Mort de Diana Rigg, actrice… et égérie des comics
10 septembre 2020Diana Rigg (l’ex-Emma Peel de Chapeau Melon et Bottes de Cuir ou plus récemment Olenna Tyrell dans Game of Thrones) vient de s’éteindre à l’âge de 82 ans. Bien qu’elle n’ait pas été autrice de comics, elle a été pendant plusieurs décennies une véritable source d’inspiration pour bien des sagas devenues des classiques.
L’actrice britannique Diana Rigg est née en juillet 1938, pratiquement synchrone de l’apparition de Superman. Et pourtant au demeurant bien peu de choses semblent la relier à l’univers des comics. Brillante comédienne au théâtre, sa notoriété explose en 1965 quand elle rejoint la série TV anglaise The Avengers (traduite chez nous sous le titre « Chapeau Melon et Bottes de Cuir », succédant à la blonde Honor Blackman. Les producteurs avaient d’abord engagé une autre actrice, Elizabeth Shepherd, pour incarner Emma Peel. Mais au bout de quelques tournées ils se ravisent, préfèrent demander à Diana Rigg de reprendre le rôle de Peel, de retourner les scènes déjà jouées par Shepherd et de s’installer véritablement dans la série. Leur inspiration est bonne. Devenue l’athlétique agent secret Madame Peel, Diana Rigg change l’alchimie de la série et forme un tandem renouvelé avec John Steed (Patrick Macnee) pour une série d’action à l’humour « so british ».
Dans les coulisses, cependant, tout n’est pas rose. On est avant la « Libération de la Femme » et le « plafond de verre » est encore plus présent qu’aujourd’hui. Un jour Diana Rigg apprend qu’elle est moins payée que les cameramen. Elle menace de partir et les producteurs sont contraints de renégocier son salaire à la hausse. Rigg ne tourne que dans deux saisons de Chapeau Melon et Bottes de Cuir (plus le premier épisode de la saison suivante, pour passer le relais à sa remplaçante). Elle laisse la place en 1967, pour s’aventurer au cinéma (notamment devenir une James Bond girl dans Au service secret de Sa Majesté). Deux petites saisons puis Emma Peel s’en va, donc, après avoir retrouvé un mari qui, semble-t-il, ressemble étrangement à Steed. Diana Rigg passe ensuite à autre chose. La série aussi, puisque Linda Thorson, « Tara King », la remplace au côté de John Steed.
La seule allusion directe à la BD que le show se permet à l’époque d’Emma intervient en février 1967, dans le sixième épisode de la saison cinq, quand Steel et Peel affrontent un tueur costumé qui s’inspire d’un personnage de bandes dessinées, le « Winged Avenger ». A l’inverse, bien sûr, la popularité de Chapeau Melon et Bottes de Cuir lui vaudra d’être adaptée en BD aussi bien en Angleterre qu’en France (parmi les choses les plus incongrues, on peut citer un épisode paru en 1974 dans lequel Pif Gadget Diana Rigg rencontre Jean Richard (il y a d’autres adaptations françaises mais ce n’est pas le propos de notre site). Aux USA John Steed et Emma Peel apparaissent dans leur propre comic-book, publié par l’éditeur Western, dès 1968.
Entretemps Emma Peel/Diana Rigg est devenue une icône pop, une femme d’action à une époque où la libération de la Femme reste une abstraction. Le personnage va rapidement faire des petits et inspirer les comics. A l’époque les ventes de Wonder Woman sont en perte de vitesse et l’héroïne en petite culotte étoilée est alors accusée de ne plus être synchrone avec la réalité du féminisme.
En 1968, le scénariste/dessinateur Mike Sekowsky pilote donc une refonte profonde. En l’espace de quelques épisodes Steve Trevor, le chéri de Wonder Woman, est éliminé. Et l’amazone, elle, perd tous ses superpouvoirs. Désormais en costume de ville, cette autre « Diana », la « New-Look Wonder Woman », apprend alors les arts martiaux et devient une aventurière plus proche des récits policiers. Dans Wonder Woman: The Complete History, de Les Daniels, Sekowsky explique avoir été fasciné par Diana Rigg.
