Il y a clairement un élément fantastique à l’oeuvre dès cette première case, élément qui étonne aussi bien les gangsters capturés par ce nouveau héros… que les policiers qui se grattent la tête en se demandant bien de qui il s’agit, alors que le cheval ailé s’envole en emportant son cavalier dans le ciel… Même le narrateur interpelle le lecteur: « Oui, qui est cet inconnu… courageux, fantastique… qui galope directement des brumes du passé pour tonner en 1941 ? Pour le savoir, déroulons le parchemin de l’Histoire… ».
Nous voici donc en train de faire un bond en arrière jusqu’en 532, dans la forteresse du roi d’Arthur à Caerleon, situé près de la rivière Usk. A ces mots il devient évident que le scénariste a au moins fait l’effort d’ouvrir un livre sur le mythe arthurien tant on s’attendrait plutôt à entendre parler de Camelot, citadelle plus souvent associée avec ce roi légendaire. « Camelot » est en effet une invention plus tardive, greffée sur le mythe par notre compatriote Chrétien de Troyes au douzième siècle. Les premières sources, elles, privilégiaient Caerleon comme lieu à partir duquel Arthur régnait et réunissait ses chevaliers. Autant les scénaristes de comics ont parfois le chic pour se prendre les pieds dans le tapis quand il s’agit de parler d’histoire ou de mythologies, autant ici on sent que l’auteur s’était quelque peu renseigné avant de se lancer dans l’écriture du Shining Knight.
Mais dès qu’il se met en route sur son cheval gris, Sir Justin perd un peu de sa superbe. Son héroïsme et sa détermination ne sont pas en cause mais sa lourde armure est un véritable supplice à porter : elle est lourde et lui tient trop chaud. Le soleil se lève à peine qu’il souffre déjà de la chaleur. Voilà de bien cruelles conditions pour remplir sa mission, aussi il hâte son cheval (nommé Victory) de manière à avoir fini le plus rapidement possible. Mais le narrateur nous explique : « Mais hélas, plus jamais Arthur et ses chevaliers ne poseraient leurs yeux sur leur compagnon ! Car alors que l’aube se lève sur le Pays de Galles, le jeune Sir Justin se dirige vers une mission qui l’entraînera à des milliers de kilomètres et de siècles de là, dans la plus étrange aventure qui soit arrivée à l’un des chevaliers d’Arthur« . En fait le scénariste s’avance. Ou plutôt ses successeurs sur la série ne l’entendront pas ainsi car, plus tard, Justin aurait l’occasion de revenir de temps à autre auprès d’Arthur et de la Table Ronde… Plusieurs jours plus tard, Justin tombe sur deux autres chevaliers qui ne font visiblement pas partie de son camp et qui lui barrent le passage. C’est l’occasion pour Justin de faire preuve de sa valeur, en battant à lui seul ses deux adversaires, faisant tour à tour usage de son épée et de sa lance. Les deux autres chevaliers sont vites mis en déroute et doivent s’enfuir à pied… Justin les poursuit dans les bois mais les arbres et la végétation deviennent plus denses. D’ailleurs Justin a de plus en plus de mal à manier sa lance et la plante accidentellement dans un arbre… qui s’écrie « Ouch ! Je suis frappé !«
Très vite, Sir Justin arrive ainsi dans un paysage gelé où le géant, haut comme cinq ou six hommes, reconnaît immédiatement l’approche d’un ennemi. Blunderbore (c’est le nom du géant) commence à se battre avec Justin mais là encore le chevalier doré fait usage de sa lance puis de son épée. Le héros est assez rapide et féroce pour arriver à terrasser le géant. Mais, une fois frappé mortellement, Blunderbore s’écroule dans un mouvement qui fait que son pied projette Justin et Winged Victory dans une proche crevasse. Pire : le combat a provoqué un terrible éboulement. Le chevalier et sa monture sont bientôt recouverts par des tonnes de glace. Justin croit sa mort arrivée : « Je sens le sommeil éternel de la mort qui viens à moi. Cependant c’est terrible de mourir alors que je suis encore jeune, quand j’ai encore tant de choses à faire…« .
Quelques instants plus tard, cependant, la théorie risquée est mise en pratique.. et fonctionne. L’iceberg vole en éclat, libérant et réveillant l’étalon ailé et son chevalier, qui ont ainsi traversé les siècles tout en étant préservés dans la glace, un peu à la manière d’Hibernatus ou de Captain America, sans vieillir d’une minute. « Par mon épée ! Je pense avoir entendu un tonnerre puissant ! Mais où suis-je ? Et qui est cet homme étrangement vêtu ? Peut-être est il un allié du géant ?« . En fait Justin n’a pas conscience du temps qui a passé. Il se rue à l’assaut du vieil homme tandis que ce dernier est sidéré de voir « un chevalier et sa monture, vivants! ». Assez bizarrement le petit vieux ne souffle pas mot des ailes que Winged Victory porte sur le flanc (pourtant, ça doit se remarquer, un cheval ailé !).
