Oldies But Goodies: Adventure Comics #208 (Jan. 1955)

[FRENCH] L’archer Green Arrow (toujours flanqué de son assistant Speedy) était généralement un héros urbain, défendant la ville contre des voleurs de banques ou des assassins, éventuellement costumés. Mais il lui arrivait également de s’aventurer dans des registres beaucoup plus étranges, liés au Fantastique et à la Science-Fiction. Dans Adventure Comics #208, Oliver Queen allait ainsi se plier à un cliché des comics et, à son tour, affronter d’imposants dinosaures…

On ne sait pas trop qui a écrit cet épisode de Green Arrow datant de janvier 1955 (le dessinateur, lui, est identifié par Comics.org comme étant George Papp). Ce qui est certain c’est que l’auteur de « The Incredible Land of Yesteryear » (« ‘l’Incroyable Pays des Années Passées ») ne voulait pas jouer la carte du suspens. D’emblée, une case de présentation nous montre ce que c’est que ce pays du passé, avec les archers masqués Green Arrow et Speedy tournoyant autour d’un énorme dinosaure (semblable à un brontosaure). Et le commentaire nous pose les choses : « Il est l’heure des vacances pour Oliver Queen et le jeune Roy Harper alors qu’ils voyagent jusqu’à une île paisible en plein Pacifique ! Mais soudain cet endroit idéal se transforme en cauchemar peuplé de créatures fantastiques ! Et heureusement, en un sens, que Green Arrow et Speedy voyagent parmi cette expédition qui navigue vers… l’Incroyable Pays des Années Passées« .

Et comme souvent dans les comics de l’époque, passé ce préambule, le scénario marque un pas en arrière. La question ce n’est donc pas ce que Green Arrow et Speedy vont trouver sur cette île mystérieuse. L’image d’un imposant dinosaure nous l’a montré. Mais le lecteur est en droit de se demander ce qui a bien pu amener Green Arrow et Speedy si loin de leur habitat classique. L’histoire démarre donc réellement quand on nous montre un voilier qui approche d’une ile. Un cri prévient alors un professeur qu’on approche d’une terre, ce à quoi le professeur en question (se tenant hors-champ) rétorque que c’est justement l’ile qu’ils cherchaient. Le moment de jeter l’ancre est donc venu. A bord, on se concentre sur quatre personnages. Les deux premiers sont bien connus des habitués de DC Comics : Le richissime Oliver Queen (Green Arrow) et son pupille Roy Harper (Speedy), accompagnant une jeune femme blonde et un homme barbu qui s’avère vite être le professeur mentionné plus tôt. On est en droit de se demander comment quatre personnages (y compris un enfant) peuvent suffire à manœuvrer un voilier de la taille de celui qu’on nous montre (surtout à l’époque et pour ce qui ressemble à un long voyage) mais l’histoire ne fera pas mention d’un autre équipage.

Oliver Queen explique alors au professeur à quel point il se réjouit de faire partie du Club des Aventuriers (Le « Adventurers’ Club », visiblement une sorte de cercle social. Il en existait d’ailleurs plusieurs à travers les USA à cette époque, qui portaient réellement ce nom), ce qui leur a permis, à Roy et lui, de participer à cette expédition. Le seul problème logique de cette situation est que les différents Club des Aventuriers étaient le plus souvent ouvert seulement à de grands voyageurs, de grands sportifs ou des explorateurs renommés. Sans forcément passer son temps à se déguiser à un type aussi maladroit que Clark Kent (Superman), Oliver Queen s’efforçait généralement de passer pour un être oisif, de manière à ce qu’on ne fasse pas le rapprochement entre lui et son alter-ego (tout comme Bruce Wayne fait semblant de se contenter de dépenser son argent, par opposition à ses activités physique lorsqu’il est Batman). Pour entre dans un Club des Aventuriers, Oliver Queen aurait du être reconnu pour un exploit notable, dépassant la norme. Ce qui ne risquait pas d’être le cas en 1955 [1]. Quelques années plus tard, en 1958, Dave Wood et Jack Kirby changeraient l’origine d’Oliver Queen en expliquant qu’il était devenu un archer expérimenté après avoir vécu en Robinson, échoué sur une ile déserte (et ce préambule est encore largement en place, repris dans le feuilleton Arrow). Un homme qui avait survécu plusieurs mois, seul, sur une île déserte semble hautement éligible pour un Club des Aventuriers. Mais l’Oliver Queen de 1955, lui, n’avait pas ce genre de choses à son actif. Tout au plus dans les années 40 on lui avait donné la profession d’archéologue mais, depuis, la plupart des scénaristes l’ignoraient (c’est à dire que non seulement ils n’y faisaient pas référence mais que les auteurs ne connaissaient pas le travail de Queen, vu le peu d’importance qu’il occupait dans les histoires). Preuve en est qu’on découvrira bien vite que le professeur parlera d’archéologie et à aucun moment Oliver ne fera mine d’avoir ce genre de compétence.

