[FRENCH] L’hiver est à nos portes. Le grand froid approche et il vient… de l’espace ! En juin 1940, chez l’éditeur Novelty Press, démarre une série titrée Blue Bolt, anthologie qui abrite les exploits d’un personnage homonyme inventé par le jeune Joe Simon. Mais le magazine contient également les aventures d’une poignée d’autres héros dont plusieurs sont dignes d’intérêt bien qu’ils soient devenus confidentiels dans les décennies suivantes. Parmi eux on trouve ainsi un certain Sub-Zero Man (et plus tard « Sub-Zero » tout court), l’un des premiers super-héros maîtres du froid… Encore un personnage dont les détails de l’origine vont vous faire frissonner…
Au début des années quarante le milieu des comics (comprenez l’édition de fascicules) n’était déjà plus réservé à de petits éditeurs concevant leurs magazines dans l’arrière-fond de certaines imprimeries ou dans de petits bureaux au parfum artisanal. Comme la BD américaine avait vécue les premières décennies du XX° siècle sous forme de strips publiés dans les journaux, les magnats de la presse avaient une sorte de prédisposition naturelle à s’intéresser à la production d’illustrés, surtout après que quelques exemples comme Superman ou Batman aient prouvés que le succès pouvait être au rendez-vous. La très influente Curtis Publishing Company (considérée au début du siècle dernier comme une des plus grosses entreprises américaines de presse) faisait partie de ces grosses sociétés qui s’intéressaient à l’argent de poche des enfants. Et en 1940, viser les jeunes lecteurs revenait forcément à passer par la case naissante des super-héros. Ainsi fut créée la branche comics de la Curtis Publishing Company, nommée Novelty Press. Après un premier lancement réussit en début d’année (Target Comics), Novelty allait enchaîner avec un autre titre, Blue Bolt, nommé d’après une création du scénariste/dessinateur Joe Simon (dès Blue Bolt #2, Simon serait rejoint par un jeune artiste prometteur nommé Jack Kirby). Novelty se servait dans le même vivier de talents que certains de ses concurrents. Plus précisément le studio Funnies Inc, qui créait des comics « clef en main » pour divers éditeurs. C’est ainsi qu’on retrouve dans les crédits de Blue Bolt divers noms qui oeuvraient par ailleurs chez Timely (futur Marvel Comics), qui était également client de Funnies Inc. Cela ne durerait que quelques temps, avant que les studios périclitent et que les éditeurs, eux, décident qu’il était plus sain d’avoir les auteurs en interne, pour éviter que leurs revues ressemblent à celles de la concurrence. Mais début 1940 on en était encore à ce qui ressemblait à une mise en commun des ressources artistiques.
Dans Blue Bolt, Il avait donc Joe Simon (créateur du Fiery Mask dans Daring) mais également un certain Larry Antonette qui avait lancé, toujours dans Daring, un éphémère super-soldat nommé John Steele (qu’on retrouve ces temps-ci comme personnage secondaire dans la série The Marvels Project). Né il y a cent ans, en 1909, Antonette avait commencé à travailler pour les strips de la presse dans le milieu des années 30, puis avait migré vers les fascicules, participant tour à tour à des studios comme celui de Eisner & Iger ou encore Funnies Inc (on avait pu le voir dessiner certains exploits de The Flame ou de Blue Beetle chez Fox Comics). C’est par l’intermédiaire de Funnies Inc qu’Antonette figurait lui aussi au sommaire de Blue Bolt comme créateur d’un nouveau héros nommé Sub-Zero Man, soit littéralement « l’homme en dessous de zéro ».
