Oldies But Goodies: Boy Commandos #1 (1942)

[FRENCH] 150ème Oldies But Goodies !!! Mais pour marquer l’événement l’atmosphère n’est pas à la fête ! Joe Simon et Jack Kirby sont sous le choc : Ils viennent d’apprendre dans le journal la mort des personnages dont ils écrivaient les aventures ! Comment la firme DC Comics pourrait-elle survivre longtemps si certains de ses héros les plus prometteurs sont assassinés par les nazis de l’autre côté de l’Atlantique ? Un épisode hors normes qui abat les barrières des cases de BD et des univers partagés des comics…

En 1942, DC Comics connaît un certain succès avec de jeunes héros nommés les Boy Commandos, jusque-là abrité dans des anthologies comme Detective Comics ou World’s Finest. Un succès si grand, en fait, qu’en quelques mois il est rapidement décidé de leur confier leur propre titre. Il faut dire que les Boy Commandos ont une popularité si grande qu’ils s’imposent comme la troisième licence de DC, dépassée seulement par Superman et Batman. Les ventes de Wonder Woman, la Justice Society of America, Flash ou Green Lantern sont rapidement éclipsées. Le lancement de Boy Commandos #1 est donc un événement d’importance quand, patatras, en plein milieu de la conception du numéro les auteurs Joe Simon et Jack Kirby apprennent que les personnages viennent de trouver la mort en mission ! Panique chez DC et toute la direction de DC défile dans le bureau du tandem créatif en apprenant la mauvaise nouvelle… Forcément, vous vous demandez à ce stade de quoi je vous parle. Les Boy Commandos sont ils des héros de fiction (au même titre que Superman) ou bien s’agit-il de personnages réels dont DC aurait loué les droits ? Une petite présentation s’impose des « Boys »…

En 1942, donc, Jack Kirby et Joe Simon viennent d’arrêter de produire leur création Captain America pour Timely Comics (le bon Captain continue ses aventures mais désormais scénarisé et dessiné par d’autres mains). Ils sont passés chez la concurrence (à savoir l’éditeur DC) et n’y chôment pas, travaillant sur des héros comme le Manhunter, Sandman ou encore le Guardian (tuteur masqué de la Newsboy Legion, une bande d’intrépides vendeurs de journaux). Aujourd’hui, le lecteur moderne pourrait se dire qu’après être passé sur le célèbre Captain America, travailler sur ces héros secondaires était comme descendre d’un cran pour Simon & Kirby. En fait les choses à l’époque ne se présentent pas comme ça. D’abord d’une part leur travaux sur Manhunter, Sandman et le Guardian présentent sur le plan créatif un degré certain de familiarité avec les recettes qu’ils utilisaient chez Marvel (c’est d’autant plus marquant avec le Guardian, héros portant un bouclier à la manière de Captain America). Et la bonne étoile des deux auteurs ne vacillait pas. Bien au contraire ils commençaient à voir le résultat d’idées lancées dans Captain America Comics, quand ils avaient initiés les Sentinels of Liberty (sorte de club patriotique dirigé par Bucky, l’allié juvénile de Captain America). Bien vite, chez Marvel, on les avait un peu dépossédé de l’idée en la rebaptisant « Young Allies » et en la confiant au bon soin du scénariste Otto Binder. Mais enfin Simon & Kirby n’avaient pas perdus de vue cette recette qui permettait en quelque sorte de matérialiser un fan-club à l’intérieur du récit, fan-club auquel le lecteur pouvait ensuite s’inscrire pour quelques cents.

