[FRENCH] En 1947 le scénariste Robert Kanigher se lança dans ce qui ressemble bel et bien à un plan conscient : créer systématiquement des super-ennemies plus imposantes dans les séries qu’il écrivait. De ce plan sont nés des personnages comme Black Canary ou, très probablement, Huntress, respectivement dans les aventures de Johnny Thunder et de Wildcat. Mais Kanigher écrivait également les exploits de Flash et allait y créer une femme fatale… qu’on associe depuis bien plus avec Green Lantern.
Dans l’après seconde guerre mondiale, les super-héros durent revoir leur quotidien. Fini les saboteurs, les méchants nazis et les monstres japonais. Ils n’étaient plus d’actualité. Par la force des choses les scénaristes de l’époque durent trouver de nouvelles menaces. Et simplement remplacer le mot « saboteur » par « gangster » ne convenait pas, pour tout un ensemble de raisons. La principale étant que les nazis et les japonais avaient fait l’unanimité contre eux. Patriotisme oblige, personne, en temps de guerre, n’aurait reproché aux comics de s’attaquer à de telles cibles. Avec la guerre terminée, les critiques bien pensantes s’en prenaient à nouveau à la BD américaine, lui reprochant sa supposée violence. Ce qui fait qu’il était compliqué de remplacer (en tout cas dans une même proportion) les nazis par des gangsters brandissant des revolvers. Ceci explique peut-être qu’entre 1946 et 1948 une nouvelle génération de super-vilains vit le jour d’une façon en apparence spontanée. Et pour répondre à cette demande on trouve, entre autres, le scénariste Robert Kanigher qui lancerait quelques criminels comme le Fiddler (le « Violoniste » ou le « Violoneux » en VF), Icicle mais aussi, de manière insistante, un grand nombre de femmes fatales. En l’espace de quelques mois (en gros de l’été 1947 à l’été 1948), Kanigher (peut-être inspiré par les ennemies du Spirit de Will Eisner) semble avoir été pris d’une véritable frénésie thématique. Il semble qu’à cette époque dès que Kanigher arrivait sur une série il se dépêchait d’envisager une nouvelle ennemie. A moins qu’on lui ait demandé… car on remarque que dans le même temps Catwoman pris une importance renouvelée dans les aventures de Batman. Il est donc très possible que DC ait demandé de manière générale qu’on rende les histoires un peu plus sexy et que Kanigher ait été un peu plus zélé…
En ce qui concerne plus spécifiquement Flash, Robert Kanigher avait amorcé dans All-Flash Comics #31 (Oct. 1947) une remise en cause de la place de la femme dans l’univers du héros. Pour le coup rien à voir avec une super-criminelle : Depuis les débuts du Flash de l’Age d’Or (Jay Garrick), la dynamique de couple au sein de la série était beaucoup plus sereine que dans la majeure partie des autres séries. La fiancée de Jay, Joan, était depuis le début dans la confidence de sa double identité. Rien à voir, donc, avec un tandem à la Clark Kent/Lois Lane où celle-ci tentait désespérément d’apprendre l’identité de Superman. Kanigher semblait cependant regrette cette absence de ressort dramatique. Aussi dans All-Flash Comics #31 il préféra introduire le Docteur Maria Flura, une jolie rousse qui semblait impressionnée par Flash tout en prenant Jay Garrick pour un bouffon. Il aurait pu s’agir d’un personnage jetable mais dans All-Star Comics #32, Kanigher ramena Flura tout en passant sous silence l’existence de Joan. Il semble que le scénariste en tête d’éclipser au moins en partie la fiancée établie de Flash au bénéfice d’une nouvelle ingénue. Ou peut-être d’établir un triangle sentimental. Flura fait partie d’un groupe d’épisodes de Flash écrits par Kanigher qui forment globalement une sorte d’arc : Flash et Flura rencontrent les habitants d’une mystérieuse Secret City (l’archétype de la civilisation cachée) et à partir de là chaque apparition de Maria Flura fera référence, à un degré ou à un autre, à l’existence de cette ville secrète. Mais ce n’est pas ce qui attirera le plus l’attention du lecteur contemporain lors de la lecture de cette histoire d »All-Star Comics #32. Tout est dans le titre en fait : « The Amazing Star Sapphire!«
