Locke & Key Saison 1
5 février 2020Vendredi prochain Netflix diffusera la première saison de Locke & Key, l’adaptation du comic-book de Joe Hill et Gabriel Rodriguez. Une version qui doit apprendre à exister sans le style baroque du dessinateur et du coup, sans ce filtre, certaines filiations du scénario deviennent apparentes. Servie par un bon trio de jeunes acteurs, Locke & Key est une série TV généralement sympathique mais qui trébuche sur certains défauts. Nous avons vu les dix épisodes.
La clé du succès ?
Dans les premières minutes, Locke & Key n’est jamais que la énième série télévisée dérivée d’un comic-book à reposer sur un deuil et la découverte de secrets dans une famille dysfonctionnelle. Après Umbrella Academy ou October Faction, c’est en effet au tour de la famille Locke de perdre son père et de revenir dans le fief d’origine. Et d’emblée on constate que c’est une libre adaptation puisque dans le comic-book, la ville ancestrale des Locke a pour nom Lovecraft tandis que dans la version Netflix la voici rebaptisée Matheson, du nom d’un autre auteur lié à l’imaginaire. Concrètement, après l’assassinat de Rendell Locke, sa femme (Darby Stanchfield) et ses enfants Tyler (Connor Jessup, l’ancien Ben Mason de Falling Skies), Kinsey (Emilia Jones) et Bode (Jackson Robert Scott) débarquent dans un manoir déjà étrange… avant même que le petit Bode entende des voix qui le guident vers des clefs aux pouvoirs extraordinaires. Mais Bode entend aussi une sombre créature (Laysla De Oliveira) qui se présente comme son amie…
« Choses étranges »
Gabriel Rodriguez donnait au comic-book une ambiance à la fois poétique et magnifiée qui, forcément, est absente de ce show utilisant des acteurs en chair et en os. On perçoit donc d’une part l’absence de ce que l’artiste amenait à la bande-dessinée. Mais dans le même temps, certaines choses dans les écrits de Joe Hill deviennent beaucoup plus apparentes. Dès les premières scènes, il y a (forcément, pourrait-on dire) une ressemblance avec l’œuvre du père de Hill, Stephen King lui-même. Ce grand manoir et ce gamin qui y emménage à quelque chose de Shining. L’idée d’un méchant métamorphe arrive aussi à l’écran quelques semaines après le début de la diffusion de The Outsider. Le voisinage avec l’imaginaire de King est donc manifeste. Mais assez rapidement la dynamique de groupe de la famille Locke prend le dessus. Cette histoire d’adolescents cherchant des clés pour pouvoir combattre le monde des ombres a, aussi, quelque chose de Stranger Things. Même si la comparaison avec cette dernière série est devenue un lieu commun dès lors qu’il s’agit d’adolescents confrontés au Fantastique, il n’en reste pas moins qu’on comprend très bien que Netflix espère viser la même cible.
De retour sur l’île ?
Pourtant ces influences s’estompent à mesure qu’on progresse dans la série et qu’on se rend compte que le showrunner Carlton Cuse est en train de se servir d’éléments déjà présents dans le comic-book pour nous rejouer un air connu. Celui de Lost. Et rien à voir (ou si peu) avec le fait que cette autre série comptait parmi ses personnages un certain John Locke, non. Mais l’ennemie ténébreuses affrontée ici par les trois enfants Locke se rapproche sérieusement de « l’Homme en noir » de Lost. Mêmes propriétés métamorphes, même tendance à prendre l’apparence des morts, même rapport avec des créatures d’ombres et même volonté d’ouvrir un passage vers une sorte d’enfer. Pour un peu, on pourrait croire que tout cela se passe dans la même continuité. Sachant qu’en 2011, dans un pilote de Locke & Key commandé par une autre chaine, le rôle de Rendell Locke était tenu par Mark Pellegrino (l’ex-Jacob de Lost) on est passé pas loin de quelque chose qui aurait ressemblé à une fusion entre les deux univers. Locke & Key, la série TV, sonne donc comme un remix laissant apparaître bien des influences, un remix qui se permet d’ailleurs d’alterner des scènes parfois très fidèles et des réinventions plus éloignées du comic-book.
Sympa mais…
Contrairement à ce qui se passait avec October Faction, où les enfants de la famille étaient le point faible de la série, autant dans leur écriture que par le jeu des acteurs, ici les trois ados portent la série vers le haut. On a l’impression de les voir grandir, changer, alors qu’ils acceptent leurs responsabilités. C’est presque la situation inverse : le personnage de la mère apparait traverse parfois la même pièce qu’eux mais en trouvant rarement le moyen de s’imposer, à l’exception notable du passage du meuble et de la tasse. D’un autre côté, Nina Locke est écrite comme une mère de famille paumée, que ses enfants doivent gérer, et on ne peut guère faire le reproche à l’actrice d’aller dans ce sens. On sympathise avec Bode, Tyler et Kinsey (d’autant plus que ces deux-là ont une part d’ombre) et cette empathie avec les personnages qui fait qu’on traverse la plus grande partie de la série en faisant fi de certains moments caricaturaux.
…Peut mieux faire
Malheureusement cette sympathie ne justifie pas tout. Contrairement au comic-book, les choses sont beaucoup moins expliquées et certains enjeux pas loin d’être inexistants. Du coup parfois les décisions des héros peuvent sembler très arbitraires, voire à peine cohérentes. Mais surtout le soufflé retombe quelque part à un moment du neuvième épisode pour ne guère redécoller pendant le dixième et dernier. Le plan ultime de la « fille du puit » n’a pas grand sens. Elle prépare une supercherie qui supposerait qu’elle connaissait à l’avance ce qu’allait faire Bode. Et on ne comprend guère ce qu’elle gagne à ne pas frapper immédiatement. Bref, la méchante de la série devient quelque chose de flou et caricatural, perdant beaucoup du charisme exploité dans les épisodes précédents. Même chose pour le double de Kinsey, qui apparaît quand ça arrange mais qui n’est plus du tout mentionné par la suite, cet élément ne trouvant aucune résolution. Le capital sympathie de la série s’effondre sur ces deux derniers épisodes, totalement expédiés. Pour revenir en seconde saison, Cuse et sa bande devront sérieusement muscler les choses et nous donner mieux que ce final simpliste.
Locke & Key (la version TV), c’est un peu comme les montagnes russes. On démarre bas, en n’attendant pas grand-chose, puis on se prend au jeu, malheureusement le bouquet final fait bien pauvre.
[Xavier Fournier]
4.5