Ce week-end était consacré au visionnage de l’intégralité de la fin de Marvel’s Luke Cage (après que Netflix nous ait permis de voir les premiers épisodes et de rencontrer une partie du cast). Cette seconde moitié de la série achève d’installer Cage comme un personnage positif, moral et sympathique à la fois, à plus forte raison parce qu’il doit passer à travers un cycle de souffrance. Une série très sympa en effet. Mais par moments le scénario n’est pas à la hauteur.
Après 7 épisodes à avoir ravagé les dépôts de la pègre et en résistant aux balles façon même pas mal, Luke Cage tombe sur un os. Ou plus exactement sur des balles blindées capables de traverser sa peau et d’exploser dans ses organes. Après une première partie où les choses semblaient relativement faciles pour lui, on arrive au stade de l’épreuve. Cage, blessé, promène sa douleur dans les rues d’Harlem puis finira pour sortir de la ville pour « renaître », en jetant un éclairage sur l’origine de ses pouvoirs. Il y a quelque chose de presque messianique, d’ailleurs, dans cette mort apparente puis ce retour serein, en possession de ses capacités et avec des idéaux renouvelés. Cage, c’est un peu un prophète de la rue. Fortuitement ou pas, une autre image biblique vient se superposer dans les épisodes restants, celle de Cain et Abel. Le coup du type indestructible cherchant à apporter un peu de tranquillité à son quartier et à venger Pop devient ici une sorte de parcours initiatique. Ces treize épisodes ne s’intéressent pas réellement à la manière dont Cage a reçu ses pouvoirs. Ils en parlent, rassurez-vous, ils n’évacuent pas la question, mais le point d’intérêt c’est comment Luke Cage fini par accepter ses responsabilités au sein de la communauté, comment il lui faut arrêter de se cacher pour mieux faire face.
C’est sans doute ce qui explique que le Dr. Noah Burstein soit montré sous un jour nettement moins positif que dans les comics. Si dans les deux cas il s’agit d’un scientifique qui expérimente sur des bagnards et que cela soulève des questions, dans les comics ce personnage devient un vrai allié, une sorte de figure paternelle pour Luke Cage. Ici, le Burstein de l’écran est au-delà de la moralité, il aide Cage parce que cela va dans le sens de ses expérimentations mais, on le comprendra, il « aiderait » n’importe qui de la même façon si cela servait ses recherches. En un sens, ce Burstein est plus prêt du projet Weapon X (d’ailleurs des images de bains de produit font que le rapprochement visuel avec les origines de Logan est assez facile à faire). Si Burstein prend du retrait, Claire Temple prend au contraire du galon par rapport à ses précédentes apparitions dans des séries Netflix. Elle reste celle qui soigne (comme pour Daredevil et Jessica Jones). Mais celle qui est le principal fil rouge unissant les trois séries existantes a ici le temps d’écran qu’elle n’a pas eu auparavant. Normal, puisqu’à l’origine Claire est un personnage apparu dans le comic-book de Cage. Mais ici elle n’est pas qu’un service d’infirmerie ambulante. Elle participe au premier rang, est un soutien moral et logistique du héros. Plus qu’une sidekick, c’est une véritable partenaire. Le lecteur de comics sera juste un peu irrité par le fait qu’elle place de temps à autre un « je connais un très bon avocat en cas de besoin ». On aurait envie de lui dire, prend le téléphone et dis-lui de venir en rouge, là ça urge. Misty Knight passe à un autre plan, mais revient cependant à la pertinence via un discours et le « double-standard », le fait qu’elle a plus de choses à prouver parce qu’elle est une femme au sein de la police. Pour le coup, cependant, vu qu’elle passe la saison sous la direction de deux femmes, l’argument, pertinent dans la vie de tous les jours, est ici mal placé.
Niveau méchants, la seconde partie de la saison à l’avantage de se débarrasser de Cottonmouth, un personnage dont on sent bien qu’il était arrivé au bout de ses capacités. Et même si l’idée, vers la fin de son intrigue, est bien de nous le vendre comme un garçon mélomane qui ne voulait pas vraiment finir dans la pègre mais à qui sa famille n’a pas laissé le choix, l’impression qui demeure est que le dit Cottonmouth n’est pas du tout compétent. Au point que si l’on y regarde bien c’est lui-même qui précipite sa chute en tentant maladroitement de supprimer un flic. Luke Cage ne serait pas là, qu’il finirait à peu de choses près dans la même situation finale. Pourquoi revenir sur Cottonmouth alors que l’on parle des épisodes ultérieurs ? D’abord parce que dans un premier temps cela permet de mesurer l’apport de l’entrée en scène de Diamondback, au demeurant (en tout cas au début) moins clinquant et plus dangereux. D’ailleurs on peut faire la comparaison entre la scène où Cottonmouth attaque Cage au lance-roquette et celle où Diamondback poursuit le même Cage à coup de fusil et de balles spéciales. La dangerosité est toute autre. Bien, très bien. On déduit donc que Cottonmouth n’était donc que l’entrée et que Diamondback est le plat de résistance, que le premier n’était là que pour servir de marchepied à l’apparition du second.