Pour ce qui est de la jolie blonde, elle est, sans surprise, la fille du professeur. Et comme elle est blonde et qu’elle un cliché de la femme telle que vue dans les comics des années 50, c’est ce moment qu’elle choisi pour demander à son père quel est le but de leur voyage (elle n’aurait pas pensé à poser la question avant ?). Le professeur explique que certaines théories archéologiques lancent de nouvelles pistes sur l’apparition et la disparition des iles volcaniques. On n’en saura pas plus pour l’instant. Bientôt le quatuor prend un petit canot pour se rendre sur l’ile, où on procède à l’installation d’un camp. Le soir, devant le feu, Oliver Queen prouve une nouvelle fois qu’il est aux antipodes de ce genre d’expédition, en déclarant au professeur : « Même si j’apprécie votre type de travail, je suis content d’être là seulement pour me détendre ! ». Mais la jeune blonde (dont on ne se donnera pas la peine de nous donner le prénom) pousse un cri d’horreur. Le reste du groupe se retourne et voit alors la tête d’un monstre qui dépasse de la forêt… et qui regarde vers eux. Le professeur s’exclame « Un dinosaure ! Une bête qui rodait sur Terre il y a 50 millions d’années ! ». Oliver ne perd pas de temps à lui objecter que les dinosaures se sont éteints en fait il y a 65 millions d’années, le scénariste ayant visiblement soit consulté un livre depuis dépassé… ou ayant simplement préféré arrondir le chiffre. Queen a remarqué une grotte non loin de là et ordonne au groupe de courir s’y cacher.

Alors qu’ils se ruent vers cet abri, Roy Harper est pris d’une idée : « Nous avons des fusils ! Nous n’avons qu’à le tuer ! ». Mais Oliver Queen, qui semble avoir une soudaine connaissance de la résistance de ce genre de créatures, lui objecte « Les balles seraient sans effet sur lui ! ». Quelques instants plus tard, les quatre personnages sont dans la grotte et peuvent reprendre leur souffle. Oliver s’exclame : « c’est dingue Professeur ! Nous semblons avoir posé le pied sur une île dérivant dans le temps ! ». Mais l’autre homme nie catégoriquement : « Pas du tout ! Des gens sont déjà passés ici pour faire des essais de bombes ! Pourquoi n’ont-ils pas cette créature ! ». A ce moment-là, ils sont pris de panique car même si la grotte est trop étroite pour que la bête puisse les suivre, elle tente de glisser sa tête à l’intérieur. Ca ne passe pas, mais le dinosaure commence à déloger des pierres à l’entrée, avec l’intention manifeste de se créer un passage plus large. Le professeur et sa fille sont terrifiés. D’autant que leur seule lanterne vient de s’éteindre. Ils sont plongés dans l’obscurité, à quelques mètres d’un dinosaure qui tente d’entrer !

