Oldies But Goodies: Blackhawk #97 (Feb. 1956)
21 décembre 2013[FRENCH] Créés et lancés à l’aube de la Seconde Guerre Mondiale, l’aviateur Blackhawk et son escadre de « Faucons Noirs » ont connus une longévité dépassant sans doute de loin les espoirs de leurs créateurs. En 1956 ils étaient toujours en train de se battre. Et voilà que le spectre du nazisme montrait à nouveau son visage avec… Hitla, la Fille d’Hitler ! Un épisode avec comme un petit parfum d’Iron Sky…
« Tu l’as fait, Hitla ! Tu t’es arrangée pour que les Blackhawks s’affrontent respectivement ! » s’exclame un officier. A côté de lui une femme brune (portant en plus de son costume militaire une cape rouge et une large croix gammée sur la poitrine) jubile : « Bientôt je ferais que toute l’Europe de l’Ouest sera déchirée par la haine ? ». Et le commentateur nous explique alors le contexte : « Elle était la beauté même… mais totalement malfaisante ! A cause d’elle la croix gammée fut a nouveau vue en Allemagne de l’Ouest ! A cause d’elle de vieilles haines furent remémorées et réveillées ! A cause d’elle les Blackhawks affrontèrent les Blackhawks ! Son nom était Hitla et elle se disait… LA FILLE D’HITLER !« .
Enfin, l’histoire peut réellement débuter, où les bons allemands de 1956 (soulignons qu’à l’époque l’Allemagne est déjà coupée en deux et que par extension, quand un américain parle de « bons allemands » à cette époque ce sont forcément ceux de l’Ouest, qui ne sont pas sous la coupe des communistes) sont choqués de voir que des vitrines sont brisées par des pavés tandis que des croix gammées sont peintes sur les portes ou sur des affiches. Herr Konrad, le maire de Neustadender est consterné : « Ach! Qu’un tel symbole infâme soit affiché dans ma ville ! ». Il se précipite pour arracher une affiche portant la svastika en grognant « Der Nazi beasts ! ». Mais il est surpris car, derrière lui, surgissent des silhouettes dont on devine toute de suite qu’elles sont des uniformes militaires nazis. Ce qui implique que ce n’est pas seulement un ou deux nostalgiques isolés mais un retour un peu plus organisé que ça. Dans la case suivante le maire Konrad est à terre, après avoir été visiblement rossé. On nous explique alors que l’agression du maire n’est qu’un méfait parmi tant d’autres qui ont dernièrement évoqué la Gestapo et les soldats d’élite du III° Reich.
D’ailleurs, non loin de là, dans un ancien château, on découvre l’ampleur de ce retour. Des hordes de soldats défilent en faisant le salut hitlérien et en hurlant « Sieg Heil ! Heil ! Heil Hitla ! ». Au balcon la femme à qui ils s’adressent les regarde passer, en compagnie de son bras droit. Néanmoins le dialogue entre ces deux-là n’est pas celui qu’on pourrait croire et c’est même tout le sens qu’on pouvait donner à ce début d’épisode qui vacille. La dénommée Hitla regarde ses troupes et jubile mais pour les raisons attendues : « Regardez ces crétins ! Ils pensent vraiment que je suis la fille d’Hitler sortie de la clandestinité pour les aider à conquérir l’Europe ! ». L’autre renchérit : « Je ne les blâme pas ! Votre comédie est si poussée que j’y croirais presque moi-même, Camarade Olga ! ». Camarade Olga ? A ces mots on comprend que ces faux dirigeants nazis sont en fait de vrais agents communistes. D’ailleurs Hitla/Olga se retourne furieusement vers son interlocuteur et le gifle : « Ne prononcez plus jamais mon véritable nom ! Si ces idiots réalisaient notre vrai objectif ils nous tailleraient en pièce ! ». Confus, l’autre s’excuse en reprenant un accent allemand : « Ach, excusez-moi Fraulein Hitla ! J’ai oublié un instant que nous étions maintenant allemands ! Ça n’arrivera plus ! ».
Sous ses airs nazis, Hitla est donc une ennemie sortie d’un rôle assez commun dans les pages de Blackhawk dans les années 50 : Une jolie (mais cruelle) espionne brune d’obédience communiste (comprenez : soviétique). Au point d’ailleurs qu’on aurait presque l’impression, parfois, qu’il s’agit de la même femme. On avait déjà parlé dans cette rubrique de la Black Widow affrontée par Blackhawk quelques mois plus tôt. Rien que dans ce Blackhawk #97, en l’espace de trois récits le héros aviateur affronte non seulement Hitla mais aussi, dans les autres histoires, Vampira et aussi Communa, toutes sorties d’un même moule.
