Oldies But Goodies: Air Fighters Comics #5 (Fev. 1943)

[FRENCH] Si, par un glissement politique, le mythe de Thor était vu de manière de moins en moins positive dans les comics des années 40, la logique ne voulait-elle pas qu’on finisse par voir arriver un Thor pro-nazi ? L’événement inexorable finirait par se produire dans une aventure du Iron Ace, aviateur très pittoresque. Le Thor qu’il affronterait ne serait donc pas en reste. Sorte d’exact opposé au Thor de Fox Comics, celui-ci allait sévir dans la France occupée de 1943…

Nous avions fait connaissance dans une précédente chronique avec le Iron Ace, autrement dit l’aviateur anglais Capitaine Britain devenu par la force des choses l’héritier d’une antique armure française destinée à être portée par un mythique héros national. Britain, en portant la lourde carapace de métal, était du coup devenu le Iron Ace moderne et avait gagné, en prime, un avion blindé capable de se transformer comme si l’engin lui-même portait une armure. Il était le fruit d’Air Fighters Comics, une revue entièrement consacrée aux exploits de pseudo super-héros de l’aviation et il est évident que dans le cas du Iron Arc on avait un peu « chargée la mule » niveau fantaisie, de manière à le distinguer de ses collègues. Avec comme point de départ un pilote portant une armure médiévale, le restant de ses aventures ne pouvaient qu’être également « hautes en couleurs ». Pour preuve cette mission très particulière, qui commence du côté de Calais…

Deux prisonniers français qui viennent d’échapper aux allemands escaladent ce que le scénariste nous présente comme étant « la montagne de Calais ». Bien sûr ils ont un guide nommé Pierre (y compris un certain Pierre, il y a toujours – ou presque – un Pierre dès qu’il s’agit de représenter un résistant français caricatural). En fait, ils traînent des planeurs démontés qu’ils comptent lancer du haut de la « montagne » (vu le contexte de l’histoire je pencherais plutôt pour une falaise que pour la montagne énorme, de type alpin, suggérée par le commentaire). L’idée des deux évadés est de partir en planeur vers l’Angleterre et de revenir un jour avec l’armée des alliés pour reprendre le pays. Mais une fois arrivés en haut de la « montagne » ils découvrent un grand château à l’air lugubre. Les deux évadés ne manquent pas de questionner Pierre, qui répond : « Oh… c’est un vieux château. Les nazis ont menacés de raser la ville si nous tentons de le détruire… Il y a une légende à son propos. Le dieu teuton, Thor, est supposé s’en être servi… pour garder un œil sur les choses, pour le compte des allemands ».

Bien sûr, comme ces légendes semblent fantaisistes et un des deux évadés suggère qu’ils se concentrent sur l’assemblage de leurs planeurs… juste avant d’avoir le crâne défoncé (la violence du choc est marquée par un grand éclaboussement de sang) par un marteau portant une croix gammée. Puis le marteau retourne comme par magie vers un homme en armure (nous reviendrons un peu plus tard sur les détails de son apparence) qui se tient à quelques mètres de là. Le guide s’écrie alors « MON DIEU ! C’est Thor ! Il est revenu ! ». Mais l’évadé survivant est moins superstitieux et sort une grande dague : « Bah, Pierre, tu vois des fantômes ! C’est un tour nazi mais je ne marche pas, je vais lui ouvrir la gorge d’une oreille à… ». Mais l’homme tombe aussi après un coup meurtrier du marteau. Thor s’esclaffe « Ha ha ! Un pauvre mortel ose défier le Puissant Thor ! Tiens ! ». Puis, à l’attention de Pierre qui s’enfuit au loin, le dieu du tonnerre s’écrie « Cours, crétin, cours ! Préviens les gens, dis leur que Thor vit à nouveau ! Thor vit pour écraser les ennemis de l’Allemagne ! Ha ! Ha ! Ha ! Ha ! ».