Au demeurant il serait facile d’imaginer que Sub-Zero Man avait forcément pour lieu d’origine un des lieux les plus froids de la planète mais de manière assez surprenante les premières cases de son origine reposent sur l’énergie atomique et sur un autre monde. Le narrateur plante ainsi le décor: « Pendant des années les scientifiques de la planète Vénus ont tenté d’atteindre la Terre grâce à leurs vaisseaux-atomes » (Note: ne me demandez pas pourquoi il s’agit de « vaisseaux-atomes » plutôt que de « vaisseaux atomiques ») « Finalement un super-vaisseau-atome s’avance dans l’espace, bien engagé dans sa route vers la Terre« .
Mais les astronautes vénusiens n’ont pas de chance : un grand astéroïde gelé traverse leur trajectoire. Et le vaisseau va tellement vite qu’il est impossible de manoeuvrer. Le « vaisseau-atome » heurte donc de plein fouet l’astéroïde mais la masse de ce dernier n’est pas réellement solide. Le corps céleste est au contraire fait de gaz givré. L’engin traverse donc l’astéroïde sans trop de mal mais en ressort entièrement recouvert de glace. On en déduira que le « gaz givré » est arrivé à s’introduire dans le vaisseau car à l’intérieur on découvre les occupants pétrifiés, recouverts eux aussi de glace. Sans personne pour le piloter le vaisseau fonce vers la Terre, prêt à s’écraser. Mais dans l’habitacle un des hommes d’équipage reprend ses esprits. Ce pilote, recouvert de glace, à toutes les caractéristiques des héros « glaciaires » comme Jack Frost ou Iceman. Si ce n’est qu’une scène précédente nous l’a montré avec une sorte de coiffe qui, gelée, forme une sorte de bout de capuche ou de pic glacé à l’arrière de sa tête. Il réalise que la catastrophe est imminente, se rue sur les commandes… Mais elles ont été elles aussi gelées et l’homme doit pratiquement lutter contre le matériel jusqu’à la dernière minute pour finalement opérer un atterrissage parfait (quelque part à côté du grand lac salé, dans l’état de Utah, en Amérique): « Whew… Je l’ai fait ! Le premier vaisseau vénusien à se poser sur Terre« .
Mais le moment historique cède vite le pas devant la consternation. Le pilote parcourt tout le vaisseau et constate que le reste de l’équipage est mort, gelé (quand à savoir comment et pourquoi lui n’est pas mort, là, mystère…). Sortant de son vaisseau, le Vénusien aperçoit une maison et décide d’aller y chercher de l’aide. S’approchant, il observe l’intérieur du bâtiment et voit qu’il est occupé. Deux scientifiques sont en train d’y pratiquer des expériences au milieu d’un équipement spectaculaires. Bon, on nous permettra d’émettre quelques doutes sur la finesse d’esprit de ces deux savants : un vaisseau spatial vient de se poser à quelques mètres d’eux et apparemment ils n’ont rien remarqués. Disons qu’ils sont peut-être supérieurement intelligents mais que leur capacité d’observation pose question.
L’instant d’après, un froid glacial parcourt le laboratoire du Professeur Abbot (on comprendra qu’Abbot est l’un des deux hommes). Mais le scientifique décide d’abord d’actionner son « rayon atomique » (deuxième mention de l’Atome dans cette histoire) en se promettant d’enquêter plus tard sur les raisons de ce froid (car c’est bien connu, quand les scientifiques repèrent un facteur inconnu lors d’une expérience, ils procèdent comme si de rien n’était en se disant qu’ils verront après. Ils ont du aller à la même université que ceux qui ont irradié l’araignée à la base des futurs pouvoirs de Peter Parker/Spider-Man).