Arrivés chez DC, Simon & Kirby allaient creuser l’idée dès avril 1942 à travers la Newsboy Legion, qui reprenait un peu la dynamique de Captain America et des Sentinels of Liberty mais de façon inversée : cette fois les vedettes étaient les gamins, supervisées par un héros adulte (le Guardian) qui n’existait que pour les tirer d’affaires en cas de problème. Mais la technique allait réellement porter ses fruits quelques semaines plus tard dans Detective Comics #64 (juin 1942) quand Simon & Kirby allaient créer emprunter un modèle similaire en s’éloignant encore plus du moule traditionnel du super-héros. Comme leur nom l’indiquait, les Boy Commandos seraient un quatuor de soldats d’élites en culottes courtes, pour la plupart orphelins : l’Américain Brooklyn (un gosse assez grande gueule, reconnaissable à son chapeau melon), l’Anglais Alfie, le Français André Chavard et enfin Jan (un petit blond avec la « coupe au bol ») qui vient lui des Pays-Bas. L’idée est sans doute – comme pour Bucky – qu’en temps de guerre l’armée n’est pas très regardante sur l’âge de jeunes très motivés (et l’âge de certains résistants dans les années 40 est là pour nous rappelle qu’André Chavard et ses copains ne sont pas si irréalistes qu’on pourrait le croire de nos jours). En fait officiellement les Boy Commandos n’étaient pas des soldats. Techniquement ils étaient les mascottes d’une unité militaire. Mais forcément ils se débrouillaient pour fourrer leur nez partout. Comme dans le cas de la Newsboy Army, la petite bande était encadrée par un adulte, le capitaine Rip Carter et tout ce petit monde se déplaçait à travers le monde pour combattre les forces maléfiques de l’Axe. L’originalité étant qu’au contraire de Captain America ou du Guardian Rip Carter ne s’éclipsait pas pour jouer les super-héros. Il était un militaire bien plus « normal ». Et visiblement estomper le côté « héros masqué » pour donner encore plus d’importance à de courageux garnements était ce que voulait voir le public. Lancé à la fin du printemps 1942 dans les pages de Detective Comics (magazine par ailleurs hanté par Batman & Robin), les Boy Commandos se voyaient gratifiés d’une double promotion dès l’automne. Non seulement ils restaient dans les pages de Detective mais ils apparaissaient désormais aussi dans World’s Finest ET dans le même temps recevait leur propre titre à leur nom. Les Boy Commandos avaient donc le droit d’habiter trois revues parallèles comme les super-héros les plus populaires du moment. En l’espace de quelques mois les Boy Commandos étaient devenus si demandés qu’ils disposaient du même don d’ubiquité que Wolverine ou Spider-Man de nos jours. Non, l’ère post-Timely de Simon & Kirby n’avait très certainement rien d’une période de vaches maigres…

Mais alors comment le décès des Boy Commandos et de leur mentor Rip Carter peut-il mettre en péril DC et la carrière des deux auteurs ? Tout est raconté dans Boy Commandos #1, lors d’une sorte de crossover assez atypique intitulé « Satan porte une Swastika« . Sur la page d’introduction, le bras d’un militaire nazi, pistolet à la main, vise une table à dessin. Sur celle-ci se trouve un mot à l’attention des lecteurs : « Vous vous demandez pourquoi les Boy Commandos ne sont pas sur la page d’intro ? Lisez et vous verrez ! signé Agent Axis« . Sur le côté, un paragraphe explique que cette histoire a été écrite par le plus grand scénariste qui soit. Et ce n’est pas que Joe Simon s’envoie des fleurs à lui-même. Non, le scénariste en question, tel qu’expliqué dans ces lignes, c’est le destin ! Joe Simon et Jack Kirby eux-mêmes ont été choqués d’apprendre les événements qui vont suivre. L’entrée en matière est pour le moins « mystique » mais la scène suivante va pourtant être plus « intimiste »…

