Comme tout artiste, Arthur Adams est à la croisée de plusieurs cultures. Deux, principalement. On va trouver dans son travail des codes distinctifs des comics super-héroïques : le nombre réduit des cases par planche ; des éléments de la scène qui sortent du cadre ; l’énergie dégagée par les personnages dans leurs postures qui, même au repos, contiennent une vigueur imminente ; l’hypertrophie musculaire des héros, tout en rondeurs, et les formes sensuelles, tout en rondeurs également des héroïnes (éléments qu’il doit en partie à un Walter Simonson, et qu’il léguera sans doute à un Ed MGuinnes ou un Frank Cho). Mais on trouve aussi l’héritage de la BD latine (l’italien Paolo Eleuteri Serpieri), ou l’influence du français Mœbius. Les hachures d’Art Adams, qui tendent vers le pointillisme, doivent beaucoup à ce dernier. Le goût pour les détails accumulés aussi. De ce fait, Arthur fait partie de ces artistes qui travaillent plutôt lentement, ce qui fera de lui un dessinateur de couvertures essentiellement.
Singes géants, lourds et puissants, accompagnés de jeunes femmes aux formes pulpeuses et aux postures sexy… voilà ce qu’on trouve le plus souvent sous la plume d’Art Adams. Et cet attrait est connu de tous : DC comics lui confiera des couvertures du crossover annuel JLApe, et Marvel fera de même pour sa mini-série Marvel Apes (intrigues où les super-héros sont des singes). Quand à Monkeyman and O’brien, création d’Art Adams, elle propose le même schéma. Un schéma qui évoque, on n’y échappe pas, l’un des grands mythes de la culture populaire : King Kong, 1933.
On voit ici qu’Arthur Adams, quand il est en « récréation » (il s’agit d’une image pour un « print »), revient au mythe de King Kong tel qu’il apparaît en 1933. Willis O’Brien, responsable des effets spéciaux du film, était de toute évidence imprégné par la lumière et la luxuriance des visuels de Gustave Doré lorsqu’il conçoit les décors de Skull Island. Le même Gustave Doré qui a inspiré Mœbius. Le même Mœbius qui irrigue le style d’Art Adams et dont on retrouve, en particulier dans cette image, le soin accordé aux détails et les hachures pointillistes. Toute la scène est dans le cadre. Les motifs classiques du mythe sont là : le singe hypertrophié, incarnation d’un désir mâle primitif, défend l’objet de son désir (la belle jeune femme sexy, appeurée et impuissante), contre le danger primal du dinosaure.
A quelques détails près. Oui mais voilà, ces détails visuels, presqu’insignifiants, vont pénétrer le mythe et le changer. Quoi de plus insignifiant qu’une toute petite paire de lunettes rondes ajoutée sur les naseaux du grand singe ? Sauf que le désir animal en devient intelligent. Quoi de plus anodin que des vêtements moulants pour la jeune femme ? Sauf qu’ils révèlent une musculature développée et puissante. Le désir primitif s’est mis à réfléchir et la victime, elle, s’est réveillée, s’est prise en main, elle est de toute évidence vigoureuse et audacieuse. Et les deux sont partenaires ! C’est une sorte de féminisme que l’art visuel d’Arthur Adams à inoculé au mythe de King Kong. Non pas un féminisme où l’homme fait le deuil de sa virilité et la femme de son sex-appeal. Mais un féminisme qu’on pourrait qualifier de « postmoderne », qui montre un homme toujours viril mais qui pense, et une femme toujours sensuelle mais qui est forte. Bye Bye King Kong… et longue vie à King Kong !
C’est une des marques des plus grands : prendre un mythe universel et l’éclairer sous un nouvel angle ; lui donner un sens nouveau ; en proposer une interprétation inattendue. Sigmund Freud et sa psychanalyse l’ont fait avec Œdipe. Albert Camus et sa philosophie l’ont fait avec Sisyphe. Art Adams et son art graphique le font avec King Kong. Pour finir, rien n’empêche de remarquer que Willis H. O’Brien (1886 – 1962), pionnier des effets spéciaux cinématographiques dans les années 30 (années qui, rien n’empêche de le remarquer non plus, virent naître le genre super-héroïque), fut célèbre pour les visuels et les trucages du King Kong 1933. O’Brien ? Vous avez dit O’Brien ? Comme c’est brillant…
.[Bernard Dato]
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