Oldies But Goodies: Alarming Tales #6 (Nov. 1958)

[FRENCH] Même si elles sont relativement dénuées de conversation, les fourmis sont des êtres fascinants parait-il. Au point d’inspirer régulièrement les auteurs de fiction, qu’il s’agisse de romans, de films ou de bandes-dessinés. En 1958, dans Alarming Tales #6, « King of the Ants », une histoire dessinée par Al Williamson va explorer ce sujet, ouvrant sans doute la voie à une véritable dynastie des comics… Mais qui est donc le « Roi des Fourmis » ? Voilà un comic-book qui plairait à Bernard Weber !

Alarming Tales est une série que j’ai déjà mentionné dans cette rubrique. Publié par Harvey Comics, ce titre était une anthologie publiée vers la fin des années 50 et dont la durée fut courte. On y trouve cependant quelques histoires notables de Jack Kirby… Et pas seulement de lui. Le récit qui nous intéresse aujourd’hui, « King of the Ants« , est en effet dessinée par le talentueux Al Williamson (pour ce qui est de l’identité du scénariste, mystère). L’action se déroule dans les tropiques, dans la plantation où travaille un docteur nommé Harry Cross. Ce n’est cependant pas lui le héros de l’histoire mais un certain Jack, un ami de Cross (et ancien officier de l’armée américaine) qui est venu lui rendre visite. Passionné par ses expériences, Harry montre à Jack une fourmilière artificielle qui lui sert pour observer ces petites bestioles. Le scientifique affirme à son ami que « les fourmis sont de fascinantes créatures, Jack ! Comme tu es un ex-officier, tu serais intéressé si tu te décidais à étudier leurs prouesses militaires« . Le dénommé Jack acquiesce. Il a entendu dire « qu’au pays » (comprenez : « aux USA ») on se sert de fourmis spéciales pour repousser certains insectes. Et Harry explique que justement, c’est son travail dans la plantation : Déterminer quels types de fourmis sont bons ou mauvais… Les bonnes seront conservées, bien sûr… Mais on se débarrassera des mauvaises avec des fumigènes. Tout un chargement de produit fourmicide sera d’ailleurs livré ce soir. En écoutant parler de ces préparatifs apparemment sans pitié (il faut croire que les fourmis font vraiment beaucoup de dégâts à l’intérieur de la plantation), l’instinct militaire de Jack reprend le dessus. Son intérêt est éveillé : « La guerre contre les fourmis, hein ? Cela devrait être intéressant…« .

Puis le commentaire reprend ses droits. Il s’agit en fait de la voix de Jack, qui raconte ce qu’il a vécu : « Et c’est ainsi que, très simplement, tout a commencé ! Je ne me doutait pas qu’avant le crépuscule je serais en mesure de dire ce qu’aucun homme avant moi n’avait pu prétendre… Que j’étais devenu… Roi des Fourmis !« . En fait Harry et Jack sont encore fascinés, en train de regarder la fourmilière, quand un homme arrive catastrophé pour les prévenir que la plantation est attaquée par des pillards. Il s’agit d’un gang de « bandits venus de la côte » qui s’est spécialisé dans l’attaque des plantations du secteur. Au début, Jack est optimiste. En se basant sur le nombre de coups de feu il en déduit que les assaillants ne sont pas si nombreux que ça. Mais Harry le détrompe. Oui, il y en a peu. Mais il ne s’agit que de quelques éclaireurs venus commencer l’attaque, en attendant que le gros de la troupe les rejoigne. Et même ce petit détachement est déjà plus nombreux que les hommes de la plantation en mesure de se battre. Mais comme on pouvait s’en douter, Jack est un dur à cuire qui ne se décourage pas pour si peu : « Je me suis retrouvé dans des batailles où nous étions beaucoup moins nombreux mais nous nous sommes débrouillés ! Réunis tes hommes ! Je vais regrouper toutes les armes dont nous disposons !« . Mais alors que Jack court dans le laboratoire, un tir des brigands touche certaines des éprouvettes d’Harry. Mélangés, les produits explosent… Jack est pris dans la déflagration et se sent vite de plus en plus faible : « Etrange. Vraiment étrange ! Je me sent bizarre ! Quelque chose m’arrive ! Peut-être quelque chose qui a été provoqué par les produits chimiques…« . Jack s’apprête à appeler à l’aide Harry mais il n’a pas la force d’articuler le moindre mot. Pire : il réalise qu’il est en train de devenir de plus en plus petit. Encore plus petit ! En l’espace de quelques secondes, Jack se retrouve dans un paysage étrange, en face d’une créature bien plus grande que lui.