Le récit commence alors que deux cantonniers, passant le balais dans la rue, découvrent deux corps inertes : Le héros Flash et le Docteur Flura. On les transporte d’urgence à l’hôpital le plus proche mais les médecins constatent que Flash et Flura semblent être morts… sans l’être véritablement. Dans les jours qui suivent, l’opinion publique se passionne pour ce mystère apparent. Quelqu’un pourrait-il les sortir de cet étrange coma ? Les médecins ne progressent pas et finissent par lancer un appel aux scientifiques du monde entier. De partout des hommes de science (avec des accents assez marqués pour marquer leur origine étrangère) se précipitent. Bientôt on peut envisager de tenter une opération qui, peut-être, pourra sauver Flash et son alliée. Malheureusement il faut rapidement reconnaître l’évidence : Toutes les disciplines ont été mises à profit… sans résultat. Les deux personnages comateux ne s’éveillent pas. Un des médecins explique : « Flash et le Dr. Flura semblent être plongés dans un état d’animation suspendue. Mais il ne leur reste qu’un mince fil de vie. Un fil qui pourrait se rompre à tout moment ». Comme dans leur état Flash et Flura ne peuvent respirer convenablement, ils ont été enfermés dans une sorte de cage de verre où on tente de leur fournir tout l’air possible et de leur faire reprendre conscience. Mais le médecin, accompagné par une femme brune (à la coupe de cheveux digne de la princesse Leia ou d’Ioulia Tymochenko) prévient : Si ce traitement était interrompu un seul instant, les deux patients n’auraient plus que deux minutes à vivre ! Il faut donc une surveillance de chaque instant. Et alors que les tours de garde commencent un des docteurs manque de glisser et de se fracasser contre la vitre. Il est rattrapé de justesse par la femme brune. Si elle n’avait pas été là, l’homme aurait pu briser la glace malgré lui et tuer Flash et son amie…
Mais la situation à une autre retombée. Pendant ce temps les gangsters de la ville réalisent que Flash est immobilisé. S’en est fini de celui qui les pourchassait ! La pègre décide alors d’en profiter (d’autant plus qu’à l’époque la notion d’univers partagé en est à ses balbutiements et que personne ne risque de se poser la question d’autres héros venant d’autres cités pour prendre la relève). Flash n’est cependant pas le seul à défendre la ville. La police sort en pleine nuit dans les rues pour tenter de ramener le calme, non sans regretter que Flash et Flura ne soient pas en état d’intervenir. Mais l’un des policiers est attiré par un curieux phénomène céleste. Un astre semble se rapprocher de la Terre. C’est bien çà. Il se fait si proche que sa lumière commence à éclairer le sol. Officiellement c’est la nuit… mais on y voit comme en plein jour, comme si un nouveau soleil avait pris place dans notre ciel… Une nouvelle étoile semblable à un saphir rose ! La populace est inquiète. S’en serait fini de la nuit ? Que peut-il se produire maintenant ? C’est aussi la question que se posent les astronomes, stupéfaits de ne pas avoir détecté plus tôt l’existence de ce corps céleste si brillant, qui n’est finalement pas une étoile mais une « planète saphir » ! Les savants s’inquiètent encore plus quand ils remarquent autre chose… La lumière de l’astre saphir est en train de détruire la chlorophylle. Et donc les végétaux qui produisent de l’oxygène ! Il n’y aura bientôt plus d’oxygène sur Terre ! Ce n’est qu’une question de temps (là encore on voit les limites de l’univers DC de l’époque : les camarades de Flash dans la Justice Society n’apparaissent pas, malgré l’ampleur globale de la menace).