Tout commence en effet dans un ascenseur. Arrivé au neuvième étage un petit groupe de jeunes vendeurs de journaux s’extirpe de la cabine et se dirige vers les bureaux de la firme Detective Comics. Les vendeurs en question sont envoyés par Jim Harper, qui leur a dit qu’ils pouvaient vendre leurs journaux sur ce secteur. Jim Harper ? C’est l’identité civile du Guardian. Et on s’aperçoit vite que les vendeurs sont en fait les membres de la Newsboy Legion. D’ailleurs à l’accueil la secrétaire ne manque pas de leur faire remarquer : « Que faites-vous ici ? Vous êtes supposés être à Star Spangled Comics ». Le titre en question est effectivement la revue dans laquelle paraissent ces héros à l’époque mais la formulation de la secrétaire est ambiguë. Elle peut ainsi aussi bien exprimer qu’ils devraient opérer pour une société nommée Star Spangled Comics ou bien qu’elle a conscience qu’ils ne se trouvent pas dans leur revue habituelle. Vue la tournure que vont prendre les événements, on choisira plutôt la deuxième option. Les gosses sont venus pour vendre leur journaux aux membres du personnel, entrant dans des bureaux marqués « éditeur ». Et rapidement trois adultes en sortent, catastrophés. Ceux-là sont basés sur l’apparence de Jack Schiff, Jack Liebowitz et Whitney Ellsworth, tous trois responsables de « DC Comics ». Le premier dit aux autres : «  Vous avez vu ? Ca veut dire un trou de 12 pages dans Detective Comics. Et que faire pour World’s Finest ? ». Notons au passage que personne ne mentionne le magazine Boy Commandos, ce qui démontre que cet épisode a été produit avant la décision de lancer spécialement une série (indice qui démontre la précipitation dans laquelle DC gérait l’explosion de popularité des Boys). Tandis que le second s’écrie que c’est une catastrophe, le troisième se prend la tête dans la main en signe de désespoir : « Allez ! Allez ! On doit faire quelque chose ! DC est vraiment dans une sale passe ! ». Et tous foncent dans une même direction…

Dans  un studio voisin, deux personnes sont en train de parler des « Commandos ». L’un est debout et dicte son histoire. L’autre est assis devant sa table à dessin. Quand Schiff, Liebowitz et Ellsworth pénètrent dans l’endroit en affichant une attitude colérique, on voit distinctement sur la porte l’écriteau « Simon-Kirby Productions, auditions des nouveaux personnages de 9 à 12 heures ». Les trois responsables s’adressent aux auteurs « Vous avez sans doute vu les journaux ? ». Joe Simon s’empare du quotidien sans comprendre, allant directement à la page des sports : « Les Dodgers ont gagné ! ». Mais c’est Jack Kirby qui, le premier, voit l’accroche à la une : les Boy Commandos ont été tués en mission ! Les éditeurs de DC sont furieux tandis que Kirby et Simon se regardent d’un air embarrassé et se prennent une sévère remonté de bretelles. Comment n’ont-ils pas vu venir le coup ? En clair, maintenant que les Boy Commandos sont morts comment vont-ils pouvoir remplir leurs publications. Leurs trois employeurs les somment de trouver une solution et de la trouver vite !

Laissés seuls, Simon et Kirby éclatent en pleurs. Morts ! Ils sont morts ! Même Brooklyn, le personnage qui était visiblement le préféré de Jack. Joe, lui, réfléchit. Il doit y avoir quelque chose à faire. Cela fait des années que les deux auteurs tirent leurs personnages de situations périlleuses mais jamais quelque chose de ce genre ne leur était arrivé. Kirby pense à voix haute : « Nos héros  ont toujours sauvés d’autres gens du danger. Pourquoi l’un d’entre eux ne nous aiderait pas ? On est dans la mouise… Et nos héros nous doivent bien ça ! ». Mais que faire ? Les gars de la Newsboy Legion n’ont clairement pas l’envergure nécessaire. Alors Kirby pense à se tourner vers un autre personnage. Comme par exemple le Sandman (du Golden Age, bien sûr). Simon objecte : « Tu veux dire l’arracher aux pages d’Adventure Comics ? Serait-ce éthique ? ». Mais pendant qu’il parle le Sandman est déjà entré dans la pièce : « C’est éthique pour moi si je peux vous aider les gars ! Qu’est-ce qui se passe ? ». Les deux auteurs, inquiets, se mettent à faire les cents pas devant le Sandman tandis que celui-ci lit le journal. Quand il a fini sa lecteur, le Sandman temporise : l’annonce de la mort de Rip Carter et des Boys vient des forces nazies, il est donc naturel de douter de sa véracité, au même titre que tout ce qu’un nazi raconte est forcément suspect. Le Sandman va enquêter et se lancer sur la piste de la vérité…

