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Interview: Stéphane Louis, agent double ?

Le dessinateur Stéphane Louis est un  » ami de la famille « , avouons-le. Lui commençait à faire ses premières dédicaces alors que l’équipe de Comic Box vendait ses premiers numéros. Nous sommes un peu  » conscrits « , arrivés dans le même moment et avons même collaboré à l’occasion (nos fidèles lecteurs se souviendront de certains Chocs des Titans qu’il avait illustré en d’autres temps). Aujourd’hui, voici que sa carrière prend un nouveau tournant, à la fois sur le plan des albums  » à l’européenne  » (« Tessa ») mais aussi du côté de quelques aventures américaines (« Darkness »)… Rencontre avec un français qui joue sur les deux tableaux.

Stéphane Louis (mais appelez-le  » Louis « , il préfère) ne manque pas d’occupations en ce moment. Entre son premier album, « Tessa agent intergalactique », qui sort en juin (2004) chez Soleil et 14 pages d’une histoire de Darkness qu’il achève de dessiner, avant de passer, déjà, au tome de 2 de Tessa, ce jeune auteur est presque devenu un ermite enchaîné à sa planche à dessin. Arrivé à l’âge du Christ (33 ans pile poil cette semaine ma bonne dame), nous avons réussi à attirer l’artiste en lui promettant de ne l’éloigner de ses dessins que quelques minutes, le temps du verre de l’amitié. Ensuite ? Et bien lui était tout seul alors que nous étions deux, ne restait plus qu’à le séquestrer un long moment tant qu’il n’aurait pas répondu à toutes nos questions…

CB : Bon, éliminons d’emblée la question inévitable. Quand as tu commencé à dessiner ?

Stéphane Louis : Depuis que j’ai su tenir un crayon je suppose. Je me souviens que le premier dessin qui m’ait valu une bonne note, à l’école primaire, représentait un petit chamois…

CB : OK mais tous les enfants qui tiennent un crayon en primaire ne finissent pas dessinateurs. Non, quand as-tu réellement décidé que tu voulais devenir dessinateur ?

SL : Cette idée, de faire de la BD, est arrivée très vite. Depuis que j’étais gosse en fait. Par contre j’ai vite décidé que je ne voulais pas passer par une école d’art. En passant par ce genre d’établissement, j’étais convaincu qu’on me dégoûterait, qu’on me dirait que la BD n’était pas la voie, que c’était pas sérieux. Et puis il y a avait aussi une pointe d’orgueil de ma part : je m’étais dis que je mettrais peut-être plus de temps que les autres mais que j’y arriverais par mes propres moyens. Et puis comme ça le jour où j’y arriverais, je pourrais dire que j’y serais arrivé tout seul. Bon, maintenant, avec le recul, je me rends compte aussi que ma crainte des écoles était aussi liée à la peur de me planter, de me confronter à des mecs plus doués…

CB : Quelles sont tes artistes de prédilection ?

SL : Mes influences premières, quand j’étais gosse, c’était plutôt Pif, Franquin, Spirou & Fantasio… Les gros nez, quoi, l’école de Marcinelle. Ensuite, mon frère, qui a dix ans de plus que moi, lisait des comics et a commencé à m’en passer. Je devais avoir six ou sept ans. Et comme il achetait quasiment tout, je lisais quasiment tout. C’était l’époque d’Arédit-Artima et de… comment c’était déjà ceux qui éditaient Batman avec des pages en noir et blanc ?

CB : Sagédition…

SL : Mais au niveau comics la plus grosse claque que je me soit pris, c’est le duo John Byrne/Terry Austin (NDLR : entre autres sur les Uncanny X-Men de l’époque, en France dans Spécial Strange). Il y avait tout là dedans, non seulement en matière d’anatomie mais de position des personnages. J’insiste vraiment sur le duo Byrne/Austin parce que Byrne tout seul j’aime moins. Ensuite, après cette période « comics », je suis revenu du côté européen par l’entremise d’albums comme Aquablue. C’était l’époque où Delcourt commençait… J’ai aussi eu, un peu après ça, une dernière phase, qui était Manga celle-là. Quand j’ai ouvert le premier épisode d’Akira j’ai tout de suite vu où des gens comme Vatine avaient été chercher leur expression des mouvements. Ah, tiens, si on parle de mes inspirations, il faut aussi rajouter Maester et sa Sœur Marie-Thérèse (dans Fluide Glacial).

CB : Pour avoir croisé un certain nombre de candidats auteurs en conventions, on a la sensation qu’un critère d’élimination, c’est que certains ont de l’ambition mais peinent à lâcher leur job  » alimentaire  » pour se consacrer à leurs premiers projets de BD. Or, dans ton cas, cette idée de te former tout seul a fait que tu as du te trouver toute une stratégie pour rentrer dans le milieu de la BD. Tu peux détailler, peut-être, histoire que les aspirants-dessinateurs puissent s’inspirer de ta manière de  » percer  » ?