Jack entend une sorte de murmure musical et n’aperçoit que trop tard les monstres approcher… Il est entouré de fourmis, qui, comparées à lui, ont l’air d’être de véritables éléphants. Avec leurs mandibules les bestioles s’emparent alors du héros. Jack réalise enfin : « J’ai été réduit à une taille microscopique ! Je suis plus petit que les fourmis ! Et elles me font prisonnier « . Jack, impuissant devant ces « monstres », n’en mène pas large. Mais rapidement les mandibules se relâchent. Les bestioles ont perçu quelque chose qui les effraie. Jack comprend ce que c’est : « Un scarabée ! Et ce n’est pas l’insecte de taille réduite dont j’ai l’habitude ! Maintenant il me semble aussi gros qu’un rhinocéros! Et les fourmis ont l’air contrarié !« . Les fourmis ne sont que pas nombreuses et ne sont pas de taille à se mesurer au scarabée, véritable cuirassé de la nature qui se dirige vers elles. Bizarrement, l’altruisme de Jack prend le dessus… « Hmm… à moins que je puisse me faire une épée de cette épine ! ». Ainsi armé, Jack se précipite vers un point en hauteur, duquel il peut se laisser tomber sur le scarabée : « Qu’est-ce que je ne donnerais pas pour un fusil M-1 ou une grenade ! Le Capitaine Jack Flaherty, de l’infanterie U.S., combattant avec une simple épine !« . Jack tombe de tout son poids sur le scarabée et arrive à planter son arme artisanale dans la tête de l’insecte. L’homme minuscule a gagné contre ce monstre… Et les fourmis s’emparent à nouveau de Jack. Mais cette fois c’est avec beaucoup plus de délicatesse. Il réalise qu’elles ne le considèrent plus comme un prisonnier mais comme un allié.

Il est emmené jusqu’à la fourmilière et installé sur un petit relief qui évoque un peu un trône. Jack réalise alors qu’il est considéré comme bien plus qu’un allié : « Bon sang ! Je réalise maintenant ! Elles font de moi leur roi !« . Ce qui pose quand même la question de savoir comme une fourmi aurait-elle conscience qu’un « roi » doit être installé sur un « trône » ? Jack est alors nourri. On lui amène du miel et d’autres choses qu’il ne reconnait pas… Mais qu’il mange avec appétit. A cette taille, Jack observe encore mieux les fourmis et, les voyant déplacer divers obstacles, constate qu’elles sont d’une grande intelligence et que leur force est, proportionnellement, démesurée. Jack emmène même ses nouvelles amies à la chasse (et là encore, quelle notion de « chasse » aurait une fourmilière ?), observant de loin un lapin et un oiseau qu’il juge maintenant aussi grands que des dinosaures.

Mais bientôt Jack réalise ce qui a fait détaler le lapin et l’oiseau : l’arrivée de fourmis tueuses, carrément plus dangereuses que les alliées du héros. « Les fourmis pillardes vont raser toute notre colonie ! Nous n’avons pas une chance ! » s’exclame Jack qui visiblement s’identifie déjà totalement avec la fourmilière qui l’a « adopté ». Mais très vite l’homme s’aperçoit que ses amies font preuve d’une stratégie ingénieuse. Elles disposent sur le chemin des morceaux de nourriture. En les découvrant, les pillardes commencent à s’affronter les unes et les autres, se disputant les morceaux. Le stratagème ralenti les envahisseurs mais Jack réalise bien que cela ne fait que temporiser l’attaque. Le danger n’est pas pour autant éliminé. En tapant de petits cailloux les uns contre les autres et déclenchant des étincelles, l’homme arrive à allumer un feu. Il faut croire que Jack conserve une partie de sa force habituelle, quand il est « grandeur nature » car comment un être plus petit qu’une fourmi arriverait à taper assez fort des cailloux, même petits, pour générer des étincelles suffisantes ? Le feu prend de l’ampleur et bientôt les flammes et la fumée repoussent les envahisseurs. Jack lui-même ne se sent pas très bien et se prend la tête… Quand il entend quelqu’un qui crie son nom.

