Oldies But Goodies: Brave & The Bold #25 (Août 1959)

[FRENCH] Dans l’été 1959 quatre aventuriers vont s’élancer dans une fusée initialement prévue pour un vol lunaire. Le quatuor se spécialisera par la suite dans la lutte contre les monstres en tous genre mais… il ne s’agit pourtant pas des Fantastic Four puisque nous sommes alors deux ans avant l’invention de ces derniers. Et qui plus est le comic-book dont il est question est publié chez DC. Non, le premier Suicide Squad de DC est une sorte de chaînon manquant, empruntant à diverses influences tout en se permettant de précéder de plusieurs décennies… l’une des scènes finales du Titanic de James Cameron. Vous ne pensez pas que cela vaut qu’on s’y intéresse de plus près ?

A la fin des années 50, DC Comics aimait à suivre un exemple qui avait fait ses preuves: L’introduction du Flash du Silver Age (Barry Allen) s’était déroulée de façon discrète dans Showcase #4, une série « vitrine » qui n’avait pas de vedette fixe. Deux numéros plus tard, ce sont les Challengers of The Unknow (une création de Jack Kirby) qui allaient être ainsi introduits avant d’être promus dans un magazine portant leur nom. Le principe de la vitrine permettait à l’éditeur de pouvoir tester un nouveau héros et, si le succès était au rendez-vous, lui donner sa propre série. Dans le cas contraire le personnage était promptement oublié au bout de quelques épisodes et on le remplaçait par un autre. Cette formule de revue était finalement un peu aux comic-books ce que le radio-crochet était à la chanson. Chaque nouveau personnage avait droit à sa chance mais en cas d’échec, il suffisait de faire comme s’il n’avait jamais existé et il semblait comme rayé de la mémoire collective au bénéfice d’un remplaçant arrivant le mois suivant. Showcase n’était pas le seul titre à fonctionner selon ce régime. Brave & The Bold (qui est plutôt resté dans les mémoires, plus tard, comme un titre où Batman rencontrait à chaque fois un héros différent) suivait la même formule. A la différence qu’en ces années-là son contenu s’orientait plus vers les récits d’aventures et tournait le dos aux super-héros classiques. C’est ainsi qu’en août 1959 les lecteurs découvrant le nouveau numéro (#25) de Brave & The Bold firent la connaissance du Suicide Squad, présenté sur la couverture comme étant « l’arme secrète de l’Amérique ». Chaque mission était supposée être un rapport jamais rendu public jusqu’ici. Et ces missions promettaient d’être pour le moins pittoresques puisque ces couverture montrait une sorte de patte de lézard géant traversant un iceberg tandis que trois personnages paramilitaires et une jeune femme blonde tentaient de repousser le monstre…

A l’intérieur, sur la page d’introduction la situation était encore plus spectaculaire. La tradition de DC à l’époque voulait en effet qu’on pique l’intérêt du lecteur sur la couverture mais aussi qu’on passe une sorte de seconde couche sur la première page, comme si le « film » avait déjà commencé, avant d’attaquer l’histoire pour de bon sur la seconde page). Et là, donc, on voyait le monstre dans toute sa splendeur. Une sorte de dinosaure géant (un proche cousin de Godzilla à qui on aurait collé une corne sur le museau) détruisait un parc d’attraction sous l’oeil catastrophé des quatre personnages déjà rencontré sur la couverture. Des héros dont on n’avait jamais entendu parler jusqu’ici puisque le commentaire nous expliquait que l’existence de la Task Force X était un secret farouchement gardé. L’équipe était une unité de combat créée pour repousser les menaces qui défiaient les méthodes conventionnelles. Une unité tellement habituée à prendre des risques qu’elle avait fini par recevoir pour nom de code l’expression « Suicide Squad ». Et ce qu’on nous proposait de découvrir, c’était le récit de leur première aventure, intitulée mystérieusement les « trois vagues de la fatalité ».