SL : OK. Sachant, donc, que je ne voulais pas passer par les écoles, j’ai vite compris qu’il me fallait entreprendre des études qui me permettraient de manger dans les premières années. J’ai donc pris des cours techniques et je me suis retrouvé prof d’électrotechnique pendant huit ans. Tout en gardant en tête que ce n’était pas mon but final.

A côté de ça, et parce que je ne connaissais encore personne, j’ai commencé à faire circuler un book plein d’illustrations. Mais ça n’a pas marché. En fait même je n’arrivais jamais à l’étape où je pouvais ouvrir ce book. Les gens n’étaient pas intéressés. Alors je me suis tourné vers la voie des fanzines (en particulier ceux traitant de jeux de rôles, comme Le Grimoire) puis de Manga. Avec eux j’ai commencé à aller dans des salons. Puis des  » prozines  » se sont intéressés à moi et ensuite les premiers magazines ont suivis. Ce qui doit nous amener aux alentours de 1996.

Avec les premiers contrats, j’ai enfin pu déposer un numéro de micro-société, pour être dessinateur freelance (par exemple en casant des dessins pour la pub). Tout ça en étant toujours tout seul (et prof). Je ne connaissais pas d’autres dessinateurs. Graduellement j’ai trouvé plus de contrats et j’ai pu enfin me lancer dedans à plein temps en 2000, quand j’ai démissionné de l’enseignement, sans regret.

CB : Tu peux nous expliquer tes premières péripéties dans le monde des comics ?

SL : En fait tout découle d’une édition du festival de la BD d’Angoulème où je me partageais entre deux stands. Et ben… chez vous, le stand de Comic Box, mais aussi l’autre magazine auquel je collabore, Dixième Planète. Ca m’a permit d’être présent à Angoulème cette année là et de rencontrer Tony Larivière, qui édite le fanzine belge l’Inédit. Il m’a du coup invité à participer à son festival, en Belgique et m’a rappelé plus tard en me demandant si, niveau transport, ça gênait de faire le trajet avec l’équipe Semic. C’est là que le contact s’est fait avec Thierry Mornet, le responsable de Semic, qui a apprécié ce que je faisais. Il m’a alors proposé d’illustrer une histoire en dix planches de Phénix, un des personnages du  » semicverse « . OK. Pas de problème. Au début ça devait passer en petit format, en noir et blanc. Seulement, alors que j’étais déjà lancé à la dessiner, Thierry me rappelle pour me dire que finalement ça va paraître en format couleur… et en grand format, dans Strangers. Je ne suis pas super fier de cette histoire. C’est même une casserole que je me traîne et que les habitués de mon forum n’hésitent pas à me rappeler. C’est aussi la première colorisation de Seb Lamirand… Tiens au passage, Seb Lamirand c’est aussi mon coloriste pour Tessa. Il travaille également pour les comics US. Chez Image il a colorisé Venture et Noble Causes…

Enfin bon je ne renie rien. Je parle de « casserole » mais je le dis gentiment parce que certains ont bien aimés. Disons juste que si deux ans plus tard je continuais de faire la même chose, je me poserais vraiment des questions. Tout ce qu’il ne faut pas faire, j’ai trouvé le moyen de le faire sur Phénix. Disons que d’une certaine manière ça a été très formateur…

CB : Ton arrivée dans la BD plus européenne s’est faite quand ?

SL : Mon premier projet de BD en tant que telle date d’un peu plus de deux ans et demi. J’ai alors bossé sur un concept avec Corteggiani. Mais en me mettant à bosser avec lui, presque naturellement et sans y faire attention, je me suis mis à me rapprocher d’un style plus réaliste. Plus proche de ce qu’il avait publié jusque-là mais un peu éloigné de mon propre style. Le projet ne s’est pas fait, mais ça m’a permis de rencontrer Jean Wacquet, de Soleil. A l’époque j’avais déjà commencé à faire quelques pin-ups genre Vampirella pour Semic. Jean est tombé dessus en feuilletant mes dessins et là, ça a vraiment collé. Finalement des choses comme les pin-ups que j’ai pu faire pour Semic ou même les Chocs des Titans que j’ai pu faire pour Comic Box m’ont permis à m’auto-former… Quoi qu’il en soit, ce style (qui était plus  » moi « ) intéressait Soleil. On a alors remis le couvert avec Corteggiani autour d’un deuxième projet qui lui non plus ne s’est pas finalisé. Il a été stoppé net alors que j’étais en train de dessiner la treizième page. Mais c’était pour pouvoir me consacrer à Tessa (avec Nicolas Mitric au scénario), qui est donc l’album que je viens de terminer et qui sortira d’ici quelques semaines.

CB : Combien de temps entre la signature du contrat et la finalisation ?

SL : Et bien j’ai signé en Juin 2003. L’album paraîtra un an après ça.

