Oldies But Goodies: Amazing Adventures #1 (Juin 1961)

[FRENCH] Jack Kirby et Steve Ditko (ainsi que, sans doute, Stan Lee) l’ont créé quelques mois avant l’apparition des Fantastic Four. Premier héros régulier du Marvel Age moderne, « The Fantastic Doctor Droom » n’a pas disparu puisqu’il est plus tard devenu un personnage différent mais mineur. Et pourtant, tel qu’il était à l’origine, ce cher Droom (pas Doom) avait un tout autre potentiel.

Amazing Adventures, c’est la revue qui sera par la suite rebaptisée Amazing Adult Fantasy puis, sur la fin Amazing Fantasy. C’est dans le dernier numéro de cette série (en 1962) qu’on verra pour la première fois Spider-Man. C’est pourtant le premier épisode qui nous intéresse cette fois. Rien n’annonce son apparition sur la couverture de Amazing Adventures #1, qui préfère mettre en vedette l’éphémère monstre Torr (aucun rapport avec Thor) mais le fascicule publié en juin 1961 (et donc avant les débuts des Fantastic Four) contient les débuts d’un nouveau héros mystique, Doctor Droom.

Le peu d’efforts pour signaler sa présence sur la couverture me fait penser (mais ce n’est qu’une théorie personnelle) que le héros – comme Spider-Man plus tard – avait été conçu un peu dans le dos de Martin Goodman, le propriétaire des Marvel Comics qui avait parfois des avis assez « marqués », que ses collaborateurs devaient contourner (dans Origins of Marvel Comics, Stan Lee himself racontait comment il n’avait été autorisé à publier Spider-Man que de guère lasse, parce que c’était le dernier numéro de l’anthologie et Goodman n’y croyait pas). Là, il y a peut-être une situation de ce genre, qui expliquerait qu’on ne découvre le personnage qu’à la page 28 alors que le commentaire, d’emblée, le présente comme le « héros d’une nouvelle série » consacré à l’occulte. Ou bien Doctor Droom serait passé à deux doigts de débuter sous son propre titre avant que Goodman, déçu, ne le condamne au fin fond de cette anthologie ? Allez savoir… Quoi qu’il en soit, nous sommes en face d’une histoire dessinée par Jack Kirby et encrée par Steve Ditko (l’équilibre entre les deux styles très reconnaissables est fluctuant, ce qui fait penser que dans certaines cases Ditko a fait plus qu’encrer). L’identité formelle du scénariste, elle, s’est perdue mais on considère généralement qu’il s’agit de Stan Lee…

L’histoire commence dans un club réunissant les médecins de « la ville » (on en déduira que c’est New York, en tout cas c’est à l’évidence une ville américaine). Plusieurs docteurs ont entendu parler d’une étrange rumeur. Un vieux lama tibétain serait très malade et il voudrait qu’un américain fasse le voyage pour le soigner. Certains rigolent en pensant à ce vieux fou qui pense qu’un docteur va faire le trajet. D’autres iraient bien mais n’ont pas le temps pour ça. Un homme, enfin, écoute la rumeur et se met à y réfléchir. Il a toujours été intéressé par l’Orient… Ce serait peut-être l’occasion d’en apprendre plus sur les arts occultes ? Cet homme, son visage doit vous dire quelque chose normalement car physiquement, c’est le portrait craché… Du Professeur Charles Xavier ! Comme dans le cas d’un autre prototype du fameux « Prof X » (Linus Vermeer) que nous avons déjà évoqué dans cette rubrique, Kirby utilisait déjà le visage du mutant mais pour un autre personnage. Là, il ne s’agissait pas de Charles Xavier mais (comme on l’apprendrait quelques pages plus loin) d’un médecin nommé Anthony Droom, qui avait l’usage de ses jambes…

