Oldies But Goodies: Action Comics #60 (Mai 1943)

[FRENCH] Au début des années 40, Superman n’avait pas de « dérivé ». Superboy ou Supergirl n’existaient pas encore. Alors que Batman avait au moins Robin, que Captain Marvel (Shazam) avait toute une famille, Superman semblait trop extraordinaire pour être dupliqué. Jusqu’à ce que Jerry Siegel se décide à créer la première « Superfemme » : Superwoman !

Il est difficile de savoir si Jerry Siegel, le co-créateur de Superman, l’avait pensé dès le début comme un héros qui allait durer au delà de quelques mois, voir de quelques années. Ce qui est certain c’est que, passé quelques temps, Siegel commença à avoir du mal à renouveler les situations au sein des aventures de Superman et qu’il proposa aux responsables éditoriaux de DC Comics de repenser un peu la formule à différents niveaux. Un des changements envisagés par Siegel était le K-Metal, un métal venu de Krypton (sorte de prototype de la Kryptonite), qui aurait la capacité de priver Superman de ses pouvoirs. Mais en plus haut lieu on refusa cette invention, les éditeurs de DC pensant que ce qui faisait le succès de Superman était justement ses pouvoirs et qu’il était impensable de l’en priver, de peur que le public n’apprécie pas. Bien sûr, quelques années plus tard DC Comics injecterait (cette fois sans la collaboration de Siegel) la Kryptonite dans le mythe, trouvant l’idée lumineuse. L’autre idée de Siegel était de faire évoluer Lois Lane, l’éternelle amoureuse de Superman, pour lui donner un rôle qui tiendrait moins de la potiche, qui ferait d’elle une vraie compagne du héros. Siegel avait pensé à l’impensable : Il voulait, déjà, que Lois découvre la double identité de Clark Kent/Superman et qu’elle l’aide de manière plus active dans ses aventures. Ce qui dans un sens n’est pas surprenant.

Le personnage de Lois Lane devait probablement beaucoup (à commencer par le nom) à Margo Lane, compagne du Shadow (le héros de feuilleton radio et de pulps) créée dans les années 30. Comme Lois, Margo était une alliée espiègle, curieuse, capable de mettre son nez partout et qu’il fallait sauver de temps à autre. Mais il y avait une situation curieuse : Dans les romans Margo Lane était une insupportable chipie qui tentait de découvrir l’identité du Shadow (donc assez raccord avec le comportement de Lois à partir de 1938) tandis qu’à la radio elle était dans la confidence et se comportait de manière plus mûre. Cerise sur le gâteau, Margo Lane était une jeune femme riche qui n’avait pas besoin de travailler… mais se faisait à l’occasion passer pour une journaliste pour mieux fouiner sans attirer l’attention. Une journaliste du Globe, alors qu’il se dit que dans un premier temps Siegel avait voulu nommer le journal employant Clark Kent et Lois Lane le Daily Globe (avant d’opter pour « Daily Star », puis de corriger le tir en « Daily Planet »). Margo et Lois étaient donc incroyablement proches… au point qu’on peut se demander comment, dans les moments où DC Comics a parfois publié des comics basés sur le Shadow, on n’a pas eu droit à l’établissement d’un lien entre les deux Lane (sans doute que les propriétaires du Shadow ne voulaient pas trop fondre leurs personnages dans l’univers DC et qu’inversement l’éditeur de BD ne voulait pas officialiser que Lois était une copie) [1]. Mais en définitive la volonté de Siegel de faire monter Lois en puissance et de lui révéler l’identité de Superman fut, elle aussi, refusée.

En 1943, à la lecture d’Action Comics #60, il faut croire que Jerry Siegel commença à jongler avec une autre idée. Si amener Superman au niveau d’une « simple mortelle » (que ce soit en lui faisant perdre temporairement ses pouvoirs ou en lui faisant partager son secret), alors peut-être qu’il était possible de renverser la vapeur. C’est à dire non pas d’amener Superman au niveau de Lois mais bien de faire monter la jeune femme d’un ou deux échelons… En lui donnant à elle aussi des superpouvoirs !