Et assez bizarrement on ne le verra plus. Un petit mot des auteurs nous explique que ce qui suit est le récit des événements tels que le Sandman a pu les reconstituer après plusieurs jours d’enquête. C’est donc un flash-back qui va nous montrer ce qui est arrivé. Ce retour en arrière commence dans une luxueuse maison où quelques jeunes hommes riches se lamentent d’avoir d’être en pleine santé mais de ne pas pouvoir s’engager dans l’armée. Comme l’argent n’est pas un problème l’un deux suggère qu’ils financent leur propre escadron privé. Personne ne pourra les empêcher de s’y engager ! Ce n’est que lorsque le maître de maison fait appeler son domestique, Jameson (aucun lien de parenté avec le futur directeur du Daily Bugle dans Amazing Spider-Man) qu’on comprend pourquoi les jeunes riches ont été refusés par l’armée : il s’agit de nains ! Le domestique les surpasse d’environ trois têtes ! La question est d’ailleurs vite tranchée par le narrateur qui les qualifie de « nains richissimes ». D’ailleurs pour bien enfoncer le clou, l’employeur de Jameson se nomme… Milton Small !

A priori cette intervention de nains peut sembler aussi incongrue que risible mais il ne faut sûrement pas y voir une tentative de tourner en ridicule les personnes de petites tailles . Sans pour autant dire que Jack Kirby « voyait des nains partout », on peut reprendre la bibliographie du dessinateur et s’apercevoir qu’assez régulièrement il s’est intéressé à une image positive du nain capable d’actes d’héroïsmes hors du commun. Si cette fois on est face à « Milton Small » et un cercle de d’amis riches, on retrouvera dans les Black Panther bien plus tardifs du même Kirby le personnage d’Abner Little, membre des riches Collectors. Kirby a également flanqué son héros Mister Miracle d’un assistant nain nommé Oberon (par la suite personnage régulier dans la JLI de Giffen et DeMatteis) et on peut également faire entrer dans cette catégorie Moonboy, le petit partenaire du Devil Dinosaur. Il ne s’agit donc pas de se moquer des nains mais plutôt d’aller totalement dans le sens du discours de Milton Small et de démontrer qu’un personnage en apparence faible (peu importe la stature ou le handicap) peut se montrer particulièrement héroïque. Small explique à son serviteur qu’après avoir étudié scrupuleusement les sciences militaires, lui et ses amis préparent un raid contre l’Allemagne mais que pour des raisons évidentes ils doivent être accompagnés par un homme d’une plus grande force. Aussitôt Jameson accepte d’être leur garde du corps…

Pendant ce temps, en Europe… nous retrouvons enfin les Boy Commandos (Souvenez-vous que tout ça se passe avant l’annonce de leur mort en mission). Rip Carter explique aux quatre garçons que leurs ordres sont de traverser l’Europe pour capturer un espion connu seulement sous le nom de Agent Axis. Il s’est échappé avec des documents importants pour les Alliés et il doit absolument être arrêté avant d’atteindre Berlin. Quand Rip et ses jeunes amis posent leur avion, ils tentent d’obtenir des renseignements sur Agent Axis mais leur informateur leur explique que c’est impossible. L’agent ennemi n’a été aperçu que comme une ombre qui marche silencieusement dans le pays. Tout ce qu’il regarde se désagrège ! Tout ce qu’il touche meurt ! Il doit être le diable lui-même ! Rip Carter ne peut que s’étonner et douter un petit peu en même temps : « Quelle réputation il a ! Mais est-ce qu’au moins il y a quelqu’un qui l’a déjà vu ? ». Lugubre, l’informateur réplique : « Oui, je connais bien un homme qui l’a vraiment vu… Mais je suis trop fatigué pour vous le déterrer de sa tombe ce soir ! Moi-même j’ai entendu Agent Axis et aujourd’hui encore je frissonne du son que faisaient ses pieds sur le sol !  Vous avez déjà entendu le son de sabots sur des pavés ? Seul le diable peut faire un tel son ! ».

