Oldies But Goodies: Batman #127 (Oct. 1959)
8 décembre 2012[FRENCH] Même si Marvel a systématisé l’utilisation des mondes alternatifs, en particulier dans la série « What If ? », DC n’est pas en reste quand il s’agit d’aller voir dans d’autres mondes ce qui se serait passé si… certaines choses avaient été différentes. Bien avant des projets comme « JLA: The Nail », l’éditeur pouvait donc explorer la « Seconde Vie de Batman ». Si Bruce Wayne n’était jamais devenu Batman, qui donc alors était… The Blue Bat ?
« Tout le monde sait que Bruce Wayne a juré de combattre le crime parce que ses parents ont été tués par un criminel quand il était jeune ! Mais… Et si ca ne s’était jamais produit ? Alors quoi ? Est-ce que Bruce Wayne serait de toute manière devenu un Batman ? Vous allez maintenant l’apprendre en lisant l’étrange histoire de… La seconde vie de Batman ! ». Quand Bill Finger (le scénariste de Batman #127 mais aussi surtout le co-créateur de Batman) lance ces questions il utilise la formule « Et si… » (« What If… ») que les lecteurs marvelophiles associent plus généralement à Marvel. En effet en 1977 l’éditeur de Spider-Man, des X-Men et des Avengers a lancé une série illimitée portant le nom « What If » et donc le principe était simple : Dans chaque numéro on nous montrait une réalité alternative où, en raison d’une décision différente ou d’un point de détail les évènements prenaient une voie radicalement différente pour se finir le plus souvent de deux manières principales. Soit le héros trouvait la mort (et dans ce sens le destin classique était validé : Si les choses avaient été différentes son sort aurait été affreux) soit au contraire, après avoir paru ne pas devenir le héros qu’on connait il se retrouvait dans ce rôle (le processus, opposé du premier, visait à prouver que quoi qu’il arrive le héros ne pouvait pas échapper à son destin). C’était Marvel, c’était 1977 et c’était un titre à part qui attira donc beaucoup l’attention d’une génération de lecteurs. Mais contrairement à ce qu’on peut croire, ce n’est pas Marvel qui a inventé ce genre d’histoires ou même utilisé la question « What if ? » dans le contexte des univers alternatifs. DC s’était intéressé au processus des décennies plus tôt avec un ensemble d’histoires qu’on appelle le plus souvent des « histoires imaginaires » (« Imaginary Stories ») dans lesquelles il s’agit (par exemple) de savoir qu’est-ce qui se serait passé si la fusée du jeune Kal-El s’était posée ailleurs que devant la voiture des Kent. Précisons que les « Imaginary Stories » avaient également un champ d’action plus grand. Il ne s’agissait pas seulement de savoir ce qui pouvait se passer à l’instant T dans un univers parallèle mais aussi, parfois, de se demander ce que donnerait l’éducation des enfants de Batman ou ce genre de choses. Nous allons cependant voir, grâce à Batman #127 (octobre 1959) que tous les éléments qui ont fait le succès du What If de Marvel étaient déjà là dès les années 50…
Un soir le richissime Bruce Wayne et son pupille, Dick Grayson, répondent à une invitation de leur ami, le professeur Nichols. Dick se demande bien ce qu’il leur veut… Mais Bruce est convaincu qu’il a encore une autre invention à leur montrer. Carter Nichols, c’est un peu le Professeur Tournesol des aventures de Batman dans les années 40 à 50 mais plus spécialement tourné vers les voyages dans le temps. Dans des circonstances qui (en tout cas à l’époque) ne seront pas éclaircies Nichols est devenu un expert de l’exploration temporelle. Les scénaristes ne l’utiliseront d’ailleurs pas de manière cohérente. Dans certains épisodes il semble utiliser surtout une méthode à base d’hypnotisme (ce qui laisse supposer que tout se passe dans la tête des héros et qu’on n’est pas réellement dans l’époque concernée) tandis que dans d’autres il se sert de machines pour transporter ses amis dans d’autres ères. Longtemps Nichols restera une sorte de « deus ex machina » utilisé à chaque fois que Batman doit changer d’époque mais on n’expliquera pas (en tout cas pas pendant le Golden Age) d’où il tire sa technologie. Pas plus qu’on ne saura pourquoi Nichols ne propose ce genre de voyage qu’à Bruce Wayne et Dick Grayson (et parfois à Batman et Robin mais sans réaliser qu’il s’agit des mêmes individus). Comment Nichols pouvait-il voyager dans le temps et pourquoi seulement avec Wayne et son pupille ? Il faudra attendre la minisérie Batman: The Return of Bruce Wayne (2010), scénarisée par Grant Morrison, pour le savoir.