D’ailleurs la première page de l’histoire qui nous intéresse ici est assez explicite. Superman, attaché à une sorte de bloc de béton par un savant fou, regarde Lois, habillée dans une version féminine de son costume, en train de battre la menace. Le héros, impuissant, bredouille alors « Mais ce n’est pas à toi de me sauver ! ». Et la jeune femme (ou plus exactement la jeune « superfemme ») rétorque d’un ton moqueur « Ah bon ? Regarde bien ! ». Le narrateur, lui, va enfoncer le clou : « Depuis des années Clark Kent, sous son identité de Superman, a sauvé Lois Lane de multiples périls… Et tout ce temps Lois a toujours joué le rôle de la demoiselle en détresse. Mais les femmes sont des êtres imprévisibles. Pouvez-vous imaginer ce qui se passerait si Lois se retrouvait soudainement pourvue d’une super-force ? Vous avez raison… TOUT pourrait arriver ! Et si vous voulez le voir par vous même, lisez l’aventure intitulée « Lois Lane – Superwoman ! ».

A l’époque la formule amoureuse de la série a déjà bougé un peu. Dans les premiers épisodes d’Action Comics, Clark Kent faisait semblant d’être un balourd pas seulement pour déjouer les soupçons mais aussi d’une certaine manière parce qu’il se moquait d’elle et avait décidé qu’elle serait digne de lui le jour où elle aurait compris la supercherie. En 1943, la situation avait changé de manière à ce que Clark Kent désire visiblement Lois tandis que celle-ci le toisait. La première case de l’histoire l’illustre d’ailleurs très bien : Alors que Lois et Clark marchent dans la rue, l’homme se fait pressant : « Lois, désolé d’insister mais est-ce que tu ne vas pas finir par me dire une fois pour toutes si tu tiens à moi ? ». En mode pimbêche, Lois lui répond : « Je t’aime bien Clark. Mais comment pourrais-je vraiment tenir à un homme comme toi alors que je suis en contact avec quelqu’un d’aussi confiant, franc et rassurant que Superman ! Je tiendrais à toi le jour où tu seras comme Superman. Autant dire jamais ! ».

Plutôt que de lui dire la vérité, Clark s’en tient aux apparences et persiste dans le rôle du simple humain : « Tu n’es pas juste. Aucun être humain ne pourrait tenir la comparaison avec Superman. Je n’ai pas plus de chance de devenir Superman un jour que tu en as de devenir Superwoman ! ». Vexée, Lois décide alors de planter là celui qu’elle considère comme inopportun. Mais dans sa hâte elle traverse sans regarder… Et se fait renverser par un camion. Clark, fou d’inquiétude, se précipite à ses côtés (on se demandera juste pourquoi il n’a pas été capable d’agir avant que le camion la frappe). Inconsciente et gravement blessée Lois est transportée à l’hôpital, avec Clark toujours qui se tient à ses côtés, toujours très inquiet : « Elle a l’air si pâle, si fragile… Et elle ne serait pas blessée si je ne l’avais pas poussée à traverser la rue… ». Bientôt un docteur entre dans la pièce. Mais il n’est pas porteur de bonnes nouvelles : « J’ai peur que ce soit une commotion cérébrale… et d’un genre extrêmement mauvais… Personne ne peut l’opérer en dehors du Docteur Michelson, qui vit près de Randallton. Mais il semble avoir disparu. Personne ne semble l’avoir vu depuis des jours.

Il n’en faut pas plus pour que Clark Kent s’éclipse, monte sur le toit de l’immeuble et se change sans grandes précautions (il faut croire qu’une sorte de sens d’araignée est capable de le prévenir que personne d’autre n’observe depuis un des immeubles voisins). Sans doute est-il autrement préoccupé : « Lois… Mourante ! Sans elle ma vie ne vaudrait pas la peine d’être vécue ! Je dois trouver ce docteur qui a mystérieusement disparu… Et je le trouverais ! » Et Superman s’élance à la recherche du Docteur Michelson. Plus tard, Lois est entourée par l’équipe médicale qui l’entend murmurer le nom de Superman. Un gros plan la montre comme entourée d’astres et d’étoiles. Dans la case suivante, enfin, elle se réveille. Un docteur s’affaire près d’elle et de… Superman. Le super-héros est en effet couché sur un lit voisin. Le médecin explique alors à Lois qu’elle vient de subir une transfusion sanguine et que c’est… Superman lui-même qui s’est porté volontaire. Le kryptonnien tente alors de la rassurer, lui explique qu’elle sera sans doute capable à nouveau de se lever d’ici quelques semaines…