La dispute entre les deux faux nazis est cependant interrompue par une vision aérienne surprenante. D’un seul coup le château où ils regroupent leurs forces est survolé par plusieurs avions de l’escadre des Blackhawks. Mais la vraie chose étonnante est qu’ils attaquent l’un d’entre eux. Hitla et son bras droit voient alors que le premier avion est touché et qu’il prend feu. Une vignette nous montre alors que c’est Hendrickson, le membre allemande des Blackhawks, qui pilote l’engin en question. Ses camarades lui conseillent alors d’utiliser son parachute mais Hendrickson refuse, expliquant qu’il veut poser son avion de manière à ce que la chose ait l’air « plus réaliste ». Il s’écrase juste devant le château d’Hitla. Hendrickson est sonné mais indemne. Hitla ordonne alors qu’on le capture. Mais à sa grande surprise Hendrickson lui fait alors le salut hitlérien en criant « Heil Hitla ». Elle ne cache pas son étonnement « Quoi ? Tu es l’un des Blackhawks et tu me salue ? A quoi joues-tu ? ». Hendrickson explique alors qu’il a entendu les discours d’Hitla et qu’elle l’a convaincue : « J’ai décidé que tu as raison ! Il n’y aura pas de paix tant que l’Allemagne n’aura pas conquis l’Europe ! Je venais mettre mon avion à ton service… ». Et Hitla comprend que Blackhawk a préféré le descendre pour éviter ça.
Mais elle n’est pas dupe. Tout ça pourrait n’être qu’une ruse. Le lecteur, d’ailleurs, sait bien que c’est le cas puisqu’il a assisté au dialogue entre Hendrickson et ses équipiers, avec cette mention d’être plus « réaliste ». Hitla pense quand même que ça pourrait être un tour que lui jouent les Blackhawks : « Mais il y a une manière d’en être sur ! Escortez-le, gardes ! ».
Au même moment le reste des Blackhawks s’est posé dans un aérodrome situé à quelques kilomètres de là. Les aviateurs attendent un signal de la part d’Hendrickson (tous les Blackhawks sont équipés d’une mini-radio dans leur boucle de ceinture). Mais l’un d’entre eux est moins confiant : « Si Hitla suspecte que le crash était une mise-en-scène il aura vite besoin d’aide. D’après ce qu’on a pu apprendre, c’est de la mauvaise graine, quoi que soient ses intentions ». Ce qui est assez étonnant dans cet épisode c’est qu’on joue assez peu la carte du suspens, malgré le caractère saisissant d’un personnage comme Hitla. A peine quelques cases après le début de l’histoire on nous expliquait déjà qu’elle n’était pas la fille d’Hitler qu’elle prétendait être. Ensuite la prétendue trahison d’Hendrickson est expliquée au lecteur pratiquement depuis le début et là cette phrase laisse entendre que les Blackhawks eux-mêmes ont des doutes sur la nature des objectifs avoués d’Hitla (c’est à dire qu’ils se doutent qu’elle n’est pas forcément la nazie qu’elle prétend être).
Pendant ce temps Hendrickson a été amené dans le bureau d’Hitla où cette dernière le questionne : « Alors ainsi tu m’apportais un jet des Blackhawks avec tous les secrets qui les rendent les plus rapides au monde ? ». Hendrickson, sous la menace de mitraillettes, continue d’entretenir son imposture : « Ya Fraulein Hitla ! Mais Blackhawk lui-même m’a arrêté ! Ça a été vunderbar que je ne sois pas tué dans le crash » (oui, c’est normal, il est à peu près impossible d’entendre parler, enfin de lire l’accent du moustachu Hendrickson sans penser au Sergent Hans Schultz dans le feuilleton Stalag 13/Papa Schultz, à plus forte raison parce que l’acteur John Banner aurait pu jouer physiquement le rôle d’Hendrickson). Mais Hitla décide de le tester. Après tout, même si l’avion a été détruit, Hendrickson est l’un des Blackhawks et il connaît forcément les plans des avions qu’il a piloté pendant des années. Elle exige donc qu’il s’installe devant une table à dessin et qu’il trace de mémoire les plans des avions en question. Mais elle le prévient de ne pas tenter de se défiler en dessinant de faux plans. Elle a des experts qui sauront qui si les plans sont faux !