Mais l’obscurité est un avantage pour Oliver Queen et Roy Harper, qui s’enfoncent vers l’autre extrémité de la grotte et peuvent ainsi se changer en Green Arrow et Speedy sans être vus par leurs deux compagnons de voyage. On se demandera par contre où les deux super-héros (qui ne portaient dans les cases précédentes que des chemises à manches courtes) pouvaient cacher leurs costumes, leurs arcs mais surtout leurs carquois bourrés de flèches (?). Qui plus est vient s’ajouter une curiosité scénaristique : Green Arrow a remarqué qu’au fond de la grotte il y a un tunnel qui permet d’en sortir. Plutôt que de faire demi-tour et d’expliquer au professeur et à sa fille qu’il existe un moyen simple d’échapper au dinosaure, Green Arrow dit à Speedy qu’ils vont se servir du tunnel pour aller faire diversion et éloigner le monstre avant qu’il s’introduise dans le passage.

Quelques instants plus tôt Oliver Queen expliquait à Roy Harper que les fusils ne risquaient pas de faire mal à un dinosaure mais les voici qui s’attaquent à lui avec… des flèches. Heureusement pour les héros, leur arsenal est plein de gadgets et ce sont des flèches explosives… Qui ne semblent pas faire grand mal au dinosaure mais qui du moins détournent son attention. Malheureusement pour eux, la corniche où ils se tenaient cède. Green Arrow et Speedy tombent de plusieurs mètres et surtout, dans la chute, leurs arcs leur ont échappé. Ils se retrouvent au sol, sans moyen de se défendre… avec un dinosaure furieux qui fonce vers eux.

Heureusement pour eux, dans un moment digne d’un passage du film King Kong, c’est à ce moment-là qu’un autre saurien fait son apparition: un Tyrannosaure, présenté comme un ennemi naturel du dinosaure. Le nouvel arrivant, attiré par le bruit, se rue alors vers ce qui représente le meilleur repas pour lui. Pas les deux « crevettes » au sol mais bien le premier dinosaure. Les deux monstres commencent alors à s’affronter en traversant la jungle. Les deux super-héros, maintenant à l’abri, profitent du spectacle : « Nous voyons quelque chose qui appartient au passé préhistorique… Une bataille à mort entre deux des créatures les plus puissantes sur Terre ! ». Mais l’émerveillement de Green Arrow est de courte durée quand il réalise le chemin que les deux monstres ont pris : « Ils se dirigent vers la plage ! Et maintenant ils sont dans l’eau ! Nous n’aurons plus de moyen de retour ! ». Avant que les deux héros aient pu réagir, les deux reptiles géants défoncent tout simplement le navire, le déchirant aussi facilement que s’il était en papier. Bientôt le premier dinosaure perd la bataille. Il ne reste que le Tyrannosaure. Mais les héros sont désormais coincés sur cette ile funeste.

Bientôt Oliver et Roy reprennent leurs vêtements civils comme si de rien n’était et retrouvent la jeune blonde et le Professeur à l’entrée de la grotte : « Vous avez tout manqué, Oliver, il y a eu une bataille de géants et ils ont totalement détruit le vaisseau ! ». On se demandera comment le Professeur peut avoir vu la bataille qui vient de se produire et ses résultats sans être par ailleurs conscient que Green Arrow et Speedy se trouvent sur l’île. En dehors du bateau en lui-même, les naufragés ont un autre problème : les voici privés de radio : ils ne peuvent appeler à l’aide ! Mais pour l’instant Oliver est plus inquiet de la présence de ces dinosaures. Il questionne encore le professeur. Ne disait-il pas que l’ile avait été inspectée ?

Le savant élabore alors une théorie : Si personne n’a vu les dinosaures… C’est qu’ils ne se trouvaient pas là ! Il explique alors que quelques scientifiques ont récemment mis au point une idée, la théorie de la séparation du temps : « En résumé, ca veut simplement dire que n’importe quelle ère du passé peut être amenée dans le présent. Certains ont pensé qu’il fallait une machine à voyager dans le temps pour faire l’affaire ! ». Mais le professeur reprend : « Il y a aussi une théorie qui veut qu’une puissante explosion serait capable d’effacer une partie d’une ère et d’en amener une autre à la place, qui viendrait d’un passé lointain ». Et comme la dernière présence humaine sur cette ile remonte à des tests de bombes, ce serait l’explosion des bombes qui aurait « fracassé le temps » : « Aussi incroyable que ca puisse paraître nous avons voyagé jusqu’à cette ile non pas dans notre époque mais en remontant un passé vieux de 50 millions d’années.