Mais Lois ne l’entend pas de cette oreille (d’ailleurs il est bien connu qu’il suffit de lui conseiller quelque chose pour qu’elle se précipite pour faire le contraire). Elle se redresse sans attendre et le docteur est stupéfait de sa vitalité. Superman, lui, voit du sens : « Il n’y a qu’une explication : Mon sang a d’étranges propriétés. Il pourrait avoir provoqué une cure miraculeuse ! ». D’ailleurs c’est un fait établi depuis 1940 (Superman #6), dans lequel Clark Kent sauvait plusieurs malades (dont Lois) via une transfusion sanguine : la guérison était immédiate et miraculeuse, installant le fait qu’une simple goutte de sang de Superman pouvait sauver n’importe qui. Le seul mystère, dans Superman #6 comme ici, c’est où trouver l’aiguille assez dure pour percer la peau du héros. Ici, cependant, les effets ne vont pas tarder de se montrer plus spectaculaires.

Plus tard, à la sortie de l’hôpital, Clark Kent voit son amie sortir : « Lois ! Que fais-tu hors de ton lit ? ». Mais Lane lui répond qu’une femme qui travaille ne peut pas se permettre de rester longtemps loin de son poste. Au journal, cependant, l’accueil n’est pas aussi chaleureux qu’on pourrait s’y attendre. Leur irascible rédacteur-en-chef ne voit qu’une chose… Où est le reportage qu’on lui a promit depuis plusieurs jours ? Clark tente alors de prendre la défense de Lois, en expliquant qu’elle sort tout juste d’un terrible accident. Lois, elle, n’est pas impressionnée : « Laisse le râler, Clark. Je suis revenue au bureau pour travailler de toute façon. Je vais écrire mon article tout de suite… ». Sauf qu’une fois seule dans son bureau, après avoir inséré des feuilles dans sa machine à écrire (une machine à écrire, chers enfants du vingt-et-unième siècle, c’était comme un clavier d’ordinateur sans écran où l’imprimante était intégrée mais actionnée par un système de touche, un ingénieux système qui fonctionnait sans électricité et sans besoin de se connecter au Wifi) Lois est sidérée. Dès qu’elle tape les premières lettres de son article, la machine à écrire… tombe en miettes !

Étonnée, Lois Lane se lève et prend appui sur son bureau. Mais il est projeté à l’autre bout de la pièce. Lois comprend alors : « Il doit y avoir une explication. Qu’a dit Superman ? Que son sang avait d’étranges propriétés ! Est-il possible que j’ai hérité de sa force ? ». Mais à ce moment là des ouvriers sortent d’une autre pièce. On les a chargés de porter un meuble trop lourd. A quatre, ils n’y arriveront pas. Ils décident donc d’aller chercher de l’aide (et bien sûr passent devant Lois sans s’adresser à elle puisque par « aide » il faut comprendre des bras forts et donc des bras d’homme, dans la mentalité de l’époque). Lois a alors une idée. Elle s’introduit dans cette autre pièce et… soulève le meuble sans le moindre problème. Quand les ouvriers reviennent, ils sont surpris de voir que le meuble est maintenant de l’autre côté de la salle. Ils se demandent qui a pu le bouger… Et Lois leur dit que c’est elle. Mais ils en rient. Comment, elle, pourrait-elle avoir réussi là où quatre hommes ont échoué. Lois ne se démonte pas : « J’ai l’explication la plus naturelle au monde ! Voyez-vous gentlemen je suis une Superwoman ! Ma force est au delà de tout ce qui est possible et mon courage est sans limite ! ». Sauf qu’à ce moment-là une souris traverse la pièce et Lois, paniquée, saute sur une chaise en hurlant. Pour les ouvrier c’est une preuve que tout ce qu’elle vient de dire est un délire : « Ha ha ! Et elle ose se qualifier de Superwoman ! Elle est bien bonne celle-là ! ».