Et forcément, une fois le terrible rayon atomique a été activé, c’est à ce moment-là que le Vénusien pénètre dans la pièce, traversant accidentellement le faisceau expérimental. Abbot s’écrie « Attention ! Vous seriez tué !!!«
Trop tard. Le Vénusien s’est bien arrêté mais il était déjà à la hauteur du rayon… qui a pour effet de le faire changer. Il perd son apparence glacée pour reprendre une allure normale (mais bizarrement il n’a plus la coiffe qu’il portait au début de l’épisode). D’une certaine manière le Vénusien a été sauvé par cette dose de rayons atomiques. Mais il n’est pas homme à oublier le protocole et la politesse : « Je suis de Vénus ! Je viens de me poser à l’extérieur de votre laboratoire !« . Et la réponse d’Abbot est immédiate, sans remettre en cause les dires de l’inconnu. Le savant s’exclame « J’aimerais bien serrer la main d’un homme venu de Vénus !« . Mais il le regrette vite. Au contact de celle du vénusien, la main d’Abbot est entièrement gelée. Heureusement le savant peut passer son avant-bras dans le rayon atomique, qui a pour effet de faire disparaître la glace (et devrait bien entendu horriblement griller la main d’Abbot tout en le condamnant à mourir d’un cancer spectaculaire mais l’idée n’a pas l’air d’effleurer le scénariste. Du coup, ouf, Abbot s’en tire indemne). Puis le Professeur demande au Vénusien de reculer un peu et… l’extra-terrestre prend à nouveau son apparence glacée. Pire : il plonge accidentellement toute la pièce dans une température inférieure à zéro. « Le thermomètre est cassé ! Vous allez nous congeler ! » s’écrie l’assistant d’Abbot. Heureusement il suffit de repasser une nouvelle fois le Vénusien dans le faisceau atomique pour lui rendre son état normal.
On notera que la logique du scénario est assez complexe et tient compte d’un nombre incalculable de coïncidences et de complications. Larry Antonette (on n’est pas entièrement certain qu’il soit le seul scénariste de l’histoire mais il est au moins intervenu sur le plot, conformément à ce qui se faisait à l’époque) aurait aussi bien pu créer directement un Vénusien qui aurait eu des pouvoirs glaciaires parce que… Disons qu’il aurait vécu près du pôle Nord de Vénus et que sa race aurait ce genre de pouvoirs. Mais non, au lieu de cela il faut que le Vénusien soit frappé par un « gaz gelé » dans l’espace et pose son vaisseau (quelle chance !) à dix mètres d’un laboratoire qui possède le moyen de le guérir mais qu’en plus tout cela soit découvert par pur accident, quand l’homme de Vénus passe au mauvais (ou au bon) moment dans le faisceau. En fait toutes ces complications viennent cacher une structure connue. Si le Vénusien s’était simplement écrasé sur Terre puis avait fait preuve d’étonnants pouvoirs attribués à sa race, on serait retombé très près de quelque chose évoquant une sorte de « Superman du froid ». A plus forte raison parce qu’il y a une sorte d’opposition/complémentarité dans ces termes « d’homme supérieur » et « d’homme en dessous de zéro ». D’ailleurs d’autres travaux de Larry Antonette témoignent également d’une grosse influence de Superman. John Steele (son héros soldat apparu dans les pages de Daring Comics chez Timely) était un colosse brun sans origine précise qui était à l’épreuve des balles, soulevait des blindés dans l’attitude très caractéristique du Superman des débuts et bondissait au dessus des champs de batailles. John Steele était essentiellement un Superman sans costume. Et on voit que pour Sub-Zero Man l’influence de Superman était également là. A plus forte raison parce que le vénusien aux cheveux noirs, quand il n’était pas « glacé » avait un costume bleu et rouge (avec une cape à partir d’un certain moment)… Du coup les détours que peut prendre le scénario sonnent comme autant de choses rajoutées (peut-être sous l’influence d’un des responsables de Funnies Inc. ?), greffées à l’idée originale pour qu’on soit moins dans la sphère du personnage de DC Comics.