Rapidement la situation dégénère. Au point que dans le bâtiment où on traitait Flash et Flura les médecins commencent à suffoquer par manque d’oxygène. Bientôt les docteurs et infirmiers s’écroulent… réalisant trop tard qu’une seule d’entre eux n’est pas affectée : La doctoresse brune aperçue plus tôt. Au contraire, elle les regarde de manière impassible tout en fumant une cigarette. Maintenant qu’il n’y a plus personne pour la retenir, elle se dirige vers la cage transparente qui protège les deux patients. Un des médecins esquisse un geste mais il ne peut rien faire. La femme prend une hache et brise la vitre. Au grand désespoir du docteur au sol : « Bon sang ! Il n’a plus que deux minutes à vivre maintenant ! ». Mais ça ne suffit visiblement pas à la femme brune, qui renverse l’habitacle, faisant tomber les deux corps. Sauf… sauf que Flash et Flura ne tombent pas sur le sol de la pièce où on les soignait. Au contraire ils heurtent un sol rose. Réveillés par le choc ils réalisent qu’ils sont sur une autre planète. Ayant été inconscients pendant toute la première partie de l’histoire, ils ne sont pas au courant des évènements récents (encore qu’il y a des scénaristes qui ne seraient pas embarrassés de détails là dessus) mais le lecteur comprend qu’ils se retrouvent sur l’astre saphir.
Encore étourdis, Flura et Flash décident d’essayer de reconstituer leurs souvenirs. Flash se remémore alors avoir vu une annonce dans le journal. Le docteur Flura cherchait à le contacter et Flash pensait qu’elle voulait évoquer leur précédente aventure (celle d’All-Flash Comics #31). Mais la jeune femme voulait lui faire part d’une découverte d’un autre ordre : un étrange objet, gros comme une voiture, marqué d’une sorte de sceau en forme d’étoile. Flura explique que l’objet est apparu la veille devant elle. Elle se demande si l’engin n’a pas été envoyé par leurs alliés de la Secret City. Est-ce qu’ils auraient besoin d’aide ? Flash, qui n’est pas du genre à rester les bras croisés, décide de passer à l’action sans attendre. L’engin est une forme de capsule, sans doute un moyen de transport. Il ouvre la porte et entre à l’intérieur, flanqué de Flura qui tient à l’accompagner. L’objet fut alors frappé par de fortes vibrations… Et c’est la dernière chose dont ils se souviennent. Ils ont visiblement été déplacés à travers l’espace-temps jusqu’à cette planète. Mais qui a pu les amener là ? C’est alors que quelqu’un s’adresse à eux.
Ce quelqu’un, c’est la femme docteur qu’on a déjà vu dans les cases précédentes. Elle explique alors que tout son stratagème avait pour but de s’assurer que Flash et Flura seraient hors d’état d’intervenir tandis que son Etoile Saphir (sa « Star Sapphire ») détruirait la Terre. Cette explication est en un sens étonnante car si on comprend qu’elle veuille neutraliser Flash et ses pouvoirs, elle utilise le pluriel et on se demande bien quel danger Maria Flura pouvait représenter. Flash pose alors la question qui s’impose… Mais qui est-elle ? La femme brune se transforme alors, abandonnant l’apparence d’un docteur pour un costume que le narrateur qualifie de plus exotique. Elle porte un costume mauve et jaune, avec d’une marque en forme d’étoile et se présente alors comme étant la seule habitante et la maîtresse de cette planète… Star Sapphire ! Bien sur il est sans doute facile de se déclarer seule maîtresse quand on est aussi la seule habitante mais le terme a sans doute aussi l’implication que la planète répond aux ordres de Star Sapphire (ce qui expliquerait qu’elle ait pu l’amener à proximité de la Terre selon sa volonté). Star Sapphire, ce nom interpellera forcément les fans de Green Lantern puisque depuis les années 60 une autre Star Sapphire (Carol Ferris) est bien connue pour être l’ennemie puis l’alliée d’Hal Jordan. Mais dans le Golden Age le Green Lantern de l’époque (Alan Scott) n’avait jamais croisé d’homologue de Star Sapphire. C’est bien dans All-Flash Comics #32 que l’idée fait pour son apparition pour la première fois. Kanigher ne s’embarrasse cependant pas de certaines précisions. On ne sait pas vraiment pourquoi Star Sapphire, première du nom, veut détruire toute vie sur Terre ou ce qu’elle pourrait y gagner. Flash est certain d’une seule chose… Elle ne va pas s’en tirer comme ça…