Arrivé au Tibet, ce cher Docteur Droom n’est cependant qu’au début de ses peines. Il grimpe en haut d’une montagne, où on le dirige vers la grande demeure du Lama. Mais le chef du saint-homme explique à Droom que ce n’est pas si facile. Qu’avant de rencontrer le Lama, il faut s’en montrer digne à travers diverses épreuves. Et la première d’entre elles est de traverser un couloir dont le seul n’est en fait qu’un énorme brasier. De quoi se brûler la plante des pieds au premier contact. On lui explique que s’il y croit assez et qu’il se concentre, il pourra marcher sur les braises sans le moindre problème. Et, miracle, c’est précisément ce qui se passe. Droom traverse le couloir sans la moindre brulure. Alors, il peut le soigner, maintenant, le Lama ? Pas encore ! Cette fois il doit affronter un Gorlion. Un Gorlion, c’est une énorme créature, mi-gorille/mi-lion (ne nous demandez pas comment un singe et une lionne ont pu avoir l’idée de faire un petit). Cette fois la menace est plus impressionnante mais Droom arrive à éviter la charge du Gorlion en se baissant au bon moment. Sauf bien sûr que le Gorlion va faire demi-tour et revenir sur lui. Heureusement, une corde lévite à quelques mètres de là. Droom y grimpe et.. Ouf… peut enfin rencontrer le Lama mourant.

Sauf que la véritable intention du Lama n’a jamais été de se faire soigner. Mourant tout simplement de vieillesse, il est au-delà de tout traitement. S’il a demandé un docteur et l’a soumis à ces épreuves c’est parce qu’il voulait un successeur digne de lui. Il y a des forces occultes partout dans le monde. Des forces qui menacent l’humanité. Des forces que le Lama a combattu pendant des décennies. Il lui faut un remplaçant et un homme qui a traverse le globe pour soigner un inconnu est typiquement l’être altruiste qu’il faut. Le docteur Anthony Droom accepte, serre la main du vieil homme… Et se transforme. Désormais ses yeux sont bridés et son teint devient livide/jaune pâle (selon les cases, le ton jaune est plus ou moins présent), tel que les comics pouvaient se le permettre à l’époque (aujourd’hui on jugerait – non sans raison – ce cliché un peu raciste).

Transformé, Doctor Droom n’a pas de « costume de super-héros ». Même si la toute première case de l’histoire avait montré Droom en toge, il sera le plus souvent en costume de ville devenant un consultant du monde libre pour tout ce qui concerne l’étrange. C’est un peu une sorte de juste milieu entre les Challengers of The Unknow et Docteur Strange. S’il fallait publier de nouvelles aventures de Droom aujourd’hui, cela donnerait sans doute quelque chose assez près du BPRD d’Hellboy. Niveau pouvoirs, ils sont essentiellement mentaux. Par exemple le mois suivant, dans Amazing Adventures #2, il repousse une invasion venue d’Atlantis (attention, les Atlantéens vus ici sont des monstres hideux sans rapport avec la race de Namor le Sub-Mariner) en hypnotisant collectivement cette race de manière à ce qu’ils pensent qu’il n’y a aucune vie possible à la surface… et arrêtent donc de vouloir la conquérir. Droom continuera ainsi de sauver le monde. En tout pendant 5 épisodes avant que les forces vives de Marvel ne décident de l’oublier et de fixer leur attention sur les Fantastic Four.

Oublié, Doctor Droom ? Par forcément. D’abord il y a des éléments qui font écho. Dans le premier numéro l’adjectif qui caractérise Droom (de la même manière qu’on dira plus tard « The AMAZING Spider-Man ») c’est The FANTASTIC Doctor Droom. Comment ne pas penser qu’il y a au moins un part d’inconscient qui jouer, quelques mois plus tard, quand l’ennemi juré des « FANTASTIC » devient Doctor DOOM ? Et les pouvoirs d’hypnotisme de Doctor Droom se retrouvent aussi dans la manière qu’à ensuite Mister Fantastic de repousser les Skrulls dans FF #2 (en utilisant lui aussi l’hypnotisme) ou dans les pouvoirs de l’Homme Miracle, ennemi des Fantastiques qui utilise les mêmes pouvoirs mentaux. Enfin la plus grosse influence joue au niveau de l’origine plus tardive de Doctor Strange. Même si les circonstances sont différentes (liées à l’alcoolisme de Strange), elles se ressemblent. Strange est lui aussi un américain qui traverse le monde pour rencontrer un mage tibétain mourant… Dans Doctor Droom, on trouve de nombreuses petites graines qui ont poussé ensuite dans d’autres séries…