Lois décide de ne plus rien dire de ses nouvelles capacités. En fin de journée, alors qu’elle va pour rentrer chez elle, elle fait signe à un taxi. Le chauffeur, en descendant pour lui ouvrir la porte, lui dit « Vous avez de la chance que je vous ai vu, ma petite dame. De nos jours les taxis se font rares ! ». Mais Lois est prise d’une inspiration subite. Pourquoi devrait-elle prendre un taxi alors qu’elle connait un moyen plus rapide et plus économique ? Quand le chauffeur se retourne pour la laisser entrer dans la voiture… Il n’y a plus personne ! En fait Lois est dans le ciel ! « Bon sang ! C’est vrai ! Je peux tout faire comme Superman ! ». Elle entre chez elle par la fenêtre, sans être vue, et surprend une femme (sans doute sa mère) qui ne l’avait pas entendu entrer. Lois noie le poisson en expliquant qu’elle est entrée par la porte mais ne voulait pas faire de bruit pour ne pas la déranger. Isolée dans sa chambre, elle se précipite alors pour se coudre un uniforme : « Si tout ça est vrai, alors je dois me créer un costume pour mes aventures. Ce qui est bon pour Superman est bon aussi pour moi ! ». Quelques instant plus tard, elle peut s’admirer dans une glace : « Voilà ! Prête à de nouvelles aventures, à des sensations et de la romance, tout ça en étant… SUPERWOMAN !!! ».

Le costume de la nouvelle Superwoman évoque principalement une version féminisée de celui de Superman. A ceci près que ses bras sont nus, qu’elle porte des gants rouges et une jupe bleue là où Superman a son traditionnel slip rouge. L’autre élément qui change, c’est que le fameux S porté sur la poitrine n’est pas enchâssé dans un triangle mais une sorte de cœur rouge et jaune. Car malgré les efforts de Siegel pour montrer que Lois/Superwoman est au moins l’égale de Clark/Superman (mine de rien la phrase « Ce qui est bon pour Superman est bon aussi pour moi ! » est lourde de sens pour l’époque [2]), le fait de féminiser entraîne certains sous-entendu. Il y a ce cœur mais aussi cette insinuation que Superwoman ne se consacrera pas entièrement au combat pour la justice mais aussi… à la romance. Ben oui. C’est une fille. Ce sont les garçons qui se battent. Les filles, elles, pensent à la romance. Faut quand même pas trop en demander à un comic-book de 1943…

Bientôt Superwoman s’élance pour sa première patrouille dans le ciel de Metropolis, à la recherche de quelqu’un qui aurait besoin de l’aide de super-êtres (le mot super-héros n’étant pas encore entré dans le langage courant). En bas les passants s’étonnent : « Hey, regardez ! C’est Superman ! » « Non ! Ce n’est pas lui ! C’est… C’est Superwoman ? ». Bientôt l’héroïne aperçoit un homme en fuite qui crie à l’aide. Elle se pose non loin de lui et demande ce qui se passe. En fait le pauvre homme est poursuivi par une mégère qui lui lance au visage des assiettes… « Et la prochaine fois que tu rentreras après l’heure du diner ! Je risque de m’énerver ! » dit la femme, un rouleau de pâtisserie à la main, porté comme une matraque. Lois comprend alors qu’il s’agit d’une simple scène de ménage et que son aide n’est pas nécessaire. On notera cependant que Siegel poursuit dans l’idée d’un certain « girl power ». La femme, ici, a clairement le dessus sur l’homme. Ce qui ne veut pas dire pour autant que toutes les femmes soient du même côté. Quand la mégère remarque Superwoman, elle n’est pas aimable : « Et toi, roulure, pourquoi viens-tu mettre ton nez dans des affaires qui ne te regardent pas ? ». Après un instant d’hésitation, Superwoman se fait négociatrice. Elle leur explique qu’ils forment un couple attirant (ce qui est faux) et qu’elle a détesté les voir se déchirer tant il est manifeste qu’ils s’aiment… Le discours de Lois fait mouche et les deux « tourtereaux » décident d’enterre la hache de guerre. Superwoman en profite pour s’élancer à nouveau dans le ciel, sans demander son reste : « Je réalise que Superwoman peut se retrouver dans beaucoup de situations embarrassantes si elle n’y fait pas attention ! ».

