Oldies But Goodies: Blue Bolt #1 (Juin 1940)
5 novembre 2011[FRENCH] Le scénariste/dessinateur/éditeur Joe Simon lança en 1940 un héros dynamique nommé le Blue Bolt aujourd’hui méconnu. En général on cite la série principalement pour le deuxième épisode, a partir duquel Simon forgea un tandem créatif durable avec Jack Kirby. Simon & Kirby étant destinés à créer quelques mois plus tard Captain America pour Timely/Marvel, Blue Bolt #2 peut être considéré comme l’antichambre de la création du héros au bouclier. Mais même avant que Kirby rejoigne Simon sur la série, Blue Bolt #1 faisait déjà preuve d’une imagination débordante. Il faut dire que le héros avait de qui de tenir, pour qui sait reconnaître le modèle…
En juin 1940 les jeunes lecteurs de comics découvrent une nouvelle revue, Blue Bolt (« L’Eclair Bleu »), dont le premier numéro contient fort logiquement, entre autres choses, les origines d’un héros du même nom, dessinées et scénarisées par Joe Simon. Blue Bolt était édité par la société Novelty Press mais Simon ne travaillait pas directement pour cette dernière. Il œuvraiten fait pour le studio Funnies, Inc qui fournissait du contenu clé en main à des maisons d’éditions qui n’avaient pas d’atelier de création en interne. Pour la petite histoire, on soulignera qu’en 1940 Funnies, Inc fournissait déjà le contenu des revues Marvel, ayant été à l’origine de héros comme Human Torch ou Sub-Mariner. De ce fait il aurait suffit d’un rien pour que Blue Bolt atterrisse à son tour dans l’univers Marvel.
Le sort fera que Funnies, Inc livrera finalement cette création à Novelty (société officiellement basée à Philadelphie mais qui disposait de bureaux à New York), qui croyait visiblement assez au succès du personnage pour baptiser une revue à son nom. Dans son autobiographie « The Comic Book Makers », Joe Simon décrit en quelques lignes comment Blue Bolt faisait partie d’un « package » (en gros un numéro pilote préparé d’avance) proposé à Novelty. Le client apprécia tellement Blue Bolt qu’il décida d’en faire la vedette de sa nouvelle revue. Le comic-book en question ne se contenterait pas de contenir les aventures de Blue Bolt : il porterait aussi son nom.
Dès les premières pages de Blue Bolt #1 les lecteurs purent faire la connaissance de Fred Parrish, la « star du football de Harvard« . Profitant de vacances en montagne, Fred et deux camarades s’entraînent à la pratique du foot quand soudain un terrible orage éclate. Fred hurle à ses amis d’aller se réfugier sous les arbres pour éviter la pluie. Mais la foudre tombe sur leur refuge. Fred est sonné tandis que les deux autres sont tués sur le coup. Il décide d’aller chercher de l’aide en utilisant son avion (visiblement c’est ainsi qu’il est arrivé dans les montagnes, Parrish doit sans doute venir d’un milieu aisé pour avoir son propre avion). Visiblement Fred souffre du contre-coup de la foudre et espère trouver des secours, se forçant à piloter l’avion malgré son état. Malheureusement pour lui, après son décollage l’avion est rapidement frappé par la foudre (à quelques minutes d’écart, quelles sont les probabilités d’être ainsi frappé à deux reprises ?). Fred sombre dans l’inconscience et son avion tombe vers le sol, entre les montagnes. De loin, un groupe de silhouettes observe la scène. Un homme drapé dans une sorte de bure orange ne cache pas sa joie : « Ah! Enfin l’un d’entre eux a été frappé par un éclair ! J’ai tant attendu ce jour ! Qu’on me l’amène !« .
L’inconnu a l’air bien sur de lui que le pilote survivra alors que c’est loin d’être si évident (vous avez déjà essayé de poser un avion pendant votre sommeil ?). Par chance, quand les assistants découvrent la carcasse de l’avion, en flammes, Fred Parrish est toujours inconscient mais vivant.
