Enfin, l’histoire peut réellement débuter, où les bons allemands de 1956 (soulignons qu’à l’époque l’Allemagne est déjà coupée en deux et que par extension, quand un américain parle de « bons allemands » à cette époque ce sont forcément ceux de l’Ouest, qui ne sont pas sous la coupe des communistes) sont choqués de voir que des vitrines sont brisées par des pavés tandis que des croix gammées sont peintes sur les portes ou sur des affiches. Herr Konrad, le maire de Neustadender est consterné : « Ach! Qu’un tel symbole infâme soit affiché dans ma ville ! ». Il se précipite pour arracher une affiche portant la svastika en grognant « Der Nazi beasts ! ». Mais il est surpris car, derrière lui, surgissent des silhouettes dont on devine toute de suite qu’elles sont des uniformes militaires nazis. Ce qui implique que ce n’est pas seulement un ou deux nostalgiques isolés mais un retour un peu plus organisé que ça. Dans la case suivante le maire Konrad est à terre, après avoir été visiblement rossé. On nous explique alors que l’agression du maire n’est qu’un méfait parmi tant d’autres qui ont dernièrement évoqué la Gestapo et les soldats d’élite du III° Reich.
Sous ses airs nazis, Hitla est donc une ennemie sortie d’un rôle assez commun dans les pages de Blackhawk dans les années 50 : Une jolie (mais cruelle) espionne brune d’obédience communiste (comprenez : soviétique). Au point d’ailleurs qu’on aurait presque l’impression, parfois, qu’il s’agit de la même femme. On avait déjà parlé dans cette rubrique de la Black Widow affrontée par Blackhawk quelques mois plus tôt. Rien que dans ce Blackhawk #97, en l’espace de trois récits le héros aviateur affronte non seulement Hitla mais aussi, dans les autres histoires, Vampira et aussi Communa, toutes sorties d’un même moule.
Au même moment le reste des Blackhawks s’est posé dans un aérodrome situé à quelques kilomètres de là. Les aviateurs attendent un signal de la part d’Hendrickson (tous les Blackhawks sont équipés d’une mini-radio dans leur boucle de ceinture). Mais l’un d’entre eux est moins confiant : « Si Hitla suspecte que le crash était une mise-en-scène il aura vite besoin d’aide. D’après ce qu’on a pu apprendre, c’est de la mauvaise graine, quoi que soient ses intentions ». Ce qui est assez étonnant dans cet épisode c’est qu’on joue assez peu la carte du suspens, malgré le caractère saisissant d’un personnage comme Hitla. A peine quelques cases après le début de l’histoire on nous expliquait déjà qu’elle n’était pas la fille d’Hitler qu’elle prétendait être. Ensuite la prétendue trahison d’Hendrickson est expliquée au lecteur pratiquement depuis le début et là cette phrase laisse entendre que les Blackhawks eux-mêmes ont des doutes sur la nature des objectifs avoués d’Hitla (c’est à dire qu’ils se doutent qu’elle n’est pas forcément la nazie qu’elle prétend être).
Puis Hitla s’éclipse en expliquant qu’elle va veiller au grain et vérifier que Blackhawk ne revient pas pour une autre attaque. Laissé dans la pièce sous la surveillance de deux gardes, Hendrickson réalise qu’il est pris à son propre jeu. Il se refuse à livrer les secrets de Blackhawk. Et en même temps il est impératif qu’il puisse se servir de sa ceinture-radio pour prévenir l’escadre que si elle revient elle va tomber sur un os, où disons sur une Hitla prête à faire face en tout cas. D’un coup Hendrickson pousse un juron comme s’il y avait un problème avec la table à dessin. Curieux, les deux gardes se penchent… Et le membre des Blackhawks en profite pour les prendre par surprise et les assommer. Mais maintenant qu’il est sans surveillance, Hendrickson découvre malheureusement que ses efforts sont inutiles : le crash a endommagé sa ceinture-radio ! Il ne peut pas communiquer avec les autres Blackhawks !!!
