Mais alors que les deux héros sont en train de lire la lettre, ils sont surpris par le sergent Duffy qui leur avait donné la corvée de patate. Convaincu que Steve tire-au-flanc, le gradé décide de lui donner une tâche encore plus difficile. Puisque les patates ne sont pas assez bonnes pour lui, Duffy décide de l’obliger à nettoyer le sol de la caserne. Furieux, Steve Rogers s’acquitte de sa tâche, non sans trouver une litanie de noms d’oiseaux pour Duffy (un comportement assez peu caractéristique, d’habitude Rogers gardait son sang-froid et était plutôt du style à rire intérieurement du fait que Duffy ne réalisait pas son secret). Bucky, lui, n’ pas eu droit à la punition. Il est toujours avec son tract et dis à son mentor « Laisse tomber ça, Steve ! Qu’est-ce qu’on fait pour ce Vulture ? ». A ces mots, l’autre n’y tient plus. Il se redresse et retire son uniforme, laissant apparaître la tenue de Captain America : « Allez, viens Bucky, on part à la chasse au vautour ! ».
Bientôt, c’est un déluge de nouveaux tracts qui apparaissent dans la ville. Le Vulture prévient que la prochaine fois il s’emparera d’un banquier nommé Nelson. Cette fois Captain America décide de ne pas prendre le moindre risque. Il installe Nelson dans un appartement en haut de la plus haute tour de la ville. Avec un nom comme « Vautour », on peut déjà deviner pourquoi la précaution de Captain America est totalement inutile. Soyons compréhensifs envers le héros. Vulture est un nom assez générique, un peu comme un « charognard », dans le langage populaire, ne représente pas forcément au premier degré quelqu’un qui se nourrit de cadavres mais bien un profiteur. Ce n’est pas parce que l’adversaire s’appelle Vulture que le héros doit forcément en déduire qu’il vole. Mais dans le contexte de l’histoire le lecteur, lui, peut commencer de s’en douter. Le
Mais, à un moment, les choses sont tellement calmes que Bucky s’ennuie ferme et ne résiste pas à l’envie de jeter un œil à l’intérieur de la tente. Mais là, surprise : Elle est presque vide ! Il ne reste plus que Captain America, inconscient. Le général, lui, a disparu ! On pourra se demander pourquoi et comment des agents nazis sont arrivés à neutraliser Cap, sans profiter de son inconscience pour l’achever ou le kidnapper à son compte. Peut-être une preuve d’insolence ? Un signe que le Vulture ne craint pas Captain America et ne le considère pas comme une menace ? De toute manière, c’est rapidement la panique dans tous les USA car, après avoir
Revenu à lui et sorti de l’hôpital, Captain America ne se souvient pas de ce qui s’est passé. A part une chose : Il a été frappé par derrière. Bucky et lui décident alors de retourner inspecter la tente pour essayer de reconstituer l’attaque. Bientôt, c’est Bucky qui remarque au sol une empreinte de pied… aux doigts palmés. Regardant l’empreinte, Cap s’écrie « C’est un danger volant ! » mais Bucky ne comprend pas ce qu’il veut dire. L’adulte explique donc son raisonnement : « Ca doit être quelque chose qui vole mais qui, cependant, est humain. C’est tout ce qu’on sait. Mais cette fois nous surveillerons le ciel ! ». Le lecteur restera sans plus d’explication sur le cheminement du héros. Sans doute faut-il croire que ce pied palmé, ressemblant à celui d’un canard, a donné naissance à la théorie de Cap. Mais On verra un peu plus loin qu’il ne s’agit pas d’un canard…