Pragmatique, Oliver demande : « Il n’y aurait pas un moyen de renvoyer le passé à sa place et de replacer l’ile dans le présent ? ». Le professeur décide alors qu’une contre-explosion pourrait faire l’affaire. Et justement « J’avais tous les explosifs nécessaires dans notre navire. Mais nous les avons perdus maintenant ! ». Le professeur décide alors que faute de mieux ils passeront le reste de la nuit dans la grotte et qu’ils examineront leurs options dans la matinée. En fait, dès que les deux autres sont endormis, les héros reprennent leurs déguisements de Green Arrow et Speedy : « Nous ne pouvons courir le risque que les autres retournent à l’épave du vaisseau pour récupérer les explosifs, Speedy ! Et de toute façon demain il sera peut-être trop tard pour les récupérer ! ». Speedy est d’accord. S’ils ont une chance de mettre la main sur ces explosifs, c’est maintenant qu’il faut le faire, avant que l’épave ait terminé de couler.

Bientôt les archers nagent jusqu’à l’épave (était-il vraiment nécessaire de s’habiller en Green Arrow et Speedy ? Ca ne doit pas être très pratique de nager avec un arc et un carquois) et se débrouillent pour ramener les caisses d’explosifs jusqu’à la plage. Mais alors qu’ils posent le pied à terre, Speedy attire l’attention de son mentor sur quelque chose. Oliver Queen commente alors : « Une vue que personne n’a jamais vu avant… Et j’espère que nous ne la reverrons jamais ! ». La vue en question est un spectacle imposant : des hordes de dinosaures fuient un incendie et traversent la jungle. Impossible de retourner vers la grotte. Green Arrow constate : « Nous allons devoir préparer la bombe nous-mêmes ! A moins que nous n’arrivions à déclencher la séparation du temps maintenant, nous allons être piétinés par ces dinosaures ! ».

Green Arrow ouvre les caisses et prépare sa bombe : « Je que j’utilise suffirait à rayer une ville de la carte ! ». Speedy, qui a quand même un peu plus la tête sur les épaules, pose la question déterminante : « Mais… qu’est-ce qui va nous arriver quand elle va exploser ? Nous sommes morts si nous ne l’utilisons pas mais nous sommes allons mourir si nous l’utilisons ! ». Heureusement, le scénariste a pensé à ca, en profitant du même coup pour ramener les choses dans le champ d’expertise de Green Arrow. Le héros (qui a visiblement le temps de faire plein de choses alors que la horde de dinosaures approche) arrive à bricoler une sorte d’hybride entre un arc géant et une catapulte, de manière à pouvoir lancer loin en l’air la bombe en question. Ensuite, il n’a plus qu’à tirer avec son arc habituel une « flèche déclencheuse » qui provoque l’explosion dans le ciel, à une hauteur où elle ne risque pas de leur être néfaste.

Ca a marché : Après un choc énorme, Oliver Queen et Roy Harper peuvent alors retourner voir leurs amis, le professeur et sa fille. Allez savoir comment mais le temps semble avoir su choisir comment renvoyer les dinosaures dans le passé et garder dans le présent les bons êtres vivants (comment les héros pouvaient-ils savoir que le prof et sa fille, où encore eux-mêmes, ne seraient pas « échoués » dans un passé lointain ?). Et une nouvelle fois, comme pour le naufrage du bateau, le professeur commente des choses qu’il n’a pas pu voir. Il a l’air très au courant de l’explosion mais ne semble pas se demander ce qui l’a provoqué : « Étonnant ! La déflagration a changé la position du temps ! Nous sommes à nouveau dans le présent ! Tenez ! Ce petit lézard que vous voyez a été un dinosaure ! ». Et la fille blonde se réjouit : « Un avion a vu l’explosion et nous a fait des signaux ! On nous envoie des secours ! Nous sommes sauvés ! ». Seul Oliver Queen doute encore… est-ce que tout ça s’est réellement déroulé ? Et le scénariste nous laisse sur cette fin qui s’efforce de ne pas trancher… même si pourtant les quatre personnages ont partagé la même expérience.

