Oldies But Goodies: Blue Ribbon Comics #4 (Juin 1940)

[FRENCH] Terminons notre week-end thématique de « Oldies But Goodies » consacrés aux revues MLJ/Archie Comics avec un personnage, The Fox (« le Renard »), qui a moins d’envergure que Mister Satan ou The Fly mais qui lui aussi, à sa manière, anticipe des choses réapparues ensuite chez DC ou Marvel. Mais pas seulement en ce qui concerne son identité costumée…

Nous l’avons vu dans de précédents chapitres de cette rubrique, même si Archie Comics a parfois su générer des modes et des archétypes (comme le héros patriotique originel, le Shield), ses responsables n’ont jamais rechigné a « emprunter » des choses auprès de la concurrence. Et visiblement, au début des années 40, l’objectif était de créer un clone de Batman qui aurait pu capter une partie du succès du personnage de DC Comics. Nous avons déjà vu comment la firme a ainsi créé le Hangman ou Mister Satan en surfant sur cette vague. Un autre héros « batmanien » fit sa première apparition dans Blue Ribbon Comics #4 et d’emblée il a ceci d’intéressant que c’est un véritable chaînon manquant entre deux autres personnages. Les fidèles d’Oldies But Goodies se souviendront qu’il y a quelques semaines nous avons chroniqué ici Sensation Comics #1 (DC) et les débuts de Wildcat, créé par Bill Finger et Irwin Hasen. Les ressemblances entre Batman et Wildcat pouvaient en un sens s’expliquer par le fait que Finger était le co-créateur de l’homme-chauve-souris. Mais cette fois je vous propose de vous intéresser à l’autre père de Wildcat, le dessinateur Irwin Hasen, qui avait quelques temps plus tôt produit le Fox pour MLJ. Et le costume noir du Fox, comme vous le verrez vite dans les images qui accompagnent cet article, c’est un peu le prototype visuel de Wildcat (et même, en un sens, de Black Panther).

D’abord, pourquoi ce nom de Fox et pourquoi cette couleur noire alors que dans l’inconscient collectif les renards sont plutôt des petites bestioles marrons ? Pour le nom, deux théories s’appliquent. D’une part MLJ aurait pu essayer de bloquer un concurrent. Il y avait en effet une autre firme nommée Fox (du nom de son propriétaire, c’est là-bas que serait publié pour la première fois le Blue Beetle). Sortir d’abord un héros portant le nom de Fox, c’était lui griller la politesse. Et comme MLJ publia aussi brièvement à l’époque les aventures d’un héros masqué nommé… The Marvel, je ne serais pas étonné que le raisonnement était en quelque sorte une « recette maison » pour bloquer certains titres. Ensuite, puisqu’il s’agissait de cloner Batman, il semble que les auteurs (le scénariste Joe Blair et donc le dessinateur Irwin Hasen) avaient décidé d’aller puiser dans l’un des modèles de Batman, à savoir… Zorro (qui veut dire « le Renard »), tout drapé de noir.

Mais sur la première page de l’histoire, il n’y a pour l’instant aucun costume noir. On nous présente Paul Patton, un ancien athlète qui, par goût de la photographie, est devenu un photo-reporter pour le journal « Daily Globe »… Bien sûr, il est immédiatement présenté à une journaliste brune et intrépide (sans doute fraîchement diplômée de la même école que Lois Lane), Ruth Ransom, avec qui il va faire équipe pour enquêter sur les Night Riders, qui ont récemment terrorisé le pays en fouettant des gens à mort (Bien que le concept de racisme ne soit pas mentionné, il va vite de devenir apparent que les « Night Riders » encagoulés sont un équivalent du Ku-Klux Klan). Rapidement, la journaliste et son photographe prennent le train pour Fleetsville, là où les meurtres se sont déroulés… Et il est vite manifeste que Ruth est une espiègle peste qui ne manque pas une occasion d’affubler Paul de surnoms le réduisant au rang d’ex-sportif (les relations Ruth/Paul prennent d’emblée le même chemin que celles de Lois Lane/Clark Kent à la même époque). Curieusement, les gens qui les attendent à la gare préfèrent les emmener à leur hôtel dans des voitures séparées. Paul flaire que quelque chose n’est pas net et proteste mais Ruth se moque une nouvelle fois de lui en le traitant de petit garçon qui a peur d’être séparée de sa maman. Elle ne monte donc pas dans la même voiture.