Pendant ce temps les Blackhawks s’impatientent, inquiets de voir qu’Hendrickson ne donne pas de nouvelles. Ils décident de retourner vers le château mais de jouer la discrétion. Au lieu d’y aller en avion, ils s’y rendent à pied. Mais en approchant ils réalisent que les nazis les attendaient. Aussitôt les deux groupes s’affrontent, les Blackhawks distribuant des coups de poings. Cependant le nombre n’est pas pour les héros, qui sont vite dépassés par la marée humaine des nazis. Ils sont donc fait prisonniers et attachés.
Blackhawk n’est pas vraiment optimiste : « On dirait bien que c’est la fin les gars ! Et on ne sait même pas ce qui est arrivé à Hendrickson ! Ces gens fanatiques sont au delà de toute raison. Mais soudain ce sont d’autres mots qui s’élèvent du haut-parleur. Et pourtant c’est bien la voix d’Hitla. Mais Hendrickson s’est débrouillé pour l’enregistrer (grâce à un magnétophone caché dans son talon de botte, ça fait partie de l’équipement perfectionné des Blackhawks) alors qu’elle se moquait de ses troupes et expliquait qu’elle et son complice ne tarderaient pas à retourner vers leur mère patrie, la Russie. Consternés, la fausse fille d’Hitler et son bras droit réalisent qu’ils risquent d’être mis en pièces par les nazis maintenant qu’ils vont comprendre le pot-aux-roses. Ils tentent de s’enfuir mais sont interceptés par Hendrickson. Dans la cour du château le reste des Blackhawks profite de l’effet de surprise (et sans doute de la démotivation des nazis) pour distribuer à nouveau des beignes. Bientôt Blackhawk s’adresse à l’armée adverse : « Calmez-vous les têtes brûlées ! Vous vous êtes déjà assez comportés comme des crétins comme ça ! Retournez chez vous dans le calme et nous oublierons toute cette émeute ! ».
Comme un certain nombre de comics des années 50, le lien est donc fait entre le nazisme et le communisme forcené du bloc de l’Est. Bien sûr on peut les rattacher comme étant deux facettes du fascisme mais l’agenda est bien entendu plus politique que ça. En pleine guerre froide, il s’agit de justifier l’antagonisme entre Américains et Soviétiques en démontrant qu’il équivaut avec celui qu’on a connu pendant la Seconde Guerre Mondiale. La chose est d’ailleurs encore plus explicite dans les Captain America de la même époque quand le nazi Red Skull refait surface comme un agent communiste sans faire état de la moindre contradiction (ce n’est que dans des comics plus modernes que d’autres auteurs établiront l’existence de plusieurs Red Skull). La survivance d’un héritage (authentique ou pas) d’Hitler fait partie de ces ressorts qu’on va utiliser régulièrement pendant des années (chez Marvel, dans la même veine, on aura la création du Hate-Monger dans un épisode des Fantastic Four). Les nazis faisant le consensus contre eux, représentant un mal absolu, vont ainsi être, selon les occasions, soit entretenus (prolongés par diverses astuces qui évoquent un retour d’Hitler ou de ses proches) soit transférés vers les Soviétiques pour entériner la raison d’être de la Guerre Froide. Ici, clairement, Blackhawk semble même entendre que le nazisme est moindre que la menace soviétique puisqu’il laisse assez facilement les allemands rentre chez eux sans qu’ils aient à craindre de poursuite.
Par la force des choses c’est la seule fois où on a vu Hitla dans une aventure des Blackhawks. Démasquée, la Camarade Olga n’avait aucun intérêt, aucune raison, de revenir dans un épisode ultérieur où elle ne risquait plus d’avoir la confiance de néo-nazis. De toute manière à cette période les Blackhawks combattaient surtout des ennemis « one-shots », qui apparaissaient une seule fois avant de disparaître dans les limbes. N’empêche que ces nazis de 1956 étaient effectivement assez crétins de croire en l’existence d’une fille cachée d’Hitler. La seule manière que ça marche aurait été qu’elle naisse dans le chaos des derniers jours de la chute de Berlin (sinon sa naissance n’aurait pas été cachée). Et dans ces conditions qu’elle soit adulte onze ans après la chute du III° Reich semble déjà une pilule assez grosse à faire passer. Et que la fille d’Hitler ait pour prénom Hitla… Non, vraiment, ce n’étaient pas des lumières…
[Xavier Fournier]
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