Oldies But Goodies: Adventure Comics #383 (Août 1969)

[FRENCH] Un des grands moments de Crisis On Infinite Earths est la mort de la Supergirl classique, cousine du « Superman d’avant-Crisis » (c’est à dire celui des années 50 à 80). Oui mais voilà, si Supergirl est morte dans les années 80, comment peut-elle assister en 1969 à son propre enterrement ? Impuissante, la super-blonde en est réduite à implore « Please stop my funeral! » tandis que les membres de la JLA emportent son cercueil…

Dans le civil, Supergirl s’appelle Linda Danvers et elle fréquente la ville de Stanhope, où elle va à l’école comme la jeune fille forcément très sage qu’elle doit être. D’ailleurs aujourd’hui elle est de bon conseil : à la sortie des cours une de ses camarades se lamente qu’en cours d’Histoire on leur demande de travailler sur le cursus de gens morts depuis longtemps. Studieuse, Linda ironise gentiment en disant qu’elle sait ce qu’il faudrait à son ami : travailler sur la biographie des Beatles ! (ben oui que voulez-vous, nous sommes en 1969). L’école étant terminée, Linda s’éclipse, pose sa perruque brune et passe sa tenue de Supergirl. La Nasa lui a demandé de surveiller la mission spatiale Apollo 15 aussi sans perdre de temps elle s’envole dans le ciel… Non sans avoir pris le temps d’enlever une poussière dans l’œil d’une petite fille qui se trouvait dans les environs. La gamine allait se gratter l’œil et cette chère Supergirl lui explique qu’au contraire il ne faut jamais gratter. Apparemment ce passage n’a d’autre but que de dispenser un pseudo-conseil d’hygiène aux enfants de l’époque qui lisaient la revue. Mais même dans ce contexte à l’époque des Superman ou Batman ne s’amusaient pas à ce genre de détour nian-nian (sauf dans des publicités hors-récit). Allez savoir pourquoi chez DC on aimait bien voir en Supergirl une héroïne civique mais un brin nunuche quand même…

Bref, la poussière dans l’œil de l’enfant n’étant apparemment plus un danger majeur pour le genre humain, Supergirl décolle cette fois pour de bon. D’ailleurs elle arrive au bon moment à proximité d’Apollo 15 qui était sensé se poser sur Terre… mais qui est au contraire en train de remonter vers un gros nuage. En utilisant sa super-vision, Supergirl s’aperçoit que le nuage abrite un vaisseau extra-terrestre visiblement hostile. Elle tente de détruire la pince du vaisseau (qui menace Apollo) et pour ce faire use de sa vision irradiante… Mais l’action déclenche une réaction en chaîne. Le vaisseau ennemi est détruit (bien jouée Supergirl, s’il y avait un équipage tu viens de le tuer !) et l’héroïne est projetée violemment (« je suis ok mais le choc a failli m’envoyer dans un autre monde »). Mais enfin elle a la satisfaction d’avoir sauvé Apollo… En rentrant vers Stanhope, elle survole Metropolis et aperçoit son cousin Clark Kent portant le deuil, marchant avec un bouquet à la main. Elle en déduit qu’un proche du héros est décédé et, pour savoir de qui il s’agit, décide de le suivre (ne me demandez pas pourquoi elle ne descend pas tout simplement le lui demander).

Mais comme vous l’aurez sans doute deviné vu mon entrée en matière, quand Supergirl suit Clark dans une chapelle elle est horrifiée de découvrir qu’il s’agit de… ses propres obsèques. « Pauvre Supergirl, elle est morte en pleine jeunesse alors qu’une carrière prometteuse l’attendait ! » se lamente Clark. Sidérée, Supergirl tente de l’agripper par le bras pour protester, pour lui montrer qu’elle est bien là… Mais sans effet ! Le bras de Clark ne bouge pas ! C’est comme si elle était… un fantôme ! Supergirl se pince même pour vérifier qu’elle n’est pas en train de rêver et qu’elle ne va pas se réveiller dans sa chambre de Stanhope. Mais non, personne (ses parents, Batman…) ne la voit ou ne la remarque de quelque façon que ce soit… Elle éclate en pleurs mais sent l’humidité de ses larmes sur ses propres joues et se demande si une personne décédée est supposée sentir ce genre de sensations physiques.

Elle décolle alors au hasard mais décide de retrouver sa monture. Supergirl a en effet un super-cheval, Comet, qui a entre autres choses des dons télépathiques. Elle est convaincue que Comet pourra « entendre » ses pensées. Mais non. Comet ne la remarque pas mieux. Allez tant pis, Comet n’est pas le seul animal de la ménagerie de Supergirl. Elle a aussi Streaky son super-chat. Allez, lui il a un odorat de super-félin, il va bien la sentir, non ? Et bien pas du tout. Pire, dans une scène quand même assez pitoyable le chat tient entre ses petites pattes une photo de sa maîtresse qu’il croit morte et pleure à son tour. Déçue, Supergirl s’envole à nouveau au hasard… avant de remarquer un rail endommagé sur une voie ferrée. Comme de bien entendu un train approche. Et Supergirl, dans son état intangible, n’a aucune manière de réparer le rail avant le passage de la locomotive. C’est la catastrophe assurée… Incapable de faire quoi que ce soit, elle hurle alors en utilisant sa super-voix. Bien sûr le cheminot ne la remarque pas mieux que le reste du monde mais… Le train s’arrête comme s’il avait heurté une barrière invisible. Supergirl en déduit que même si les gens ne peuvent percevoir sa présence, les vibrations de son super-cri ont stoppé net le train. Le mystère s’épaissit. Et elle n’est pas au bout de ses surprises.