Après cette étrange escale, l’avion des Boy Commandos décolle à nouveau et les garçons ne peuvent s’empêcher de se poser des questions au sujet de ce qu’on vient de leur raconter au sujet du diable. Mais le Capitaine Rip est plus mesuré. Oui, ce qu’ils viennent d’entendre est important mais pas au sens où on pourrait le penser. La description du son si particulier pourrait être causé par autre chose : Un homme avec un pied-bot (et donc une sorte de semelle orthopédique) pourrait lui aussi faire ce genre de son ! La petite troupe vole alors vers la ferme d’un contact qui pourrait leur fournir d’autres informations sur l’Agent Axis. Si l’homme est plus explicite que celui qu’ils viennent de voir et leur fournit une meilleure description de l’Agent, leur mission s’en trouvera d’autant plus facilitée. Ils sauront à quoi ressemble l’adversaire !

Mais une fois l’avion posé, alors que Rip et les Boy Commandos marchent dans la nuit en direction d’une ferme, ils croisent une étrange figure encapuchonnée qui se cache dans les  ténèbres. Dans la nuit, cependant, les Boy Commandos s’embrouillent et se sautent les uns sur les autres… L’inconnu leur ordonne alors de se tenir calme : « La Gestapo est partout ! Vous devez être prudents ! Le fermier Sigurd vous attend ! Je monterais la garde ! ». Rip Carter s’excuse pour le malentendu et les garçons se disent qu’ils ont pris cet étrange garde pour une silhouette menaçante. D’ailleurs après avoir pris congé de cette sentinelle, un des enfants poursuit : « Il y a quelque chose dans ce type qui m’a fait penser à un zombie ». Bien sûr l’homme que Rip et les Boys viennent de croiser n’était autre que l’Agent Axis en personne (c’est évident selon les clichés habituels des comics) mais nos héros ne le réalisent pas…

Arrivés dans la ferme, les héros sont confrontés à Sigurd, qui leur tourne le dos. Rip explique qu’il est impératif  qu’ils aient une description détaillée de l’Agent Axis : Sigurd est la seule personne vivante à l’avoir vu ! Mais c’est la consternation quand Sigurd se retourne : il est aveugle ! L’Agent Axis l’a privé de sa vue (ce qui est curieux puisqu’Axis aurait aussi bien pu le tuer. Et par ailleurs ça ne doit pas être très pratique pour un aveugle de faire tourner tout seul sa ferme, qui plus est en pleine guerre mondiale). On notera l’omniprésence des handicaps et de la « difformité » (en tout cas du « hors norme » par rapport aux critères de la société) dans cette histoire (comme dans d’autres de Simon & Kirby d’ailleurs). Après des nains et un pied-bot, voici donc un aveugle… Mais quand même… Même si Sigurd est désormais aveugle, il peut encore raconter ce qu’il a vu. Il s’approche de Rip pour lui murmurer la description tant attendue quand… Sigurd est tué, un couteau planté dans le dos ! Les Boy Commandos comprennent que l’étrange homme qui les attendait dehors n’était pas du tout une sentinelle mais bien Agent Axis lui-même, qui devait être sur la piste de Sigurd (une fois encore, pourquoi ne pas avoir tué Sigurd dès le départ plutôt que de se contenter de le rendre aveugle, le laissant libre de raconter ce qu’il avait vu ?).

Les Boy Commandos n’arrivent pas à retrouver Agent Axis et finalement, privés de piste pour enquêter, ils décident avec Rip d’arrêter de se contenter de réunir des indices. Désormais ils vont passer aux choses sérieuses… Quelques heures plus tard ils arrivent en vue d’une ville dirigée par les nazis et attaquent à la mitraillette l’antenne locale de la Gestapo. Puis ils détruisent des stocks de munitions. Se cachant dans la journée mais opérant de nuit, les Commandos attaquent ainsi ville après ville, suivant de fait la piste d’Agent Axis vers Berlin. C’est d’ailleurs là que nous les retrouvons, embusqués dans une ruelle. Mais attendez…

Non, ce ne sont pas eux. Les cinq personnes qu’on voit ici sont les quatre « nains richissimes » qu’on a vu plus tôt, toujours flanqués du fidèle Jameson. Tous sont en uniforme militaire, prêt à frapper. Milton Small se fait solennel : « Gentlemen… Nous y sommes ! Voici Berlin et aucune marche arrière n’est possible ! Nous sommes arrivés jusqu’ici par la ruse… A partir de là nous agirons comme une unité militaire organisée… Nous allons mourir… Mais nous mourrons en sachant que même nous, des nains, pouvons frapper fort au service de notre pays ! ».