Puis Hitla s’éclipse en expliquant qu’elle va veiller au grain et vérifier que Blackhawk ne revient pas pour une autre attaque. Laissé dans la pièce sous la surveillance de deux gardes, Hendrickson réalise qu’il est pris à son propre jeu. Il se refuse à livrer les secrets de Blackhawk. Et en même temps il est impératif qu’il puisse se servir de sa ceinture-radio pour prévenir l’escadre que si elle revient elle va tomber sur un os, où disons sur une Hitla prête à faire face en tout cas. D’un coup Hendrickson pousse un juron comme s’il y avait un problème avec la table à dessin. Curieux, les deux gardes se penchent… Et le membre des Blackhawks en profite pour les prendre par surprise et les assommer. Mais maintenant qu’il est sans surveillance, Hendrickson découvre malheureusement que ses efforts sont inutiles : le crash a endommagé sa ceinture-radio ! Il ne peut pas communiquer avec les autres Blackhawks !!!
En fouillant dans les autres pièces, Hendrickson trouve une autre radio et espère pouvoir la régler sur la fréquence secrète des Blackhawks. Mais il entend bientôt Hitla qui approche, en train de discuter avec son général. L’aviateur a la présence d’esprit de se cacher sous un bureau. Quand les deux comploteurs arrivent dans la pièce ils ne peuvent donc pas le voir. Hitla discute donc sans crainte avec son bras droit, se moquant de leurs troupes : « Ces stupides nazis ! Ils pensent que vous et moi seront dans le véhicule blindé qui va les diriger ! Quels imbéciles ! Nous serons en route pour la Russie, notre glorieuse mission accomplie ! Tandis que les allemands s’entre-déchireront, notre armée rouge s’emparera de l’Allemagne de l’Ouest ! Nous serons décorés de l’Étoile Rouge pour ce coup ! ».
Pendant ce temps les Blackhawks s’impatientent, inquiets de voir qu’Hendrickson ne donne pas de nouvelles. Ils décident de retourner vers le château mais de jouer la discrétion. Au lieu d’y aller en avion, ils s’y rendent à pied. Mais en approchant ils réalisent que les nazis les attendaient. Aussitôt les deux groupes s’affrontent, les Blackhawks distribuant des coups de poings. Cependant le nombre n’est pas pour les héros, qui sont vite dépassés par la marée humaine des nazis. Ils sont donc fait prisonniers et attachés.
A ce moment, à l’intérieur du château, on fête par avance la victoire. L’armée nazie s’est à nouveau réunie sous le balcon pour saluer Hitla avec la main levée. La fille supposée d’Hitler ignore toujours qu’Hendrickson rôde sans surveillance. Elle croit qu’il est toujours dans un bureau en train de dessiner des plans de manière pas très rapide. Énervée, elle exige qu’on l’amène à elle : « Il a assez fait traîner les choses ! ». C’est à ce moment-là qu’on remarque qu’il s’est échappé. Mais Hitla décide de ne pas perdre de temps à le chercher. De toute façon c’est le grand soir. Le moment où les forces nazies vont être lâchées contre l’Allemagne de l’Ouest. Hitla ordonne alors qu’on branche les haut-parleurs et harangue ses troupes, leur expliquant qu’elle sera leur leader comme son père l’était avant elle. C’est à ce moment-là qu’on lui annonce la capture du reste des Blackhawks. Elle jubile : « Excellent ! Les Blackhawks étaient les ennemis d’Hitler et ils sont aussi les vôtres ! J’ordonne qu’on les exécute ! ».