Au Q.G. des services secrets anglais, on reçoit bien vite des rapports sur l’apparition du « dieu teuton Thor » et on convoque le Capitaine Britain, as de l’aviation, pour aller y voir de plus près de quoi il retourne. D’autant que ce mystérieux Thor menace de « détruire la cité de Roueville » et menace donc des vies françaises. Roueville ? Voici un précieux indice géographique qui nous permet de situer les méfaits de ce Thor. Encore qu’il faille sans tenir compte d’erreurs ou d’approximations des auteurs. Sauf erreur de ma part, il n’y a pas de Roueville à proximité immédiate de Calais. Il n’y même pas de ROUEville à proprement parler mais bien un ROUville situé en Seine-Maritime (à environ 250 kilomètres de Calais). Si le château de Thor est situé sur une « montagne » à proximité de Calais, il a sans doute d’autres villes plus proches (à commencer par Calais) à menacer que de prendre en otage un village lointain. Et pourtant Rouville possède bien un manoir remontant au 17ème siècle ainsi que des vestiges de butte (à défaut de montagne). A noter également qu’un certain nombre de villes de Haute-Normandie nommées Tourville ou mêmes Trouville (anciennement Thorouvilla) doivent effectivement une partie de leur nom… au dieu Thor. Un lieu nommé Roueville ou Rouville pourrait donc tout à fait être un ancien pseudo-Trouville qui aurait perdu son « T » au fil du temps. Et à partir de là y trouver un dément en costume de Thor semble presque devenir logique. Les auteurs en avaient-ils pensés si long ? Dans les années 40, il n’était pas rare que les auteurs de comics s’inspirent des articles relatant les faits de guerre pour donner une touche d’authenticité à leurs récits se déroulant à l’étranger. Nous y reviendrons d’ailleurs un jour dans un futur Oldies But Goodies mais, en se basant sur la date probable de création de l’épisode, il est même parfois possible de retrouver, une ou deux semaines auparavant, l’article de journal américain qui décrit l’endroit concerné et qui, par conséquent, inspire le scénariste. Ici un phénomène similaire est sans doute à l’œuvre. Il parait for probable que la lecture d’un article ou d’un ouvrage de géographie aura permis à l’auteur de grossièrement placer Calais et R(e)ouville/Tourville dans un même « Secteur Ouest » de la France, propre à être le théâtre d’affrontements aériens entre la R.A.F. et les forces allemandes.

Recevant l’ordre de bombarder le château de Thor (ce qui semble dont être le manoir de Rouville), le Capitaine Britain répond par « les ordres sont les ordres » et s’envole, en compagnie de deux autres avions de combat, vers les côtes françaises. Bientôt le sinistre château est en vue. Britain ordonne à ses hommes de plonger vers la construction et de lâcher leurs bombes… Quand ils ont la surprise de voir s’élever un char volant, tiré par d’hideux chevaux à tête d’oiseaux. « C’est le diable teuton en personne » s’écrie un des aviateurs. Et impitoyablement Thor lance son marteau indestructible pour détruire, dans un grand fracas, l’un des coéquipiers de Britain puis, la seconde d’après, l’autre. En l’espace de quelques seconde le Capitaine Britain se retrouve seul dans les airs à faire face à Thor. L’anglais s’exclame : « Il n’y a qu’une manière de combatte ! Par le fer ! ». Et aussitôt il pousse le bouton qui transforme son « simple » avion de combat en véhicule volant indestructible. Quand Thor lance son marteau pour détruire le dernier engin qui s’oppose à lui, le marteau… rebondit sans endommager l’avion de Britain. Pendant ce temps le héros en a profiter pour sortir de son compartiment secret son armure médiévale et c’est sous l’identité du Iron Ace qu’il s’extirpe de l’habitacle : « J’ai réglé l’avion pour un atterrissage automatique et je vais prendre soin de Monsieur Thor en combat rapproché ». N’en étant jamais à un acte grotesque près (on l’avait déjà vu lors de sa délirante origine), le Iron Ace se lance donc dans le vide, se jetant vers Thor pour l’attaquer au corps à corps (ce qui est totalement idiot puisqu’une fois établi que l’avion résistait au marteau, il suffisait de rester à l’abri, de laisser tonner les canons du véhicule et de voir si Thor, lui, résistait aux balles).

