Malgré ce que voudrait laisser croire la couverture, Blue Beetle #14 ne contient absolument pas les débuts d’un jeune super-héros Sparky. Au contraire le lecteur va avoir droit à une suite d’aventures du Blue Beetle en solo (comme d’habitude, quoi). Ce n’est qu’au bout de quelques pages qu’on va tomber sur une page, une seule, formulée comme un mot d’excuse. On y introduit bien un le jeune Sparky, « nouvel assistant du Blue Beetle », en se fendant d’un chapitre descriptif : « En réalité Sparky n’est autre que Sparkington J. Northrup, adopté par Lord Wellington Northrup de Suppleshire, Angleterre. Pendant une visite en Amérique à cause de la guerre, Lord Northrup a pensé qu’il était préférable d’y faire venir son fils adoptif. De ce fait, Sparky est parti de Liverpool courant Avril ! ». Mais visiblement les auteurs n’arrivent pas à se décider s’il est anglais
Néanmoins on pourra s’étonner de la manière alambiquée dont on nous explique qu’il est donc un petit garçon américain qui aurait été adopté par un Lord anglais qui l’aurait fait revenir en Amérique. Que de trajets… Mais c’est le dernier paragraphe de la phrase qui élucide ce point : « Nous l’attendions pour qu’il arrive à temps pour ce numéro de Blue Beetle Comics mais les derniers rapports nous ont informé que le convoi dans lequel Sparky voyageait a été attaqué par des sous-marins des forces de l’Axe. On nous a assuré, cependant, que Sparky est sauf et qu’il arrivera d’ici quelques jours… Ne manquez pas Sparky dans l’épisode du mois prochain de Blue Beetle Comics ! ». Et fait, il semble tout simplement que l’éditeur avait commandé la couverture mais qu’aucune histoire n’avait été produite à temps pour justifier cette image et qu’on a donc, dans l’urgence, fabriqué ces excuses qui brisent, d’une certaine manière, le « quatrième mur ». Une autre explication pourrait être qu’il y a bien une histoire qui a été produite mais qu’elle était trop proche d’un sidekick existant et que l’éditeur aura préféré ne pas la publier et repousser les choses. Mais dans tous les cas, pourquoi garder la couverture avec Sparky, nécessitant cette page de mise au point ? Sans doute parce que publier quand même la couverture avait l’avantage, dès lors, d’une sorte de dépôt légal. Même si un autre Sparky était apparu ailleurs entre Blue Beetle #14 et 15, Fox aurait pu se targuer de l’antériorité…
Comme souvent dans les enquêtes du Blue Beetle du Golden Age, les choses commencent alors que le policier Dan Garret et son partenaire, Mike, sont en patrouille. Tous deux entendent la sirène de la prison et en déduisent qu’il y a une évasion en cours. Forcément les deux hommes se précipitent pour répondre à cet appel à l’aide. Et ils arrivent à temps pour voir un individu chauve se « faire la malle » en sautant par dessus le mur de la prison. Le bagnard saute sur Mike mais Dan, plus combatif, tente de le maîtriser. L’évadé, cependant, arrive à sauter dans une voiture qui l’attendait non loin de là et à s’enfuir…
Et pendant ce temps le photographe en profite pour s’enfuir. Il n’en faut pas plus pour que le capitaine ouvre le feu sur lui… En vain. Et Sparky revient bredouille. On n’a pas trouvé l’appareil. Il est néanmoins temps de partir. Le capitaine se promet de faire part de l’incident à « l’intelligence navale », autrement dit les services du contre-espionnage rattachés à la marine.
En haut lieu, quand on a vent de cette histoire, on en déduit que l’appareil photo a été récupéré par un complice et que ces hommes veulent visiblement une photo du garçon. Lord Northrup est un homme très puissant. Les agents nazis vont sans doute faire passer la photo à leurs hommes en Amérique et… il serait possible qu’on se serve de Sparkington comme d’un otage, afin de forcer son père à faire quelque chose. Du coup, la marine anglaise décide de prévenir elle aussi l’Amérique, pour qu’on mette sur pied une surveillance autour du garçon. Bien sûr, cela ne surprendra personne qu’on sélectionne pour cette mission stratégique deux simples flics de New York, Dan Garret et Mike Mannigan. Au demeurant ils n’auront qu’une chose à faire : récupérer l’enfant au port puis le mener chez les Cartwright, qui sont visiblement sa famille d’accueil.