Mais retournons dans le laboratoire du Professeur Abbot. L’homme venu d’un autre monde explique à ses deux nouvelles connaissances le détail de son odyssée : »… Et après m’être posé ici j’ai découvert que tout ce que je touche gèle et se désintègre sous l’effet du froid… Il n’y a que sous ce rayon que je suis normal !« . Abbot s’écrie « Que c’est étonnant ! Un homme en dessous de zéro« . Ce qui en version originale donne bien évidemment le moment du baptême du héros en « Sub-Zero Man ». Mais l’autre savant décide qu’il doit bien y avoir d’autres Vénusiens dans le vaisseau et qu’il convient de l’inspecter. L’ennui c’est qu’en arrivant dans l’engin ils tombent sur les cadavres et décident, terrifiés, d’appeler la police. Pourquoi ? L’histoire n’est pas vraiment explicite à ce sujet. Mais en voyant la police tourner autour de son vaisseau (parce que bizarrement un être en provenance de Vénus semble instinctivement reconnaître l’uniforme d’un policier humain) Sub-Zero Man, qui était resté dans le laboratoire, se trompe sur leurs intentions. Il croit que les autres pensent qu’il a tué ses compagnons. Aussitôt il s’empare d’un petit pistolet atomique qui traînait par là et le place contre sa tempe. Il tente alors de se suicider mais l’arme n’a pas l’effet désiré. Elle le retransforme temporairement en homme non-gelé… Bien sûr, maintenant qu’il est revenu à l’état d’un homme normal, Sub-Zero Man aurait tout le loisir de se tuer d’une autre manière mais ça n’a pas l’air de lui traverser l’esprit. Visiblement, si le pistolet atomique n’a pas d’effet, cela lui suffit à oublier toute idée de suicide…
L’instant d’après, quand son corps est à nouveau gelé, Sub-Zero Man décide d’essayer de s’échapper. Mais il panique et touche divers objets du laboratoire, les gelant sur place et les détruisant. Finalement il finit par briser la fenêtre. Un gardien surgit alors, en se demandant ce qui se passe. Lui non plus n’est pas très observateur visiblement puisqu’il a loupé, dans l’ordre, l’atterrissage d’un vaisseau vénusien à l’extérieur du labo, l’irruption d’un homme de glace et l’arrivée de la police. Tout ça visiblement n’avait pas fait assez de bruit pour qu’il arrive. Par contre dès que la vitre éclate sous le froid, l’intrépide gardien veille ! Sub-Zero Man se tourne vers lui et lui lance… un regard glacial ! Le fait de regarder l’homme suffit à le geler (pour de bon) sur place à son tour. Paniqué, Sub-Zero Man s’enfuit à travers la fenêtre brisée. Abbot revient à son labo à temps pour le voir disparaître : « Vite, après lui avant qu’il ne s’échappe ! » (l’empressement d’Abbot à tenter d’arrêter l’extra-terrestre démontre que ce dernier n’avait pas totalement tort en pensant qu’on l’accuserait d’avoir tué son équipage). Voici le Vénusien arrivé au rang de menace publique un quart d’heure après son arrivée sur Terre !
La poursuite commence cependant bien mal pour la police. Le froid dégagé par Sub-Zero Man est si intense que les voitures s’arrêtent avant de l’attraper et que les moteurs, gelés, explosent. Bien sûr les policiers tentent de lui tirer dessus mais le froid est assez fort pour détruire les balles avant qu’elles ne le touchent. « Je vais fuir… Ils ne m’attraperont jamais ! » se dit le Vénusien… Avant de s’arrêter sur le rivage d’un lac (sans doute le Grand Lac Salé) en se disant qu’après toutes ces émotions il a bien besoin de boire. Mais l’eau devient glace quand il la touche. Puis Sub-Zero Man constate que ses poursuivants approchent et plutôt que de les attendre (après tout, vu le froid qu’il dégage il les détruirait sans problème et ce n’est donc pas lui qui risque grand-chose), il a l’idée totalement idiote qu’il ne pourra leur échapper qu’en se jetant dans le lac. Forcément, dès que son corps s’enfonce dans le liquide, il gèle l’eau autour de lui et se retrouve prisonnier d’une sorte de cocon de glace. L’eau s’est tellement solidifiée que les humains, pour le dégager, doivent utiliser un marteau-piqueur (qui lui, mystérieusement, tient plus la température que les moteurs des voitures).
