Né au début des années 60, HULK est un super-héros à part dans la mythologie Marvel. Bruce Banner, contrairement à la plupart de ses homologues, n’a pas cette volonté farouche d’être un justicier. Quant à son alter ego monstrueux, s’il n’est pas, à l’arrivée, foncièrement méchant, il est un gentil difficilement gérable pour le moins — les Avengers et Bruce Banner lui-même en feront maintes fois l’expérience et les frais. Plus fondamentalement encore, la singularité de HULK pourrait bien être l’écho visuel d’une pensée tout aussi originale, mais vieille de plusieurs millénaires déjà.
Dans tout environnement, la nouveauté ne peut apparaître de manière radicale. Sous peine d’être rejetée. L’environnement doit d’abord « reconnaître » la nouveauté. En d’autres termes, elle doit ressembler à quelque chose qui existe déjà ! Ainsi, le cinéma, à ses débuts, ressemble à la photographie : même si « ça bouge » dans le cadre, la caméra est fixe, comme l’appareil photo. Ce n’est que plus tard que la radicale nouveauté du 7ème art s’imposera : la caméra en mouvement (« l’image mouvement » comme la définira Gilles Deleuze). Et il en va ainsi de nos super-héros.
Le couple Banner/HULK se pose alors comme l’incarnation du couple des contraires calme/colère. Nous verrons du reste, dans certains comics comme dans certains films, Bruce Banner s’initier à la relaxation, voire à la méditation. Et au fait, peut-on vouloir une chose sans son contraire ? Nous y reviendrons. Mais concernant notre personnage, la réponse semble évidente : non ! Sous le clavier de Brian Azzarello et les pinceaux de Richard Corben (dans le récit intitulé « Banner »), Bruce, au désespoir de ne pouvoir empêcher les dégâts gravement collatéraux des accès de rage de HULK, tentera de se suicider. A la fin d’un chapitre, il colle le canon d’un revolver dans sa bouche, et tire. Or, le chapitre suivant s’ouvre sur un HULK furieux, recrachant avec dépit une balle écrasée au fond de sa gorge. Le seul stress provoqué par la tentative autodestructrice aura eu raison de Bruce au profit de son énorme alter ego. Ce dernier cherchera Banner pour le faire payer, comme d’habitude, et comme d’habitude, il ne le trouvera pas. Il ne pourra jamais le trouver (tout du moins dans la dramaturgie classique du personnage). C’est dit. Impossible d’avoir l’un sans l’autre. Les séparer est irréalisable.
Cette union des contraires dans laquelle l’un, inlassablement, devient l’autre, nous renvoie très loin dans le passé. Avant même la naissance de la philosophie. Héraclite en effet — puisqu’il s’agit de lui —, est classé dans les « présocratiques ». Pour être précis, Héraclite (né aux alentours de 544 av. J.C.), fera le lien entre la pensée archaïque et la pensée rationnelle. Seuls quelques fragments (incomplets) nous sont parvenus. Plusieurs sujets sont abordés, mais, pour faire vite, nous dirons que la singularité de la pensée héraclitéenne est de voir le réel par les contraires, et le passage de l’un à l’autre par le « devenir ». Citations : « Dieu (la Nature) est jour nuit, guerre paix, satiété faim (…) » ; « Les choses froides se réchauffent, les chaudes se refroidissent, les humides se dessèchent, les sèches s’humidifient » ; « Le chemin qui monte, qui descend, est un seul et le même » ; « Chose commune que commencement et fin sur la circonférence du cercle ». Et comment ces contraires se fondent-ils l’un dans l’autre ? Par le changement constant : « Tout s’écoule » ; « Tout cède et rien ne tient bon ». Certains lui répondirent qu’une chose ne peut « être » son contraire, mais Héraclite n’était pas simpliste. Il ne s’agit pas d’identité, mais d’union dans un seul et même processus. Il faut comprendre l’image du jour et de la nuit. L’un ne succède pas à l’autre. En vérité, la nuit est sans cesse en train d’infuser dans le jour qui baisse, et le jour est constamment en train de pénétrer la nuit qui faiblit. Union des contraires. Changement. Devenir. Transformation. Voilà qui nous rappelle quelqu’un dont la colère est colorée.
Et c’est là que, d’un (puissant) bond d’un seul, nous revient le géant vert hypertrophié. Comme pour le jour et la nuit d’Héraclite, HULK ne succède pas purement et simplement à Banner, et inversement. Dans l’apaisement de Bruce il y a déjà, tapie dans un coin de son esprit, la colère qui, en prenant de l’ampleur, le changera en HULK ; et il y a en HULK, jamais éradiqué, le calme qui, en infusant, le changera en Bruce à nouveau. « L’union des contraires par le devenir ». Le couple Banner/HULK peut clairement se lire, à présent, comme l’incarnation symbolique moderne de ce que la pensée héraclitéenne, il y a plus de deux mille cinq-cents ans, avait de plus atypique. Si Héraclite revenait aujourd’hui, sa lecture favorite pourrait bien être, après tout, le récit des aventures du Dr Bruce Banner et de son inséparable compagnon furieusement vert.
Bernard Dato
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