Cependant Star Sapphire n’est pas impressionnée par cette menace. Elle porte une sorte de diadème surmonté d’un bijou (on imagine forcément que c’est un saphir) qui se met à irradier et leur permet d’observer « à travers l’espace qui divise les deux planètes ». Flash peut voir alors les gens qui manquent d’air et qui paniquent… Tandis que le corps de Flash, lui, est toujours sur le sol de l’endroit où on le soignait et n’a plus que deux minutes à vivre. Car Star Sapphire leur révèle la particularité de leur situation : sa machine les a bien transportés sur son monde mais leurs corps terrestres sont restés sur leur planète d’origine. En fait si on y regarde bien cette idée de deux corps (un projeté sur le nouveau monde tandis que l’original est abandonné sur Terre) est proche de la manière qu’avait John Carter pour voyager de la Terre jusqu’à Mars. Star Sapphire a alors transporté les corps d’origine jusque dans la rue, loin du laboratoire de Flura, afin qu’on ne puisse trouver aucun indice de ce qui s’était passé. Entre nous, Star Sapphire montre qu’elle n’est pas particulièrement futée car elle aurait pu profiter de ce moment pour tuer les corps terrestres de ses deux ennemis, ce qui aurait réglé la question. Là, au contraire, elle se condamne à jouer toute une supercherie, à se déguiser en docteur pour infiltrer l’équipe qui tente de soigner Maria et Flash : « Mais vos scientifiques ont échoué, parce qu’ils ne savaient pas que vos corps étaient dans deux dimensions en même temps ! Et jusqu’à ce qu’on puisse les réunir vos corps terrestres ne servaient à rien ! ».
Star Sapphire n’est pas plus futée quand elle se vante. Elle pointe du doigt des structures qu’on voit à l’horizon : « Admirez ma Star Sapphire City, dans laquelle se trouve le mécanisme qui attire nos deux mondes l’un vers l’autre… Pompant toute vie hors de l’oxygène de la Terre ! Si vous le détruisez, vous sauverez votre monde ! ». Flash la remercie aussitôt de cette révélation… Mais Star Sapphire ricane : « Vous oubliez que votre corps terrestre n’a plus que deux minutes à vivre ! Quand il périra, vous serez également mort ici ! Adieu ! Je vais accélérer le mécanisme ! ». Et Star Sapphire s’élève, se déplaçant dans le ciel sur des marches d’escalier qui semblent se former à volonté sous ses pas. Ce récit explique assez peu les pouvoirs et les caractéristiques de Star Sapphire mais du point de vue de la continuité classique de DC (c’est à dire dans la période s’étendant jusqu’à 2011 et Flashpoint) on peut tout à fait penser qu’il s’agit d’une précédente propriétaire de la pierre possédée plus tard par Carol Ferris, la fiancée d’Hal Jordan. Les marches célestes seraient donc des constructions de lumière solide, fabriquées par le joyau. On verra d’ailleurs plus loin que d’autres y ont pensé…
Flash et Maria Flura sont concernés par des questions plus immédiates que la continuité. L’alliée de Flash est catastrophée : « Deux minutes à vivre… Et elle s’enfuit avec cet escalier volant ! Que peux-tu faire ? ». Le héros lui répond qu’il est bien décidé à la vaincre et à détruire le mécanisme avant de mourir (ce qui montre la détermination de Flash mais aussi la tournure sombre, façon « Mort à l’Arrivée » que prend l’histoire). Flash s’élance, sur de rattraper Star Sapphire… avant de remarquer que les lois physiques ne s’appliquent pas de la même manière sur ce monde. Elles sont même plutôt inversées. Au lieu de soulever un panache de poussière et de sable derrière lui, dans son sillage, Jay Garrick provoque le phénomène devant lui… Et le vent contraire, ainsi généré, le repousse dans la direction opposée. C’est un stratagème scénaristique utilisé à d’autres reprises chez DC, à savoir qu’un changement de planète entraîne souvent des modifications de pouvoirs chez les héros. Dans certains cas c’est bénéfique (comme quand Batman se retrouve à devenir surhumain parce qu’il est dans un autre monde) mais plus souvent c’est négatif (comme quand Superboy/Superman n’a plus les siens sur un monde riche en Kryptonite).