Les hommes l’emmènent « dans les profondeurs de la Terre » vers un « laboratoire fantastique« . Le leader de cette petite troupe jubile en installant le corps inerte sur une table d’opération, surmonté d’une sorte de tube traversé par de l’électricité : « Pour les gens normaux du monde extérieur il semble mort mais pas le grand Docteur Bertoff ! Hah ! J’ai des milliers d’années d’avance sur leurs docteurs ! Nous avons de la chance que l’éclair ne se soit pas encore dissipé dans son corps !« . En quelque sorte Blue Bolt est une première forme de super-soldat créé par le futur scénariste de Captain America. Fred Parrish est désormais revêtu d’un costume bleu portant sur la poitrine un éclair jaune. Le savant continue sa tirade : « J’ai capturé les pouvoirs de l’éclair et les ai chimiquement fixé dans ton cœur avec l’aide de dépôts de radium… Avec ces pouvoirs tu dirigera mes légions contre celles de la Sorcière Verte (« Green Sorceress« ). Toi, Blue Bolt, tu pourras continuer alors que moi j’ai échoué !« . Quoi ? Une Sorcière Verte ? Ça se complique ! D’autant que loin de là la sorcière en question observe le laboratoire de Bertoff et la scène qui vient de se dérouler : « Le crétin ! Penser qu’il peut mesurer ses pouvoirs à la ruse de la Sorcière Verte ! … Mais il est très beau !« . Furieuse que le savant ose la menacer, elle décide alors de préparer une frappe préventive. Elle décide d’attaquer avec ses « rayons de chaleur« . Elle ordonne à sa propre armée d’utiliser une sorte de laser qui traverse les montagnes pour venir frapper le laboratoire de Bertoff.
A partir de là les choses passent un peu en pilote automatique. Fred Parrish n’a guère de raison de faire confiance à Bertoff. Après tout on ne sait pas, au demeurant, qui est le bon ou pas dans cette histoire. Le savant a l’air un tantinet hystérique. De plus il a soumis Fred à une expérience sans lui demander son avis et ne s’est pas forcément comporté de manière amicale.
Pour corser le tout, on ne l’a pas vraiment vu accepter la mission donnée par Bertoff. Il ne sait même pas qui est la Sorcière Verte ! Pourtant Fred n’hésite pas. Bertoff étant inconscient, Blue Bolt le transporte en s’envolant grâce à ses « nouveaux pouvoirs de l’éclair« . Le héros dégage le passage devant lui en utilisant son « pistolet éclair » qui lance visiblement également des rayons (il faut sans doute penser que l’arme utilise l’énergie électrique stockée dans le corps du personnage). Avec cet accessoire, Blue Bolt a vite fait de détruire les machines de la Sorcière Verte. Cette dernière est furieuse : « Mes rayons ! Il a détruit ma plus grande invention ! Libérez les oiseaux ! Ils l’arrêteront !« .
Si vous vous imaginiez que les oiseaux étaient d’immondes monstres volants, vous avez… raison ! Il s’agit d’une horde de bestioles gargantuesques, qui ressemblent à des vautours pourvus de queues de rats. Commence alors « la plus étrange des batailles aériennes« . Les oiseaux attaquent dans une étrange formation, un peu comme s’ils étaient en file indienne. Blue Bolt se défend avec son pistolet électrique, abattant les monstres les uns après les autres. Malheureusement la fatigue prend le dessus et le nombre l’emporte. Blue Bolt est blessé par des serres terribles et tombe au sol, à nouveau inconscient (il semble que Fred Parrish a quand même une certaine prédisposition à tomber dans les pommes). Les monstres encore en l’air s’approchent alors de lui comme autant de charognards… Mais là, surprise, c’est la Sorcière Verte elle-même qui intervient pour l’épargner. Elle hurle aux oiseaux « Reculez ! Reculez ! Norzimo vous le commande !« . Sans autre explication on ne saura jamais vraiment si « Norzimo » est le nom réel de la sorcière où si elle fait référence à une autre entité (par exemple un dieu) dans cette phrase. Une fois les bêtes repoussées, elle ordonne à ses serviteurs qu’on transporte Blue Bolt dans ses chambres.
En fait de « chambres », la pièce a l’air d’un cachot. La Sorcière Verte se presse amoureusement contre Blue Bolt en murmurant « Il est si beau ! Mais il s’éveille ! Je ne dois pas le laisser me voir comme ça !« . La femme verte recule et prend une attitude plus austère, avec un ton hautain. Elle dit alors à Fred « J’ai décidé de te laisser une chance de vivre… Il y a de la place pour un homme comme toi dans mon armée. Si tu lutte à mes côtés je t’accorderais des faveurs nombreuses…« .
Pas spécialement impressionné ou bien par bravade Blue Bolt rétorque « Et si je refuse ?« . La Sorcière Verte se vexe : « Alors on te livrera à manger aux dragons !« . Allant au bout de sa logique, Parrish préfère tenter sa chance avec les dragons…
Bientôt on l’emmène au bord d’une fosse au fond de laquelle se trouve effectivement d’hideux dragons. Les hommes de la sorcière s’apprêtent à le jeter dans cette fosse (est-ce que ce serait vraiment efficace puisqu’on a vu que l’homme peut voler ?) mais Blue Bolt les arrête : « Juste une minute… Cela va vous sembler bizarre mais… je m’y oppose !« .