Carter Nichols est en fait un ancien partenaire de Thomas Wayne, un lointain ancêtre de Bruce, qui a été corrompu par la technologie temporelle de Darkseid. A la fin de Final Crisis Batman a été transporté dans la préhistoire et a commencé à faire des sauts dans le temps pour revenir vers le présent, pourchassé/surveillé par une machine de Darkseid qui a fusionné avec ce Thomas Wayne (qui a pris plus tard le nom de Docteur Hurt). Devenu immortel, l’homme a alors commencé à surveiller le développement de la famille Wayne tout en participant, à sa manière, au « culte de la chauve-souris ». Dans Batman: The Return of Bruce Wayne #5, qui se passe à peu près au moment de la mort des parents de Bruce Wayne, on découvre que Carter Nichols est un jeune scientifique que Hurt avait pris sous son aile et qui, de fait a eut accès à la technologie de Darkseid. Comme Darkseid renvoie Batman dans le passé grâce à son regard dans Final Crisis, on en déduira que l’hypnotisme de Nichols est une variante de ce principe, tandis qu’à d’autres moments Nichols s’aide de machines à voyager dans le temps plus conventionnelles pour ce genre d’histoire. Et comme il tient son savoir d’un Docteur Hurt qui était totalement centré sur les Wayne, il est bien possible que Nichols lui-même se concentre sur la même famille sans trop savoir pourquoi (ou pour, d’une certaine manière, expier ses actes passés envers les Wayne). Carter Nichols est finalement mort en 2010 dans les pages de Batman #700, dans un épisode qui impliquait des Batman de différentes époques. En gros en quelques épisodes Grant Morrison éclaircira les motivations possibles de Nichols ainsi que le pourquoi et le comment de son savoir. Mais en 1959 il n’était qu’un savant pas très défini.
Dans Batman #127, Bruce Wayne avait vu juste. Carter Nichols les a invités pour parler d’un nouveau concept: « Bruce, est-ce que vous vous êtes déjà demandé quelle aurait été votre vie…Si vous n’aviez pas été affecté par quelque chose qui est arrivé quand vous étiez jeune ? ». Ce qui est, avouons-le, une question assez conne à poser à quelqu’un qui a perdu ses parents dans les circonstances qu’on sait. Mais ca ne semble effleurer ni l’esprit de Nichols ni celui du scénariste. Avec le sourire Bruce avoue qu’il s’est déjà posé la question bien des fois… mais qu’ils n’auront jamais la réponse. « Et bien maintenant vous allez le savoir ! Mettez ce casque et concentrez-vous ! Pensez à l’évènement qui a influencé votre vie… Pensez que ce n’est jamais arrivé et mon invention vous montrera par vision cérébrale la vie que vous auriez pu avoir ! ». Sans surprise, dès qu’il a le casque sur la tête, Bruce Wayne réfléchit au fait qu’il est devenu un justicier après que ses parents aient été assassinés. Mais… et si ça n’était jamais arrivé ? « . La plupart du temps les autres inventions de Nichols transportent les héros dans d’autres époques ou d’autres mondes où ils se matérialisent (par exemple pour aider D’Artagnan). Mais là il n’y a pas deux Bruce Wayne. On voit seulement les évènements alternatifs…
Bruce Wayne est un jeune homme recevant deux amis chez lui. Ils lui demandent alors quel sera son déguisement pour le bal d’ouverture du New Metropolis Airport. Les tenues doivent avoir pour thème les créatures volantes. On tiquera sur le fait que l’aéroport soit celui de Metropolis et pas celui de Gotham mais nous y reviendrons très vite… La nuit suivante on retrouve les amis de Bruce au bal costumé. L’un est déguisé en une sorte d’insecte et l’autre en dragon. Ils se demandent ce que Bruce a choisi comme tenue… Avant de le voir débarquer en… Superman. Après tout, techniquement, Superman est une créature volante ! Mais une autre des invités n’apprécie pas l’astuce. Elle souffle à la femme qui se tient à côté d’elle : « Je pense que c’est une disgrâce qu’une personne aussi frivole que Bruce puisse venir déguisée en Superman ! Depuis que ses parents sont morts l’an dernier dans un accident d’auto il n’a rien fait d’autre que traîner dans les night-clubs ! ». Nous voici donc renseignés sur le sort de la famille Wayne dans ce monde. Les parents de Bruce ne sont pas morts pendant son enfance mais des années plus tard, dans des circonstances où il ne peut en vouloir à personne. Bruce est visiblement un playboy assez peu estimé par ses pairs.