Plus tard, sa vision télescopique l’alerte d’un danger plus important. Un homme est en train de se faire kidnapper par une bande de gangsters : « J’y vais à nouveau ! Et cette fois j’espère ne pas passer pour une andouille ! ». Même si elle se pose juste devant le gang (et que son pouvoir de voler est donc manifeste), la bande n’est pas impressionnée au début. Les hommes ne voient qu’une « femme qui tente de jouer aux durs » ! Pourtant sa force est là et en quelques coups elle assomme « une avalanche de corps » qui tombent, inanimés, sur le sol. Alors que les derniers gangsters tentent de fuir en voiture, la superfemme rattrape le véhicule et le renverse d’un seul coup de poing. La bande neutralisée, Superwoman peut donc s’intéresser à la victime et lui soulève la cagoule qu’on lui avait passé pour mieux l’enlever. Et là, surprise. La victime n’est autre que Clark Kent ! Un Clark tout surpris d’avoir été sauvé par… Lois ! Car au moins Superman a la piètre excuse de ses lunettes pour cacher sa double identité. Superwoman ne cache pas son visage. Et comme elle a le même dans sa vie civile, sans lunettes ou sans artifice, elle est aisément reconnaissable. Surprise, Superwoman bafouille un peu tandis que Clark exige une explication. Superwoman acquiesce et, le prenant sous son bras, l’emporte dans le ciel. Clark la supplie alors de ne pas le laisser tomber…

Une fois qu’ils sont seuls sur la pointe d’un immeuble, Lois explique à Clark comment elle doit ses pouvoirs à une transfusion sanguine liée à Superman. C’est simple, n’est-ce pas ? Mais Clark Kent prend la nouvelle d’une assez mauvaise manière. Lois insiste : « J’ai l’intention d’aider ceux dans le besoin, tout comme Superman le fait. C’est dommage que tu m’aies reconnu de cette manière. Je veux que tu me promettes de ne pas révéler mon secret ! ». Mais Clark n’est pas de cet avis : « Pourquoi devrais-je promettre une telle chose alors que c’est le scoop du siècle ? ». Voyant que la persuasion ne fonctionne pas, Superwoman prend Clark par le col et fait mine de le laisser tomber du haut de l’immeuble : « J’aurais du savoir que tu allais te comporter comme un nul ! Un gentleman ne trahirait pas la confiance d’une dame ! Et voilà comment je vais transformer Clark Kent en l’un des plus grand gentlemen du monde ! ». Superwoman s’envole, en portant toujours Clark à bout de bras et en faisant des loopings au milieu des gratte-ciels : « Est-ce que je vais t’enseigner la courtoisie ? Est-ce que tu garderas mon secret en silence ? ». N’en pouvant plus, Clark jure qu’il ne dira rien. Lois le pose à terre en le prévenant : « Je vais te laisser ici. Mais s’il s’avère plus tard que tu m’a trahis, je te plains Clark Kent ! ».

Plus tard, Superwoman s’apprête à rentrer chez elle mais, alors qu’elle vole dans la ville, elle est soudainement prisonnière d’une sorte de filet. Il a été lancé depuis un avion qui passé par là. Visiblement le filet est capable d’émettre un « mysterygas » (« gaz-mystère ») qui neutralise la belle brune. Pendant ce temps le filet qui l’emprisonne est hissé à bord de l’avion. L’équipage est content : « Le Docteur Skowl sera satisfait ! Nous avons capturé son vieil ennemi ! ». Plus tard, dans le repaire caché du Docteur Skowl (qui phonétiquement ressemble un peu à Docteur Skull, et donc, VF à « Docteur Crâne »), il devient manifeste que le prisonnier… est une prisonnière. Et Skowl n’est du tout content.

