Et comme souvent dans les comics de l’époque, passé ce préambule, le scénario marque un pas en arrière. La question ce n’est donc pas ce que Green Arrow et Speedy vont trouver sur cette île mystérieuse. L’image d’un imposant dinosaure nous l’a montré. Mais le lecteur est en droit de se demander ce qui a bien pu amener Green Arrow et Speedy si loin de leur habitat classique. L’histoire démarre donc réellement quand on nous montre un voilier qui approche d’une ile. Un cri prévient alors un professeur qu’on approche d’une terre, ce à quoi le professeur en question (se tenant hors-champ) rétorque que c’est justement l’ile qu’ils cherchaient. Le moment de jeter l’ancre est donc venu. A bord, on se concentre sur quatre personnages. Les deux premiers sont bien connus des habitués de DC Comics : Le richissime Oliver Queen (Green Arrow) et son pupille Roy Harper (Speedy), accompagnant une jeune femme blonde et un homme barbu qui s’avère vite être le professeur mentionné plus tôt. On est en droit de se demander comment quatre personnages (y compris un enfant) peuvent suffire à manœuvrer un voilier de la taille de celui qu’on nous montre (surtout à l’époque et pour ce qui ressemble à un long voyage) mais l’histoire ne fera pas mention d’un autre équipage.
Quelques instants plus tôt Oliver Queen expliquait à Roy Harper que les fusils ne risquaient pas de faire mal à un dinosaure mais les voici qui s’attaquent à lui avec… des flèches. Heureusement pour les héros, leur arsenal est plein de gadgets et ce sont des flèches explosives… Qui ne semblent pas faire grand mal au dinosaure mais qui du moins détournent son attention. Malheureusement pour eux, la corniche où ils se tenaient cède. Green Arrow et Speedy tombent de plusieurs mètres et surtout, dans la chute, leurs arcs leur ont échappé. Ils se retrouvent au sol, sans moyen de se défendre… avec un dinosaure furieux qui fonce vers eux.
Bientôt Oliver et Roy reprennent leurs vêtements civils comme si de rien n’était et retrouvent la jeune blonde et le Professeur à l’entrée de la grotte : « Vous avez tout manqué, Oliver, il y a eu une bataille de géants et ils ont totalement détruit le vaisseau ! ». On se demandera comment le Professeur peut avoir vu la bataille qui vient de se produire et ses résultats sans être par ailleurs conscient que Green Arrow et Speedy se trouvent sur l’île. En dehors du bateau en lui-même, les naufragés ont un autre problème : les voici privés de radio : ils ne peuvent appeler à l’aide ! Mais pour l’instant Oliver est plus inquiet de la présence de ces dinosaures. Il questionne encore le professeur. Ne disait-il pas que l’ile avait été inspectée ?
Pragmatique, Oliver demande : « Il n’y aurait pas un moyen de renvoyer le passé à sa place et de replacer l’ile dans le présent ? ». Le professeur décide alors qu’une contre-explosion pourrait faire l’affaire. Et justement « J’avais tous les explosifs nécessaires dans notre navire. Mais nous les avons perdus maintenant ! ». Le professeur décide alors que faute de mieux ils passeront le reste de la nuit dans la grotte et qu’ils examineront leurs options dans la matinée. En fait, dès que les deux autres sont endormis, les héros reprennent leurs déguisements de Green Arrow et Speedy : « Nous ne pouvons courir le risque que les autres retournent à l’épave du vaisseau pour récupérer les explosifs, Speedy ! Et de toute façon demain il sera peut-être trop tard pour les récupérer ! ». Speedy est d’accord. S’ils ont une chance de mettre la main sur ces explosifs, c’est maintenant qu’il faut le faire, avant que l’épave ait terminé de couler.
Bientôt les archers nagent jusqu’à l’épave (était-il vraiment nécessaire de s’habiller en Green Arrow et Speedy ? Ca ne doit pas être très pratique de nager avec un arc et un carquois) et se débrouillent pour ramener les caisses d’explosifs jusqu’à la plage. Mais alors qu’ils posent le pied à terre, Speedy attire l’attention de son mentor sur quelque chose. Oliver Queen commente alors : « Une vue que personne n’a jamais vu avant… Et j’espère que nous ne la reverrons jamais ! ». La vue en question est un spectacle imposant : des hordes de dinosaures fuient un incendie et traversent la jungle. Impossible de retourner vers la grotte. Green Arrow constate : « Nous allons devoir préparer la bombe nous-mêmes ! A moins que nous n’arrivions à déclencher la séparation du temps maintenant, nous allons être piétinés par ces dinosaures ! ».