Est-ce qu’on a revu Anthony Droom ensuite ? Oui, mais c’est là que les choses se gâtent d’une certaine manière. Dans le milieu des années 70 Marvel trouva intéressant de ramener le personnage, en jouant sur le fait qu’il avait une légitimité (ayant Kirby et Ditko comme co-créateurs). On republia donc les épisodes de 1961 mais en les changeant en profondeur. D’abord, pour des questions de politiquement correct, on oublia cette histoire de transformation en être jaune aux yeux bridés. Ensuite pour faire plus tendance, on décidé de lui dessiner un costume de super-héros rouge et bleu avec un triangle jaune (très « Superman » avec des couleurs inversées). Et puis le professeur X était célèbre, difficile d’utiliser son sosie… alors on dessina de lui donner un visage totalement différent, avec une barbichette et, au lieu d’être vraiment chauve, une calvitie marquée. Et puis le Doctor Doom (Fatalis) était devenu trop connu pour lâcher un Doctor Droom dans la nature. On le rebaptisa donc… « Doctor Druid », qui par la suite est devenu un membre des Avengers, des Secret Avengers et fut enfin malmené au terme d’une minisérie Druid écrit par Warren Ellis. Anthony Druid est un personnage beaucoup plus faible, conceptuellement parlant, que ne l’était Anthony Droom. Droom est taciturne, il est le sang-froid incarné… Druid est un bonhomme bedonnant, régulièrement imbu de sa personne. Et dans l’état, une fois faite toutes les transformations, il est renvoyé au rang de Doctor Strange de seconde zone (un comble, pour un personnage qui a la base a inspiré tant de choses).

Au point d’ailleurs que dans les années 90 on liera son histoire à celle de Stephen Strange. On nous apprend alors que le Lama (mentor de Druid) et l’Ancien (mentor de Strange) sont un seul et même personnage, que l’Ancien s’est en quelque sorte servi de Druid comme « prototype » de son futur élève, en se faisant passer pour un lama mourant. Mais ca reste un personnage faible, une sorte patchwork, une corruption de l’œuvre de Kirby et Ditko (imaginez que quelqu’un s’amuse à redessiner les apparitions de Peter Parker pour qu’il soit roux et qu’il ait les pouvoirs d’un hanneton au lieu d’une araignée…). Et puis il y a un gros souci de logique, à savoir que Anthony Druid, descendant des druides britanniques, voit ses pouvoirs « druidiques » activés par un mystique tibétain. Il y a comme un problème quelque part. Ne pourrait-on pas penser que – malgré ce qu’on nous a dit – Droom et Druid sont deux personnages différents ? Si l’Ancien a été capable de « s’entraîner » sur un autre docteur occidental que Stephen Strange, ne pourrait-il pas y avoir eu un troisième élève ? Auquel cas il suffirait d’expliquer que Druid a parfois emprunté l’identité civile de son collègue Droom et que le vrai personnage, celui créé par Kirby et Ditko, existe toujours quelque part, prêt à réapparaitre… En tant que mystique non-costumé, il amènerait beaucoup de choses à l’univers Marvel… Et sa « cool attitude » est quand même nettement plus élevée que Doctor Druid (d’autant que Druid est mort au terme de la minisérie d’Ellis).

Mais il y a une autre solution. Dire qu’Anthony Droom a été le nom d’emprunt d’un autre personnage. Après tout on sait que Charles Xavier, au temps où il marchait et avant de fonder les X-Men, a résidé un temps au Tibet, où il a combattu l’extra-terrestre Lucifer. Deux « sosies » au Tibet, au même moment ? Il y aurait des choses à faire. C’est un peu biscornu mais techniquement Charles Xavier, sous l’alias de Tony Droom, aurait pu être pendant quelques temps le dépositaire des pouvoirs mystiques du Lama, avant de les perdre (pourquoi pas en combattant Lucifer ?). La meilleure solution serait quand même de nous rendre le vrai Anthony Droom et sans « retouches », un as de l’étrange façon BPRD (et pourquoi pas aidé par quelques autres créatures lancées par Lee et Kirby avant FF#1 ?), ça le ferait…

[Xavier Fournier]

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