Le héros déclenche une bagarre. D’ailleurs dans ce passage le commentateur (Joe Simon) s’embrouille un peu et prénomme le personnage « Jack », ce qui laisse entendre qu’à une étape du projet Fred Parrish avait peut-être été baptisé autrement. Dans la cohue un de ses adversaires heurte la Sorcière Verte qui se tenait prêt du bord de la fosse. Et c’est finalement elle qui tombe vers les monstres ! Ses sujets, terrifiés, observent d’en haut ce qui va lui arriver. Ils ont trop peur pour agir mais, bizarrement, c’est « l’homme éclair » qui saute sans hésitation à son secours : « Elle m’a sauvé une fois ! Je dois l’aider ! » s’exclame Blue Bolt en faisant référence au moment où elle a écarté les vautours géants (il oublie peut-être un peu vite qu’elle était sur le point de le faire exécuter). Le héros arrive à détourner l’attention des dragons, le temps de saisir la Sorcière Verte et de s’envoler avec elle accrochée à son épaule. Finalement Blue Bolt ramène la femme au laboratoire de Bertoff et retrouve le savant. Au moment de livrer sa prisonnière, Fred Parrish a cependant une hésitation : « Vous n’allez pas être trop dur avec elle ?« . Visiblement Blue Bolt est lui aussi attiré par son adversaire, bien qu’il n’ose pas le dire clairement. Bertoff est moins ouvert : « Ah mais c’est qu’elle est mauvaise, mon garçon !« . De toute façon, maintenant qu’elle est neutralisée, ce n’est plus vraiment la sorcière qui intéresse Bertoff mais bien le reste de ses forces. « Puisqu’elle sera emprisonnée ses armées seront démoralisées, nous devons attaquer !« .
Mais avant que l’attaque ait été lancée, la Sorcière Verte disparait dans un grand nuage. Elle vient de se téléporter, retournant dans son pays. Blue Bolt et Bertoff sont sidérés. Le savant s’en veut « J’aurais du le savoir ! Partie ! Mais j’ai l’étrange prémonition qu’elle reviendra… et encore plus enragée que jamais !« . Bien sur qu’elle reviendra puisqu’elle fort logiquement retournée parmi ses sujets et peut tranquillement préparer une nouvelle attaque. Contrer la Sorcière Verte deviendrait la mention essentielle de Blue Bolt dans les épisodes suivants tandis que se mettraient entre eux deux une alchimie assez atypique pour l’époque. Clairement la Sorcière Verte et « l’Eclair Bleu » sont séduits l’un par l’autre mais n’osent le faire savoir. L’attirance est encore plus tangible que dans le cas de Batman et Catwoman (cette dernière étant apparue à peine quelques mois plus tôt). La séduction a ici quelque chose de plus primaire alors que dans le même temps Blue Bolt a été créé en quelque sorte pour vaincre la femme et certainement pas pour l’aimer. « Norzimo » n’ose avouer son attirance que lorsque Fred est inconscient. Quand à Blue Bolt il est étrangement chevaleresque mais n’avoue pas officiellement qu’il est attiré par une « femme mauvaise ». Au point d’ailleurs que dans de nombreux épisodes suivants on aura l’impression que la Sorcière Verte est une méchante par obligation, parce que sa fonction la force à agir ainsi, alors qu’intérieurement elle souhaiterait tout laisser tomber et partir au bras du prince charmant.