Star Sapphire observe la scène de loin et voit le héros disparaître dans un nuage de fumée : « C’est la fin de Flash ! Quelle inconscience de gaspiller ses deux dernières minutes de cette façon ! ». Mais en regardant devant, elle a une surprise : Flash surgit du sol. Elle comprend alors que pour éviter le problème de la poussière, Flash a creusé sous le sol à super-vitesse. Ils sont à peu près à la même hauteur et Flash peut espérer la devancer jusqu’à la cité du mécanisme… Mais il fait une autre découverte malheureuse : la végétation elle aussi réagit à sa vitesse. Des arbres sont comme attirés vers lui, s’arrachent du sol pour venir le heurter et le mettre hors course. Il semble à nouveau que rien n’empêchera Star Sapphire d’être la première à la ville… Mais Jay Garrick ne manque pas d’idée. Et elle est à nouveau dépassée…
Flash a fabriqué une sorte de torpille volante en utilisant un des troncs d’arbres comme un projectile et lui-même comme une hélice fixée à l’arrière. Il la double comme un missile… Tandis que l’extra-terrestre est furieuse : « Tu n’auras pas le temps ! Tes deux minutes sont écoulées ! ». Mais pourtant il lui passe devant et les vibrations dégagées par le héros sont telles qu’elles déclenchent une explosion massive. Toute la ville est rayée de la carte, avec un nuage de fumée digne d’un champignon atomique.
Au loin, Maria Flura observe la scène en laissant éclater son désespoir : « Pauvre Flash ! Il a sacrifié sa vie pour sauver le monde ! Et maintenant que mon corps terrestre est sauf… Je suis condamnée… à passer le restant de mes jours sur cette planète ! ». Néanmoins, au milieu des décombres elle découvre la capsule qui l’a transporté jusque-là : « Elle doit avoir été soufflée par l’explosion ! Oh, si seulement Flash était vivant pour retourner sur Terre avec moi ! ». Et c’est à ce moment-là que le héros surgit, la poussant dans l’habitacle et déclenchant par la même occasion leur retour. Pendant qu’ils reviennent vers la Terre, Maria Flura le questionne… Les deux minutes étaient pourtant écoulées ! Mais Flash explique que deux minutes terrestres sont l’équivalent de deux heures sur l’astre-saphir ! Rapidement Flash et Flura peuvent donc réintégrer leur corps habituel et rassurer les médecins (qui entretemps ont retrouvé leur oxygène). Plus tard, après que Flash ait mis un terme à la vague de crimes qui avait éclaté plus tôt, Jay Garrick retourne en civil à son laboratoire. Là, Flura l’interroge : « Où étiez-vous, Jay ? Vous avez manqué toute l’action ? ». Souriant en coin, Jay lui explique qu’il était parti pour un voyage lointain…
L’épisode ne nous aura pas appris grand chose sur cette Star Sapphire ni donné une définition claire de ses pouvoirs ou de ses motivations. Au contraire de ce qui passera des années plus tard avec la Star Sapphire opposée à Green Lantern (Carol Ferris) il n’y a pas non plus de principe de « guerre des sexes ». L’extra-terrestre vue ici ne tente pas de séduire ou d’humilier Flash. En fait si on y regarde bien le scénario pourrait tout aussi bien être écrit avec un homme à la place de Star Sapphire sans que le déroulement de l’histoire soit affecté.