Il reste encore une cible que Vulture n’a pas attaquée : Le commissaire Varner. Cette fois Captain America et Bucky ne se donnent pas la peine de s’installer dans la même pièce que lui. Ils préfèrent prendre place sur le toit de son appartement. Et bientôt, en pleine nuit, ils voient une grande silhouette ailée traverser le ciel. L’inconnu, habillé de vert, se pose sur le toit et porte une sorte de dague. Mais cette fois Captain America est prêt et c’est lui qui profite de l’effet de surprise : « Nous nous rencontrons enfin, Vulture ! ». Il suffit d’un coup de poing de Cap pour assommer l’homme en vert. Voilà la réponse : Chacune des attaques précédentes était menée depuis le ciel, le seul endroit qu’on ne surveillait pas. Et l’assassin, sous sa tenue verte, est une sorte de monstre à la peau grise et aux oreilles en pointe. Bientôt la police arrive mais le scénario s’accélère sans vraiment donner les explications nécessaires. Quelques cases plus tôt Captain
De son côté, Captain America tente de faire parler le prisonnier, avec des méthodes plutôt musclées. Non seulement il place son poing de manière équivoque, menaçant clairement l’homme-vampire de le frapper s’il ne parle pas, mais le discours de Cap n’est pas spécialement humaniste : « Parles ou meurt ! » Autrement dit le héros évoque clairement le fait de tuer un prisonnier (ce n’est pas spécialement dans l’esprit de la convention de Genève). Les fans d’un Cap plus humaniste pourront toujours imaginer que le héros joue la comédie et bluffe pour impressionner le captif. Mais on ne le saura pas vraiment puisque Bucky réalise que si l’inconnu ne parle pas c’est peut-être qu’il ne le peut pas. Après vérification, il s’avère effectivement que sa langue a été coupée. Si la créature ne peut pas parler… Elle s’exprimera d’une autre manière : Captain America force l’homme-vampire terrifié (ce qui donne dans la VO « Terrified Batman », on imagine que ça a du faire plaisir au concurrent DC Comics, éditeur du vrai Batman) à le guider vers le repaire de Vulture. Ils s’entassent dans une voiture et prennent la route. Mais bientôt le « Batman » meurt mystérieusement à l’arrière de l’automobile, sans raison apparente.
Captain America conseille à Bucky d’aller prévenir la police tandis qu’il agit. Il enfonce la porte de la maison et pénètre… dans une sorte de cachot digne d’une histoire d’horreur. Les prisonniers sont enchaînés au mur et le Vulture (une créature verte différente des Batmen) est penché sur un brasier. Il est évident qu’il est en train de pratiquer la torture. Vulture ordonne alors à ses Batmen de se saisir de Cap. Et les « Hommes-Vampires » sont une véritable nuée. Même si le héros commence par résister, la supériorité numérique est contre lui et, bientôt, il est maitrisé. Vulture ricane : « Sois le bienvenu, Captain America ! J’ai une petite surprise pour toi ! ». Un autre Batman entre dans la pièce en portant un Bucky inconscient. Le jeune homme n’a pu aller bien loin et personne n’a donc prévenu la police…
Vulture indique aux deux héros qu’ils ne sont pas en position de le menacer. Mais Captain America tente un coup de bluff. Il affirme que la police sait qu’ils sont là et qu’elle arrivera bientôt. Et ca marche. Vulture ne doute pas de ce qu’on lui dit : « Ah ! Merci ! En me prévenant de l’arrivée de la police, tu as scellé ton propre destin ! Vite ! Qu’on les emmène au nid ! ». Captain America, Bucky et les otages sont alors attachés et emportés en l’air par les Batmen, qui migrent alors vers leur véritable QG… Là encore on ne nous expliquera pas pourquoi, si le Vulture a un QG plus sûr, ce qu’il faisait dans cette maison. Le repaire en question se trouve en haut du mont Eyrie (prononcez « Eerie »), une montagne dont les parois forment une falaise géante. Le « nid » est en fait une caverne située sur cette falaise et on ne peut guère y pénétrer ou en sortir qu’en volant. Autant dire que seuls Vulture et ses Batmen peuvent aller et venir. Vulture ordonne qu’on libère Cap et tente de le rallier à sa cause en lui montrant un trésor qu’il a rassemblé : « Voici les richesses du monde, Captain America ! Tout ce qu’on homme voudrait ! Et ce sera à toi si tu me rejoins […] Mais encore mieux ! Captain, je t’offre de te laisser la vie ! ».