On constatera que le canevas scénaristique de Joe Simon semble au demeurant assez primaire, s’articulant autour de deux axes : l’origine (l’explication des pouvoirs électriques de Blue Bolt) et sa lutte contre la Sorcière Verte tandis que manque quelque part au milieu un semblant d’explication contextuelle. Qui est exactement cette Sorcière ? La reine légitime d’un peuple non humain ? Ou au contraire une sorte de tyran s’étant imposée par la force ? D’où sort Bertoff exactement ? Son nom à lui sonne comme celui d’un humain. Mais alors comment peut-il disposer d’une science si avancée ? Et si tout ça se passe dans « les profondeurs de la Terre » (ce qui ferait du pays de la Sorcière Verte une nation troglodytique) comment expliquer ces scènes où on voit Blue Bolt voler dans le ciel (nuages à l’appui) pour affronter les oiseaux géants ? Plus largement on se posera au demeurant d’autres questions. Blue Bolt est-il supposé être une sorte de copie de Superman ou du Captain Marvel ? L’éclair sur sa poitrine, sa force supérieur et son pouvoir de voler pourraient laisser le croire. Mais la vérité est toute autre… Il faut nous intéresser à un autre « Eclair »…
Lancé en janvier 1934 par Alex Raymond, Flash Gordon devint rapidement un des monuments de la BD américaine. A priori vous me direz que vous ne voyez guère le rapport car le héros (connu un temps sous le nom de Guy l’Eclair en France) ne s’aventurait pas dans les entrailles de la Terre. Sa mission à lui était de voyager sur une autre planète, Mongo, pour y affronter un tyran intergalactique nommé Ming. Malgré son surnom de « Flash », Gordon n’avait aucun superpouvoir personnel, n’était pas aussi puissant que l’Eclair Bleu. C’était juste un athlète qui utilisait toute arme qu’il pouvait trouver sur son chemin pour défendre la démocratie, la liberté et, souvent, la vertu de sa compagne, la jolie Dale. En surface, donc, les ressemblances pouvaient paraître superficielles. Enfin… si on se contentait d’une lecture rapide des deux séries. Avec un peu plus d’attention, cependant, une étude comparative laisse apparaître de troublantes similitudes. D’abord il y a l’accident d’avion initial. Dans Flash Gordon, le héros voyage en avion. Mais l’engin, frappé par une météorite, s’écrase non loin du laboratoire d’un savant fou (qui plus tard se comportera de manière beaucoup plus raisonnée), le professeur Zarkov. Sous la contrainte Zarkov force Flash et Dale à l’accompagner dans un voyage vers les étoiles. Si la nature de l’expérience de Bertoff est différente (plus inspirée par Frankenstein), les conditions de l’accident (la météorite remplace la foudre mais les deux scènes sont semblables), l’action forcée par un savant hystérique… tout ça tient d’une organisation identique. Et puis il y a la description des deux personnages. Flash Gordon est « le joueur de polo vedette » de l’université de Yale. Fred Parrish est lui le joueur de football vedette d’Harvard…
Au demeurant Flash et Fred ont des allures assez différentes. Sauf si on se tourne vers les adaptations cinématographiques de l’œuvre de Raymond. Devant le succès de la BD, Flash Gordon avait été adapté dès 1936 en un premier serial assez fidèle qui avait très bien fonctionné et qui fut un peu, toute proportion gardée, le Star Wars de son époque. L’acteur Buster Crabbe incarnait le personnage titre. Mais pour donner un sentiment de fin à l’histoire, ce ciné-feuilleton d’Universal Pictures s’achevait avec le retour de Flash sur Terre après la chute de Ming (alors que dans le daily strip d’origine Flash Gordon et Dale restent sur Mongo, explorant d’autres régions de ce monde mystérieux).
Devant le succès du premier serial, Universal commanda un deuxième projet « Flash Gordon’s Trip to Mars » (1938). L’intrigue reposait sur la suite du daily strip de Raymond si ce n’est que les aventures initialement basées sur Mongo (les fameuses autres « régions mystérieuses« ) furent relocalisées sur Mars. Il faut croire que la planète rouge était plus commerciale. A nouveau Buster Crabbe retrouva le rôle de Flash et pour l’occasion porta une combinaison « extra-terrestre » où il y a bien, il est vrai, un éclair. Mais le lien serait ténu si on s’en tenait au serial, forcément diffusé en noir-et-blanc.
Ce sont certaines photos (et couvertures de presse de l’époque) en couleurs qui nous apprennent l’allure réelle du costume « martien de Flash » : une tenue bleue barrée par un éclair jaune (normal après tout, c’était « Flash »). Mieux ! A un moment du serial, désirant s’infiltrer parmi les martiens, Flash Gordon attaque un des soldats et se déguise en revêtant son casque de métal et sa cape. Et là ne cherchez plus, vous l’avez le costume de Blue Bolt ! Dans The Comic-Book Makers, Joe Simon ne cite aucune influence ou « emprunt ». Mais dans un passage lié à sa jeunesse, Flash Gordon est cité comme une lecture régulière. Et Simon va jusqu’à évoquer spécifiquement le serial également… Nous allons voir jusqu’où va cette « admiration »…
Car la ressemblance ne s’arrête à des choix vestimentaires. Même si Flash Gordon opère, nous l’avons dit, dans l’espace alors que Blue Bolt vit ses aventures quelque part dans « les entrailles de la Terre » le scénario de Joe Simon comporte des similitudes troublantes. Certes, on ne risque pas de confondre la jolie Sorcière Verte avec le terrible Ming adversaire de Flash Gordon mais il nous faut à nouveau nous tourner vers « Flash Gordon’s Trip to Mars » et le strip qui l’a inspiré. « Trip To Mars » est en fait l’adaptation d’un segment de la BD d’Alex Raymond publié aux USA à partir d’avril 1935, « The Witch Queen of Mongo ». L’action se passe alors que Dale voudrait prendre le temps d’organiser son mariage avec Flash Gordon. Mais celui-ci est toujours occupé à faire la guerre à de nouvelles menaces. Outrée, Dale s’en plaint à un de leurs alliés. L’homme porte une cape bleue et surtout un casque en tout point identique à celui du futur Blue Bolt (y compris la crête très reconnaissable). Mais à ce moment là les héros sont repérés par une reine sorcière, Azura. Celle-ci n’est pas « verte » (sa couleur serait plutôt l’azure, forcément) mais elle observe Flash Gordon de loin avec une boule de cristal (exactement comme la Sorcière Verte observera plus tard Blue Bolt de loin). Là aussi la sorcière tombe amoureuse du héros et décide de le forcer à rejoindre son armée. Plus tard, la brune Azura finira dans un bikini… vert, non sans s’être rapproché de Flash Gordon. Dans ce cas-là, Gordon lui préférera quand même les bras de Dale (alors que dans Blue Bolt il n’y a pas d’autre personnage féminin que la sorcière) mais Azura aura l’occasion de montrer qu’elle n’est pas vraiment méchante.