Pendant ce temps, l’Agent Axis est arrivé au QG berlinois de la Gestapo et a remis à son supérieur les plans tant convoités par les Alliés. Le gradé félicite l’agent pour son action mais l’autre objecte : « Le danger n’est pas passé… Je pense que les Commandos m’ont suivi jusqu’à Berlin. Ne riez pas Colonel Mueller ! Ce serait une erreur de sous-estimer leur persévérance à traquer leur proie ! ». Et à ce moment-là l’interphone de Mueller retentit ! Des commandos sont en train d’attaque le central de la Gestapo. Mueller n’en revient pas. C’est du suicide ! Et effectivement c’est bien une mission-suicide : l’instant d’après le bâtiment est balayé par une explosion. Sous des tonnes de débris ne dépasse plus qu’une chaussure orthopédique. Visiblement l’Agent Axis a été tué et les plans détruits par l’explosion. Dans les décombres, un militaire (peut-être Mueller) explique aux soldats lui portant secours qu’il a eu de la chance de s’en tirer. Mais un officier supérieur intervient (avec l’accent classique des Allemands dans les comics) : « Mais les Boy Commandos onth été tués ! Kel bon coup pour le moral ze zerra ! Je wais envoyé der commiqué moi-mein ! ». Très vite au central des communications, on se réjouis dès que l’information a été envoyée à travers le monde : « Chentlemen ! Se est un big moment ! Plus chamais chez petits commandos ne nous dérangerons ! ». Et tous les nazis sont abattus par un tir de mitraillette…

Les Boy Commandos et Rip viennent d’arriver dans la salle, supprimant tous les ennemis présents et cherchant, en vain, un allemand qui serait affublé d’une semelle orthopédique. Vous l’aurez compris, les commandos qui ont attaqué les locaux de la Gestapo et y ont perdu la vie sont les « nains richissimes » dont les corps, en raison de leur taille et de leur nombre, ont été pris pour ceux des Boy Commandos. Rip et les enfants, eux, viennent d’arriver à Berlin. Ils ignorent qu’un communiqué vient d’être envoyé, proclamant à travers le monde qu’ils sont morts. Et eux cherchent toujours l’Agent Axis, sans se douter qu’il a été éliminé. Le soir, dans la case finale de l’histoire, les héros s’envolent en direction de l’Amérique à bord d’un bombardier nazi volé, convaincus d’avoir échoués, comme le résume Rip Carter : « Agent Axis a sans doute livré ces plans dans des mains nazies maintenant ! On a échoué les enfants ! Pour la première fois… On a échoué ! ». Mais le narrateur tempère ce constat dans sa conclusion : « Mais nous savons que ce n’est pas le cas, n’est-ce pas ? Les Boy Commandos n’échouent jamais ! ». En fait si, un peu, car si les plans ont bien été détruits et si l’Agent Axis semble hors d’état de nuire, ceux qui sont les vrais héros de l’histoire sont les « nains richissimes » qui se sont sacrifiés. Les Boy Commandos, pour le coup, n’ont fait que courir la campagne, ont croisé l’Agent Axis sans s’en rendre compte et ont été incapables de l’empêcher de tuer Sigurd… Mais ce n’est sans doute pas cet aspect militaire qui fait l’intérêt de l’histoire qui s’achève de manière abrupte sans qu’on ait revu Simon, Kirby ou le Sandman…