C’est donc comme une sorte de Iron Man médiéval que le Iron Ace attaque Thor avec ses poings (et sans sortir l’épée qu’il porte à la hanche). Protégé par son armure, Britain peut encaisser sans broncher les coups de Thor mais l’inverse n’est pas vrai. Les vêtements de Thor ne comportent aucune protection au visage et les poings d’Iron Ace font mal. Les vêtements de Thor ! Justement ! Parlons-en ! Pour une divinité nordique issue du folklore viking, le maître du tonnerre ressemble énormément à… un dieu gréco-romain. Même le design de son char évoque plutôt Ben-Hur que celui des drakkars. La crête qu’il porte sur le casque, par ailleurs, est typiquement grecque… Quand à son armure elle semble contemporaine de celle du Iron Ace. Autant dire que ce Thor ressemble autant à un Viking qu’à un Eskimo ! Là aussi on sent qu’il y a eu approximation de la part des auteurs (et en tout cas du dessinateur). L’explication la plus probable est que l’artiste s’est simplement contenté de suivre le descriptif du scénario, qui définissait par endroit Thor comme étant « le dieu teuton de la guerre » et s’est contenté de représenter ce qu’il pensait être un dieu de la guerre. Sans doute pas familiarisé avec le Thor mythologique et ignorant même qu’il pouvait ressembler à autre chose, le dessinateur l’a représenté avec une armure typique… d’Arès, dieu de la guerre chez les grecs. A côté de ça, le Thor de Fox Comics avec son simple slip bleu prend presque des allures de gravure historique !

Dans le combat, il semble assez vite que le Iron Ace a physiquement le dessus, criant des slogans du genre « Je vais te mettre en pièces et montrer à quel point tu n’est qu’un mythe ». Thor, pour toute réponse, se vante de ne jamais avoir été battu par un (simple) homme. Néanmoins dans le même temps le fait qu’il tente de déséquilibrer son propre char pour faire tomber son adversaire montre bien qu’il est loin d’être tranquille. Finalement, d’un coup de pied, Thor arrive à faire tomber le Iron Ace du char volant. « Il est parti ! Maintenant je vais écraser les gens ! ». Arrivé près du sol, le char de Thor se précipite en effet vers quelques villageois paniqués : « C’est Thor ! Fuyez ! Fuyez ! C’est le diable allemand ! Dispersez-vous jusqu’aux collines ! ». Hilare, Thor se moque des fuyards : « Courrez comme vous voulez mais mon marteau-boomerang brisera vos crânes ! ». Les gens se jettent à terre pour éviter l’arme terrible qui, sans rien pour la freiner, va détruire le mur d’enceinte du village. De la fissure émerge… Le Iron Ace (sans doute que Thor l’avait éjecté du char à une hauteur où le héros ne risquait plus de se blesser) : « Merci Thor ! Merci d’avoir créé cette ouverture spécialement pour moi ».

Commence alors une nouvelle phase du combat, devant un public composé de français « pittoresques » (c’est-à-dire tous pourvus de moustaches et d’un accent à couper au couteau), criant des choses comme (en pseudo-français dans le texte) : « Vive LA Iron Ace ! » (et, non, le « LA » n’est pas une faute de frappe de l’article). Rappelons qu’à la base, avant que l’armure atterrisse dans les mains de l’aviateur Britain, le Iron Ace est supposé être un chevalier français mythique, ce qui explique son taux de popularité. Thor donne des coups de marteau en se vantant que chacun d’eux pourrait tuer « un millier d’hommes » et, anxieux, les villageois se demandent comment le Iron Ace pourrait résister à un tel traitement. L’As de Fer doit sans doute lui aussi se poser la question… mais il se souvient soudain que la ceinture du dieu Thor est supposée augmenter sa force. Sortant cette fois son épée, le Iron Ace commence par désarmer Thor en lui faisant lâcher son marteau (allez savoir pourquoi mais cette fois il ne revient pas dans la main de son propriétaire) puis, toujours avec l’épée, il tranche la ceinture de ce teuton en armure grecque. Aussitôt Thor s’écrie « Ma ceinture ! Ma ceinture ! Tout ma force s’échappe ! ». Privé de sa ceinture et de son marteau, Thor prend la poudre d’escampette et disparaît derrière un coin de rue. Le Iron Ace est convaincu qu’on va bientôt en finir mais, atteignant lui aussi l’angle, il découvre que c’est là que Thor avait garé son char volant. Le teuton redécolle hors d’atteinte…