Ça, c’est pour ce que nous amène l’histoire de Trip To Mars/The Witch Queen of Mongo. On peut dire que Joe Simon retire certains éléments de Flash Gordon pour alimenter son histoire. Et on pourrait presque se dire que si Blue Bolt avait été dessiné par Alex Raymond ou par un de ses successeurs (par exemple Al Williamson), l’Eclair Bleu aurait de furieux airs de Flash Gordon. Mais pourquoi parler au conditionnel ? Car Blue Bolt n’a pas réellement été dessiné par Simon. En tout cas pas dans des conditions qui puissent lui permettre de revendiquer réellement la paternité des dessins. Si on replonge un peu plus en arrière dans les aventures de Flash Gordon (dans le strip d’origine) les ressemblances continuent deviennent criantes. En fait Alex Raymond lui-même n’était pas étranger au recyclage d’idées ou de matériel. Azura était elle-même inspirée d’un personnage apparu quelques temps plus tôt dans la BD : Aura, la fille de l’Empereur Ming. Non seulement il n’y a qu’une lettre de différence (un «Z » glissé dans le nom d’Aura la transforme en Azura) mais il existe plusieurs points communs entre les deux femmes, d’abord représentées comme sensuelles mais maléfiques et convoitant les faveurs du héros avant de tomber réellement sous son charme et, par conséquent, de se ranger aux côtés de Flash Gordon. Sans doute qu’à travers la plus tardive Azura Alex Raymond avait voulu explorer avec plus de détails certaines choses qu’il avait ébauché avec sa première princesse.
Aura apparaît lors de la première rencontre entre Flash et Ming. Ce dernier convoite Dale, qu’il compte bien ajouter à son harem. Flash Gordon s’y oppose et Ming l’oblige alors à jouer le sort de la belle dans un combat contre des monstres. Flash gagne mais l’empereur ne tient pas parole. Désirant garder Dale pour lui, Ming ordonne qu’on tue Flash mais la princesse surgit pour prendre la défense du terrien, réclamant qu’on lui laisse la vie sauve. Trop tard : Ming vient d’actionner une trappe dans laquelle Flash tombe. Dans la cohue Aura tombe à son tour. Tous les deux chutent alors dans la fosse des dragons de Mongo. Des dragons identiques en tous points à ceux que Joe Simon utilisera six ans plus tard pour Blue Bolt. Et pour cause : Tout le passage a été décalqué, les silhouettes étant réarrangées dans un ordre différent mais restant identiques. A partir de là il va nous falloir entrer dans le détail des images…
D’abord il y a la case où Flash Gordon, en slip, tombe dans la fosse les mains tendues. Cette silhouette sera utilisée à l’identique dans Blue Bolt #1, au moment où la Sorcière Verte tombe dans la fosse au dragon. Si ce n’est qu’au lieu de représenter le héros qui tombe, le corps masculin devient celui du serviteur qui pousse par accident sa reine dans la fosse.
Puis vient la chute d’Aura, que Flash attrape au passage. Cette fois la ressemblance est un peu plus complexe à dépister puisque la silhouette de la princesse a pivoté. La Sorcière Verte tombe la tête la première et un de ses bras a été redessiné. Personne ne la rattrape (puisque dans Blue Bolt le héros saute seulement après elle) mais il s’agit bien de la même silhouette décalquée. Au passage on notera que Norzimo est de manière générale une Aura recoloriée : La princesse de Mongo a la peau jaune et l’autre est verte. Mais globalement si on devait lire une version en noir et blanc des deux histoires les deux femmes seraient sans doute indifférenciables.