Heureusement, ce ne serait pas sa dernière apparition (après tout, si Flash n’avait pas été tué par l’explosion, il est logique qu’elle ait pu s’en tirer elle aussi). Robert Kanigher et Lee Elias la ramèneraient dans Comic Cavalcade #29 (octobre 1948) pour une autre aventure de Flash qui nous en révèlerait qu’elle était en fait une « reine de la 7ème dimension » (Kanigher se serait-il inspiré lointainement d’un ennemi de Superman, Mister Mxyzptlk, qui venait de la 5ème dimension ?). Ce qui explique que Flash et Flura coexistaient en fait dans deux dimensions dans l’épisode initial. Le fait que le scénariste ait ramené Star Sapphire une deuxième fois montre bien que, tout comme Flura, il ne la considérait pas comme un personnage jetable, un « one-shot » aussi vite créé qu’oublié. Mais cette fois la première Star Sapphire a changé d’objectif.
Dans Comic Cavalcade #29 elle ne veut plus détruire la Terre mais « seulement » faire disparaître tous les hommes dans une dimension parallèle grâce à ses pouvoirs. Le monde étant désormais peuplé exclusivement par des femmes, l’extra-terrestre se manifeste sur Terre et leur apprend qu’elle est maintenant leur reine. Heureusement Flash/Jay Garrick est arrivé, grâce à ses pouvoirs, à échapper au plan de Star Sapphire. Il est donc « The Last Man Alive » (par ailleurs le titre du récit). Certaines cases de l’histoire évoquent un peu la série plus tardive Y The Last Man (non pas qu’il s’agisse de dire que Y en ait été inspiré). Par exemple quand les hordes de femmes s’aperçoivent que Flash est toujours sur Terre, leur premier réflexe est de se précipiter sur lui… Bien sur Flash finira par l’emporter et ramener tous les autres hommes sur Terre mais ce deuxième épisode fait passer Star Sapphire du rang d’ennemie de toute vie terrestre à celui d’une reine cultivant la barrière des sexes, un peu à la manière d’une amazone cosmique.
Néanmoins l’exercice allait par la force des choses s’arrêter puisque les aventures de Flash allaient être suspendues quelques mois plus tard. Star Sapphire allait donc disparaître comme son adversaire de référence. Là où cette criminelle se distingue des autres créés à la même époque par Kanigher, c’est qu’elle ne fut pas intégrée dans les rangs de l’Injustice Society of the World en même temps que Harlequin, Huntress, Fiddler ou Icicle. Sans doute son côté « cosmique » la rendait trop puissante ou trop étrangère pour ce groupe (à la réflexion Star Sapphire voulant détruire toute vie sur Terre, les autres criminels n’avaient sans doute pas de raison à s’allier avec elle). Du coup elle ne pénétra pas dans le folklore de la Justice Society et ce « détail » allait jouer un rôle important dans l’exploitation future du concept.