La réponse de Captain America prend la forme… d’un violent coup de bouclier dans le visage de Vulture. Autrement dit c’est un non franc et net, comme les lecteurs pouvaient s’y attendre. Furieux, Vulture ordonne qu’on place Cap et Bucky dans une cage particulière, qui est suspendue dans le vide, à l’extérieur de la caverne. Le jeune garçon est alors inquiet : « C’est la plus mauvaise situation que nous ayons connu à ce jour ! Même si nous pouvions nous échapper de cette cage, nous ne pouvons pas voler ! ». Mais Vulture a posté un garde à l’extérieur (un Batman qui vole de façon géostationnaire à hauteur de la cage). Captain America arrive à surprendre le garde alors qu’il tourne le dos. Cap fait mine de l’étrangler en passant son bras sous sa gorge et l’oblige à ouvrir la cage. Ensuite, il neutralise la créature et lui enlève ses ailes. Visiblement il s’agit de prothèses qui ne sont pas causées par la formule du Vulture, de simples gadgets qui facilitent le vol des Batmen. Captain America commande alors à Bucky de monter sur son dos, s’équipe lui-même des ailes et s’élance au dehors : « Nous allons voler, Bucky… Enfin j’espère ! ».
Pour autant qu’elle évoque certains concepts intéressants, cette histoire est handicapée par un certain nombre d’erreurs de logique (un peu comme quand Captain America et Bucky devinent sans raison que Vulture est aidé par une armée de Batmen). La plus grosse erreur se situe cependant dans la conclusion. D’abord Captain America décide arbitrairement que Vulture et les Batmen seront morts quelques heures plus tard (et pourtant, qu’est-ce qui empêche Vulture de fabriquer encore plus de sérum ou, mieux, d’en avoir déjà des stocks quelque part dans la caverne ?). Mais surtout il souligne lui-même le problème de la formule : Si on ne reçoit pas une nouvelle dose toutes les douze heures, on meurt. Mais justement. Que fait Captain America pour redescendre de la montagne ? Il injecte le fameux sérum à tous les prisonniers ainsi qu’à Bucky et lui-même. Le sérum qui tue si on n’en reçoit pas une autre dose quelques heures plus tard. Et Captain America détruit pourtant le seul stock restant qu’il connaisse ! Autrement dit, en toute logique, ceci devrait être le dernier épisode de Captain America. Bucky et lui devraient périr quelques heures plus tard. Mais l’idée n’a pas l’air de traverser l’esprit des héros… ou du scénariste. Un auteur au nom inconnu (niveau dessin on reconnait le style de Don Rico) mais qui écrit un Captain America beaucoup plus cynique et sec, qu’il s’agisse de maudire le Sergent Duffy, de menacer de mort le premier Batman capturé ou de se réjouir ouvertement de la mort programmée du Vulture et de toute sa bande.
Ce qui peut capter l’attention du marvelophile moderne, c’est le nom du méchant principal de cette histoire, le Vulture (le Vautour). On sait que quelques adversaires du Golden Age de Marvel se sont « réincarnés » dans l’univers moderne de l’éditeur. Ringmaster, un autre ennemi de Captain America, a ainsi donné lieu à un fils qui, a son tour, est devenu un antagoniste contemporain, assez souvent opposé à Spider-Man, à Hulk ou aux Vengeurs. Partant du principe que Spider-Man affronte régulièrement un autre Vulture, certains pourraient donc partir du principe qu’à l’image de ce qui s’est passé pour le Ringmaster le Vulture de 1943 est d’une certaine manière l’ancêtre de la version moderne (d’autant qu’on verra dans quelques cases que ce Vulture du Golden Age est ailé et porte un costume vert, couleur également utilisée par l’adversaire de Spider-Man). En fait les choses sont à la fois plus simple et plus compliquée. La vérité, c’est que le terme « Vautour » peut-être utilisé de manière assez générique pour désigner un charognard et qu’il est donc logique que plusieurs auteurs, à quelques années d’intervalle, aient utilisé ce nom sans qu’il y ait pour autant une filiation certaine. Pourtant c’est dans l’autre sens qu’il faut considérer les choses. Non pas en cherchant ce qui s’est fait après mais bien ce qui a été publié avant.
