L’énergie. Cette « force en action » (c’est le sens, dans le grec ancien, du mot enérgeia), est au cœur de la dramaturgie super-héroïque. Et elle est rapidement devenue un motif tangible (et central) dans le travail graphique des artistes du genre. Deux d’entre eux en particulier en font un usage personnel et remarquable. Mais regardons de près leurs travaux les plus aboutis de ce point de vue-là, et une question émerge : cette énergie, ces dernières années, n’aurait-elle pas changé de main ?
Dans tout récit l’action est une interruption de l’intrigue. Elle provoque une tension, et l’intrigue reprend dès qu’elle se termine. L’action existe un peu partout, dans la bande dessinée dite franco-belge y-compris, mais toute intrigue qui se veut dense évitera d’en abuser. Elle fournira pour l’essentiel de simples articulations dans la narration de ce qui se noue et se dénoue. Dans le récit super-héroïque, en revanche, l’action (et l’énergie qui est représentée avec) fait partie inhérente de l’intrigue elle-même. Le personnage est l’incarnation d’une force latente qui ne demande qu’à s’exprimer, et qui attend l’émergence du costume pour devenir action, seule entité qui peut résoudre le problème posé. A tel point que la figuration de l’énergie envahira de plus en plus les planches. S’il n’a pas vraiment inventé tous les codes qui posent l’énergie comme élément constitutif des comics de super-héros, il est un dessinateur en particulier qui va entériner cette esthétique.
Dans la période la plus achevée de son travail, l’énergie déborde des pages de Jack Kirby. Les postures des personnages, d’abord ; ils sont continûment comme des ressors tendus, dans la moindre des situations. Faut-il ramasser un stylo tombé au sol ? L’attitude du protagoniste sera celle d’un adepte du plongeon sportif prêt à bondir de son tremplin. Les armes ou les machines, ensuite ; d’une esthétique reconnaissable, elles tirent des rayons tout aussi singuliers, bourrés de petits cercles noirs dont émanent une intensité rare et palpable. Les coups dans les combats au corps à corps, enfin (et surtout !) ; Les traits d’énergie qu’ils libèrent envahissent tout le décor, allant parfois jusqu’à masquer une partie des héros eux-mêmes. C’est là que le King va le plus loin, au point que ses confrères, y-compris lorsqu’ils reprennent des séries qu’il a marquées de son empreinte (John Buscema sur Fantastic Four par exemple), n’osent pas reprendre le motif avec le même degré d’ostentation. Notons cependant que le trait, du crayon ou du pinceau, est quant à lui assuré, maîtrisé, contrôlé avec une application qu’on peut associer à la calligraphie. Il en va autrement dans le travail d’un autre artiste pour qui la « force en action » est également primordiale.
On sait que Frank Miller, débarquant sur Daredevil, va révolutionner la narration séquentielle du genre ; il va aussi y injecter du polar, de la culture nippone, ou encore de la dystopie avec son Batman. Mais allons voir directement ses travaux les plus récents. Ce qui frappe immédiatement à la vue des planches de Holy Terror ou de celles qu’il va réaliser et encrer pour The Dark Knight III : The Master Race (ainsi que les couvertures variantes), c’est la débauche de taches, de projections, de coulures d’encre, techniques qui renvoient au « dripping » et au « pouring » de Jackson Pollock (le peintre n’a pas conçu cette méthode mais il l’a massivement utilisée au point qu’elle est couramment associée à son œuvre). Miller bombarde sa feuille de dessin, il la gratte, il y colle violemment des empreintes, il la balaye de gros pinceaux aux traces fulgurantes ; taches, petits points, traits dans tous les sens, giclées de noir ou de blanc, cet encrage « dirty » porte en lui l’énergie bouillonnante de la gestuelle du dessinateur. Energie encore, énergie toujours ! Mais parle-t-on de la même ?
Soyons clairs, on l’a dit : Jack Kirby n’a pas créé la représentation visuelle de cette énergie à l’œuvre dans les combats de super-héros. Mais il l’a portée à un tel degré de visibilité qu’elle en est devenue capitale. De même, Frank Miller ne fut pas le premier à appliquer les techniques popularisées par Jackson Pollock. Bill Sienkiewicz, notamment, avec qui il a plusieurs fois collaboré, en usait dans ses peintures ou ses encrages. Mais là encore, Miller les a exploitées à un tel niveau de priorité qu’elles sont à présent fondamentales dans son travail. Ceci étant, l’étude des travaux de Kirby et Miller nous aura montré une chose : l’énergie consubstantielle du récit super-héroïque a traversé la feuille de dessin ! Elle est passée, en quelques décennies, du poing fermé du personnage aux doigts serrés du dessinateur. Ce déplacement, cette passation de (super) pouvoir, nous dit peut-être (sûrement ?) quelque chose de l’art, ou même de notre société. Mais cette question-là, bien sûr, est une autre histoire.
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