Il s’agit d’un stéréotype de savant fou et chauve, stéréotype que Siegel avait déjà utilisé plusieurs fois dans les aventures de Superman avec des personnages comme l’Ultra-Humanite et Luthor. D’ailleurs contrairement à ce que pourrait laisser penser l’histoire, aucun docteur Skowl n’avait affronté Superman dans des épisodes précédents et on peut réellement se demander si Skowl n’est pas l’Ultra-Humanite rebaptisé à la va-vite. Rétrospectivement, cependant, après lu en entier l’histoire, on comprendra que cet ennemi juré de Superman dont on n’a jamais entendu parler est un indice sur la situation exacte. Ce qui est sur, c’est qu’il n’est pas aidé. Car c’est lui qui informe ses hommes que ce qu’ils lui ont rapporté n’est pas un Superman mais « une femme sans défense ». Penauds, ils expliquent : « Mais… son costume nous a trompé ! Et comme elle traversait le ciel comme Superman, qui d’autre… ».

En fait Skowl croit qu’ils ont inventé l’histoire de toute pièce : « Même un bambin sait que Superman est le seul être capable de voler comme un oiseau ! Maintenant que vous m’avez amené ici cette fille déguisée, nous n’avons pas d’autre choix que de nous débarrasser d’elle ! ». Mais à ce moment un mur vole en éclat et nous retrouvons… Superman ! Le héros s’élance en criant qu’on ne se débarrassera de personne. Au premier abord les gangsters semblent surpris et prêts à fuir mais Skowl actionne ce qui est sans doute une sorte de piège électromagnétique. Superman est foudroyé sur place et tombe inconscient. Mais il est encore vivant. Alors Skowl ordonne qu’on l’attache devant le projecteur de rayons-Z : « Quelques minutes sous le bombardement de ces rayons cosmiques inconnus finiront pas l’achever ! ». Bientôt Superman est attaché et Skowl, avant d’appuyer sur le bouton, peut proclamer qu’on va assister à… la Fin de Superman.

Mais pendant tout ce temps on a laissé Superwoman sans surveillance. Normal : Skowl est convaincu qu’elle est une femme normale déguisée. Quand elle se redresse, elle crie pour qu’on épargne Superman. Mais Skowl n’est pas impressionné: « Arrêter ? Simplement parce qu’une femme inoffensive me le demande ? Il te faudra trouver une meilleure raison ! ». Et il actionne les rayons. Superman se tord rapidement de douleur et, sous l’effet de la torture, ferme les yeux. Mais il perçoit comme un bruit de métal qu’on tord. Quand il ouvre à nouveau les yeux, il peut voir Superwoman en train de briser le projecteur de rayons Z. Les hommes de Skowl lui tirent dessus mais elle est, comme lui, à l’épreuve des balles. On en arrive donc à la scène qu’on nous avait montré en ouverture. Le héros, impuissant, bredouille alors « Mais ce n’est pas à toi de me sauver ! ». Et Lois/Superwoman rétorque d’un ton moqueur « Ah bon ? Regarde bien ! »

Skowl enrage : « Alors tu as quand même des pouvoirs surhumains ! Mais peu importe, Superwoman. Tu interviens trop tard ! ». Là encore l’héroïne ne se démonte pas. Elle fait pivoter ce qui reste du projecteur de rayons Z sur son axe et retourner l’arme contre son créateur. Frappé par son propre rayon, Skowl s’écroule alors. Libéré, Superman n’est pas habitué à ce genre de situation : « Je.. Je ne sais pas quoi dire ! ». Alors Superwoman prend les choses en main : « Alors écoute, car j’ai beaucoup de chose à dire ! Depuis cinq longues années tu m’as fait courir derrière toi dans une sorte de chasse romantique ! Mais tout ça est changé désormais ! J’ai moi aussi des superpouvoirs et tu vas m’entendre ! ». Elle pousse alors Superman contre un mur : « Je suis follement, totalement, intégralement amoureuse de toi, mon homme merveilleux… Et le but de cet exposé romantique et que je veux une réponse définitive à une petite question… Est-ce que tu veux m’épouser ? ».