On arrive alors à une case carrément surréaliste où Paul Patton s’étonne que la voiture dans laquelle il se trouve ait dépassé l’hôtel sans s’arrêter. Mais anticipant visiblement sur le scénario, le dessinateur a déjà représenté les autres occupants du véhicule avec des cagoules sombres. Il est donc manifeste que ce sont les Night Riders et Paul ne devrait plus en être à se demande pourquoi la voiture ne l’a pas emmené à l’endroit prévu.

Sous la menace d’une arme, les malfaiteurs masqués s’arrêtent en rase-campagne et rossent Paul de coups puis le fouettent jusqu’à ce qu’il perde connaissance. Ils laissent Paul inconscient et ensanglanté contre un arbre… Ruth, elle, a été enlevée… Revenant à lui, Paul marche jusqu’à une proche voie ferrée et arrive à se hisser dans un train pour rentrer jusqu’à New York. Le lendemain, quand il se présente aux bureaux du Daily Globe, il n’est pas franchement bien accueilli. Ses collègues pensent qu’il n’a pas l’air frais car il aurait trop fait la fête. Et plus que tout, le rédacteur-en-chef (monté sur le même modèle que Perry White, le patron de Clark Kent) se fâche quand il apprend l’enlèvement de Ruth. Il avait embauché Paul non seulement pour prendre des photos mais aussi pour protéger sa journaliste-vedette (et on comprend à mi-mots que le journal était sans doute plus intéressé par la carrure sportive de Patton que pas ses talents de photographe). Ne me me demandez pas pourquoi, personne ne parle de prévenir la police…

Le soir, rentré chez lui et lisant le journal confortablement assis dans un fauteuil, vêtu d’un gilet d’intérieur, Paul écoute la musique diffusée par la radio. Ce qui là aussi est une scène bizarroïde car on comprend mal qu’avec une collègue disparue, Patton soit installée de manière si mollassonne dans une atmosphère « cozy ». La chanson qu’il écoute parle d’un renard et Paul se dit alors à voix haute que c’est son problème, qu’il n’est pas assez « foxy » (traduisons par « rusé comme un renard »). Et le héros sursaute d’un seul coup en se demandant pourquoi il n’y a pas pensé plus tôt ! Il vient de décider subitement de devenir un super-héros ayant pour « totem » le renard. On est clairement dans une sorte de copie de la scène où Bruce Wayne, également installé de façon « cozy », décide de devenir Batman après qu’une chauve-souris soit rentrée par la fenêtre. Sauf que dans le cas de Batman, le héros se destinait depuis un certain temps à devenir un héros et il ne lui manquait plus qu’une chose : une image de marque capable de terroriser les malfaiteurs. Dans le cas du Fox, le mécanisme est inversé. Paul Patton a l’idée d’un « Renard » et décide, par conséquent, de devenir un héros masqué sans particulièrement s’y être préparé à l’avance. D’autant que sa « préparation » va prendre une tournure tout à fait illogique…

Paul Patton va en effet chercher dans son labo… un appareil photo automatique qu’il démonte et incorpore dans une ceinture spéciale, cachée sous un costume noir. Son uniforme de « Fox » portera sur la poitrine la tête d’un renard. L’un des yeux cachera l’objectif de l’appareil photo tandis que l’autre abritera le flash. Le héros n’aura qu’a actionner un câble caché dans sa manche pour déclencher l’appareil. A aucun moment Patton ne parle de s’équiper de la moindre arme, son seul souci semble d’être capable de prendre des photos. Pour le meilleur ou pour le pire, l’idée semble suffisante pour que Paul Patton devienne enfin… The Fox, avec des « oreilles » qui retombent de manière assez ridicule sur le haut de son masque. Même si des similitudes existent avec le Wildcat que Hasen co-créera plus tard chez DC, il est certain que le Fox a bien moins de charisme que son successeur.