Flash Gordon et Aura prennent appui sur un tuyau pour se maintenir hors d’écart des dragons (dont plusieurs têtes seront reproduites dans Blue Bolt). Là aussi Joe Simon gardera les silhouettes à l’identique mais changera le contexte. Dans sa version il s’agit du moment où Fred Parrish prends appui avant de s’élancer, de « voler », vers le haut de la fosse.
Bientôt Flash saute au dessus des dragons tout en « ordonnant à la fille de passer ses bras autour de sa nuque ». Et là cette fois-ci, dans la case correspondante de Blue Bolt, non seulement on retrouve les même silhouettes et encore des « dragons de Mongo » mais les textes sont voisins. Joe Simon écrit que Blue Bolt saute après avoir « ordonné à la sorcière de passer ses bras autour de sa nuque » dans les mêmes termes.
Une fois arrivés de l’autre côté cependant, Flash et Aura ne remontent pas directement hors de la fosse. La princesse se retourne vers les dragons et fait usage de son rang pour impressionner les dragons : « Reculez ! Reculez ! La Princesse Aura vous le commande ! ». Nous retrouvons le même passage dans Blue Bolt bien que Simon l’ai utilisé dans une séquence différente, placé avant la scène des dragons. Aura lançant ses ordres en brandissant le doigt en avant est devenue la Sorcière Verte repoussant les oiseaux-monstres dans une pose et une phrase pratiquement identique. Même les deux narrateurs parlent d’une voix similaire. Dans Flash Gordon on nous explique « qu’elle se précipite vers eux (les dragons). Dans Blue Bolt le commentaire nous souligne bien que « la Sorcière se précipite vers les monstres ». Joe Simon n’a même pas la présence d’esprit de jouer sur des synonymes pour masquer la copie…
Les cases se suivent et se ressemblent. Une image ou Aura montre à Flash une porte pour sortir de la fosse aux dragons devient la scène où Blue Bolt et la Sorcière Verte arrivent au laboratoire de Bertoff. Puis le passage où Norzimo se dématérialise dans une bouffée de fumée permet à Joe Simon d’utiliser la silhouette d’un Flash Gordon qui intervient juste après la scène des dragons, alors que lui est à bord d’un vaisseau spatial. Changez les décors et les costumes : la pose est, vous l’aurez compris, identique !
En cherchant dans les autres pages de Blue Bolt on trouve ainsi dans le désordre de nombreux autres détournement de Flash Gordon. Par exemple la scène où le héros est tombé à terre, après avoir été attaqué par trop d’oiseaux-monstres vient d’aventures ultérieures de Flash, parues au printemps 1934. Dans le passage concerné Flash tombe au sol après avoir été attaqué par un homme-félin. En théorie la situation devrait être très différente mais le corps de Blue Bolt est une nouvelle fois décalqué sur celui de Flash. Cette fois, même les rochers sont les mêmes !
Après que Flash Gordon ait été jeté à terre, la princesse Aura se précipite à son côté pour le prendre dans ses bras. C’est cette case qui servira de modèle au moment où Norzimo la Sorcière Verte profite de l’inconscience de Blue Bolt pour le serrer contre elle… Globalement la majeure partie de l’épisode initiale de Blue Bolt est arraché aux pages de Flash Gordon, l’essentiel du « maquillage » se bornant à redessiner décors et costumes (et encore il s’agit de d’habiller le Flash Gordon des strips en lui donnant son costume bleu du serial). Et quand on dit la « majeure partie », il va sans dire que les quelques silhouettes élaborées qu’on ne peut relier à Alex Raymond proviennent probablement d’une autre source. Et comme même une partie des dialogues et des commentaires sont un réarrangement de ceux qu’on trouve dans Flash Gordon, on peut réellement se demander à quel jeu jouait Joe Simon.