Tout commence dans un laboratoire où un séismographe capte les signes d’un violent tremblement de terre sous l’océan. Les scientifiques se félicitent qu’il se soit déroulé trop loin des côtes pour présenter un réel danger. Et pourtant dans les profondeurs océaniques une étrange vague rouge prend naissance. Un peu plus tard trois membres d’un club « d’ours polaires » (ces nageurs qui aiment à prendre un bain en plein hiver dans les eaux glacées sort innocemment sur la plage, en notant comment le froid est assez fort pour que leur respiration « gèle » à l’air libre.

Quand ils écoutent une grosse vague arriver vers eux ils se retournent et voient… la grande vague rouge née un peu plus tôt lors du séisme. Non seulement elle irradie de façon écarlate mais elle émet visiblement une grande chaleur. Terrifiés, les nageurs courent sur la plage pour échapper à l’étrange phénomène. Heureusement pour eux, ils arrivent à trouver refuge sur un ponton au moment où la vague rouge frappe le rivage. Et la chaleur de cette « eau écarlate » est telle qu’elle vitrifie le sable et qu’elle commence à mettre le feu aux piliers du ponton. Cette eau se comporte comme une marée de lave. Rapidement les pompiers arrivent et tentent de refroidir la vague rouge mais elle chauffe tellement que l’eau des secours se transforme en vapeur. Le matériel des pompiers est vite détruit et ils s’enfuient. Les autorités envoient alors un escadron de bombardiers avec l’ordre de détruire la vague avec des « bombes anti-incendiaires ». Bon à ce stade, il est déjà intéressant de noter la rapidité de l’escalade et comment d’un simple phénomène inexpliqué qui résiste aux pompiers on passe à un ordre de bombarder alors qu’on ignore totalement l’effet que pourrait avoir une bombe sur une telle anomalie physique… Les bombes sont larguées mais n’ont absolument aucun effet. Pire, un des avions est touché par les flammes (cela vous donne une idée de la hauteur de l’incendie) et s’écrase. La vague rouge continue d’avancer (non sans rappeler une version incendiaire de la substance vue dans le film The Blob) et de tout ravager sur son passage. Au poste de commande ces mauvaises nouvelles provoquent une réaction unanime : « Une seule unité peut être appelée maintenant ! C’est pour ce genre de chose qu’elle a été créée ! Le Suicide Squad ! ». Ce à quoi un militaire rétorque « Appelez Task Force X ! ».

Très vite l’alerte est captée par un avion unique en son genre, équipé de « tous les appareils que la science peu créer ». Aux commandes de cet engin, surnommé le « Laboratoire Volant » se trouve le Colonel Rick Flag, qui écoute le briefing lié à l’étrange vague dotée d’un centre rouge. Un centre rouge ? L’expression plonge le patron du Suicide Squad dans ses souvenir. Un « centre rouge », c’est ce que l’ennemi avait pour emblème, pendant la guerre, dans le Pacifique (vous comprendrez que l’ennemi était japonais et que le conflit concerné était la seconde guerre mondiale). Rick Flag était le plus jeune membre de l’escadron mais le combat fut meurtrier. Tous les compagnons d’armes de Flag disparurent et le jeune homme était le dernier encore en l’air quand dans ses écouteurs retentit la voix d’un des autres pilotes, quelques secondes avant que l’homme ne s’écrase : « C’est à ton tour maintenant Rick ! Continue… pour nous ! ». Poussé par une ferveur mi-héroïque mi suicidaire, Rick Flag poussa son avion vers la cible, un énorme porte-avion, et arriva à le détruire avec une bombe bien placée, tirée en souvenir de ses amis qui venaient de donner leur vie. Depuis, Rick Flag était devenu un héros de guerre, continuant de se battre (en souvenir des hommes tombés) comme membre du Suicide Squad.