C’est Harry qui lui demande s’il va bien. Un Harry à taille humaine. D’ailleurs Jack lui-même n’est plus microscopique, revenu à la normal… A supposer qu’il ait cessé de l’être ? Harry se réjouit de voir que l’explosion des produits chimiques n’a eu aucun effet sur Jack. Constatant que son ami est indemne, il lui rappelle qu’il doit trouver des armes pour repousser les pillards Des pillards ? Jack a soudain une illumination. Il demande au scientifique de lui faire confiance. Il a un plan. Bien vite Jack dispose de l’argent et des bijoux à la lisière de la jungle. Les brigands cessent d’attaquer, trop occupés à se ruer sur ce trésor. Harry est passablement surpris : « Jack ! Ta stratégie fonctionne ! Ils se battent entre eux pour des objets de valeur ! Cela va nous faire gagner beaucoup de temps !« . Jack se contente de répondre que ce n’est pas SA stratégie. Bientôt ils passent à la deuxième phase. Quand la jeep de livraison arrive avec les produits fourmicides, Jack s’en sert comme de véritables grenades fumigènes pour finir de repousser les attaquants. Harry est admiratif : « Ton entraînement militaire nous a sauvé, Jack ». Et l’autre répond simplement « Oui, un entraînement militaire appris dans la plus étrange armée que j’ai jamais connu !« .

Plus tard, l’attaque étant terminée, Jack a tout le temps de raconter son étrange aventure à Harry. Ce dernier pense, bien sur, que toute cette histoire de fourmis n’est qu’une illusion : « Bien sur, les produits chimiques ont du causer une sorte de délire qui t’aura fait rêver tout ça. Où peut-être est-ce une sorte d’auto-hypnose, causée par ta fascination pour les fourmis« . Mais Jack préfère penser que tout est vrai, concluant par « après tout, qui ne voudrait pas être roi, même pour un seul jour ?« .

Rideau, l’histoire s’achève et Alarming Tales étant une anthologie sans personnage régulier, on n’entendra plus parler de Jack, le Roi des Fourmis. Quand à dire qu’il ne laissera pas de trace, c’est une autre histoire… En janvier 1962, chez Marvel, Stan Lee, Larry Lieber et Jack Kirby produiront dans Tales To Astonish #27 une histoire intitulée « The Man in the Ant Hill » sur un scientifique qui teste un produit et se retrouve réduit à une taille microscopique, avant d’être prisonnier dans une fourmilière. C’est Henry Pym, qui fait là sa première apparition. Intrigué par le personnage, Stan Lee décidera huit numéros plus tard de ramener le prisonnier de la fourmilièren le transformant en super-héros et en le baptisant Ant-Man, l’Homme Fourmi…

Il est de bon ton, quand on parle d’un personne réduit à une taille d’insecte, de rattacher tout récit à une référence incontournable : « L’Homme Qui Rétrécit » (d’abord un roman de Richard Matheson publié en 1956 puis adapté en 1957 dans un film devenu fameux de Jack Arnold). Dans ce récit, le héros, dont la taille va en se réduisant affronte diverses bestioles (un chat, une araignée…). Aussi dès qu’on parle de la création d’Henry Pym dans « The Man In The Ant Hill », on a tendance à le rapprocher directement de « L’Homme Qui Rétrécit » alors que le « King of the Ants » semble un maillon important dans ce processus « créatif ». Avec la parution du livre de Matheson en 1956 puis la sortie du film en 1957, il ne fait pas l’ombre d’un doute que Jack, le roi des Fourmis dans Alarming Tales #6, a été pour une bonne partie inspiré par « L’Homme Qui Rétrécit ». Cependant l’auteur a préféré se concentrer sur les fourmis, plus propices à créer un parallèle avec le background militaire de Jack. Quatre ans plus tard, « The Man In The Ant Hill » se concentre lui aussi seulement sur les fourmis et sur l’idée d’un homme piégé à l’intérieur de la fourmilière. Qui plus est, Jack Kirby, fréquent collaborateur d’Alarming Tales, avait forcément vu, à l’époque, le récit d’Al Williamson. Quand à savoir s’il s’agit d’une décision délibérée d’imiter une histoire publiée quelques années plus tôt où si le subconscient des créateurs d’Henry Pym leur a simplement ressorti des éléments qu’ils avaient oublié avoir lu… Une chose est sure, de manière consciente ou pas, « King of the Ants » semble bien être le « prototype » officieux d’Ant-Man.

[Xavier Fournier]
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