Des copies occasionnelles de personnages ou de décor, il y en a toujours eu. C’est souvent le signe de dessinateurs débutants qui, par manque de temps ou de documentation, vont emprunter un élément qu’ils ne savent pas représenter. Typiquement on peut comprendre qu’un jeune dessinateur de cette époque qui voulait représenter l’anatomie d’un cheval ou les détails historiques d’une armure aille le prendre dans une BD ou une illustration qui avait déjà répondu à la même problématique. On peut aussi comprendre intellectuellement qu’un débutant aille s’inspirer d’une anatomie qu’il ne s’avait pas représenter avec le même brio. En tout cas à l’occasion. Les premiers épisodes de Batman par Bob Kane sont ainsi peuplés d’emprunts du même genre. Par contre qu’une histoire arrive à un tel taux de copie est ahurissant. Même en étant cynique, on se demandera comment le jeune Joe Simon a pu prendre un tel risque. A l’époque les premiers procès pour plagiats avaient déjà fait leur apparition dans l’industrie des comics. DC tirait à boulets rouges sur tout ce qui pouvait ressembler à Superman ou à Batman. Le Simon de 1940 n’était pas sans l’ignorer. Et si DC Comics était puissant, King Features, la société derrière Flash Gordon, était à ce moment-là autrement plus puissante. Copier Flash Gordon (que ce soit le strip ou le serial) comportait donc des risques énormes. Surtout quand chaque case porte en elle la trace du piratage. C’est pratiquement suicidaire et « l’auteur » de Blue Bolt a beaucoup de chances d’être passé sous le radar de King Features.
Pourquoi une telle prise de risques ? D’habitude les défenseurs des pionnierssss des comics (Kirby, Kane, Eisner…) se réfugient derrière l’infernale cadence de production de l’époque pour différencier les « swipes » (copies) qui se pratiquaient à l’époque de celles qu’on peut trouver aujourd’hui (par exemple le dessinateur Greg Land a plusieurs fois été « démasqué » pour avoir recopié des photos de magazines). Mais dans ce cas-là, comment faisaient les autres ? Car on peut trouver de nombreux épisodes de comics du Golden Age où l’artiste n’a pas été pillé la production du voisin. S’il y est arrivé, lui, comment expliquer que certains aient décalqué pratiquement chaque case d’une histoire ? Après tout les cadences de production étaient les mêmes pour tout le monde. Dans le cas spécifique de Blue Bolt #1 on pourrait comprendre un certain découpage des événements. Funnies Inc avait proposé son « package » à Novelty Press sans assurance que celui-ci serait accepté. Et si l’histoire n’était pas publiée elle ne serait pas payée. On pourrait donc se dire que Simon devait produire en hâte une histoire sans l’assurance qu’elle soit publiée et employa ce stratagème pour ne pas perdre de temps ou d’argent dans cette affaire. Un semblant de logique qui ne tient cependant pas la route : si Novelty Press n’avait pas acheté Blue Bolt, Funnies Inc se serait contenté de le proposer à d’autres clients du studio.
La meilleure preuve en la parution des aventures d’un certain Blue Streak (la « Foudre Bleue ») dans les pages de Crash Comics #1, en mai 1940, chez Holyoke Comics. Dans cette histoire signée Lowry Bishop (un pseudonyme), on fait la connaissance de Blue Streak, un héros sans origine et aux pouvoirs indistincts. Son costume est différent (l’éclair n’est pas porté sur la poitrine mais sur le casque) mais sur la fin de l’épisode le mystérieux Blue Streak, après avoir sauvé un scientifique, retourne à sa base : un laboratoire caché dans les montagnes américaines dont l’intérieur contient un tube remplit d’électricité assez semblable à celui vu dans l’origine de Blue Bolt. La base de Blue Streak ressemble au laboratoire du Docteur Bertoff… La méthode de datation des comics variant d’un éditeur à l’autre il est impossible de mesurer avec certitude l’écart entre Crash Comics #1 et Blue Bolt #1. Mais les délais ne permettent pas de penser qu’il s’agit d’une copie après parution du premier. En fait quand on regarde Crash Comics #1, on s’aperçoit que divers éléments sont identiques aux productions des comics de Fox à l’époque. Qui plus est le contenu de Crash n’est pas signé (ou seulement par des pseudonymes comme « Lowry Bishop ») alors qu’on reconnaît avec le recul le style de Jack Kirby dans une des histoires (Solar Legion). Un Jack Kirby qui était à l’époque supposé œuvrer pour Fox (où Joe Simon servait d’éditeur-en-chef free-lance). Crash Comics #1 semble dont avoir été produit en sous-marin par des auteurs de Fox/Funnies Inc qui cherchaient à se cacher de leur employeur habituel. Et comme par hasard on voit apparaître dans les numéros suivants un certain Joe Simone. A partir de là, « Blue Streak » ressemble fortement à ce qui aurait pu être (ou du être) le deuxième épisode de Blue Bolt (pas forcément dessiné par Simon d’ailleurs). L’exemple confirme que les aventures de Fred Parrish seraient parues d’une manière où d’une autre, que Novelty Press les achète ou pas.
L’autre élément à prendre en compte, c’est que Joe Simon était coutumier du fait et que ses réutilisations de cases prises dans d’autres BD en général et dans Flash Gordon en particulier ne se limitent pas au seul Blue Bolt #1. Par exemple prenons la couverture de Silver Streak #2 (aucun lien de parenté avec Blue Streak) daté de janvier 1940 et officiellement par Joe Simon.