Rick est tiré de ses souvenirs par l’arrivée de sa co-équipière, la jolie Karin. Un poil macho, Rick Flag regrette alors à haute voix que Karin les accompagne dans cette mission qui risque d’être dure mais la femme lui oppose que tout comme leurs compagnons Jess Bright et le Docteur Evans (les deux autres membres du Suicide Squad posté à l’arrière de l’avion) elle a gagné sa place dans l’équipe. Alors que le « Laboratoire Volant » approche de la vague rouge, cependant, l’engin est pris dans les tourbillons d’air chaud dégagés par le phénomène et commence à piquer du nez comme s’il allait s’écraser. Hé, mais ne me dite pas que le Suicide Squad va mourir là, alors que nous n’en sommes qu’à la huitième page de la BD alors que nous avons encore toute une histoire à meubler ? On verra.

Mais alors qu’ils plongent vers une mort en apparence certaine, c’est au tour de Karin, « l’adorable infirmière », se remémorer les circonstances qui ont fait d’elle un membre du Suicide Squad. Car justement tout a commencé pour elle par le crash d’un avion-ambulance qui la transportait au dessus du Pacifique pendant la guerre. Une nouvelle fois il s’agit bien de la seconde guerre mondiale ce qui mine de rien (vu que l’action contemporaine se déroule en 1959) fait de Karin une femme qui a aux alentours d’une quarantaine d’années (soit un peu plus que la moyenne des aventurières vues dans les comics à cette époque). L’avion-ambulance se coucha sur la surface de l’océan, donnant à Karin l’occasion de se coucher sur un bout d’aile. Mais la catastrophe n’était pas une raison pour mettre un terme à ses penchants héroïques. Elle tenta de hisser à ses côtés un soldat blessé (sans doute un des patients que transportait l’avion-ambulance). Et là, attention, sortez vos disques de Céline Dion ou révisez vos DVD de James Cameron mais la scène qui suit devrait vous être familière : Alors que Karin tente de faire monter l’homme à ses côtés, ce dernier repousse sa main : « Vous êtes un ange, infirmière, mais je ne vais pas vous laisser couler avec moi… C’est la seule manière… Combattez-les pour moi… ». Et le soldat se laisse sombrer, se sacrifiant pour que la jeune femme vive tout en l’encourageant à vivre d’une certaine manière pour lui. Autant dire que c’est une des scènes finales du Titanic de Cameron qu’on nous joue là, en 1959… Et si vous vous posez la question, non, je ne pense pas que Cameron (lecteur de comics avéré, il y a des allusions plus précises dans plusieurs autres de ses films) soit allé « pomper » une scène parue dans un comic-book paru plusieurs décennies avant son film et dont le thème est si éloigné de son sujet. Tout ça est plutôt à mettre sur le dos sur une exploitation commune des mêmes archétypes héroïques. Suite à cet événement Karin est devenue elle aussi une héroïne hors normes, spécialisée dans la médecine aérienne (on la voit participer à un vol en apesanteur) et finalement sélectionnée comme second membre de la Task Force 4 : Le Suicide Squad. Au passage on notera que dans cette scène on nous parle de « Task Force 4 » (et non pas « Task Force X », qui est l’expression généralement utilisée), une terminologie qui positionne encore un peu plus le Suicide Squad comme une sorte de stade de l’évolution entre les Challengers of The Unknow et les Fantastic Four.