Ca a marché : Après un choc énorme, Oliver Queen et Roy Harper peuvent alors retourner voir leurs amis, le professeur et sa fille. Allez savoir comment mais le temps semble avoir su choisir comment renvoyer les dinosaures dans le passé et garder dans le présent les bons êtres vivants (comment les héros pouvaient-ils savoir que le prof et sa fille, où encore eux-mêmes, ne seraient pas « échoués » dans un passé lointain ?). Et une nouvelle fois, comme pour le naufrage du bateau, le professeur commente des choses qu’il n’a pas pu voir. Il a l’air très au courant de l’explosion mais ne semble pas se demander ce qui l’a provoqué : « Étonnant ! La déflagration a changé la position du temps ! Nous sommes à nouveau dans le présent ! Tenez ! Ce petit lézard que vous voyez a été un dinosaure ! ». Et la fille blonde se réjouit : « Un avion a vu l’explosion et nous a fait des signaux ! On nous envoie des secours ! Nous sommes sauvés ! ». Seul Oliver Queen doute encore… est-ce que tout ça s’est réellement déroulé ? Et le scénariste nous laisse sur cette fin qui s’efforce de ne pas trancher… même si pourtant les quatre personnages ont partagé la même expérience.
On ne sait pas précisément qui a écrit cet épisode mais il cultive des ressemblances avec l’œuvre de deux auteurs de DC à l’époque. Le principal suspect est Robert Kanigher, l’éditeur/scénariste de Wonder Woman mais surtout, dans le cas qui nous intéresse, le futur auteur de War That Time Forgot et à ce titre inventeur de Dinosaur Island. L’ile des Dinosaures que Kanigher lancera à partir de 1960, dans Star Spangled War Stories #90, se trouve, comme celle visitée par Green Arrow, dans le Pacifique. Dans le premier épisode ou on voit l’ile de Kanigher, les dinosaures semblent être éveillés par une explosion. Qui plus est le scénariste était assez friand des quatuors d’aventuriers (comme son Suicide Squad lancé en 1959 dans Brave & The Bold #25). Il n’était pas rare que dans ses groupes de héros on trouve le surnom « Prof » ou « Professor » tandis qu’un autre personnage portait une casquette de pilote ou de marin. Dans son Suicide Squad la fille est évidemment blonde. Dans plusieurs épisodes de War That Time Forgot publiés dans Star Spangled War Stories, les héros de Kanigher se protègent des dinosaures en se cachant dans une grotte. Robert Kanigher réunit donc beaucoup de caractéristiques en commun avec cette histoire. Un bémol cependant : Kanigher ne semble pas avoir été un des scénaristes réguliers de Green Arrow à cette époque (encore que pour un certain nombre d’histoires de « Flèche Verte », comme ici, on ignore le nom de l’auteur, ce qui laisse de la marge).
L’idée qu’on peut « déchirer » la barrière entre les époques ou les mondes par une « simple » explosion est bien entendu risible, à plus forte raison parce que Green Arrow n’utilise ici qu’une caisse d’explosifs « normaux ». Si la théorie du professeur devait tenir la route, alors que penser d’explosions plus fortes comme celle d’Hiroshima où encore les centaines de tests de bombes atomiques survenus ces dernières décennies ? Et pourtant, comme la nouvelle d’Hamilton, cette aventure de Green Arrow porte la petite graine d’un concept qu’on retrouvera plus tard dans l’univers DC. A savoir qu’une force extraordinaire peut suffire à briser la barrière entre les époques ou entre les mondes. Bien que Superman préfère généralement voyager à travers les époques en utilisant sa supervitesse, on a pu ainsi le voir « casser » l’espace-temps à la fin de la minisérie Kingdom, quand les personnages de l’histoire réalisent à nouveau (après Crisis) qu’il existe différentes réalités alternatives organisées selon l’éphémère concept de Mark Waid et Grant Morrison, l’Hypertime (des réalités différentes qui se supplantent parfois, selon une logique finalement là aussi assez voisine de celle exposée par le professeur dans Adventure Comics #208). En fait toutes ces similitudes découlent sans doute d’une tournure anglaise familière, « blast to oblivion » (« exploser jusqu’à l’oubli »), qui décrit une situation où quelque chose a disparu sans laisser de traces. Mais en anglais « blast » s’entend aussi, dans un autre contexte, comme « projeter ». A partir de là, presque par jeu de mots, on peut comprendre comment Hamilton a pensé à une ville « projetée vers l’oubli » et comment lui ou d’autres auteurs ont imaginé une situation où ce qui est détruit sans laisser de trace à l’issue d’une explosion terrible a été « projeté » ailleurs…
