Comment Marvel a perdu le monopole mondial
Ceux qui s’apprêtent à lire le texte ci-dessous doivent avant tout garder à l’esprit que ce n’est pas MON opinion mais plutôt une analyse, une observation. Quoiqu’il en soit, les noms n’ont pas été « changés pour protéger l’innocent », il n’y a d’ailleurs pas d’innocent à y avoir… Allons y…
Le dossier Marvel
Il semblait qu’il y avait une tradition chez Marvel (US) de favoriser le marché domestique et de considérer l’international comme du « restant ». Bon nombre d’éxécutifs de Marvel ont toujours pensé que leur revues était ciblées seulement vers les lecteurs étasuniens et si, par hasard, les lecteurs étrangers aimaient les lire aussi, c’était un simple plus. Mais vers la fin du vingtième siècle, avec la montée de la mondialisation, la « Maison des Idées » s’ouvrit l’esprit. Il y a quelque années, dans le milieu des années 90, Marvel envisagea finalement le potentiel des marchés de l’autre côté de l’Atlantique.
Jusqu’à cette période, les droits internationaux étaient dispersés entre de nombreuses compagnies étrangères. Le système était compliqué et produisait, en proportion, peu de bénéfice. Ceci parce que dans chaque pays, un agent de licence prenait son propre pourcentage et puisque ces agents n’étaient même pas exclusivement réservés à Marvel, Ron Perelman, le propriétaire de Marvel à l’époque, chérissait le rêve de faire de Marvel une vraie multinationale aux activités multiples.
Dans sa frénésie d’acquisition, il choisit d’absorber Fleer, une compagnie de cartes à collectionner. L’italien Panini, producteur d’autocollants, avait lui-même été acheté par Fleer quelques années auparavant et avait du coup toute l’opportunité d’utiliser le catalogue des personnages Marvel.
Qu’est-ce que Panini ? Ce n’est bien le fameux sandwich italien que nous évoquons ici mais une compagnie qui est sans doute le plus gros producteur de stickers dans le monde. Alors qu’est-ce que ça avait à voir avec les comics ? Tout. En tant que compagnie « parente », Marvel faisait face à une réorganisation profonde et se dirigeait vers la banqueroute. Vers la fin 1996, Panini était choisie pour devenir « l’hébergeur » de Marvel Europe. Une petite équipe était alors réunie par Marco M. Lupoi (un italien ayant travaillé de longue date avec les USA) pour superviser la production de plus de 90 magazines par mois, répartis sur trois pays: la France, l’Allemagne et, bien sur, l’Italie (où l’expérience avait débuté deux ans plus tôt). Pour la plupart des lecteurs, Panini et Marvel n’étaient pas deux entités différentes. D’ailleurs l’équipe Panini clamait être Marvel. Ce qui était en partie vrai à l’époque puisqu’ils étaient possédés à 100% par la « Maison des Idées ». Qui plus est, Panini était capable de sous-licencier le matériel Marvel à des tierces parties, dans d’autres pays d’Europe. Ils faisaient clairement office d’agent pour Marvel, sur toute le continent.
En 1997, Marvel US était décidément en très mauvaise posture et se déclarait en banqueroute. Un premier resultat de la réorganisation des actionnaires fut de mettre Avi Arad et ToyBiz à la tête de la société américaine. La restructuration était inévitable. Tout le monde savait ce que cela voulait dire: la compagnie aurait besoin de liquidités et devrait vendre certaines de ses filiales. Le tour de Panini viendrait en 1999. Marvel US savait qu’ils ne feraient pas d’argent sur la vente de Panini. Quand ils l’avaient acquis, les ambitions étaient grandes et l’éditeur américain pensait que beaucoup d’argent viendrait, vite, de l’Europe. Mais l’argent ne vint jamais en assez grande quantité, en tout cas pas autant qu’ils ne l’avaient tablé. Et trois ans plus tard, Panini ne valait tout simplement pas le prix pour lequel ils l’avaient acheté. Mais ils avaient vraiment besoin de liquidités…
Une nouvelle entité, ID4, dirigée par le conseil d’administration de Panini et Vittorio Merloni, de Fineldo SpA (une sorte de « business angel »), offrit d’acheter la société italienne. Ironiquement, Panini était achetée par une partie de ceux qui l’avaient vendu à Marvel avant ça. On pourrait même dire qu’ils achetèrent leur propre companie avec une partie de l’argent que Marvel leur avait donné quelques années avant.
Tout ceci expliqué, rentrons dans le vif du sujet: le licensing. Malgré tout ça, Panini restait dans les faits l’agent de licence de Marvel, avec un certain succès. Pas seulement en Europe mais pour tous les pays ne parlant pas anglais (à l’exception… du Royaume Uni où il y avait carrément une branche Panini implantée). Et le business de Panini allait croître de manière rapide grâce à cette activité de licence. Tandis que l’Europe de l’Est ouvrait ses frontières, Marco Lupoi réussissait à implanter Marvel dans des pays comme la Pologne, la Russie. Le 26 juin 2003, Panini et Marvel allongeaient même leur accord mutuel jusqu’en 2006.