On ne sait pas précisément qui a écrit cet épisode mais il cultive des ressemblances avec l’œuvre de deux auteurs de DC à l’époque. Le principal suspect est Robert Kanigher, l’éditeur/scénariste de Wonder Woman mais surtout, dans le cas qui nous intéresse, le futur auteur de War That Time Forgot et à ce titre inventeur de Dinosaur Island. L’ile des Dinosaures que Kanigher lancera à partir de 1960, dans Star Spangled War Stories #90, se trouve, comme celle visitée par Green Arrow, dans le Pacifique. Dans le premier épisode ou on voit l’ile de Kanigher, les dinosaures semblent être éveillés par une explosion. Qui plus est le scénariste était assez friand des quatuors d’aventuriers (comme son Suicide Squad lancé en 1959 dans Brave & The Bold #25). Il n’était pas rare que dans ses groupes de héros on trouve le surnom « Prof » ou « Professor » tandis qu’un autre personnage portait une casquette de pilote ou de marin. Dans son Suicide Squad la fille est évidemment blonde. Dans plusieurs épisodes de War That Time Forgot publiés dans Star Spangled War Stories, les héros de Kanigher se protègent des dinosaures en se cachant dans une grotte. Robert Kanigher réunit donc beaucoup de caractéristiques en commun avec cette histoire. Un bémol cependant : Kanigher ne semble pas avoir été un des scénaristes réguliers de Green Arrow à cette époque (encore que pour un certain nombre d’histoires de « Flèche Verte », comme ici, on ignore le nom de l’auteur, ce qui laisse de la marge).

Un autre candidat possible au poste de scénariste (ou, à défaut, au rôle d’inspiration majeure) de cet épisode est un auteur de science-fiction, Edmond Hamilton, qui écrivait régulièrement pour DC Comics à l’époque (bien qu’on le trouve plus dans les aventures de Batman ou de Superman). En 1951, Hamilton avait publié « City At World’s End » (en VF « Ville sous globe ») qui décrit comment une troisième guerre mondiale thermonucléaire éclate, ravageant les USA. A cause de la violence de l’explosion, l’espace-temps est déchiré et une petite ville, Middletown, survit en étant projeté à une autre époque (un futur lointain où les habitants semblent être les derniers représentants de l’humanité). La notion de voyage dans le temps par le biais d’une forte explosion est donc largement identique à celle décrite dans le roman d’Hamilton, ce qui laisse – à ce jour – la possibilité que ce soit le romancier qui ait écrit « The Incredible Land of Yesteryear » ou, à défaut, que ce soit quelqu’un inspiré par la lecture de sa nouvelle « City At World’s End » qui s’en soit chargé.

L’idée qu’on peut « déchirer » la barrière entre les époques ou les mondes par une « simple » explosion est bien entendu risible, à plus forte raison parce que Green Arrow n’utilise ici qu’une caisse d’explosifs « normaux ». Si la théorie du professeur devait tenir la route, alors que penser d’explosions plus fortes comme celle d’Hiroshima où encore les centaines de tests de bombes atomiques survenus ces dernières décennies ? Et pourtant, comme la nouvelle d’Hamilton, cette aventure de Green Arrow porte la petite graine d’un concept qu’on retrouvera plus tard dans l’univers DC. A savoir qu’une force extraordinaire peut suffire à briser la barrière entre les époques ou entre les mondes. Bien que Superman préfère généralement voyager à travers les époques en utilisant sa supervitesse, on a pu ainsi le voir « casser » l’espace-temps à la fin de la minisérie Kingdom, quand les personnages de l’histoire réalisent à nouveau (après Crisis) qu’il existe différentes réalités alternatives organisées selon l’éphémère concept de Mark Waid et Grant Morrison, l’Hypertime (des réalités différentes qui se supplantent parfois, selon une logique finalement là aussi assez voisine de celle exposée par le professeur dans Adventure Comics #208). En fait toutes ces similitudes découlent sans doute d’une tournure anglaise familière, « blast to oblivion » (« exploser jusqu’à l’oubli »), qui décrit une situation où quelque chose a disparu sans laisser de traces. Mais en anglais « blast » s’entend aussi, dans un autre contexte, comme « projeter ». A partir de là, presque par jeu de mots, on peut comprendre comment Hamilton a pensé à une ville « projetée vers l’oubli » et comment lui ou d’autres auteurs ont imaginé une situation où ce qui est détruit sans laisser de trace à l’issue d’une explosion terrible a été « projeté » ailleurs…