Superman, une nouvelle fois pris par surprise bredouille et cherche ses mots. De toute manière peu importe car Lois ne lui laisse pas vraiment le temps de répondre. Devenue pratiquement hystérique, elle saute dans ses bras en hurlant « j’accepte ! ». Le héros, résigné, hasarde « Quelle chance un simple Superman aurait-il ? » (Comprenez qu’il n’était pas pressé de se marier mais que maintenant il comprend qu’il n’a plus son mot à dire). On est dans une position où la femme est dominante dans le couple… mais aussi hystérique (et donc pas très éloignée de la mégère qu’on a croisé plus tôt). Mais le bonheur de Superwoman est soudain interrompu par un bruit que perçoit sa super-ouïe. Les vendeurs de journaux sont en train de faire la promotion, à la criée, d’une édition spéciale. Que se passe-t-il ? Superman, un sourire en coin, tend également l’oreille : « Lois Lane est Superwoman ! Reportage spécial par un reporter du Daily Planet ! ». Lois est furieuse : « Ce maudit Clark Kent ! Je savais que je ne pouvais pas compter sur lui pour garder mon secret ! ». Et le lecteur a tout le loisir de se demander: Est-ce que tout ça serait donc une manœuvre de Clark/Superman qui, prévoyant que Superwoman finirait par devenir envahissante, s’est mis en tête de la décourager ? Non. Car soudain Lois est prise d’un mal de tête et commence à s’évanouir. Superman la prend dans ses bras en s’écriant… « Superwoman ! »

Et c’est à ce moment-là que Lois se réveille à l’hôpital, face à un homme qui se présente comme le Docteur Michelson, qui lui explique qu’il vient de l’opérer du cerveau. Par chance, Superman l’a retrouvé alors qu’il était parti dans sa maison de campagne. Tout ce que Lois pensait avoir vécu depuis que Superman est parti à la recherche de Michelson n’était… qu’un rêve. Il n’y a pas eu de transfusion sanguine et donc pas de création de Superwoman ou, encore moins, de proposition de mariage. On laisse alors entrer Clark Kent, qui attendait à l’extérieur depuis des heures et qui s’empresse de demander à Lois si elle va bien. Par réflexe elle répond : « Naturellement ! Quoi d’autre pourrais-tu attendre d’une Superwoman… Enfin, je veux dire, d’une femme journaliste ! », l’épisode s’achevant sur cette scène.

Il n’y a donc pas « vraiment » de Superwoman. Mais à la vue des éléments précédents on peut penser que Siegel n’aurait pas été contre inscrire l’héroïne dans la durée. Sans doute que DC Comics n’aurait pas été contre, non plus, créer une Superwoman qui aurait pu se vendre aussi bien que Mary Marvel, la version féminine du Captain Marvel. Sans doute que cette solution du « rêve » est une manière d’agir ni vu ni connu, de tester les réactions du public quitte à formaliser la chose plus tard, si le poisson avait mordu. Ce qui est intéressant c’est que les approches de l’auteur et de l’éditeur sont contradictoires. Siegel, sans être un féministe forcené, mets en place une situation où Lois peut revendiquer le même traitement que Superman et les mêmes avantages. Faire de tout ça un rêve en refusant de l’inscrire dans la durée revient à dire « ah non cocotte, t’est gentille mais ton égalité des sexes, c’est bon pour les rêves ». Néanmoins comment établir que cette fin vient plus de Siegel que de DC Comics (ou plus exactement des éditeurs de Superman) ? Tout simplement parce qu’il y aura de nombreuses autres tentatives d’utiliser Lois comme étant Superwoman, qui ne seront pas toutes écrites par Siegel, loin s’en faut, et qui se finiront toutes par un constat similaire bien que n’utilisant pas forcément l’idée dans un rêve.