Pour expliquer son absence, Dan a un prétexte tout trouvé. Depuis le début de la série Mike Mannigan ne peut pas voir Blue Beetle et est convaincu qu’il s’agit d’un criminel. Aussi Garret explique à son partenaire qu’il a été assommé par le personnage masqué et qu’il n’a donc pas pu venir à l’aide. Heureusement la tentative d’enlèvement de Sparkington a échoué. Mike a pu mener l’enfant jusqu’aux Cartwright. Et le policier est encore tout surprise de devoir son salut à l’intervention de l’être qu’il déteste : « Imagine un peu, le Blue Beetle qui m’a aidé à sauver ce gosse… J’imagine qu’il a un autre sale boulot en tête ! ».
Après avoir échappé aux nazis, Sparkington n’est cependant pas au bout de ses souffrances. Dès le lendemain il va s’attirer les foudres des autres gamins du quartier. Normal : il est habillé comme un enfant de la haute-société anglaise, avec un haut-de-forme et une sorte de smoking. Les gamins qui rôdent dans la rue ont vite fait de trouver qu’il les prend de haut. D’ailleurs on notera au passage que l’inspiration des auteurs est manifeste. Le gang de petites crapules qu’on découvre ici suit précisément les recettes que Joe Simon et Jack Kirby ont déjà exprimé sur des concepts comme les Sentinels of Liberty, les Boy Commando et la Newsboy Legion. Ces deux auteurs étaient des spécialistes du « gang de gosses » dans le ghetto. Et plus spécifiquement les gamins vus dans Blue Beetle #15 sont dans l’ensemble des portraits crachés de ceux vus parmi la Newsboy Legion (publiée chez DC dans les pages de Star-Spangled Comics). Au point, que parmi les gamins qui s’acharnent sur Sparkington dans Blue Beetle, on voit un petit gamin portant une casquette verte et qui est donc le portrait craché de Scrapper, jeune membre de la Newsboy Legion. Même la présence de Sparkington renvoie à la « recette » de Simon et Kirby, car les deux auteurs prenaient soin en général d’instaurer un contraste entre des enfants des bas-fonds et un garçon intello venu des milieux plus aisés. Dans les Sentinels of Liberty/Young Allies le rôle était tenu par Jefferson Worthing Sandervilt. Dans la Newsboy Legion cet archétype était représenté par « Big Words ». Enfin, les Boy Commandos croiseraient un certain nombre de jeunes hommes anglais un peu pincés qui rempliraient la même fonction. Ici, il serait tentant de croire que les auteurs mettent les choses en place pour que ces gamins qui ne s’entendent pas finissent par sympathiser et forment une bande de gosses qui, à bien des égards, correspondrait au modèle de Simon & Kirby. Mais ce n’est pas ainsi que les choses se passent. Lassé des attaques, Sparkington se bagarre avec le gamin qui le harcèle le plus… Et sort vainqueur du combat, prouvant qu’il n’est pas qu’un garçon au langage précieux. Dan et Mike, qui ont vu la bagarre, peuvent se rendre compte que le gamin est moins superficiel qu’on pourrait le croire.
Pendant ce temps Sparkington, alerté par les coups de feu, s’est relevé, s’inquiétant de savoir si Mike et Dan vont bien. Mais il est surpris de voir deux hommes arriver dans la pièce… y compris l’homme chauve, Hautman, qui l’avait menacé à son arrivée au port. Ils lui sautent dessus pour le capturer mais Sparkington se débat en hurlant : « Lachez-moi, je vous dis ! Vous aurez à en répondre au Blue Beetle ! ». Hautman fanfaronne « Blue Beetle ? Bah ! Qui a peur de lui ? ». Comme de bien entendu, c’est à ce moment-là que le héros arrive et saute sur le dénommé Hautman. Malheureusement on se sert à nouveau d’une matraque pour le neutraliser. Cette fois les nazis n’ont cependant pas l’intention de le laisser tranquille pour autant. Ils décident de lui tirer dessus pendant qu’il est inoffensif. Apercevant la scène de loin, Sparkington se précipite pour aider Blue Beetle. Il prend Hautman par surprise « Ça t’apprendra à laisser aux gens une chance de se défendre ! » . Pourtant Sparkington n’est pas en position de force. Mais bientôt il s’écrie « voilà la police, youpi ! ». Les nazis, paniqués, s’enfuient… Mais il n’y a bien sûr aucune force de police qui approche, Sparky les a fait marcher…