Paul Patton saute dans sa voiture et prend la route de Fleetsville. Mais quand il arrive, c’est l’émeute. Les Night Riders ont encore frappé. Et cette fois ils ont carrément enlevé le shérif. Le Fox décide de passer à l’action et roule jusqu’au repaire des encagoulés. Ce qui est totalement incohérent car s’il savait depuis le début où cette milice de la terreur se cachait, pourquoi Patton n’a-t-il pas demandé l’aide des autorités ou de la population ? Fox se dirige directement vers le bon endroit sans avoir fait preuve du moindre don de limier (vous parlez d’un renard). Le héros tombe sur la bande alors qu’elle est en train de fouetter le shérif et que Ruth est supposée être la prochaine à sentir le fouet (on se demandera pourquoi les Night Riders ne l’ont pas fait avant puisque souvenons-nous que Paul a eu le temps de retourner au moins un jour au Daily Globe et que sa décision de devenir le Fox est intervenue en soirée, la veille. Donc au bas mot 48 heures se sont écoulées…).

Surprenant la bande, le Fox surgit de manière totalement ridicule en poussant le cri « Yah-yah-yah », en apparence incohérent. En fait, si on se reporte à la scène où il écoutait la radio, il est évident qu’il chante l’air qui lui a donné l’idée de son identité. Les Night Riders sont apparemment des malfaiteurs « superstitieux » comme Batman et le Fox les aiment bien puisqu’ils sont terrorisés par l’arrivée du héros masqué, convaincus qu’il ne s’agit pas d’un être humain (?). De plus ils n’osent pas lui tirer dessus, de peur que le bruit n’attirent tous les soldats de la région… Le Fox arrive donc à mettre en fuite la bande et à capturer le chef, qui promet de tout raconter. D’autant que le Fox explique qu’il a pu le photographier et qu’il a donc une preuve. Ruth Ramson retourne en vitesse à New York tandis que les habitants de Fleetsville, reconnaissant, se demandent qui était le Fox qui les a aidé. Et à New York, Paul Patton refait surface en expliquant que le Fox lui a confié des photos du combat, qui finissent donc à la une.

Vous l’aurez constaté par endroits, le Fox n’est pas le super-héros le plus impressionnant où même le plus logique qui soit. Les auteurs étaient sans doute trop occupés à copier des éléments détournés de Zorro ou de Batman qu’ils n’ont pas prêté attention à quelques incohérences. Mais on notera cette curieuse invention qui consiste à faire du héros un photographe qui vit de la vente des images qu’il prend lui-même pendant les combats. En fait ce n’est pas en tant que Fox (et étape intermédiaire entre Batman et Wildcat) que le personnage est le plus intéressant mais bien en tant que lointain « ancêtre » de Peter Parker, alias Spider-Man, qui a l’habitude de cacher son appareil photo dans une ceinture similaire, cachée sous son costume. Pour parfaire le lien, notons aussi que le Daily Globe existe aussi dans l’univers Marvel et que ce journal est supposé être le concurrent principal du Daily Bugle. Il y a même eu un passage où, renvoyé par Jameson, Parker a travaillé comme photographe au Globe… Quant à savoir si la connexion est volontaire et s’il s’agissait d’un clin d’œil assumé au premier super-héros cachant un appareil photo dans son costume, là, mystère. Enfin, toujours chez Marvel, il existe un personnage assez similaire au Fox. Dans la maxisérie  Marvel: The Lost Generation, John Byrne et Roger Stern ont inventé un super-héros équivalent de Batman qui aurait été en activité de la fin des années 40 jusque dans les années 80. Et est-ce que c’est un clin d’œil au Fox de MLJ ou bien simplement l’utilisation d’une logique similaire qui les a fait lorgner vers Zorro mais ce pseudo-Batman a pour nom le Black Fox, avec un costume un peu différent (en particulier au niveau du masque et aussi parce qu’il a une cape) mais sur la poitrine du héros de Stern & Byrne le logo symbolisant une tête de renard est le même… Étonnant, non ?

[Xavier Fournier]
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