Enfin  quand même. En digne descendante d’Eve, on nous montre dans un autre flash-back que Karin aurait bien envie d’arrêter l’héroïsme à tout va et de convoler avec son cher Rick Flag, que le reste n’a pas d’importance. Mais c’est Rick, droit comme un « i » qui refuse de se laisser détourner de sa mission : « Tu as tort Karin ! Notre devoir est plus important ! As-tu oublié les promesses faites à ceux qui ont donné leurs vies pour nous ? Comment pourrions nous tenir notre parole si nous nous mettons à penser à nous-mêmes ». Bref, Karin est héroïque, d’accord,  mais s’il y avait moyen de batifoler, elle laisserait tout tomber. Encore heureux que Rick Flag n’est du genre à se laisser distraire par la bagatelle. On notera d’ailleurs que la dynamique qui s’installe entre ces deux-là n’est pas très éloignée des rapports entre Wonder Woman et le militaire Steve Trevor (sauf que dans le cas de Wonder Woman des années 40-60, c’est la femme qui refuse d’épouser l’homme car elle préfère faire passer avant son devoir héroïque). D’ailleurs le Colonel Rick Flag est pratiquement le sosie de Steve Trevor, le fiancé traditionnel de Wonder Woman. Et ce n’est pas tout à fait un hasard puisque le Suicide Squad de 1959 est lancé par Bob Kanigher et Ross Andru, qui formaient par ailleurs à la même époque l’équipe créative de la série Wonder Woman. Le tandem formé par le scénariste Robert Kanigher et le dessinateur Ross Andru n’est sans doute pas très familier pour les lecteurs contemporains. Pourtant, il vaut qu’on s’y arrête : Les deux auteurs collaborèrent de façon régulière à partir de 1954 (Our Army At War #27) et le début des sixties. Ensemble, ils travaillèrent pendant des années sur des titres de guerre mais aussi de manière durable sur la série Wonder Woman. Ils co-créèrent les Metal Men tout comme, donc, le premier Suicide Squad de DC dont nous parlons dans ces lignes. Et leurs cursus individuels sont loin d’être pitoyables puisque Kanigher co-créa le personnage de Sgt. Rock tandis que Ross Andru est plus connu des Marvelophiles pour son passage sur la série Amazing Spider-Man (où il a co-créé, excusez du peu, le Punisher). Bref, Kanigher et Andru ne marquent peut-être pas autant les esprits modernes que des tandems comme Stan Lee & Jack Kirby ou Mark Millar & Bryan Hitch mais à la jonction des années 50 et 60 il s’agissait d’un duo à la fois solide, régulier et productif, d’autant plus que Kanigher était son propre responsable éditorial chez DC (imaginez si Millar avait également le poste d’éditeur d’une des gammes de Marvel). Rick Flagg et Karin ont tout des héros de guerre que Kanigher et Andru auraient pu inventer dans les pages de Our Army At War, affublés des relations sentimentales empruntées à Wonder Woman et son boyfriend. Ce sont de purs produits du duo Kanigher/Andru et en quelque sorte une synthèse même de leur style commun.

Restent les deux autres membres du Suicide Squad dont nous ignorons encore les origines. Non, décidément ils ne peuvent donc pas mourir comme cela. Alors que Jess et le docteur Evans sont en train de se repasser les bandes de la scène du bombardement raté de la vague rouge, ils en viennent à se demander quel effet auraient eu leurs bombes à eux, d’un type différent, s’ils avaient pu les larguer sur la cible. Heureusement c’est à ce moment-là que Rick Flag arrive à reprendre les commandes de l’appareil. A peine l’avion redressé, les bombes sont larguées… Qui causent une grande explosion mais la vague rouge est toujours là. Les deux scientifiques à l’arrière de l’avion proposent alors un vol en rase motte… Ce qui est suicidaire mais bon, vu le nom de leur unité, autant dire que c’est la marche à suivre… Jess et Evans veulent profiter de ce second passage pour attaquer la vague avec une température tombée au zéro absolu. Très vite le Laboratoire Volant se met à projeter des colonnes d’air gelé et la vague, en dessous, prend la consistance de la glace. Karin s’écrie : « C’est terminé ! C’est terminé ! ». Au sol, l’état-major s’exclame « Qui d’autre aurait pu faire ça en dehors du Suicide Squad ! ». Ce qui interroge quand même puisqu’on est supposé nous raconter la première mission de l’Escadron Suicide. Comment expliquer qu’ils aient déjà une telle réputation datant d’avant la vague rouge ? Pour l’heure cette première aventure n’est pas vraiment terminée, malgré ce que peut en penser la belle Karin. Jess et Evans restent au pied du nouveau glacier pour faire les tests nécessaires tout en se demandant si une « transformation nucléaire » n’est pas à la base du comportement de cette masse mystérieuse. Et Evans et plus que soupçonneux en apercevant une sorte de forme à l’intérieur de la glace.