Prisonnier de son bloc glacé, Sub-Zero Man est alors transporté jusqu’à la prison locale. Enfermé dans une cellule, Sub-Zero Man n’est pas sans ressource. La nuit venue, il dégage un froid si intense que la glace n’y résiste pas et se fendille. Forcément les barreaux de la cellule ne résistent guère plus longtemps et rapidement le vénusien est à nouveau en fuite. Mais arrivé à un canyon, il rencontre un problème : le seul moyen de traverser est de marcher sur un barrage. On voit déjà le spectre de l’eau se profiler à nouveau, comme si l’eau était la kryptonite de Sub-Zero Man. Bien sûr le personnage n’est quand même pas assez idiot pour sauter à nouveau spontanément dans le liquide mais quand il marche en haut du barrage, ses pieds sont assez froids pour causer des fissures dans l’édifice. Quand il atteint l’autre côté du canyon, Sub-Zero Man constate alors, effaré, que les dommages ont été suffisants pour que le barrage explose sous la pression. Des tonnes d’eau se déversent dans la vallée.
Le Vénusien s’écrie : « J’ai cassé le barrage ! Il y a une ville dans la vallée ! Je dois arrêter l’eau ou des centaines de personnes seront tuées ! ». Sa réaction le resitue d’un coup dans un contexte héroïque. Avouons que dans les scènes précédentes, la manière dont il avait gelé sur place un pauvre gardien ou encore sa défiance envers les autres humains étaient autant d’éléments qui nous faisaient douter de la moralité du personnage. Mais visiblement Sub-Zero Man sort un peu du même registre émotionnel que Sub-Mariner ou Human Torch dans son premier épisode (quand il créait des catastrophes alors qu’il voulait jouer). Comme bon nombre de super-héros créés par Funnies Inc. (et Namor et Human Torch ont font partie, puisque les concepts y ont été développés en interne avant d’être vendus à Timely) Sub-Zero Man n’est pas fondamentalement mauvais. Il serait plutôt un bon samaritain très émotif, avec une patience inexistante, qui répond au premier signe de provocation. Et quand il constate un danger pour le plus grand nombre, sa bonté instinctive reprend le dessus.
Sub-Zero Man court donc dans la vallée (au point qu’il semble que le Vénusien ait au moins en partie une certaine forme de super-vitesse), juste devant la vague géante qui menace les habitations. Et le froid suffit à geler l’eau sur place. Le héros vérifie que la glace mettra des mois à fondre mais décide d’aller prévenir la ville du danger possible. Je ne connais pas bien les habitants de l’Utah mais force est de constater que dans ce récit ils ne sont vraiment pas représentés comme des gens à l’écoute de ce qui se passe à quelques mètres d’eux. Sub-Zero Man vient donc d’arrêter une vague géante qui menaçait de recouvrir les habitations… Et que croyez-vous qu’il se passe dans la ville ? Des cambrioleurs sont en train de casser la vitrine d’un bijoutier. Comme la petite agglomération nous a été décrite comme regroupant des « centaines de personnes » (autrement dit un village) et que la vague de glace a été représentée à quelques mètres des premières maisons, il est difficile de croire que quelqu’un situé dans le bourg n’aurait pas entendu d’abord les tonnes d’eau déferlante puis ne s’apercevrait pas du véritable mur de glace qui vient de s’ériger. Mais non, ils sont comme ça les gangsters dans l’Utah quand ils sont sur un braquage : ils ne s’occupent que de ce qu’ils font… Tombant sur ces cambrioleurs, Sub-Zero Man les congèle sur place et souligne « Cela les arrêtera jusqu’à ce que la police les trouve ». Ce qui, ouf, nous rassure sur le sort du pauvre gardien gelé un peu plus tôt dans l’histoire et sur le « casier judiciaire » réel du héros. Quand il quelqu’un, il ne le tue pas mais le paralyse juste de froid…