Ceci pourrait être considéré comme un bon coup de la part de Marvel mais cela ne l’était pas. En fait, toutes ces années, Marvel était si occupé par sa propre survie que son management ne réalisait pas qu’ils étaient en train de créer un « monstre ». Panini avait maintenant absorbé plusieurs autres compagnies en Europe et ailleurs. Dans certains pays, comme en Allemagne ou au Brézil, ils controllaient jusqu’à 95% des publications de comic-books (c’est à dire Marvel mais aussi DC et certaines autres). Leur pouvoir est maintenant incroyable.
La stratégie DC ? A l’opposé
Chez DC, le marché international a toujours été traité plus activement. Phyllis Hume et Francine Burke s’occupent avec soin des licenciés du monde entier à partir de leur bureau new-yorkais et se déplacent souvent à travers le globe pour rencontrer les éditeurs de tous les pays concernés. Personne chez DC n’autoriserait une tierce compagnie à sous-licencier. Ils sont de fervents supporters de la centralisation. Ce système leur permet plus de contrôle sur leurs « properties », comment elles sont représentées à travers le monde et combien d’argent ils obtiennent. Cela leur a pris du temps mais le système fonctionne bien.
Les licences DC, Wildstorm et Vertigo se sont propagé enormément ces dernières années. Bien sûr; il se trouve aussi que le contenu s’est beaucoup amélioré mais DC a toujours été consciente de ses lecteurs à travers le monde. Son management éditorial n’oublie jamais qu’ils ne sont pas seulement lus pas des américains. A une époque, ils ont même continué de publier Lobo (malgré des ventes catastrophiques aux USA) parce que… Ca se vendait bien en Allemagne ! On me dit même que certains titres Vertigo ne survivent qu’en raison de leur succès de ce côté de l’Atlantique.
Une des explications de cette démarche remonte au milieu des années 80, quand DC affirmait sur ses couvertures « Comics aren’t just for kids » (les comics ne sont pas que pour les gosses). Ils comprenaient que les BD produites dans le reste du monde étaient massivement ciblées vers les adultes. C’était le chemin à suivre, la route qui mènerait à la création de contenu « mature », comme le label Vertigo.
Aujourd’hui, les adultes sont la plus grosse partie des lecteurs de comics, en Amérique tout comme dans d’autres pays. Et DC a un matériel convenable pour chacun des publics et chaque culture. Cette compréhension de la situation globale de la BD a ainsi construit la voie vers des accords avec d’autres éditeurs internationaux comme les Humanoïdes (et on me dit que d’autres suivront bientôt, venus de l’Europe et de l’Asie). Cette reconnaissance de la capacité de DC à licencier a même convaincu un studio comme Top Cow, pourtant basé chez Image, à demander à DC de s’occuper de vendre leurs titres à l’étranger.
La nouvelle carte du monde
Est-ce que Marvel US a ouvert ses yeux ? La réponse semble être oui. Ainsi, l’extension du contrat de licence (avec Panini) était de deux ans, au lieu d’une période de cinq années (comme dans le contrat originel). Ou encore la création d’un nouveau bureau européen pour Marvel, basé à Londres et dirigé par Bruno Maglione. J’ai eu la chance de rencontrer ce dernier il y a quelques années, alors qu’il était chargé, à l’époque, du licensing d’Universal. C’est quelqu’un de très talentueux, qui parle quatre langues. Avi Arad et ses pairs ont été clairs sur le fait que les licenciés sont désormais une priorité. Maglione est clairement le choix parfait dans ce but. Et l’Europe, avec plus de 370 millions de lecteurs potentiels, est une cible sérieuse pour le business.
Pour l’instant, Panini n’est en aucune manière concerné par cette nouvelle organisation. Marvel pourrait très bien, cependant, redistribuer les cartes dans le domaine du publishing et contenir la croissance de Panini (quand bien même, la société italienne conserverait la meilleur position pour rester le partenaire privilégié de Marvel) ou même trouver de nouveaux licenciés.
Car s’il est plus aisé d’avoir un agent unique auquel s’adresser, cela rapporte moins d’argent ! Explication: Panini paie une certaine somme d’argent à l’année (la rumeur veut que ce soit plus d’un millon de dollars) pour avoir le droit de publier et de sous-licencier le matériel de Marvel Comics. C’est un tarif fixe.
Quand DC licencie à… disons… 20 éditeurs différents dans autant de pays, les revenus sont plus hauts puisqu’ils n’ont pas à faire un prix de gros à un seul client, qui pourrait argumenter que c’est le même matériel qu’il rachète pour plusieurs pays.
Marvel US sait cela. Ce ne serait d’ailleurs pas la première fois qu’ils empruntent des idées à leur Distingué Concurrent (quelqu’un reprendra bien des Hardcovers ?).
Quoiqu’il en soit, la carte mondiale du licencing est sur le point d’évoluer. Pour l’instant, Marvel a perdu son monopole, en laissant un étalon italien devenir un géant de l’édition grâce à leur matériel. Mais si l’on regarde les faits, il semble bien qu’il ne s’agissait que du premier round. La seconde phase est sur le point de débuter et qui sait comment elle se concluera ? Comme on dit dans les comics: « To be continued ».
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