CB : Tessa est conçue comme une saga à épisodes. A raison d’une telle cadence  » européenne « , même si la saga ne durait que quelques  » épisodes « , cela impliquerait plusieurs années de ta vie. Dans ces conditions tu as intérêt à bien aimer ton personnage…

SL : Tout dépendra, bien sûr, de savoir si le premier tome de Tessa marche ou pas. Mais on sait où on va. C’est effectivement une héroïne récurrente. On fonctionne selon l’idée de « saisons », semblables à celles qui découpent les différentes périodes d’une série TV. Chaque « saison » formerait un groupe de huit albums. Dans le premier Tessa, on lance des pistes qu’on compte exploiter au long de la première saison. A priori (et si tout va pour le mieux, que la série plait), à mon rythme actuel, je pense qu’on pourrait viser à finir la saison 1 de Tessa en 4 ou 5 ans.

CB : 4 ou 5 ans consacrés à Tessa, cela ne va pas te laisser de place pour d’autres projets.

SL : Si, justement. Mon rythme de travail sur un album, maintenant que la série est lancée, devrait se fixer aux alentours de six mois. Entre deux tomes ça me laisserait la place et le temps pour mener des projets courts, et sans doute axés comics, puisque je vise ça aussi. D’ailleurs c’est comme ça que ça c’est passé pour mon histoire de Darkness. Je le fais avant d’attaquer le deuxième tome de Tessa.

CB : A propos, parlons-en de Darkness. Comment cela s’est il produit ?

SL : Et bien après cette « fameuse » histoire de Phénix, j’ai continué à faire quelques pin-ups pour Semic. Disons pour me rattraper après Phénix. C’est comme ça que j’en suis venu à dessiner la variant cover de l’édition américaine de Strangers #6 (Les Strangers, reprenant plusieurs personnages du Semicverse, ont été traduits aux USA par Image Comics). Enfin, à la base, en France, c’est une image qui servait pour la promo de la série et qui est passée au rang de couverture de l’autre côté de l’Atlantique. Ca a été ma première parution américaine.

Je suis retourné bosser sur mon album de Tessa mais c’était un peu au moment où perçaient des projets comme Spawn Simonie ou le crossover Witchblade/Phénix. Thierry (Mornet) m’a demandé un jour si ça m’intéressait de dessiner une couverture pour le numéro de Darkness qui allait paraître en France, et qui partait à la validation chez Top Cow. Et du coup, Thierry a enchaîné en me demandant si entre deux albums de Tessa je n’avais pas le temps de carrément dessiner une courte histoire de Darkness « made in France ». Ca a été un vrai branle-bas de combat mais c’était possible. Nick Meylaender, le scénariste, a donc « pitché » son histoire auprès de Top Cow et nous avons eu l’accord pour une histoire de 14 pages qui sera d’abord publiée en France.

CB : Tu as un intérêt particulier pour Darkness ?

SL : Je lis la série depuis le début. J’aimais bien les premiers épisodes du volume 1. Ensuite ça m’a un peu moins intéressé mais j’ai à nouveau beaucoup aimé à partir du relancement de la série. J’aime bien ce côté très noir et aussi les graphismes de Dale Keown. Mais en terme d’envie de dessiner le personnage, je ne m’étais jamais posé la question. Je n’ai pas le style Top Cow… Quand on m’a proposé l’idée je me suis juste dis « pourquoi pas » et puis finalement je m’éclate bien, avec ce côté « gunfight ». Ca sort quand même un peu du style habituel de Darkness. Je suis curieux de savoir ce qu’en penseront les américains, bien que je ne sache pas encore quand ça paraîtra aux USA.

CB : Est-ce que tu as une sorte de plan de carrière pour définir tes choix en matière de projets comics ?

SL : Mon rêve de gosse c’est de publier des albums à l’européenne mais l’idée de faire des comics vient juste après. Mon but, c’est de vraiment paraître là-bas. Faire des comics qui seraient condamnés à ne pas être traduits ça ne m’intéresserait pas trop. Ici, j’ai déjà des projets comme Tessa. Non, l’Amérique m’intéresse pour y paraître vraiment. Tout en sachant que je n’ai pas l’ambition d’être dessinateur de comics à plein temps, que vu mon emploi du temps je ne peux me que faire des histoires courtes entre deux albums. Faut savoir que j’ai une particularité qui me rend un peu chiant par rapport au format américain c’est que mon style fait que c’est plus pratique pour moi de m’encrer moi-même, ce qui est rarement le cas aux USA je crois… Il faudrait donc que je trouve des projets (courts) où l’on me prend pour le dessin et l’encrage. En parlant dans l’absolu, il y a un personnage que j’ai toujours eu envie de dessiner, c’est Spider-Man. Et juste derrière, Daredevil…

Lancer un creator-owned aux USA ça ne m’intéresserait pas. Quitte à créer des personnages, je préfère le faire pour le marché français. Mais si il y a moyen d’exporter Tessa, j’aimerais bien voir la série traduite là-bas, oui… Mais bon, je vais y aller à la cool, sans urgence, et prendre les choses comme elles se présentent.

[Xavier Fournier & Antoine Maurel]

Pour plus d’informations sur Tessa et les projets futurs de Stéphane Louis, se reporter au site www.tessa.fr.st

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