Mais soudainement la soirée est interrompue par un hold-up ! Un voleur déguisé en chauve-souris, accompagné de tout un gang, se montre en haut d’un avion, en ordonnant à tous de donner tout argent ou tout objet de valeur. Le déguisement du gangster est celui qu’on connait d’habitude au Batman classique (avant qu’il adopte le fameux cercle jaune sur sa poitrine). Une femme s’écrie: « Ohh… C’est le Blue Bat ! Le criminel qui est devenu le chef de la pègre ! ». Le commentaire du scénariste insiste : « Ceci aurait pu être l’origine du Bat-Costume : Un déguisement pour l’identité secrète d’un criminel ! ». Quand bien même on peut se poser la question : Admettons que Bruce Wayne ne devienne pas Batman… En quoi les retombées feraient qu’un criminel inventerait une identité si proche de celle de Batman ? Dans l’épisode de 1959 rien ne l’explique mais puisqu’avec Carter Nichols nous nous sommes intéressés à Return of Bruce Wayne, lançons une hypothèse… Si Bruce Wayne n’avait pas perdu ses parents dans l’enfance ce n’est pas pour autant que Thomas Wayne/Docteur Hurt ne serait pas apparu quelques siècles plus tôt et n’aurait pas commencé à tourner autour de la famille Wayne tout en s’occupant du « Bat-totem ». Aussi le « Blue Bat » pourrait être le Docteur Hurt de ce monde. Encore que j’ai une autre théorie, qu’on verra plus loin…
Heureusement le vrai Superman passait par là. Observant la scène d’en haut, le surhomme se précipite sur les gangsters qui menacent le public. Mais alors qu’il est concentré sur les « petites mains », Blue Bat fait démarrer l’avion (sans rester aux commandes) et le fait rouler vers la foule. Superman est obligé de gérer la menace. Les amis de Bruce remarquent bien ce qui se passe : « Les gangsters vont s’échapper tandis que Superman est occupé ! Quelqu’un devrait les arrêter ! ». Un autre se tourne vers Bruce et lui dit : « Pourquoi pas toi, Bruce ? Tu es habillé comme un Superman… Pourquoi ne pas te comporter comme lui ? ». Facile à dire. D’autant que si les amis de Wayne ont l’air de le critiquer ils ne font pas le moindre geste pour régler la situation. Finalement Bruce saute vers une guirlande pour s’en servir comme d’une corde (ou une « bat-corde » ?) tandis que l’ami qui vient de se moquer de lui essaie de l’empêcher : « Bruce ! Ne fais pas ça ! Je ne faisais que plaisanter ! ». Mais devant l’assistance médusée Bruce neutralise certains gangsters. Ses amis sont admiratifs. Le premier s’exclame « Wow ! Regardez ça ! Il est bon ! » Et l’autre de répondre « Il peut ! C’était un athlète au top au lycée ! ». Voici réglée l’explication de comment un Bruce Wayne frivole peut se montrer aussi athlétique qu’un Batman entraîné. Il n’est peut-être pas devenu justicier dans ce monde mais il a gardé la forme !
Très vite Bruce en vient aux coups de poings pour stopper les gangsters récents. Tout le monde le félicite : « Dommage que tu n’ai pas réussi à capturer le Blue Bat… Mais ce n’est pas ta faute s’il s’est échappé ! ». Le vrai Superman, qui a tout vu, acquiesce : « Je suis d’accord ! Vous êtes le meilleur remplaçant de Superman que je connaisse ! ». Au point que les deux héros posent ensemble pour la photo. Le lendemain, alors qu’il rentre chez lui, Bruce Wayne est encore tout fier : « C’est une bonne sensation de savoir que j’ai fait quelque chose de bien pour une fois ! ». Mais sa fierté en prend vite un coup… de poing ! Car il est agressé par Blue Bat et ce qui reste de sa bande : « Alors c’est le gars qui jouait à Superman, hein ? Voilà un échantillon de ce qui t’attend si jamais tu fous encore le nez dans mes affaires ! ». Bruce est terrifié : « Je ne voulais pas m’en mêler… Mais mes amis ont commencé à se moquer de moi ! Je ne pensais pas que… ». En fin de compte Bruce respire tellement la peur que les gangsters en viennent à se moquer de lui. Convaincus qu’il ne les dérangera plus, ils décident de l’épargner. Le Blue Bat ricane : « Vous avez raison ! Et moi qui pensais qu’il allait être une gêne ! Ha ha ! ».