Et Rick et Karin ? Ils sont déjà partis vers leur prochain défi, sur une base secrète de lancement : la fusée Hope One ! Car le quatuor a une fusée avec laquelle il pense bientôt faire le premier vol habité vers la Lune ! Les quatre aventuriers sont de futurs astronautes ! Cela ne vous évoque pas quatre autres héros intrépides lancés dans la course aux étoiles ? Finalement le Suicide Squad, c’est un peu comme les Fantastic Four si ce n’est que dans le cas qui nous intéresse aujourd’hui c’est le pilote qui est le leader naturel du quatuor (de même que le leader des Challengers de l’Inconnu est le pilote Ace) tandis que le scientifique occupe le second plan. Le Suicide Squad, c’est un peu comme un prototype des Fantastic Four où l’équivalent de Ben Grimm serait le chef. Enfin toutes ces histoires de vol dans l’espace restent à l’état de projet car voyez-vous les membres du Suicide Squad sont quand même un peu plus prudents que ceux des Fantastiques. Le premier vol de la fusée se fera avec des mannequins. Rick et les autres attendront que ce test se passe bien avant de tenter un vol habité… Sur le chemin du retour pour aller récupérer Jess et Evans, Karin profite d’être à nouveau seule avec Rick pour remettre les histoires d’amour sur le tapis. Mais le pilote refuse d’aller plus loin. Il ne fera rien qui mettrait en danger la dynamique du groupe.

Au glacier, les deux scientifiques avouent à leurs co-équipiers qu’ils n’ont rien trouvé de précis mais qu’ils sont pour le moins dérangés par la silhouette qu’ils voient dans la glace. Et c’est à ce moment-là qu’une grande patte travers la glace, libérant le monstre qu’on nous promettait sur la couverture ainsi que sur la première page de l’épisode. « Cette chose devait dormir ! Le choc du froid extrême après la chaleur intense… Tout ça a du la ranimer ! » s’écrie un des deux savants. Rick, plus pragmatique, vide le chargeur de son pistolet sur la créature sans obtenir d’effet notable. Les voici face à une sorte de Godzilla…

En fait cette aventure du Suicide Squad est sans doute pour une bonne part un hommage appuyé aux films de monstres sortis juste avant la conception de l’épisode. Tandis que la « vague » rouge imitait The Blob (sorti aux USA en septembre 1958, soit quelques mois avant l’écriture de ce comic-book), le lézard géant est une réelle allusion à Godzilla (le premier des films consacré au lézard géant du Japon était sorti en 1956 aux USA tandis que sa suite, Gojira no gyakushû, était sortie an Amérique le 21 mai 1959. Autant dire que les concepteurs de la BD avait les affiches du film sous les nez alors qu’ils oeuvraient sur les débuts du Suicide Squad). Ce qui est ironique, aussi, c’est que Godzilla est bien souvent vu comme une sorte de parabole inventée par le cinéma japonais pour symboliser les destructions apportées par les bombes atomiques américaines. Ici, vous aurez remarqué qu’en plusieurs endroits que le lézard géant est associé par ces héros américains à des souvenirs liés à la destruction causée pendant la guerre par des adversaires japonais. Au premier degré, la différence majeure entre Godzilla et le monstre unicorne découvert par l’Escadron Suicide, c’est que le lézard des films crachait une sorte de flamme tandis que celui de la BD gèle tout ce qu’il touche. Bien vite les aventuriers (courageux mais quand même pas aussi suicidaires que pourrait le laisser croire leur nom) battent en retraite et s’enfuient à bord du « Laboratoire Volant », poursuivis par le monstre. A l’intérieur de l’avion Evans et Jess théorisent que les deux menaces affrontées jusqu’ici sont une seule et même créature qui s’adapte et devient de plus en plus dangereuse. Les savants décident alors d’explorer toutes les options possibles…