Après ? Après on sent que l’auteur est pris par le temps ou par le manque de place et qu’il lui faut pourtant conclure son histoire. Ne reste alors que trois cases pour nous expliquer qu’en utilisant son pistolet atomique (volé dans le laboratoire d’Abbot) Sub-Zero Man redevient « humain » le temps de raconter son histoire à un policier puis se retransforme en sa forme glacée avant de s’en aller. Et comme dans l’Utah, décidément, on ne se tient vraiment pas au courant des choses qui se passent dans le coin, le policier le prend d’abord pour un affabulateur. Parce que forcément, vous pensez… Le fait qu’un astronef venu de Venus se soit posé la veille dans le secteur et qu’un extra-terrestre glacé ait fuit la police avant d’être mis en prison pour la nuit, ça n’a pas du tout du faire du bruit dans cette petite ville de l’Utah. Des trucs comme ça ? Ils en voient tous les jours ? Et le mur de glace à l’entrée de la ville ? Et le fait que l’homme qui vient de raconter cette histoire se soit retransformé avant de partir ? Ben non. Le policier n’est pas du tout convaincu. Ce n’est qu’en découvrant les gangsters paralysé que l’agent de police s’exclame « Cela devait être le Sub-Zero Man au sujet duquel nous avons été prévenus ». Ah ben quand même ! Avec des limiers comme ça, la pègre de l’Utah peut dormir tranquille ! Euh enfin non puisque c’est la même pègre qui n’avait pas plus remarqué le mur de glace…
L’histoire se termine sur les journaux qui font leurs gros titres sur le fait que Sub-Zero Man est dans la nature, sur un ton qui permet d’entretenir le suspense quand à son statut aux yeux de la population. Le reconnaît-on comme héros après avoir sauvé la ville et arrêté des voleurs où bien est-il toujours traité comme une menace publique ? Au début un peu des deux et puis, comme dans le cas d’Human Torch chez Timely/Marvel, Sub-Zero Man sera de plus en plus accepté par les humains avant d’être considéré exclusivement comme un héros. Il est également intéressant de noter que si la revue se nommait Blue Bolt et que c’était donc le héros de Joe Simon qui était la vedette du fascicule, Sub-Zero Man était positionné comme un numéro deux important au sein du titre. Non seulement il avait droit à une aventure sous forme de BD mais le numéro contenait également une courte nouvelle le concernant. Autrement dit Sub-Zero Man était le seul des héros présents à avoir deux aventures par numéro. Rapidement Sub-Zero Man serait un peu repensé. Dès la nouvelle publiée dans le même numéro, il ne serait plus surnommé que « Sub-Zero » tout court (prédatant de plusieurs décennies des personnages homonymes qu’on peut trouver dans le jeu Mortal Kombat ou encore dans le film Running Man) et à partir de 1941 se découvrirait un jeune faire-valoir en la personne de Freezum (variation du terme « Freeze », et donc « congeler »), un garçon qui supportait bien le froid puisqu’il s’agissait d’un petit Inuit. Sub-Zero et Freezum aurait même leur propre agence de détectives privés. A ma connaissance le vrai nom vénusien du personnage n’a jamais été mentionné dans les histoires. Et ses compatriotes n’ont jamais fait mine d’envoyer d’autres vaisseaux pour venir le récupérer.
Sub-Zero connaîtrait aussi des interactions avec les autres héros de la revue (Blue Bolt, le Twister et Dick Coke) qui établiraient que tous agissaient au sein d’un même univers partagé (une notion finalement pas toujours si répandue dans les comics des années 40). Les aventures du vénusien durerait ainsi jusqu’en mars 1944 (ce qui n’est certes pas la longévité d’un Superman ou d’un Flash mais quatre ans d’existence pour un héros du Golden Age, alors qu’il en apparaissait et disparaissait des dizaines chaque mois, ce n’est pas déshonorant du tout).