En fait l’humiliation n’a pas l’effet que la bande pensait. Alors que le Blue Bat et ses hommes s’en vont, Bruce Wayne bouillonne de rage de s’être retrouvé dans cette position : « Si seulement il y avait un moyen pour moi de trouver la cachette du Blue Bat, je briserais sa bande… ». Et puis d’un coup Bruce se souvient d’un détail : « Quand ces gaillards sont partis, l’un d’entre eux a renversé un peu de sable de sa doublure de pantalon ! ». Avec une loupe Bruce se penche alors sur les grains : « Du sable fin, mélangé à un peu de gravier grossier ! La plupart des plages ici n’ont que du sable fin. Ce mélange peut provenir de Rocky Point. Hmm ! ». Décidant que son combat contre Blue Bat est maintenant une affaire personnelle, Bruce se rue vers sa voiture, non sans prendre d’abord la précaution de masquer sa plaque d’immatriculation : « Je veux m’occuper du Blue Bat moi-même mais je ne veux plus jamais attirer l’attention ! ». Il faut dire qu’il vient de voir des gangsters venir chez lui pour lui demander des comptes, aussi on comprendra qu’il ait appris les bienfaits de l’anonymat. Encore qu’il n’a pas spécialement pensé à cacher son visage…
Arrivé à Rocky Point, Bruce remarque une vieille cabane dont il défonce la porte à coups d’épaule. Il remarque alors un costume de rechange du Blue Bat, ce qui prouve qu’il est au bon endroit. Mais il est visiblement arrivé alors que la bande est ailleurs, en train de commettre un méfait. D’ailleurs il trouve des plans correspondants au nouveau barrage qui est en train d’être construit en dehors de la ville : « Ils doivent prévoir de voler la paye mensuelle des ouvriers ! ». Voilà ce qui arrive quand on paye beaucoup d’employés sur un chantier sans vouloir leur faire de chèque ! Pour la phase suivante du combat, Bruce lorgne alors vers la tenue de rechange : « Hmm ! J’ai dans l’idée que ce costume pourrait être utile… Si je le portais ! ». Bientôt Bruce, habillé en Blue Bat (et donc en Batman) roule sur la route. Il s’arrange pour passer devant une voiture de police et être vu : « Ca a marché ! Ils vont me prendre en chasse comme je l’espérais ! Je vais juste prendre de la vitesse de manière à ce qu’ils ne puissent pas m’arrêter avant que j’atteigne le Blue Bat ! ».
Arrivé au barrage, Bruce voit la bande en train de préparer son sale coup. Loin de se cacher, il se confronte à eux… en se faisant passer pour le vrai Blue Bat : « Attendez vous deux ! Ce type derrière vous est en train de vous faire tourner en bourrique ! C’est un flic ! Il vous dirige droit vers un piège ! C’est moi le vrai Blue Bat ! ». Bien sûr le véritable Bat-Bandit proteste… mais ses hommes de main ne savent plus qui est qui. Bruce, entendant la police arriver derrière lui, décide d’en finir et de profiter de l’effet de surprise. Il saute sur les deux complices du Blue Bat et les assomme. Il ne reste plus que les deux hommes costumés face à face… Et quand Blue Bat comprend que la police arrive, il décide de jouer le tout pour le tout. Il saute sur un des générateurs et brandit de la dynamite en menaçant de détruire l’endroit si on ne le laisse pas partir.
Bruce arrive cependant à échapper à son attention et à lui sauter dessus de manière à l’empêcher d’utiliser la dynamite. Dans la lutte, cependant, les bâtons leur échappent et tombent dans le vide. Bruce arrive à les intercepter : « Ouf ! Pendant une minute j’ai cru que je ne verrais jamais mon prochain anniversaire ! ». La police, qui a maintenant tout le loisir d’arrêter Blue Bat, observe de loin l’autre personnage costumé qui s’enfuit. Un des hommes commente : « Qui que soit ce « Bat-Man », je lui tire mon chapeau ! ». Son collègue poursuit : « Moi aussi ! Un justicier de cette trempe pourrait être d’une grande aide pour la police ! J’espère que ce n’est pas la dernière fois qu’on voit ce Bat-Man ! ».