Le Iron Ace murmure : « Il va se forger une nouvelle ceinture de force. Je dois l’arrêter. A mon avion ! ». On vient de voir que l’anglais sait désarmer son adversaire et le priver de sa force. S’il y avait une nouvelle ceinture, il suffirait de répéter l’opération, non ? Pas sûr : revenu dans son château, Thor est justement en train de forger son nouvel accessoire en expliquant tout haut que cette fois il l’a rendu cent fois plus résistant et que la lame du héros ne pourra plus l’entamer. Conscient du danger, le Iron Ace si est pressé d’empêcher la création de cette deuxième ceinture qu’il ne prend pas le temps de se poser (il n’a d’ailleurs pas la place). Profitant du fait que son avion est indestructible, il le projette contre les murs du château. L’engin volant brise la muraille et détruit une partie de la fonderie de Thor. Sortant de l’avion, Iron Ace s’écrie « Trop tard, Thor ! Tu n’auras pas le temps de mettre ta ceinture ! ». Ce qui est faux puisque Thor a la ceinture bien en main et que, dans les cases suivantes, on peut voir qu’il a pu la mettre à sa taille. Pourtant, il n’est pas tranquille. En désespoir de cause Thor lance sur le héros ses deux hideux chevaux à tête d’oiseau (ceux qui servent à tirer le char) mais le Iron Ace a vite fait de les assommer. Et même la nouvelle ceinture de Thor ne semble pas spécialement lui donner un atout face à l’aviateur-chevalier. Thor prend du recul, se place entre deux colonnes et s’apprête à lancer à nouveau son marteau (qu’il a visiblement récupéré d’une manière ou d’une autre). Vu qu’on a pu voir que le blindage du Iron Ace résiste au marteau, Thor a une idée plus fourbe. Il ne vise pas le héros mais bien le pilier situé à côté de lui. L’idée est de provoquer un éboulement qui détruira Iron Ace. Mais ce dernier voit le coup venir, dégaine son épée et arrive à dévier la trajectoire du marteau qui retourne frapper un pilier proche de Thor. C’est l’arroseur arrosé : Thor disparaît sous l’éboulement…

Inspectant les décombres, Iron Ace constate : « Il a été écrasé là-dessous ! Mais je me demande s’il était vraiment l’immortel Thor qui désirait régner sur le monde… hmmm… ». Visiblement le scénariste a souhaité terminer sur une fin ouverte, insinuer que, non, peut-être que finalement aucun dieu n’est du côté allemande et qu’il s’agirait d’une sorte d’imposture de propagande. Après tout le Iron Ace lui-même n’est pas le champion éternel de la France qu’il fait semblant d’être… Après tout il pourrait s’agir d’un Thor de pacotille, équipé d’accessoires fournis par la technologie nazie. Mais dans le même temps plusieurs éléments du récit contredisent cette hypothèse. Thor a d’une part des créatures oiseaux monstrueuses à ses ordres et, visiblement, il sait comment forger une ceinture de force (sans aucun mécanisme visible) en quelques instants. Ne reste guère que la scène de conclusion dans laquelle le Capitaine Britain retourne en Angleterre et où un militaire, totalement ignorant de sa double identité, lui lâche : « Dommage que vous ayez été obligé de baisser le régime en survolant la Manche. Mais votre mission a été menée à bien… par le Iron Ace ! ». Britain ne peut que bredouiller « Oui… C’est drôle qu’il soit toujours là quand j’ai besoin de lui ». Le narrateur termine alors avec deux questions qui expliquent pourquoi, vers la fin, on a soudainement tenté de semer le doute quand à la nature de Thor : « Est-ce que Thor l’immortel est vraiment mort ? Est-ce que le Iron Ace a donné une fin à ce monstre éternel ? Nous vous promettons de grands frisson dans le prochain épisode d’Air Fighters Comics». Bien sûr, le mois suivant le Iron Ace était passé à un mission totalement différente et on en saurait jamais vraiment plus sur cet étrange Thor nazi habillé en grec pour vivre dans un château français…

[Xavier Fournier]

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