Même en imaginant que Kanigher n’ait rien à voir avec « The Incredible Land of Yesteryear », la compatibilité des deux iles est telle qu’il est très difficile de ne pas imaginer que ce n’est pas simplement le même endroit. Y compris au niveau des tests de bombes, qui sont parfois mentionnés dans les scénarios de Kanigher pour sa Dinosaur Island. D’un point de vue de continuité, cependant, les choses se compliquent. L’histoire parait en janvier 1955. C’est à dire que, si on se place sous une perspective post-Crisis ou DCnU (la plus récente mouture de l’univers de DC), Green Arrow n’existait pas à cette date là. Version « Pre-Crisis », la solution parait plus probable puisque DC n’a pas encore basculé dans le Silver Age et que les évènements se seraient produits sur Terre-2, le monde des héros du Golden Age de DC. SAUF que ce serait trop facile. La chronologie du Green Arrow des années 40/50 est en effet sujette à question. Dans les faits, Green Arrow a été publié sans interruption entre le Golden Age et le Silver Age. On serait donc tenté de penser que tout ce qui est publié au delà d’un certain point situé vers 1955/1956 (voir même un peu plus loin en ce qui concerne ce personnage) relève du Green Arrow du Silver Age (Terre 1). Et réciproquement tout ce qui daterait d’avant décrirait les aventures du Green Arrow du Golden Age (Terre 2). Sauf que pour ménager un fossé plus marqué entre les deux ères DC a aussi établi par ailleurs que les Seven Soldiers of Victory originaux (équipe du Golden Age dont faisaient partie Green Arrow et Speedy) ont disparu dans l’espace temps en… 1948, pour n’être sauvé par la Justice League et la Justice Society deux décennies plus tard. En clair selon la chronologie « Pre-Crisis », les aventures de Green Arrow publiées vers 1948-1955 n’appartiennent… à aucune incarnation connue du personnage. Comme dans pas mal d’autres cas (certaines aventures de Superman, Superboy ou d’Aquaman, parmi d’autres) il semble qu’il existe un couloir d’évènements des « Fifties » qui n’appartiennent ni à Terre-1 ni à Terre-2 et ne peuvent exister que sur un troisième monde non répertorié par DC. Ce qui fait que finalement alors que le Green Arrow des 50’s s’imagine renvoyer les dinosaures à leur époque d’origine, c’est lui qui finira par disparaître de la continuité et donc, en un sens, de l’espace-temps. « Blast to oblivion… ». Disparu sans laisser de trace…
[Xavier Fournier]
[1] DC Comics a incorporé l’existence d’un Adventurers Club dans ses histoires dès Action Comics #27 (1940) mais on a vu le terme refaire surface aussi dans House of Mystery #53 (1956) ou encore Detective Comics #255 (1958) et bien d’autres occasions, sans que le terme semble vraiment décrire une seule organisation. En 1973, l’éditeur a lancé brièvement un Adventurers Club dans les pages d’Adventure Comics #426 et pour une poignée d’épisodes. Il s’agissait simplement d’un narrateur, le Capitaine Strong, racontant les exploits de divers aventuriers. Aucune des incarnations de ce club ne semble liée à celle dont Green Arrow fait mention mais il y aurait sans doute la place pour un Adventurers Club structuré, qui mettrait en ordre toutes ces histoires passées.
Il arrive enfin sur les écrans : Kraven le Chasseur ! Non, on blague !…
Avec Creature Commandos, James Gunn inaugure un nouveau chapitre dans l’histoire tumultueuse de DC au…
Après deux volets ayant conquis le box-office sans pour autant séduire la critique, Venom :…
Hasard du calendrier, Christopher Reeve fait l'objet de deux documentaires en ce mois d'octobre. Le…
Le documentaire Super/Man : L'Histoire de Christopher Reeve plonge au cœur de la vie de…
Pour bien commencer la semaine, Marvel Studios nous présentent les premières images de Thunderbolts*, prévu…