Mais Hautman et ses sbires ont beau être des idiots, ils réalisent finalement que la police ne s’est pas manifesté. Mais ils réalisent qu’il est trop tard pour faire demi-tour. Cependant un des hommes s’est blessé en se battant avec l’enfant. On se demande l’espace d’un instant si on va le transporter. Puis Hautman décide que c’est beaucoup d’efforts pour pas grand chose. Il abat de sang froid son complice. Quelques instants plus tard, Blue Beetle et son nouvel assistant arrivent sur les lieux et ne trouvent que l’homme qu’Hautman a laissé derrière lui. Mais il est encore en train d’agoniser… Et il a le temps de murmurer aux deux héros masqués l’adresse du repaire d’Hautman. Dans un passage pas du tout clair en termes de narration (on ne voit que la ville vue de nuit) un des personnages s’écrie « Ce sera le premier test pour Blue Beetle et Sparky ! ». Mais pour le coup, le duo manque de chance. C’est à ce moment que Mike Mannigan revient dans le récit. Et, comme il déteste Blue Beetle, quand il le trouve devant un homme mort, il ne va pas chercher midi à quatorze heures. Il est convaincu que Blue Beetle vient d’assassiner quelqu’un et fait mine de l’arrêter. Mais Sparky arrive par derrière et lui donne un violent coup de pied dans le derrière. Mike tombe à terre et n’en croit pas ses yeux tandis qu’il voit les deux héros masqués s’enfuir : « Bon sang ! Deux Beetle ! Comme si un n’était déjà pas suffisant ! ».
Comme une des scènes précédentes où on ne pouvait même pas devenir qui parlait à qui, il semble que des passages de l’histoire ont été produits à la va-vite. Et comme ces incohérences ne sont pas linéaires, il est très probable qu’il s’agisse de retouches ou de scènes redessinées… Ce qui expliquerait que l’épisode ait été décalé d’un numéro. Là, si on y regarde bien, il y a cependant un début de logique dans la scène de la capture : quand Sparky et Blue Beetle enfoncent la porte il y a au sol ce qui, à cause de la colorisation, ressemble à un débris de la porte… Mais si on s’y attarde, on se rend compte que l’objet ressemble à une sorte de piège à loup. A partir de là, le sens premier de cette scène est sans doute Blue Beetle se prend la jambe dans ce piège (et c’est pourquoi il ordonne à Sparky de fuir). Mais sans doute que l’éditeur aura tiqué et demandé qu’on efface des cases trop explicites sur la blessure du héros. Cependant, même en prenant ça en compte, si les nazis ont cru que Sparky était juste une ombre alors qui lui a jeté une table dessus ? Bizarre, bizarre…
Plus tard Blue Beetle gît, inconscient, aux pieds de ses agresseurs et, là aussi, on ne comprend pas très bien comment ou pourquoi le héros est tombé dans les pommes. Enfin si, on se doute que ses adversaires ne lui ont pas fait des choses sympas mais le lecteur en sera quitte pour essayer de deviner puisqu’on ne nous montre pas précisément quoi. De sa cachette (car, oui Sparky n’était pas parti, il s’était caché derrière la porte cassée) le jeune sidekick voit que son nouveau mentor est en fâcheuse posture. Il décide d’intervenir et fait irruption dans la pièce en lançant une table (décidément !) : « Voici que l’ombre que vous avez vu tout à l’heure ! ». Les deux nazis réalisent… « Himmel ! Ils sont bien deux ! Attrapons le, vite ! ». Mais avec sa table lancée Sparky les malmène… Jusqu’au moment où un des deux nazis sort un couteau. Mais, à nouveau, la chose se passe hors champ : on voit le bâtiment de l’extérieur et des dialogues où Sparky se réjouit de l’utilisation de sa table, où un des deux nazis lui rétorque qu’elle ne vaut pas une lame bien lancée et quelqu’un d’autre (qui ne peut qu’être Blue Beetle) qui hurle : « Sparky ! Fais attention ! Le couteau ! ». Ce qui est manifeste, c’est que ce genre de plan de coupe incohérent intervient dans l’histoire à chaque fois qu’il y a une action dangereuse ou une scène macabre (la mort du complice, le piège à loup, la tentative de poignarder Sparky) et on comprend qu’une forme de censure (ou d’auto-censure ?) a été exercée…