D’abord, bien sûr, il y a l’aspect transgression réalité/fiction de l’introduction avec Simon, Kirby et toute une partie du staff de DC Comics intégrés dans le récit. On remarquera d’ailleurs que dans la scène l’écriture de Joe Simon trahit un peu une barrière entre les créatifs et les administratifs. Simon et Kirby vont jusqu’à pleurer en apprenant la mort supposée de leurs personnages. Les responsables de DC, eux, sont furieux et seulement parce que la disparition des héros va leur causer un problème de production. Peu leur importe que des héros soient tombés au champ d’honneur. Bien sûr, il y a de la caricature mais cette différence, cette représentation antipathique des gens de DC est intéressante en soi. Y compris par le fait que les gens de DC eux-mêmes l’aient laissé passer. « Satan porte une Swastika » est également notable pour l’espèce de « non-crossover » qu’il met en place à l’intérieur de l’univers rapproché de Simon & Kirby chez DC. Les gamins de la Newsboy Legion (sans leur mentor le Guardian) ne rencontrent pas directement Joe Simon et Jack Kirby. Cet honneur est réservé au Sandman qui promet d’enquêter mais n’est jamais montré en train de croiser les Boy Commandos. Il ne manque guère à l’appel que le Manhunter, autre personnage que Simon & Kirby produisaient pour DC depuis le printemps 1942. Cet étrange ballet où les personnages existent dans un même contexte sans réellement se croiser directement préfigure déjà ce que fera Grant Morrison des décennies plus tard à travers des projets comme ses Seven Soldiers (qui d’ailleurs comportent une version réinventée de la Newsboy Legion, la Newsboy Army, ainsi qu’un Guardian modernisé).

Les Boy Commandos, eux, parurent jusqu’à la fin des années 40. Mais forcément ces personnages très liés à la seconde guerre mondiale passèrent de mode graduellement après la fin du conflit. Rip Carter rentra s’installer aux USA, devenant le tuteur légal des Boy Commandos. Dans l’après-guerre la fine équipe ne travaillait plus pour l’armée. Démobilisé, Rip Carter avait rejoint une « police internationale » au sein de laquelle les quatre enfants l’aidaient. En décembre 1949 (alors que Simon & Kirby étaient partis depuis longtemps vers d’autres projets), le tout dernier épisode de la série tenta de reformuler le concept comme une sorte de « club des cinq » ayant des aventures merveilleuses (cela dit même à l’époque Simon/Kirby il était arrivé que les Boy Commandos flirtent ouvertement avec la science-fiction). Un des enfants inventait un véhicule à mi-chemin entre la voiture et la fusée spatiale nommé l’Atomobile, visiblement destiné à être utilisé dans toutes leurs aventures futures. Comme nous l’avons vu en début de cet article les Boys Commandos et la Newsboy Legion étaient des quatuors très similaires et de manière intéressante. Et de manière assez intéressante, quand Jack Kirby ramènerait cette Légion (d’abord sous la forme des enfants contemporains des légionnaires originaux) dans Superman’s Pal Jimmy Olsen #133 (1970), il les affublerait d’un véhicule assez similaire à l’Atomobile, le Whiz Wagon. Quelques mois plus tard Kirby pousserait le concept encore plus loin en inventant le Super-Cycle des Forever People, personnages liés aux New Gods et à son « Fourth World » chez DC… Il existe une autre ramification entre les Boy Commandos et ce Fourth World. En 1971 (dans New Gods #5) Jack Kirby allait introduire le détective Turpin, un personnage fort en gueule reconnaissable à son chapeau melon (On retrouve d’ailleurs plus récemment Turpin dans Final Crisis, où son corps est converti en réceptacle du dieu Darkseid). Comme le nom civil de « Brooklyn » (le membre des Boy Commandos qui portait lui aussi un chapeau melon) n’avait jamais été déterminé, il fut plus tard décidé que « Brooklyn » et Turpin n’étaient qu’un seul et même personnage à des époques différentes de sa vie…