Volant toujours au hasard elle assiste… A un discours d’Abraham Lincoln, président des USA. Le problème c’est que Lincoln est mort depuis dans un autre siècle. Il ne devrait pas être en train de discourir devant une foule immense. Soudain une estrade cède et (ne me demandez pas comment Supergirl sait que cette fois elle sera tangible) l’héroïne use cette fois ses mains pour éviter un accident meurtrier. Et Lincoln, qui peut la voir, la remercie ! Médusée, Supergirl commence à se demander si elle n’a pas remonté dans le temps sans le savoir. Elle décide de faire un test. Elle va traverser l’océan et se rendre en France. Normalement, elle estime que le chef d’état contemporain de Lincoln devrait être Napoléon III. Mais quand Supergirl arrive en France elle trouve… Jeanne d’Arc ! Donc il y a un problème encore autre que ce qu’elle pouvait penser. Jeanne d’Arc aussi peut la voir. Elle lui propose même de mettre ses superpouvoirs au service de la France. Mais Supergirl s’est déjà envolée ailleurs. Elle tombe alors sur le scientifique Isaac Newton qui est en train d’expérimenter sur une sorte de fusée artisanale… mais l’engin est défaillant et Supergirl, en tentant de sauver l’homme illustre, est à nouveau prise dans une explosion. Quand elle revient à elle, elle est se trouve revenue au milieu de l’océan, prêt de la capsule Apollo 15. Elle est donc revenue à la bonne époque ou/et dans son monde.

Mais comment trouver un sens à tout ça ? Le scénariste s’élance alors dans un jargon digne de Grant Morrison dans les Invisibles (ou dans Final Crisis d’ailleurs). Supergirl élabore donc cette théorie biscornue : elle se trouvait sans doute un univers « négatif » par rapport au sien. Quand sur la Terre habituelle normale une personne décède elle est alors projetée vers ce monde négatif où sa polarité positive fait que les gens « négatifs » (comme le Clark qui pleurait sa Supergirl) ne les voient pas. En gros si l’on en croit Supergirl le « monde négatif » est en gros notre Au-delà bien que cette pensée n’ait pas l’air de la frôler. Et puis d’ailleurs comment Supergirl peut-elle déterminer que les Jeanne d’Arc, Lincoln et autres Newton qu’elle a vu venaient du même monde qu’elle ? Pourquoi ne seraient-ils pas originaires du monde négatif ? Et si le monde négatif est peuplé de gens morts, alors qu’est il advenu de la Supergirl dont on voyait l’enterrement en début d’épisode ? Facile, Supergirl a aussi une explication : « Quand je me suis matérialisé dans le monde négatif, la Supergirl de cette Terre s’est par conséquent dématérialisée et ses amis l’ont pensés morte. Maintenant que je suis revenue sur cette Terre, elle va réapparaître à nouveau ! ». Autant d’explications que Supergirl élabore on ne sait trop comment. Où peut-être qu’elle tente de se rassurer…

Car si on y regarde de plus près, bien qu’il est évident que cela ne pouvait être l’intention de l’éditeur ou de l’auteur à l’époque, cette visite « d’un autre monde » est étrangement compatible avec des circonstances survenues un quart de siècle plus tard, quand les super-héros subissaient Crisis. A l’époque les barrières entre les mondes et les époques s’effondraient. Ce qui expliquerait tout à fait que, d’une, la Supergirl de 1969 soit happée dans le futur, jusqu’au moment de ses obsèques… Et dans Crisis, des guerriers et figures célèbres du passé se retrouvaient projetées dans le présent. Après tout Supergirl *déduit* qu’elle est la seule à voir Lincoln, Jeanne d’Arc ou Newton parce qu’eux peuvent la voir mais elle n’en sait absolument rien puisqu’à aucun moment ces « fantômes » ne sont confrontés aux gens normaux. Peut-être qu’elle est la seule à être immatérielle à cause de sa méthode peu orthodoxe de voyage dans le temps. Qui plus est à l’issue de Crisis, de toute manière, ses proches n’avaient plus conscience qu’elle avait existé, ce qui semble assez raccord avec ce qui arrive dans cet épisode. Alors, Crisis ou pas ? Supergirl vient-elle d’apercevoir son propre avenir tout en étant convaincue du contraire. Bien sûr que non, comme écrit plus haut ceci ne pouvait absolument pas être le but de l’auteur. N’empêche qu’avec le recul le lecteur moderne peut y voir une certaine touche d’ironie. Après tout, il n’est pas interdit d’imaginer…

[Xavier Fournier]

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