Mais la discussion est interrompue par l’arrivée d’une jeune femme, Eve Barclay, qui est la fille du principal sponsor du musée (et qui du coup se comporte un peu comme si elle était chez elle). Elle discute alors avec le directeur du musée, ce qui nous permet d’apprendre enfin le nom de ce dernier : le docteur Moresby. Et elle ne manque pas de remarquer le fringuant jeune homme qui accompagne le docteur. Moresby, après avoir un peu bredouillé, improvise et le présente comme son nouvel assistant, spécialiste de tout ce qui touche aux armures. Visiblement Moresby n’a pas envie d’ébruiter la vraie nature de Justin. D’un côté on peu s’en étonner (vu la trouvaille historique qu’il représente) mais par ailleurs on comprendra que Moresby n’a aucune preuve de ce qu’il avance, qu’il a été le seul témoin de l’arrivée de l’iceberg et que personne, sans doute, le croirait… Cependant Justin n’est pas des plus discrets, il ne cesse de parler de chevalerie et Eve finit par croire qu’à force d’inspecter des armures le jeune homme est incapable de penser autrement qu’en « chevalier ». Elle ironise alors en précisant que s’il se prend vraiment pour un chevalier il lui faudra aussi une damoiselle à sauver… Et qu’elle espère bien qu’un jour il aura l’occasion de la sauver. Alors qu’elle s’en va, Justin est sous le charme…
Un cheval ailé en plus du reste ? Les voleurs croient devenir fous. Surtout quand Sir Justin charge la voiture comme s’il s’agissait d’un tournoi et… perfore le moteur avec sa lance (sans doute un coup de chance car comment un chevalier fraîchement débarqué de l’an 532 saurait-il où se trouve le moteur, sans parler de savoir ce qu’est un moteur ?). Bien sûr les malfrats tentent de s’enfuir à pied mais le chevalier arrive à les poursuivre en leur donnant des coups sur les fesses avec le plat de l’épée et avec sa lance… Ce qui nous permet de faire une boucle avec la scène d’ouverture. Les gangsters sont livrés à la police et toute la population de la ville peut voir cet étincelant chevalier s’éloigner dans le ciel, juché sur son cheval ailé. Quelques instants plus tard, c’est le Shining Knight lui-même qui rend les joyaux volés à Moresby (ce qui pose d’ailleurs une question : si Justin a repris les pierres avant de livrer les voleurs à la police, on peut se demander de quoi ils sont accusés). Mais Moresby, seul à savoir que son assistant est une sorte de super-chevalier, est inspiré: « Il y a des hommes mauvais, tout comme il y aura toujours du Mal en ce monde. J’ai souvent pensé que si les gens avaient un champion qui lutterait pour eux…« . Et le Shining Knight le coupe : « Attendez, sire ! Ils ont un champion ! Je suis celui-ci ! Sir Justin, le Shining Knight, champion du peuple ! Et par cette lame qui n’a jamais connu le déshonneur, je jure de débarrasser mon nouveau pays de tous les crimes et de tous les maux… en étant le Shining Knight !« .
En parallèle de ses aventures en solo, le Shining Knight sera aussi membre de la seconde équipe de super-héros de DC dans les années 40, les Seven Soldiers of Victory (Mais ces sept soldats n’auront jamais la popularité de la Justice Society of America). Dans l’univers DC moderne, il sera expliqué que les Seven Soldiers ont été dispersés dans le temps à la fin des années 40 et il appartiendra à la Justice League of America et à la Justice Society de les libérer pour les ramener à l’époque contemporaine, Sir Justin changeant donc une nouvelle fois d’époque.
Mais dans la série All-Star Squadron, Roy Thomas allait muscler un peu le CV du chevalier doré en expliquant que dans les années 40 il avait fait partie également d’une autre équipe, « l’Escadron des Étoiles » (aux côtés de Robotman ou encore Liberty Belle), où il avait rencontré l’héroïne Firebrand, avec qui il allait vivre une relation plus ou moins symbolique (sans se souvenir d’Eve Barclay). C’est sans doute à travers cette série que les lecteurs modernes le connaissent le plus puisqu’elle l’a ramené un peu sous les spotlights. Par la suite on pu voir que le Shining Knight avait évolué avec le temps et portait désormais une armure de nature technologique. Ce Shining Knight est membre honoraire de la Justice Society et est appelé en cas de besoin. On a pu l’apercevoir dans la minisérie Identity Crisis où son épée lui était volée, servant à tuer le premier Firestorm. Sir Justin, le Shining Knight de l’époque Arthurienne ou des années 40 (selon le critère que vous préférerez) est sans rapport direct avec la Shining Knight apparue dans les « Seven Soldiers » de Grant Morrison : Elle vient d’une autre époque, antérieure à l’époque arthurienne, l’idée de Morrison étant qu’il y a des constantes qui se répètent dans l’univers DC dans les temps de crise. De la même manière qu’il y a toujours un équivalent des Seven Soldiers (et qu’on peut déduire que les principaux chevaliers de la Table Ronde en formaient une version précédente), il y aura donc toujours une version d’un(e) Shining Knight.
Rien qu’à lui seul, Sir Justin a défendu au moins trois époques (sans parler d’aventures occasionnelles où il s’aventurait dans le futur) et on lui reconnaîtra d’avoir inventé bien avant Stan Lee et Captain America la technique de l’iceberg comme moyen de survivre à travers les âges… N’oublions pas non plus de souligner que le Black Knight des Avengeurs lui doit aussi énormément. Ce n’est pas tellement que le Black Knight de Marvel soit indirectement lié à la magie de Merlin (ca, c’est un peu couru d’avance quand on parle de personnages dont les racines sont liées à l’époque arthurienne) mais le Winged Victory chevauché par Shining Knight est sans doute l’inspiration majeure de la monture ailée (et en tout point identique) du Black Knight, qui devint par la suite le cheval de la Valkyrie chez les Défenseurs…
[Xavier Fournier]
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