S’il y avait eu une série télévisée Wonder Woman à la fin des années soixante, Diana Rigg aurait été parfaite pour incarner le rôle phare, donc. Mais ce n’est pas le seul rôle qu’elle aurait pu briguer. En 1970, dans Amazing Spider-Man #86, Stan Lee et John Romita Senior relookent à leur tour le personnage de Black Widow.
Avant, la « Veuve Noire » portait un costume baroque fait de dentelle violette. Dans l’épisode de Spider-Man elle troque pour la première fois cette tenue pour une combinaison moulante noire. Si le dessinateur John Romita Senior a expliqué s’être inspiré de la combinaison de Miss Fury, personnage du Golden Age, l’air de famille entre la « nouvelle » Black Widow et Emma Peel est incontestable.
L’ombre d’Emma Peel plane encore plus loin, plus tard, dans l’esprit de créateurs qui ont regardé « Chapeau Melon » dans leurs jeunes années. Ainsi chez les X-Men la saga du « Hellfire Club » (le Club des Damnés en VF) produite par Chris Claremont et John Byrne est directement inspiré d’un épisode de la série TV, « A Touch of Brimstone » (vingt-et-unième épisode de la saison 4).
Emma Peel y tombait sous la domination mentale d’une société secrète un tantinet SM et enfilait un costume noir fétichiste, adoptant le surnom de « Queen of Sin ». Voyons, où avons-nous retrouvé cela…
Chez les X-Men, c’est Jean Grey qui est contrôlée par le Hellfire Club, portant un costume similaire au moment où elle devient la Black Queen. Pour parfaire l’hommage, on expliquera plus tard (X-Men: Hellfire Club #2, 2000) que le Hellfire Club est une société secrète d’origine anglaise et que la première Black Queen était une certaine Diana Knight (Emma est mariée à un monsieur Peel mais son nom de jeune fille est… Knight), acoquinée avec Sir Patrick Clemens (fusion des noms de Patrick Macnee et du scénariste de la série TV Brian Clemens). John Byrne, parti plus tard chez DC, n’en oublie pas pour autant Steed et Peel. Tous les deux réapparaissent dans Superman #13 (1988) en « guests » discrets, venus d’Angleterre pour prévenir le surhomme d’un danger.
En 1990, c’est Grant Morrison et Ian Gibson qui ramènent John Steed et Emma Peel dans leur propre série officielle, chez Eclipse/Acme Press. Entretemps les Avengers de Marvel ont pris un autre poids, impossible de sortir une BD « The Avengers » et la minisérie portera donc le titre Steed and Mrs. Peel. En 2003, Emma Peel/Diana Rigg apparaît parmi de nombreuses célébrités anglaises dans Simpsons Comics #87, écrit par Ian Boothby.
En 2012 « Steed and Mrs. Peel » étaient revenus chez Boom Studios, avec entre autres choses des épisodes scénarisés par Mark Waid. Plus cocasse, en 2017 la minisérie Batman ’66 Meets Steed and Mrs. Peel faisait se rencontrer les aventuriers anglais avec la version TV sixties du chevalier noir. Mais on comprend bien que si les adaptations officielles sont intéressantes, ce sont les versions inspirées, pastichées, détournées d’Emma Peel qui ont le plus donné aux comics. D’un tournant important de Wonder Woman au look définitif de Black Widow en passant par la Reine Noire des X-Men, il faut aussi compter avec la Ligue des Gentlemen Extraordinaires d’Alan Moore et Kevin O’Neill où les auteurs utilisent Emma Peel, rebaptisée « Emma Night » comme personnage régulier à partir de l’album Century: 2009. Il y a aussi des personnages à la croisée de James Bond et de Black Widow, telle que la Velvet d’Ed Brubaker et Steve Epting qui doivent, au moins de façon indirecte, certaines choses à Diana Rigg.
Diana, restée actrice jusqu’au bout, n’a pas écrit ou dessiné un comic-book. Mais elle a inspiré certains des plus grands auteurs, façonné la parcours de plusieurs créations. Et il n’est pas dit que ses avatars ne continuent pas d’apparaître dans les années à venir.
Cela valait bien un hommage, pas seulement au personnage qu’était Madame Peel mais aussi à la femme qui a su lui donner cette étincelle, ce petit plus, étincelle qu’elle continuait d’avoir à 80 ans passés, comme les spectateurs de ses projets récents le savaient…
« Comic-Box,you’re needed ! »
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