On y voit une jeune femme en détresse, brandie par un monstre géant. Une femme à la position atypique et dont les cheveux, malgré l’angle ne retombent pas à la verticale. Normal car c’est à nouveau une silhouette décalquée. Une silhouette que nous reconnaissons puisque c’est celle qui fut utilisée quelques mois plus tard dans Blue Bolt #1 pour représenter la Sorcière Verte en train de tomber dans le puits des dragons. Et par conséquent la jeune femme de Silver Streak #2 est, elle aussi, un dessin décalqué d’après la princesse Aura telle que dessinée en 1934 par Alex Raymond. Et il y aurait encore bien des exemples où on pourrait reconnaître des bouts de personnages ou de décors de Flash Gordon dans des projets « dessinés » par Simon à cette époque. Bien. Mais vous me direz que si l’auteur a pris ailleurs le concept d’un héros sportif impliqué dans un accident d’avion et que si toute la seconde partie de l’histoire est décalquée dans le désordre sur Flash Gordon, Joe Simon a quand même inventé le segment où le héros se voit injecter des pouvoirs électriques… Oui et non. En fait Blue Bolt et son « cousin » Blue Streak ont aussi une certaine ressemblance avec un autre héros antérieur publié chez Fox, un certain Electro (plus tard rebaptisé Dynamo) apparu dans Science Comics #2. Electro/Dynamo avait un costume non pas bleu mais rouge mais les pouvoirs et certains traits du personnage sont assez proches de ses deux successeurs. Joe Simon, qui était éditeur-en-chef « free-lance » pour Fox aurait d’autant plus de mal à ignorer l’existence de ce héros électrique qu’il dessina plusieurs couvertures de Science Comics à cette époque. Y compris le sixième épisode dans lequel le surpuissant Dynamo combat une escouade de vautours géants jusqu’à l’épuisement. Bien que cette fois les dessins ne soient pas identiques, ce passage fait diablement penser au combat aérien de Blue Bolt #1 !
Même en s’en tenant aux seuls « emprunts » à Alex Raymond, on ne peut pas dire que Joe Simon opérait en toute discrétion puisque des silhouettes et des éléments de décors seront ainsi réutilisés plusieurs fois dans des séries ou des couvertures différentes. Mais pour Blue Bolt #1 il s’était « surpassé » tant chaque case semble ramener à Flash Gordon. Sans doute n’avait-il pensé son projet que comme secondaire. Quelque chose qu’on mettrait en deuxième ou troisième rang d’une anthologie. Simon n’avait peut-être pas anticipé qu’on mettrait son Blue Bolt en première position, dans une série à son nom. Et là, pour le coup, on peut se demander combien de temps Fred Parrish aurait pu continuer à exister dans de telles conditions de « création ». Enchaîner plusieurs numéros repompés sur Alex Raymond risquait de devenir rapidement problématique pour Simon. La vérité était que Simon était un très bon illustrateur (ses dessins de presse réalisés avant son entrée dans l’industrie des comics mais aussi un certain nombre de couvertures font preuve d’un talent évident) mais n’était pas un narrateur de premier plan et n’avait pas forcément les moyens de ses ambitions en ce domaine. Il avait les idées mais n’arrivait pas à les mettre en image sans s’aider de ces « emprunts ». Dans ces conditions comment continuer à produire Blue Bolt ?
Heureusement pour Joe Simon, c’est à ce moment-là que le jeune dessinateur Jack Kirby lui proposa une collaboration. La proposition de Kirby réglait l’affaire. Simon pourrait encrer ou corriger ce qui ne lui allait pas tandis que Kirby fournirait la matière première, la masse visuelle, sans avoir besoin d’aller prendre des choses dans les BD d’Alex Raymond (ou en tout cas pas du tout dans les mêmes proportions). Simon & Kirby travaillèrent sur Blue Bolt pendant une douzaine d’épisodes avant d’aller chercher du travail ailleurs. Kirby était donc arrivé après la « création » du personnage mais serait exposé à divers éléments qu’on retrouverait par la suite dans sa mythologie personnelle (les populations troglodytes comme les Ninth Men, les sorcières maléfiques façon l’Enchanteresse de Thor…). Cette collaboration fortuite allait déboucher sur un partenariat entre Joe Simon et Jack Kirby qui allait durer des années. Aussi peut-on considérer que c’est parce que Blue Bolt n’était une pâle copie de Flash Gordon que la constitution de la future équipe créative de Captain America devint nécessaire…
[Xavier Fournier]