Même en imaginant que Kanigher n’ait rien à voir avec « The Incredible Land of Yesteryear », la compatibilité des deux iles est telle qu’il est très difficile de ne pas imaginer que ce n’est pas simplement le même endroit. Y compris au niveau des tests de bombes, qui sont parfois mentionnés dans les scénarios de Kanigher pour sa Dinosaur Island. D’un point de vue de continuité, cependant, les choses se compliquent. L’histoire parait en janvier 1955. C’est à dire que, si on se place sous une perspective post-Crisis ou DCnU (la plus récente mouture de l’univers de DC), Green Arrow n’existait pas à cette date là. Version « Pre-Crisis », la solution parait plus probable puisque DC n’a pas encore basculé dans le Silver Age et que les évènements se seraient produits sur Terre-2, le monde des héros du Golden Age de DC. SAUF que ce serait trop facile. La chronologie du Green Arrow des années 40/50 est en effet sujette à question. Dans les faits, Green Arrow a été publié sans interruption entre le Golden Age et le Silver Age. On serait donc tenté de penser que tout ce qui est publié au delà d’un certain point situé vers 1955/1956 (voir même un peu plus loin en ce qui concerne ce personnage) relève du Green Arrow du Silver Age (Terre 1). Et réciproquement tout ce qui daterait d’avant décrirait les aventures du Green Arrow du Golden Age (Terre 2). Sauf que pour ménager un fossé plus marqué entre les deux ères DC a aussi établi par ailleurs que les Seven Soldiers of Victory originaux (équipe du Golden Age dont faisaient partie Green Arrow et Speedy) ont disparu dans l’espace temps en… 1948, pour n’être sauvé par la Justice League et la Justice Society deux décennies plus tard. En clair selon la chronologie « Pre-Crisis », les aventures de Green Arrow publiées vers 1948-1955 n’appartiennent… à aucune incarnation connue du personnage. Comme dans pas mal d’autres cas (certaines aventures de Superman, Superboy ou d’Aquaman, parmi d’autres) il semble qu’il existe un couloir d’évènements des « Fifties » qui n’appartiennent ni à Terre-1 ni à Terre-2 et ne peuvent exister que sur un troisième monde non répertorié par DC. Ce qui fait que finalement alors que le Green Arrow des 50’s s’imagine renvoyer les dinosaures à leur époque d’origine, c’est lui qui finira par disparaître de la continuité et donc, en un sens, de l’espace-temps. « Blast to oblivion… ». Disparu sans laisser de trace…

[Xavier Fournier]

[1] DC Comics a incorporé l’existence d’un Adventurers Club dans ses histoires dès Action Comics #27 (1940) mais on a vu le terme refaire surface aussi dans House of Mystery #53 (1956) ou encore Detective Comics #255 (1958) et bien d’autres occasions, sans que le terme semble vraiment décrire une seule organisation. En 1973, l’éditeur a lancé brièvement un Adventurers Club dans les pages d’Adventure Comics #426 et pour une poignée d’épisodes. Il s’agissait simplement d’un narrateur, le Capitaine Strong, racontant les exploits de divers aventuriers. Aucune des incarnations de ce club ne semble liée à celle dont Green Arrow fait mention mais il y aurait sans doute la place pour un Adventurers Club structuré, qui mettrait en ordre toutes ces histoires passées.

Xavier Fournier

Xavier Fournier est l'un des rédacteurs du site comicbox.com, il est aussi l'auteur de différents livres comme Super-Héros - Une Histoire Française, Super-Héros Français - Une Anthologie et Super-Héros, l'Envers du Costume et enfin Comics En Guerre.

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