Dans son livre « The Ten-Cent Plague: The Great Comic-Book Scare And How It Changed America », l’historien de la BD David Hajdu liste Larry Antonette parmi les noms des auteurs qui furent frappés de plein fouet par la purge causée par l’hystérie anti-comics des années 50… Au point de ne plus y travailler par la suite. D’ailleurs Novelty Press connaîtrait un sort du même ordre quand en 1949 la Curtis Publishing Company (inquiétée par la pression des associations familiales et la mauvaise réputation générale des BD) préféra liquider son label et se retirer des comics. Ironiquement c’est la disparition de Novelty qui causerait la réapparition de Sub-Zero. Les nouveaux propriétaires des magazines anciennement dirigés par Novelty allaient se contenter de faire de la réimpression d’anciens épisodes. Ainsi quelques aventures de Sub-Zero furent republiées entre 1950 et 1951 (à commencer par l’origine dont nous venons de discuter).
Il convient également de noter les ressemblances entre Sub-Zero tel qu’il est apparu en 1940 et le Icicle, un adversaire de Green Lantern (puis de la Justice Society of America) à partir de 1947. Comme Sub-Zero, le Icicle avait l’apparence d’un personnage avec un « capuchon givré ». Il émettait du froid via un pistolet spécial et le tout lui donne assez l’allure de Sub-Zero avec son « pistolet atomique » au point qu’il est difficile de ne pas faire le rapprochement. Comme le Icicle serait à son tour l’inspiration majeure des personnages glacés de DC comme Mister Freeze (adversaire de Batman) ou Captain Cold (ennemi de Flash), Sub-Zero est donc une sorte d’arrière-grand-père de tous ces « criminels glaciaires ». Enfin, même si on ne peut pas automatiquement en déduire que tous les personnages ayant des pouvoirs basés sur le froid découlent de Sub-Zero, il y a également des rapprochements à faire avec Jack Frost, le héros glacé de Timely Comics paru en 1941. Si Jack Frost faisait bien plus simple au niveau de l’origine (il n’en avait pas à proprement parler) et n’avait pas le « capuchon » de Sub-Zero (ou d’Icicle), ses relations orageuses avec la police donnent à ses aventures une ambiance vraiment très similaire au point qu’on pourrait presque croire (sauf que Frost explique qu’il vit au Pole Nord depuis des siècles) qu’il s’agit du même personnage à des époques différentes de sa vie. De même, la façon que Sub-Zero a de se transformer en glace précède également les pouvoirs et l’apparence similaire que pourra avoir plus tard Bobby Drake, alias Iceman, dans les pages des X-Men (encore que dans le cas d’Iceman la filiation n’est pas forcément linéaire. Il s’agit peut-être plutôt de singer le Human Torch des Quatre Fantastiques en utilisant l’autre extrémité du baromètre).
Bien plus récemment, le héros vénusien est réapparu dans les pages annexes de Project Superpowers (vol.1) #2, chez Dynamite. On peut le voir dans des pages de design d’Alex Ross, aux côtés de Blue Bolt. Mais d’une part le design de Ross se base sur l’apparence plus tardive du personnage, quand il ne se gelait plus aussi systématiquement pour faire usage de ses pouvoirs mais mettait plutôt en avant son costume « supermanien » bleu et rouge (sous cette forme il ne ressemble donc pas à Icicle ou Jack Frost). Et puis (peut-être parce que le nom Sub-Zero est désormais plus associé à l’univers des jeux vidéos) Ross l’a rebaptisé de son nom d’origine, à savoir Sub-Zero MAN. Facile, sous cette forme, de voir en lui un simple clone de Superman et d’oublier (ou d’ignorer) qu’il est l’un des principaux précurseurs des personnages glaciaires dans les comics.
[Xavier Fournier]