Rip Carter, le mentor des Boy Commandos vaut qu’on s’y arrête également car rétrospectivement son nom ouvre la porte à un lien de parenté avec le voyageur temporel Booster Gold (de son vrai nom Michael Jon Carter). La chose est étayée par certaines révélations dans la série de Booster (cliquez sur « show » pour voir ce qui en VF me semble un spoiler) [spoiler] (il est révélé que Rip Hunter, expert du voyage dans le temps, est en fait secrètement le fils de Booster qui cache son origine familiale de peur que d’autres voyageurs temporels n’empêchent sa naissance. Cette révélation fait donc que le vrai nom de « Rip Hunter » serait « Rip Carter ». Au pire il s’agit d’une homonymie accidentelle qu’aucun scénariste n’a planifié, au mieux cette révélation ouvre deux situations potentielles. Soit le Rip Carter des Boy Commandos est un ancêtre de la famille Carter et auquel cas à une date future Booster nommera son fils en souvenir de cet aïeul héroïque soit il faut rétroactivement comprendre que le Rip Carter des années 40 et Rip Hunter ne sont qu’une seule et même personne, le voyageur temporel ayant alors choisi de séjourner durablement à l’époque de la seconde guerre mondiale pour une raison qui resterait inexpliquée) [/spoiler] . Et la chose aurait l’avantage d’expliquer comment quatre gamins des années 40 ont trouvé le moyen de fabriquer un véhicule si futuriste que l’Atomobile. Le côté « transgression de la réalité » de Boy Commandos #1, qui nous intéresse plus particulièrement dans cette épisode allait prendre avoir d’autres retombées dans les décennies suivantes. D’abord  parce que Simon & Kirby allaient finalement « sauver » l’Agent Axis dans d’autres épisodes des Boy Commandos (la scène du pied-bot dans les décombres ne représentait donc pas un cadavre. Ou bien il y avait un autre pied-bot dans l’immeuble de la Gestapo au moment de l’explosion). Il serait révélé que l’Agent Axis était en fait deux personnes, y compris une jeune nazie qui finalement allait vaguement s’éprendre du Capitaine Rip Carter dans les épisodes futurs. D’abord, à partir du moment où l’Agent Axis est révélé comme étant une femme qui se fait passer pour un homme, il est intéressant de rapprocher Boy Commandos #1 du Young Allies #1 que Timely Comics avait publié l’année précédente, quand Simon & Kirby travaillaient encore pour cet autre éditeur. Dans Young Allies #1, les jeunes héros traversent le monde pour aller jusqu’à Berlin, pour aider un agent double nommé l’Agent Zéro qui se trouve être une femme (Betty Ross, l’agent de liaison entre les services secrets et Captain America dans les années 40). Sans que les histoires soient identiques, Boy Commandos #1 fait quand même un peu écho à l’aventure des Young Allies.

Bien des années plus tard, il y allait avoir une confusion qui allait donner une autre vie à l’Agent Axis chez… Marvel. Dans Tales of Suspense #82 (octobre 1966), à l’intérieur d’une histoire scénarisée par Stan Lee et Jack Kirby (une moitié de l’équipe créative derrière Boy Commandos #1, donc), Captain America délire et voit des hallucinations correspondant à divers adversaires de son passé. Parmi eux il reconnaît l’Agent Axis, qu’il avait laissé pour mort pendant la guerre. Problème : il n’y a jamais eu le moindre ennemi nommé Agent Axis chez Marvel pendant les récits effectivement publiés dans les années 40. Et le personnage dans l’hallucination ressemble bien au nazi vu dans Boy Commandos #1 (encore qu’il est possible qu’une confusion soit survenue avec le Man With No Face, un adversaire de Captain America dans les années 50 qui avait la même allure qu’Agent Axis). Captain America se souvenait donc d’un ennemi que non seulement il n’avait rencontré mais qui en plus, à la base, venait de l’univers de la concurrence ! L’erreur allait devenir d’autant plus flagrante que DC Comics allait réimprimer les Boy Commandos dans les années 70 et que les lecteurs de Marvel se demandant depuis 1966 d’où sortait cet Agent Axis dans la carrière de Captain America allaient revoir son origine version DC. Il reviendrait à Roy Thomas d’inventer de manière apocryphe un Agent Axis dans le Golden Age de Marvel. Dans les pages des Invaders, le scénariste expliquerait donc que le personnage mystérieux existait bien dans l’univers Marvel mais qu’il avait simplement été un adversaire des Invaders. Dans la version Marvel il était la personnification des forces de l’Axe, un être hybride né de la fusion de trois espions (un allemand, un japonais et un italien). Il ne restait donc plus qu’à raconter ses combats passés avec les Invaders dans la série concernée… et le personnage s’échappait ainsi de l’univers DC…

[Xavier Fournier]

P.S. : Comme c’est le 150ème Oldies But Goodies et que ça commence à faire quand même quelques articles, marquons un peu le coup pour orienter le contenu des futures chroniques. Quels sont les Oldies que vous avez préféré pour l’instant ?

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