Historiquement Captain America a été lancé comme une simple imitation d’un autre héros patriotique, le Shield originel de MLJ Comics. Comme le Shield, Steve Rogers est transformé en super-soldat (et même, dans le premier épisode, en super-agent du FBI, précisément ce qu’était le Shield). La femme aperçue dans les aventures du Shield est une certaine Betty Warren. Celle vue généralement dans les exploits de Cap sera donc Betty Ross. Le Shield a un sidekick nommé Dusty. Captain America aura donc un assistant nommé Bucky. Et le premier bouclier (triangulaire) de Captain America évoque tellement le costume du Shield que Marvel/Timely en sera quitte pour changer en urgence la forme de l’objet (qui deviendra le célèbre bouclier rond) devant la menace de MLJ de porter plainte. A la vue de tous ces points communs on peut même de sire que les gens de MLJ étaient même assez bonne pâte car il y avait largement de quoi faire un procès. D’autant que d’autres « points communs » continueront de faire leur apparition. Par exemple Captain America combattra un éphémère adversaire nazi nomme le Hangman, déclenchant une nouvelle fois le courroux de MLJ qui publiait depuis des mois les aventures d’un héros nommé le Hangman…
Peut-être restait-il dans les couloirs de Marvel quelque chose de ces discussions initiales avec Simon et Kirby. Ou, plus simplement, les auteurs qui les ont remplacés à l’écriture de Captain America ont fait comme eux et se sont mis à lorgner du côté du Shield, à la recherche d’une inspiration. Ce qui est sur c’est que chez Marvel le Vulture de MLJ allait faire des petits: Dès Captain America #14 (mai 1942), le héros de Marvel avait déjà combattu un autre Vulture (sans rapport avec celui rencontré dans All-Select Comics #1). Il en rencontrerait encore un troisième dans Captain America #32. Human Torch lui-même en affronterait un autre la même année. Soit, pour ce seul éditeur, quatre Vulture différents en l’espace de deux ans ! Et ça c’est sans compter un autre Vulture plus tardif, actif dans l’univers Marvel des années 50 (mais qui semble plus éloigné du moule du personnage tel qu’on peut le voir dans All-Select). Comme on l’a vu plus tôt, le nom Vulture, un peu comme le mot Vampire, avait des raisons d’être courant dans les comics. Tous les Vultures ne sont pas forcément liés à celui du Shield ou à celui d’All-Select Comics #1. Mais néanmoins dans le cas d’un adversaire de Captain America, la coïncidence est un peu grosse pour être accidentelle. D’autant qu’on parle ici d’un scénariste non-identifié qui avait assez de « toupet » pour utiliser les termes « Batmen » et « Batman » associés à des ailes noires de chauve-souris. On aura beaucoup de mal à nous prouver qu’il restait en 1943 un auteur de comics qui n’avait jamais entendu parler du Batman de DC Comics et d’une certaine manière l’utilisation de ces mots est même suicidaire. Marvel/Timely, qui avait connu des problèmes pour l’utilisation du nom Hangman, jouait carrément avec le feu alors qu’il aurait suffit de les baptiser Bat-People, Bat-Bandits ou Vampire Men. Il est impossible de penser que ce n’était pas fait en toute connaissance de cause. Quand bien même ces Batmen étaient différents du Batman de DC, on voit donc à quel point l’épisode cultivait la ressemblance des éléments pris ailleurs.
Au niveau de la continuité de Marvel, ce Vulture de 1943 (et, au-delà, la profusion de Vultures différents publiés par Marvel pendant le Golden Age) a trouvé un certain écho dans une saga plus récente, dans les épisodes de Mark Millar et Terry Dodson sur la série Marvel Knights: Spider-Man. Il y est expliqué que depuis le Golden Age un cercle secret d’hommes riches mais véreux a entretenu la population de super-villains de manière à ce que les super-héros soient trop occupés pour venir mettre leur nez dans leurs affaires. Millar va jusqu’à expliquer que ces mécènes du Mal (une extrapolation de ce que David Michelinie et Bob Layton avaient déjà fait avec le personnage de Justin Hammer dans la série Iron Man) avaient même veillé à ce que certaines identités de super-villains changent de main au fil des ans. Tous les Vultures de Marvel (y compris celui d’All-Select Comics #1 mais aussi l’adversaire classique de Spider-Man) pourraient donc être liés par une seule organisation évoquée dans Marvel Knights: Spider-Man #9. Mais tout ça ne nous dit pas comment Captain America et Bucky ont survécu à leur injection de sérum…
[Xavier Fournier]
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