Dans la case suivant on découvre que Sparky a réussi à éviter la lame qui lui avait été lancée dessus (était-ce le cas dans la version première de la scène) et qu’elle a continué son chemin jusqu’à frapper les cordes qui attachaient Blue Beetle (si ça c’est pas de la chance !). Le héros adulte revient donc à nouveau dans le combat. Mais pendant ce temps Hautman ne perd pas de vue son objectif premier. Il décide de laisser son gang s’occuper de Blue Beetle et Sparky , s’éclipsant pour se concentrer sur sa mission première : capturer le gamin venu d’Angleterre. L’ironie étant qu’Hautman ne réalise pas un instant que Sparkington se trouve déjà ici… Il n’est pas le seul à suivre cette logique. De son côté Mike Mannigan, après avoir été semé par les « deux Beetle », décide lui aussi d’aller prendre des nouvelles de Sparkington. Les deux hommes arrivent à peu près en même temps dans la chambre de l’enfant mais Hautman, un revolver à la main, a le dessus. Il ordonne au policier de lui révéler où se trouve Sparkington mais Mike, bravement, lui répond : « Je ne sais pas et même si je le savais, je ne te le dirais pas ! ». Réalisant qu’il ne tirera rien de lui, Hautman se prépare donc à l’abattre. Mike laisse échapper « Bon sang ! Voilà une occasion où j’aimerais remercier Blue Beetle m’avoir sauvé ! ». Et, comme si son vœu se réalisait, Blue Beetle entre dans la pièce par la fenêtre : « Tu peux déjà me remercier dès maintenant ! ».
Finalement Mannigan entend des personnages qui approchent. Convaincu que ses deux proies reviennent, il se cache derrière la porte pour mieux les surprendre. Mais il ne s’agit seulement de Dan Garret et de Sparkington, qui jouent la surprise et font semblant de trouver l’attitude de Mike incohérente (même quand celui-ci leur « annonce » qu’il y a désormais deux Blue Beetle). Garret, qui avait officiellement disparu après sa chute de voiture, explique qu’il s’était blessé, qu’il a du aller consulter un docteur et qu’il a préféré emmener Sparkington avec lui. L’histoire s’achève sur Sparkington qui, laissé à lui-même, s’écrie « Le Blue Beetle ! Quel partenaire ! ».
On aura rarement vu l’introduction d’un sikekick se dérouler de manière aussi capillotracté, décalage d’épisodes, parutions d’aventures dans le désordre et enfin scènes manquantes ou réécrites de façon laborieuse et peu compréhensible… La carrière de Sparky ne commençait pas sous les meilleurs auspices. Loin s’en faut même. Mais on pourrait en déduire cependant que si Holyoke se donnait un tel mal pour injecter le jeune garçon dans les aventures de Blue Beetle, c’était parce que l’éditeur avait de grandes ambitions à son sujet. Et pourtant, contre toute attente, la carrière de Sparky fut… comme une étoile filante. Moins de six numéros après son apparition, Sparky cessa toute apparition costumée pour ne plus apparaître que comme un gamin normal, finalement rebaptisé « Spunky ». Il y a fort à parier qu’un ou plusieurs concurrents d’Holyoke s’étaient manifestés pour se plaindre de la ressemblance entre Sparky et des sidekicks déjà existants (comme Rusty, l’assistant du Shield originel publié par MLJ, ou Bucky, le compagnon de Captain America). Et puis ce qu’Hoyoke n’avait pas pris en compte c’est qu’il existait depuis 1940 un héros de comics et de strips nommé Sparky Watts… Pas sur que les journaux publiant les exploits de cet autre Sparky aient apprécié… Limité à un « rôle civil » Sparky/Spunky ne présentait plus qu’un intérêt limité. Courant 1943 il allait finalement disparaître de la série, comme si son père l’avait à nouveau rappelé en Angleterre.
Paradoxalement Sparky est tellement oublié, sa carrière a tellement été limitée, qu’il n’est pas concerné par ce problème de marque commerciale (aucun des éditeurs récents de Blue Beetle n’ayant trouvé utile de réutiliser Sparkington sous une forme ou une autre). De ce fait, dans Project Superpowers, Sparky fait partie des héros qui ont séjourné dans l’urne. Après en avoir été libéré, il a formé (avec d’autres jeunes personnages des années 40) un groupe nommé les Inheritors (les Héritiers). La somme de ses apparitions dans Project Superpowers dépasse déjà ce qu’il a pu connaître vers 1942 et il n’est pas impossible d’envisager que sa carrière continue encore… Pour un héros qui avait loupé le coche dans Blue Beetle #14, c’est plutôt un joli pied-de-nez.
[Xavier Fournier]
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