Blackhawk n’est pas vraiment optimiste : « On dirait bien que c’est la fin les gars ! Et on ne sait même pas ce qui est arrivé à Hendrickson ! Ces gens fanatiques sont au delà de toute raison. Mais soudain ce sont d’autres mots qui s’élèvent du haut-parleur. Et pourtant c’est bien la voix d’Hitla. Mais Hendrickson s’est débrouillé pour l’enregistrer (grâce à un magnétophone caché dans son talon de botte, ça fait partie de l’équipement perfectionné des Blackhawks) alors qu’elle se moquait de ses troupes et expliquait qu’elle et son complice ne tarderaient pas à retourner vers leur mère patrie, la Russie. Consternés, la fausse fille d’Hitler et son bras droit réalisent qu’ils risquent d’être mis en pièces par les nazis maintenant qu’ils vont comprendre le pot-aux-roses. Ils tentent de s’enfuir mais sont interceptés par Hendrickson. Dans la cour du château le reste des Blackhawks profite de l’effet de surprise (et sans doute de la démotivation des nazis) pour distribuer à nouveau des beignes. Bientôt Blackhawk s’adresse à l’armée adverse : « Calmez-vous les têtes brûlées ! Vous vous êtes déjà assez comportés comme des crétins comme ça ! Retournez chez vous dans le calme et nous oublierons toute cette émeute ! ».
Le speech fait son effet. Sans leader, les nazis n’ont plus de raison de se battre et préfèrent se disperser. Blackhawk commente alors « Je pense qu’ils sont guéris de toute envie d’un renouveau nazi ! ». Hendrickson lui, jubile devant Hitla : « Ja ! D’ici à ce que cette femme puisse sortir de prison, elle sera si vieille qu’elle devra se faire passer pour la grand-mère d’Hitler ! ».
Comme un certain nombre de comics des années 50, le lien est donc fait entre le nazisme et le communisme forcené du bloc de l’Est. Bien sûr on peut les rattacher comme étant deux facettes du fascisme mais l’agenda est bien entendu plus politique que ça. En pleine guerre froide, il s’agit de justifier l’antagonisme entre Américains et Soviétiques en démontrant qu’il équivaut avec celui qu’on a connu pendant la Seconde Guerre Mondiale. La chose est d’ailleurs encore plus explicite dans les Captain America de la même époque quand le nazi Red Skull refait surface comme un agent communiste sans faire état de la moindre contradiction (ce n’est que dans des comics plus modernes que d’autres auteurs établiront l’existence de plusieurs Red Skull). La survivance d’un héritage (authentique ou pas) d’Hitler fait partie de ces ressorts qu’on va utiliser régulièrement pendant des années (chez Marvel, dans la même veine, on aura la création du Hate-Monger dans un épisode des Fantastic Four). Les nazis faisant le consensus contre eux, représentant un mal absolu, vont ainsi être, selon les occasions, soit entretenus (prolongés par diverses astuces qui évoquent un retour d’Hitler ou de ses proches) soit transférés vers les Soviétiques pour entériner la raison d’être de la Guerre Froide. Ici, clairement, Blackhawk semble même entendre que le nazisme est moindre que la menace soviétique puisqu’il laisse assez facilement les allemands rentre chez eux sans qu’ils aient à craindre de poursuite.
Par la force des choses c’est la seule fois où on a vu Hitla dans une aventure des Blackhawks. Démasquée, la Camarade Olga n’avait aucun intérêt, aucune raison, de revenir dans un épisode ultérieur où elle ne risquait plus d’avoir la confiance de néo-nazis. De toute manière à cette période les Blackhawks combattaient surtout des ennemis « one-shots », qui apparaissaient une seule fois avant de disparaître dans les limbes. N’empêche que ces nazis de 1956 étaient effectivement assez crétins de croire en l’existence d’une fille cachée d’Hitler. La seule manière que ça marche aurait été qu’elle naisse dans le chaos des derniers jours de la chute de Berlin (sinon sa naissance n’aurait pas été cachée). Et dans ces conditions qu’elle soit adulte onze ans après la chute du III° Reich semble déjà une pilule assez grosse à faire passer. Et que la fille d’Hitler ait pour prénom Hitla… Non, vraiment, ce n’étaient pas des lumières…
[Xavier Fournier]
En plus, si c’était sa fille, elle s’appellerait Hitla Hitler !
Avec un nom pareil, on se suicide dès l’adolescence 😀
Hendrickson est néerlandais en fait (même si dans certains épisodes ils parlent en effet allemand).
Cet épisode est aussi connu à cause de la couverture qui porte des indications intéressantes sur le panneau de la mine en arrière plan.
« Hendrickson est néerlandais en fait (même si dans certains épisodes ils parlent en effet allemand). »
Tu fais une confusion entre la version des années 40 et celle dont il s’agit ici. Hendrickson est considéré comme allemand à partir de 1952. Ca joue d’ailleurs une importance semi-régulière jusque dans les 70, à chaque fois qu’une organisation néo-nazie refait surface.