Imaginarium: George Pérez, Venez nombreux !
2 août 2017Vous découvrez pour la première fois les planches de George Pérez ? Le réflexe (humain s’il en est), est de comparer la nouveauté avec du déjà vu. Allez, Pérez c’est un peu du John Byrne ou du Jim Starlin qui auraient conservé, au sein de leurs anatomies précises et de leurs multitudes récurrentes, quelques influences opiniâtres de Jack Kirby – pour l’essentiel, son esthétique des machines. Mais ce serait réduire la nouveauté que de s’arrêter à la comparaison. Allons plus loin et tentons de dégager, de l’intérieur, l’essence singulière de l’art de George Pérez.
Un cadre peut tendre vers la saturation (profusion de détails) ou la raréfaction (épure de la composition, appauvrissement des éléments de la composition). Ainsi des dessinateurs tels que Moebius ou Druillet usent majoritairement de cadres saturés. A l’inverse, Frank Miller (dans Daredevil, Sin City ou plus encore dans ses créations les plus récentes) ou Fiona Staples (Saga, Mystery Society) usent généralement de cadres raréfiés. Un seul coup d’œil au travail de Pérez suffit à le ranger parmi ceux qui prisent le cadre saturé. Le plan pérezien regorge de multitudes de personnages, de décors fouillés et éclatés, décomposés. Très bien. Mais encore ?
Mes frères et mes sœurs
Chez l’artiste, la case est le plus souvent remplie jusqu’à plus d’encre d’une foule de protagonistes, et ce quelle que soit l’intrigue dictée par le scénario. L’accent est mis sur l’affrontement de Superman et d’un super-vilain ? Qu’importe ! Tout en bas, dans les rues, ça marche, ça roule, ça fourmille de figurants dont l’action aurait fort bien pu se passer. C’est clair, le personnage pérezien n’est jamais seul. Ses frères et ses sœurs humains sont toujours là, que ce soit pour le soutenir activement ou pour l’accompagner par leur seule présence. L’homme ou la femme, pour le dessinateur, est visiblement une partie d’un Tout humain. Et le cosmos dans tout ça ?
Débris et des roches
Pérez aime les décors minutieux, les architectures détaillées, agrémentées ici et là par des machines kirbyennes. Mais ce qui apparaît comme singulier dans cette profusion ornementale, c’est peut-être l’omniprésence de débris. Or, sous les crayons du dessinateur, rien ne ressemble plus aux roches terrestres, spatiales et autres météores explosés, que les décombres d’immeubles démolis ou les gravats de sols pulvérisés par les combats des héros. Ces motifs sont traités par lui de manière quasi identique. Au fond, ils font le lien graphique entre habitat urbain et environnement spatial. L’humain, chez George Pérez, est partie intégrante du cosmos.
Un (tout petit) peu de philo
C’est déjà une chose d’admettre que le dessin d’un artiste pense par lui-même, parallèlement ou au-delà même de l’intrigue qu’il illustre. C’en est une autre encore de comprendre que ce dessin peut penser « philosophie ». Et pourtant, écoutons Pierre Hadot qui écrit, dans Introduction aux « Pensées » de Marc-Aurèle : « (…) le stoïcien (…) est conscient du fait qu’aucun être humain n’est seul, mais que nous faisons partie d’un Tout constitué aussi bien par la totalité des hommes que par la totalité du cosmos. Le stoïcien a le Tout constamment présent à l’esprit ». Il devient presque évident, alors, que l’art pérezien véhicule un des fondamentaux de la philosophie stoïcienne antique. Un dessin dans les comics qui pense philo, oui, mais de la manière la plus ludique qui soit. L’occasion pour nous de replonger avec un regard neuf dans ses Avengers, ses Fantastic Four et autres New Teen Titans.
[Bernard Dato]