Rentré chez lui, Bruce Wayne réalise que le destin a choisi pour lui une carrière, prenant la pose devant un miroir, il jure : « Je consacrerais ma vie à combattre les criminels ! Ce costume qui était auparavant un symbole du crime deviendra maintenant un signe de justice ! Et je prendrais pour nom celui que les policiers m’ont donné… Batman ! » On notera que Bill Finger fait des allusions sans doute tout à fait conscientes aux premiers épisodes du héros. Par exemple les policiers qui font référence « au Bat-Man », en ne l’utilisant pas comme un nom propre, et avec l’ortographe en deux mots. Et puis il y aussi la pose caractéristique devant le miroir, avec sa cape devant son visage… Une attitude « pulp » que Batman utilisait beaucoup dans les années 40 et beaucoup moins à la fin des fifties…
La machine s’arrête et Bruce Wayne enlève son casque, entouré de Carter Nichols et de Dick Grayson. Le scientifique est impatient de savoir ce qu’a donné cette vision. Bruce explique : « J’ai vu que même si les circonstances étaient altérées le destin aurait choisi la même vie pour moi. Plus tard, alors qu’ils ont quitté Nichols, Bruce raconte tout à Dick. Le jeune garçon est sidéré, soulignant l’évidence : « C’est dingue ! Donc même si tes parents n’avaient pas été tués par un criminel, tu serais quand même devenu un justicier ! ». Et Bruce Wayne de répondre : « Oui, Dick ! C’est de cette façon que les choses doivent se passer ! Il y aura toujours un Batman ! ». Et l’histoire s’achève sur ce constat, un peu dans la même logique que j’évoquais plus tôt en ce qui concerne les What If de Marvel : Même si le monde est différent le héros se retrouve conforté dans son rôle. Encore qu’ici il semble probable que Bill Finger avait aussi le souci de montrer que son héros ne devait pas sa bonté et son altruisme seulement à la mort de ses parents. Ce que Finger veut nous dire c’est que Batman, le vrai Batman, est un héros pas à cause du fait divers qui a brisé sa vie mais bien en raison de qualités intrinsèques qui font de lui l’homme qu’il est, quels que soient les évènements. Autre point que Finger ne soulève pas dans son évocation d’un monde parallèle : Si Bruce Wayne est destiné à devenir Batman dans tous les cas de figure, qu’en est-il de Dick Grayson ? Même le jeune garçon ne se pose pas la question.
Reste l’identité du Blue Bat qui, jusqu’à la fin, ne reste pas tranchée. Il y a, avec le recul, la possibilité que ce soit le Docteur Hurt. Mais ce raisonnement est issu des scénarios de Grant Morrison et ne risque pas d’avoir été l’idée première de Finger. Un beau parallèle aurait pu être que Blue Bat soit Joe Chill, l’homme qui dans l’univers DC normal a tué les parents Wayne et donc provoqué l’apparition de Batman. Une autre solution un peu plus téléphonée pourrait être l’homme qui dans ce monde n’est pas devenu le Joker. Mais comment Chill ou le proto-Joker auraient-ils accès au même costume que Batman ? Reste une autre solution : Le fait que l’action semble se passer à Metropolis, que Wayne choisisse un déguisement de Superman et que même l’homme d’acier soit mentionné (chose rare dans le magazine propre à Batman) ouvre en fait une possibilité sur la genèse de cette histoire. Il semble très probable que l’idée initiale de Bill Finger était quelque chose du genre « Et si Bruce Wayne avait été Superman ? », typiquement le genre de récit qu’on pouvait publier dans la série sœur World’s Finest, où Superman et Batman étaient régulièrement réunis. Il semble très possible que l’histoire ait été prévue à la base avec un autre rôle pour Superman, un héros qu’on appelle surnomme d’ailleurs à l’occasion « Big Blue ». De quoi se demander (dans le vide et sans espoir d’avoir un jour une réponse) si l’idée première de Finger n’était pas d’avoir un Bruce Wayne déguisé en Superman combattant un Clark Kent devenu « The Blue Bat » (allusion au « Big Blue »).
DC n’a jamais revisité cet univers par la suite. Il faut dire que son intérêt s’arrête avec la conclusion de cette histoire et qu’à partir du moment où Bruce devient Batman, les différences sont inexistantes. A moins d’une aventure qui justifierait le retour du Blue Bat, qui qu’il puisse être…
[Xavier Fournier]
Je crois voir l’influence de Chester Gould dans ces planches, surtout dans la manière très « tracyesque » dont est représenté le visage de Bruce Wayne…