French Collection #91

[FRENCH] Le silver age n’est pas né d’une stratégie planifiée mais d’essais successifs. Il en ressort qu’aucune cohésion n’a été prévue et que la lecture a posteriori peu paraître brouillonne. Il permet également de voir quelques tendances et l’une d’entre elles est la lecture extrêmement « science-fiction » des scénarios de l’époque. La chronique de cette semaine va donc se concentrer sur la vision des dieux de l’Olympe dans l’univers DC pendant le début du silver age.

L’équipe éditoriale qui lancera le silver age est principalement constituée de Julius Scwhartz, Gardner Fox et John Broome. Tous ont en commun d’avoir gravité dans le monde de la science-fiction dans les années trente et quarante. Julius Scwhartz a fait partie du premier fandom de SF (avec Jerry Siegel & Joe Shuster) puis a été agent littéraire d’écrivain de SF. Il a sans doute d’ailleurs été en contact avec Gardner Fox et John Broome, les deux derniers étant des écrivains de SF reconnus.

Ce sont donc ces hommes qui vont façonner le début du silver age au travers de leur tropisme science-fictionnel. Cela sera très net avec les (re)créations de Green Lantern [Hal Jordan], Atom [Ray Palmer] & Hawkman [Katar Hol]. Mais de nombreux autres thèmes de science-fiction sera développés dans les séries de la continuité super-héroïque de DC Comics. Nous allons aujourd’hui nous intéresser aux différentes visions des dieux de l’Olympe et de leur discordance.

Dans Flash vol. 1 #113 de juin – juillet 1960 (publié en France dans Flash 1ère série n° 36) nous découvrons le monde galactique de l’Olympe et ses dirigeants, Zeus, Borée & Poséidon. Zeus leur rappelle qu’il y a des millénaires leurs ancêtres ont lancé une mission d’exploration spatiale qui s’acheva par la perte des membres de l’expédition dans un orage spatial électrique. Mais avant leur disparition ils eurent le temps d’envoyer une image d’une planète inconnue (qui bien entendu ressemble à la Terre). Cette planète dite « perdue » a enfin été repérée et Zeus demande à Poséidon d’en prendre possession au nom de l’Olympe. Les habitants de la Terre seraient donc les descendants d’extraterrestres humanoïdes organisés comme les dieux de l’Olympe et la mythologie grecque serait donc une réminiscence des premiers colons échoués sur la Terre. Ce thème a été développé de nombreuses fois dans la littérature de Science-Fiction et notamment dans de très beaux livres de Roger Zelazny comme And Call Me Conrad, Lord of Light & Creatures of Light and Darkness.

Flash [Barry Allen] arrivera bien sur à empêcher Poséidon de mettre son projet à exécution et il repartira sur l’Olympe où Zeus décidera de laisser la Terre à son destin en faisant un parallèle avec l’indépendance américaine. Il n’en reste pas moins que si nous suivons les conclusions de cette aventure, la représentation des dieux grecques provient d’une planète lointaine et qu’il est toujours possible de les voir revenir sur Terre.

Dans Mystery in Space #58 de mars 1960 (publié en France dans Sidéral 1ère série n° 30) Adam Strange découvre trois humanoïdes qui se font appeler Jupiter, Apollon & Hercule. Ils se disent originaires de l’Olympe et menacent de détruire Rann (la capitale) si leurs amis Diane, Mercure & Neptune ne leurs sont pas rendus. Adam prend comme hypothèse qu’il s’agit d’extraterrestres voyageant dans l’espace et ayant colonisés la Terre dans un passé lointain et nourris les survivances des dieux (il est d’ailleurs intéressant de constater dans cet épisode que les noms des dieux sont romains et non grecs). Se basant sur cette hypothèse, il les défis dans un combat d’honneur qu’il arrivera bien entendu à gagner grâce à son intelligence.

Les trois « dieux » négocient avec lui et comprennent qu’ils ont échoués sur Rann (la planète cette fois-ci) suite à un nuage de radiation. Avec l’aide d’Adam ils réussiront à rejoindre leur vaisseau (et leurs amis) à temps pour continuer leur voyage vers l’Olympe.

La similitude des deux trames est flagrante même si le détail des noms montre bien leur incohérence. Jupiter est le nom romain de Zeus. Les deux personnages ont des caractères différents et semblent incompatibles même s’il est toujours possible de trouver des explications. Tout cela est par contre en complète contradiction avec la continuité d’une des séries phares de DC Comics qui a été continuellement publiée depuis sa création pendant le golden age. Car l’origine de Wonder Woman est intimement liée à la présence des divinités greco-romaines. Désespérée de ne pas avoir d’enfant la reine Hippolyte des amazones modela un bloc d’argile en forme de nouveau né et les dieux greco-romain lui donnèrent la vie ainsi que certaines de leurs attributs.

Cette parenté de Wonder Woman avec les divinités greco-romaines ne s’étant jamais démentie il est compliqué de faire vivre les épisodes de Flash [Barry Allen] et d’Adam Strange au sein d’une même continuité. Mais les problématiques ne s’arrêtent pas à cette dichotomie. En effet, à l’intérieur même des références de l’univers DC Comics aux divinités greco-romaines il existe des problématiques de cohérence.

Ainsi dans Action Comics #267 de août 1960 (publié en France dans Superman poche n° 100), Lex Luthor arrive à faire venir Hercule au XXe siècle afin de lui faire affronter Superman. Cette version d’Hercule est donc une nouvelle fois en contradiction avec les versions science-fictionnelles de Flash [Barry Allen] et d’Adam Strange mais également de Wonder Woman (sans parler de celles de Captain Marvel qui ne faisait pas à l’époque partie de l’univers DC Comics).

Entre mars et août 1960, les lecteurs assidus de DC Comics auront donc vu au minimum quatre versions différentes des mêmes personnages avec autant d’hypothèse d’existence. Mais la fraicheur du silver age vient de ce constat que le lectorat était émerveillé par les comics et assez peu inquiet d’une continuité que nous regardons maintenant plus attentivement. Heureusement, il est possible pour nous aussi de retrouver cet état d’esprit en laissant notre vision des comics actuels et en se replongeant dans les petits formats de l’époque qui ont émerveillés notre enfance (pour les plus âgés d’entre nous, charge aux autres de les découvrir).

[Jean-Michel Ferragatti]
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