Par exemple dans Superman #45 (mars 1947), Lois est convaincue qu’elle a reçu des pouvoirs par magie et devient Superwoman… Mais c’est pour découvrir plus tard qu’il s’agissait d’une supercherie orchestré par Superman. Dans Action Comics #156 (mai 1951), Lois reçoit bien des superpouvoirs et devient Superwoman… Mais pour s’apercevoir quelques pages plus loin que c’était temporaire. Idem en 1960 dans Superman’s Girl Friend Lois Lane #17 (qui là pour le coup utilise « réellement » le principe de la transfusion sanguine de Superman mais avec seulement des pouvoirs temporaires à la clé). Et ça c’est sans compter les nombreuses fois où Lois recevra des pouvoirs différents, utilisera des identités différentes de Superwoman. A l’évidence, on comprendra qu’à chaque fois la réaction des lecteurs ne fut pas de nature à pousser DC sur la voie d’une Lois Lane durablement surhumaine. De fait l’équipe éditoriale de Superman restera longtemps rétrograde en ce qui concerne le rôle des femmes. Alors que par ailleurs DC éditera Wonder Woman sans discontinuer, les aventures de Superman ne laisseront à Lois que le rôle de la charmante idiote. Et, s’il fallait une preuve supplémentaire, en 1959 la première réaction de Superman en apprenant qu’il a une cousine (la Supergirl classique) sera de la convaincre de cacher sa propre existence car « le monde n’est pas près pour l’existence d’une superfemme« . Si (comme on l’a vu au début de cet épisode) Clark Kent est paniqué par l’idée de perdre Lois, Superman est effrayé par la possibilité de céder à Lois (ou, par extension, à une autre femme) et il faudrait attendre les années 70 pour que ce réflexe s’estompe réellement, et encore sans doute sous la pression de la « Women’s Lib ».

Autre élément très parlant : finalement la Superwoman la plus durable est une ennemie de la Justice League qui vit sur Terre 3. Il s’agit en fait d’un équivalent maléfique de Wonder Woman mais cette Superwoman est bien… Lois Lane, installant d’une autre manière le fait que si Lois finissait un jour par obtenir de vrais pouvoirs, la situation tournerait au vinaigre. A ce propos, une autre révélation nous viendra indirectement des aventures de Flash (Barry Allen), quand il fera la connaissance du Flash du Golden Age (Jay Garrick)… qu’il connait pourtant bien puisque Barry lisait les aventures de Jay lorsqu’il était petit. Les deux Flash établissent la théorie, confirmée par la suite, que les auteurs de BD de Terre 1 (le monde de Barry) sont sans doute connectés via leurs rêves aux évènements de Terre 2 (le monde de Jay). A partir de là Action Comics #60 pourrait très bien se comprendre comme étant l’origine de la Superwoman de Terre 3, perçue par la Lois habituelle à travers ses rêves. Les débouchés les plus récents de cette Superwoman ont été aperçus dans All-Star Superman (où le héros confère à Lois ses pouvoirs pendant quelques temps mais dans une optique totalement différente, comme un cadeau bien vécu de par et d’autres) ainsi que dans la saga de New Krypton où une terrienne est modifiée par l’armée américaine pour pouvoir infiltrer les rangs des Kryptonniens. Cette Superwoman-là (maléfique) s’avère finalement être… Lucy Lane, la petite sœur de Lois. Bien sûr tout ça a été balayé par la refonte de l’univers DC et il n’existe plus, à l’heure actuelle, de version moderne d’une Superwoman liée à Lois. Mais ce n’est qu’une question de temps avant que l’idée refasse surface…

[Xavier Fournier]

[1] Je ne suis généralement pas très chaud pour parler du Wold Newton Universe, qui n’est rien d’autre qu’une fanfiction sans portée officielle (et dans laquelle on peut faire les rapprochements les plus farfelus), mais force est de constater que Philip José Farmer a été le premier à dresser un lien entre les deux Lane. Dans sa version Margo et Lois sont sœurs.

[2] Globalement les femmes ont le droit de vote aux USA depuis 1920, mais certains états ont ratifié cet amendement (le 19ème de la constitution américaine) bien plus tard, comme le Maryland en 1941, la Floride et la Caroline-du-Sud en 1969… Jusqu’au Mississippi, qui ne l’a adopté qu’en 1984).

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