Et c’est vrai que dans une première phase, Diamondback représente un changement de niveau. Son côté meurtrier jovial, sourire en coin, préférant les chemises ou les vestes violettes et surtout la manière qu’il a de s’incruster à un conseil des boss de la pègre en ne laissant pas grand-monde debout, tout ça fait qu’on dirait que les auteurs ont voulu en faire le Joker de Luge Cage. Il y a une ambition. Par contre elle s’effiloche au fil des épisodes. Diamondback, type dangereux et imprévisible, qui frappe dans l’ombre, décide d’un coup qu’il va s’afficher au balcon du club pour écouter de la Soul. Il prend essentiellement la place de Cottonmouth et hérite alors d’une partie de ses défauts. Pourquoi ? Parce que sinon, s’il n’était pas en vue, le scénario serait incapable d’expliquer comment et pourquoi Luke et Misty pourraient retrouver ce type qui ne laisse pas de trace. D’ailleurs c’est bien simple, Luke est absent de NY quand Diamonback devient la figure du club… mais il y fonce « instinctivement » sachant on ne sait trop comment qu’il le trouvera là. Et comme Luke et Misty sont là, Diamondback perd inversement toute idée de plan structuré, se met à tirer dans tous les sens, ce qui revient à piétiner tout ce qui mettait en danger la réputation de Cage et à se retrouver dans une situation dangereuse. Cerise sur le gâteau, alors que la police est dans la place et que Diamondback est à quelques secondes de se faire arrêter, un de ses hommes trouve utile de lui montrer qu’il y a un passage secret pour échapper à l’arrestation. Si le même homme avait eu la présence d’esprit de signaler la chose quand Misty montait les escaliers, c’est tout le déroulement de l’histoire qui aurait basculé. Le Harlem’s Paradise est à cette série ce que le club de Fish Mooney est à la première saison de Gotham, tous les protagonistes se lançant dans une enquête y défilent, même s’ils ne savent pas pourquoi.
Des clichés et des facilités dans des séries TV en général (et dans certains passages de Daredevil ou Jessica Jones), on en a vu ailleurs et on n’a pas fini d’en voir. Mais à la vision de cette série, quand même, il y a des passages où on fait machine arrière pour revoir telle scène en se demandant vraiment pourquoi, de manière régulière, les bad guys semblent faire exprès de marquer un but contre leur camp. A un moment les scénaristes eux-mêmes semblent réaliser qu’ils n’ont pas été très généreux en neurones pour leurs gangsters, c’est alors que le personnage de Shade monte en puissance, avec des questions tellement évidentes (« euh chef, c’est normal qu’on n’ait pas de plan ? » qu’elles nécessitent d’être dites à voix haute, façon « non mais vous inquiétez pas c’est fait exprès, on a pensé les personnages comme ça ». Et vers la fin, effectivement, deux figures de la pègre locale s’en tirent avec les honneurs, mais c’est vraiment de justesse. Et inversement cette pirouette finale fait que pendant Luke Cage, lui, gagne une victoire à la Pyrrhus mais qu’il a justifié son rôle dans un dialogue poignant au milieu du commissariat (« vous travaillez dans le système alors vous pouvez pas avoir tous les résultats désirés, il faut aussi quelqu’un comme moi en dehors du système ») ben… au final il y a bien de la crapule toujours en charge du Harlem’s Paradise (et donc par extension, racket, vente d’armes, de drogue…) et on peut donc se demander en quoi la vie des gens a vraiment été changé. Il y a aussi des réalisations parfois peu subtiles, comme quand on voit un pilier dans le champ et qu’on se dit « ça à tous les coups il est placé ici pour que Luke Cage le défonce ». Et le temps de se dire ça, le personnage le fait à l’écran.
Mais la série réussit cependant son but premier, qui est d’installer le héros et de terminer sa construction morale. Globalement on a la sensation que le Luke Cage montré ici est bien plus puissant que celui croisé dans Marvel’s Jessica Jones (un tir à bout portant le plongeait dans le coma alors qu’ici ses démonstrations de force et de résistance sont bien supérieures). Inversement, ce n’est pas la série violente, 100% action, que certains auraient pu faire. Mais c’est plutôt bien vu. L’essentiel des gestes de Luke sont défensifs. Il a plus tendance à jeter les gens au loin qu’à leur décrocher un uppercut (sauf vraiment dans une ou deux situations où l’adversaire lui oblige). Luke Cage n’est pas un fou de la castagne, n’y prend pas plaisir. Ce n’est pas non plus un bonze bouddhiste mais, dans la mythologie Marvel ciné/TV, il apporte un caractère qui n’existait pas. L’importation du concept à l’écran est donc, sous l’angle du respect de l’âme du personnage, une réussite. Mais on espère que lors d’une éventuelle deuxième saison les « méchants de service » seront un peu repensés. Reste aussi à savoir si les pistes restées en suspens, si le sort de Luke, de Misty ou de Claire devra attendre Marvel’s Defenders, une seconde saison de Marvel’s Luke Cage ou bien si elles réapparaitront d’ici là dans Marvel’s Iron Fist…
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