Quand, des années plus tard, le scénariste Gardner Fox ramena le Flash de l’Age d’Or et la Justice Society il expliqua non seulement que tous ces personnages résidaient sur Terre 2, un monde parallèle de celui de la Justice League. Mais il montra d’emblée que du temps avait passé pour les héros du Golden Age : Jay Garrick c’était marié et, de manière logique, Fox donna le rôle de l’épouse à Joan Williams, celle qui avait été sa fiancée classique. N’ayant jamais écrit d’épisode avec Maria Flura, Fox n’avait pas de raison particulière de l’utiliser. Il faut croire que le Docteur Flura avait baissé les bras et qu’elle s’en était allé vivre dans la Secret City qui occupait une bonne partie de ses pensées (un sort finalement pas si triste car la technologie avancée de cette ville était du genre à prolonger la vie de ses habitants, Flura aurait donc pu refaire surface facilement). Pour Star Sapphire, la logique est un peu la même… Elle n’était apparue que dans deux épisodes et son importance du point de vue de la continuité était inexistante. Dans les aventures de Flash puis de la Justice League of America mentionnant Terre 2, Fox utilisa également en priorité des membres de l’Injustice Society, qui pouvaient menacer les deux groupes héroïques. Et Star Sapphire ne faisant pas partie du lot, elle ne fut pas ramenée dans ces épisodes.
Il faut cependant croire qu’elle avait tapé dans l’œil d’un autre scénariste, John Broome, qui s’en inspira pour créer la Star Sapphire moderne dans Green Lantern vol.1 #16 (octobre 1962). Précisons pour la forme que Robert Kanigher travaillait encore chez DC à l’époque (il était un des éditeurs de la firme) et que cette relance n’a pas pu se faire dans son dos. Carol Ferris, la dulcinée d’Hal Jordan, est alors transformée par une pierre précieuse créée par les Zamarons. Ces concurrentes extra-terrestres des Gardiens de l’Univers (leur pendant féminin en fait), veulent alors prouver que les mâles sont inférieurs aux femmes. Sous l’effet de la pierre Carol se transforme donc en une sorte de dominatrice capable de rendre coup pour coup à Green Lantern. Il y a un côté schizophrène : Carol aime Hal Jordan mais Star Sapphire veut humilier ou même détruire Green Lantern. La création de John Broome n’est pas qu’une simple homonymie de celle de Kanigher des années plus tôt.
Les deux costumes se ressemblent aussi (même s’ils ne sont pas totalement identiques) et on peut sentir que Broome s’est plus particulièrement inspiré de Comic Cavalcade #29, où apparaissait l’idée que la première Star Sapphire privilégiait les femmes. Star Sapphire est donc un des rares exemples où un(e) criminel(le) du Golden Age fut réinventé pour le Silver Age (sur Terre 1) à l’image de ce qui avait été fait pour Flash, Green Lantern, Hawkman ou Atom. Reste à savoir pourquoi la nouvelle Star Sapphire fut transformée en une adversaire de Green Lantern plutôt que de Flash. Broome étant l’un des scénaristes de Flash, on peut se demander si l’idée première n’était pas d’abord de réinventer Star Sapphire dans cette série (auquel cas c’est Iris West qui serait devenue Star Sapphire ?). Ou tout simplement, rédigeant les aventures d’un héros porteur de bague Broome a pensé qu’une adversaire porteuse d’une pierre précieuse se prêtait mieux à Green Lantern.
Reste que pour des générations de lecteurs Carol Ferris devint LA Star Sapphire (même si par ailleurs il existait tout une armée de Star Sapphires commandée par les Zamarons). Et comme DC ne voulait sans doute pas s’encombrer de plusieurs versions alternatives de Star Sapphire, le succès de Carol fit qu’on ne revit pas la première criminelle dans des aventures de Terre 2 (à l’exception réimpressions éventuelles). Dans les années 70, on vit bien une mystérieuse autre Star Sapphire dans la série Secret Society of Super-Villains et il n’aurait pas été impossible de penser qu’il s’agissait de la criminelle de Terre 2 mais cette hypothèse fut par la suite écartée.
Dans les faits, la première Star Sapphire resta éloignée de la continuité pendant des décennies… Jusqu’à Flash & Green Lantern: The Brave and the Bold #6 (Mars 2000), soit un trou de 52 ans depuis sa précédente apparition. Mark Waid l’utilisa alors judicieusement pour justifier une aventure commune à Green Lantern (Hal Jordan) et Flash (Barry Allen). Entretemps le système des terres multiples de DC n’existait plus, les deux générations de héros étaient supposées avoir existé sur le même monde et il convenait donc d’expliquer comment la Star Sapphire des années 40 pouvait cohabiter dans la même continuité que celles apparues depuis les années 60. Waid intégra alors la première Star Sapphire dans tout le folklore des Zamarons.
