les années cinquante entre autre dansWild Western, Ringo Kid et autres titres westerns de l’éditeur. Il aura même l’honneur d’avoir son propre comic en partie dessiné par Jack Kirby ! Dans les années soixante dix, ses aventures seront réédités dans Western Gunfighters où il sera renommé Black Mask.

Il sera intégré à la continuité super-héroïque Marvel de manière directe et indirecte. Premièrement, Black Rider sera le personnage vedette d’un comic one-shot intitulé Strange Westerns Starring the Black Rider en 2006. Dans cette aventure, Black Rider enquête sur un meurtre commis au Texas. Afin de retrouver le meurtrier, il est amené à se rendre à New-York dans le quartier de Chinatown. Il y rencontrera un mystérieux asiatique qui se révélera être The Ancient One, futur sorcier suprême de la Terre et mentor de Doctor Strange. De manière plus indirecte, Black Rider apparaît dans le numéro 5 de la mini-série Avengers Forever., même s’il s’agit en fait d’un Space Phantom qui a usurpé ses traits.

Bien que marginal dans la continuité super-héroïque Marvel, des personnages de western tels que Rawhide Kid, Two-Gun Kid, etc. sont bien plus centraux, il restera donc comme la première apparition en France d’un personnage de l’éditeur qui prendre le nom de Marvel plus dix ans avant l’avènement de Fantask.

[Jean-Michel Ferragatti]
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