Il s’agissait d’une précédente candidate au rang de Star Sapphire que les extra-terrestres avaient d’abord choisi comme reine puis préféré rejeter et bannir dans la septième dimension, en lui laissant une version inférieure du saphir pour qu’elle puisse survivre. Ce qui, au passage (dont elle n’était donc pas originaire), est quand même beaucoup se compliquer la vie pour une simple candidate malchanceuse. Pourquoi ne pas simplement la bannir quelque part où elle pourrait vivre sans qu’on ait besoin de lui laisser une arme de ce type ? Là où Waid semble sous-estimer la puissance de la Star Sapphire du Golden Age, c’est que son côté « inférieur » est tout à fait discutable : n’oublions pas, d’abord, qu’elle dispose d’une technologie qui lui permet quand même de mouvoir un astre à travers l’espace et les dimensions (elle n’est donc pas « bannie »). De plus lors de sa deuxième apparition elle peut bannir d’un coup tous les hommes de la planète dans une autre dimension. Mais sans doute Waid voulait-il expliquer que cette Star Sapphire n’utilisait pas de lumière solide à la manière de Carol Ferris ou de Green Lantern (le reste de sa puissance vient donc de ses machines et donc pas de la pierre précieuse). Dans Flash & Green Lantern: The Brave and the Bold, la vieille Star Sapphire tente de se venger de Flash (quand bien même ce n’est plus le même) mais aussi des Zamarons en tentant de retourner Carol contre elles. Finalement elle est vaincue et les héros se demandent où elle est passée, ne réalisant pas que la vieille Star Sapphire est désormais prisonnière de la pierre précieuse détenue par Carol.
La continuité DC ayant à nouveau changé en 2011, les évènements de la série Flash & Green Lantern: The Brave and the Bold sont sujets à caution et ceux de All-Flash Comics #32 et Comic Cavalcade #29 ont été invalidés par la force des choses. La pertinence de la première Star Sapphire est donc clairement compromise. Néanmoins on peut se demander si dans Brightest Day les scénaristes Geoff Johns et Peter Tomasi n’étaient pas parti pour donner une version moderne du personnage avec Khea, la mère d’Hawkgirl, reine sur Hawkworld mais qui monte tout un stratagème alambiqué pour attaquer la planète des Zamarons et s’emparer du pouvoir central des Star Sapphire avant de finir prisonnière dans le saphir de la batterie centrale. Il y a clairement des rapprochements possibles entre la première Star Sapphire et Khea. Ou pas. La question est cependant caduque puisque Hawkman, Hawkgirl et donc Khea ont été « rebootés » dans l’univers post-Flashpoint de DC. Une autre option possible serait une piste scénaristique jamais résolue et là encore lancée par Geoff Johns. Dans Blackest Night #0 (2009), la planète des Zamarons est attaquée et, parmi toutes les Star Sapphires on en voit une, brune, identifiée finalement sous le seul nom de « Lost Sapphire » dont le sort pose ensuite question. Ce surnom de « Saphir perdu » correspondrait bien à une Star Sapphire qui a par ailleurs été bannie pendant une longue période. Mais Johns n’est jamais revenu sur ce point de détail et la piste reste ouverte, sans clarification. Si la version première de Star Sapphire, reine de la Septième Dimension existe toujours dans le nouveau monde de DC, ce n’est forcément pas le cas pour ses premiers combats contre Jay Garrick. A partir de là, allez deviner si elle est bien prisonnière (ou pas) de la pierre actuellement possédée par Carol ? Il appartiendra à un futur scénariste de clarifier la chose…
[Xavier Fournier]