A la base le Suicide Squad pensait servir d’appât et entraîner la bête loin des côtes américaines mais en arrivant près de l’océan, la chose s’empare d’un sous-marin comme d’un jouet minuscule et le gèle. Acculés aux solutions les plus extrêmes Rick et Karin décident alors de larguer une bombe nucléaire (ils ont vraiment de tout à l’intérieur du Laboratoire Volant !) sur le monstre. Mais le lézard géant a des réflexes aiguisés. Il s’empare de la bombe en plein vole et la gèle immédiatement. Réduite à une masse glacée sans aucun mécanisme fonctionnel, la bombe n’explose pas. A l’arrière de l’avion les savants évoquent alors l’idée de mimer les effets du sel sur la glace à base d’une solution spéciale. Solution qu’ils peuvent bien sûr préparer dans le Laboratoire Volant et larguer sur la créature pour tenter de la priver de ses pouvoirs « glaciaux ». Mais la solution provoque un effet secondaire inattendu. Le lézard, qui était jusqu’ici violet, tourne au vert et, alors qu’il continue de poursuivre l’avion, il enjambe une forêt qu’il rend… blanche ! La bête a donc évolué. Elle ne projette plus du froid mais absorbe la chlorophylle.

De leur avion, Jess et Evans sont à leur tour pris par leurs souvenirs. La vision de la forêt blanche leur remémore un accident passé, quand une bombe nucléaire avait explosé trop tôt. Jess et Evans étaient en route vers un site de test nucléaire quand leur jeep est tombé en panne, les empêchant de finir le voyage. Et tant mieux pour eux car la bombe s’étant déclenchée trop tôt, elle irradia le personnel présent. Arrivant sur les lieux, Jess et Evans ne purent s’approcher, le compteur Geiger leur apprenant que le niveau de radiation était trop élevé. Une bombe qui se déclenche trop tôt ? Une voiture à l’arrêt ? On se croirait presque dans l’expérience de la bombe Gamma (celle qui a créé Hulk quelques années plus tard), d’autant que lorsque les deux scientifiques approchent des baraquements irradiés, la lumière vire au vert. De loin, la voix d’un mourant les prévient de ne pas approcher mais leur demande de « continuer pour eux ». Au passage, vu que rien n’explique dans l’épisode quelle est l’origine première de la vague rouge qui se transforme ensuite en lézard, il n’aurait pas été déplacé d’expliquer que la créature pouvait être une sorte de mutation due à cette catastrophe nucléaire ancienne. Quoi qu’il en soit, au terme de cette troisième partie des origines de l’équipe, le leitmotiv du Suicide Squad est donc que tous les membres de l’équipe ont vu quelqu’un mourir à leur place ou les sauver et qu’ils s’emploient à se montrer digne de ce sacrifice. Il s’agît d’une variante des origines des Challengers of the Unknow qui eux manquaient de mourir dans un accident d’avion et qui, constatant que leurs montres étaient cassées, décidaient de mettre au service de l’humanité « le temps supplémentaire » dont ils disposaient. Quand à savoir pourquoi la vision de la forêt blanche rappelle à Jess et au Docteur Evans cet accident nucléaire qui n’a rien à voir, allez savoir…

En fait ce sens de la fatalité a aussi une autre source « hors comics ». Le Suicide Squad de DC devait son nom et une partie de sa philosophie à un autre groupe paru 20 ans plus tôt dans les pages d’une revue « pulp » nommée « Ace G-Man ». Créé par le romancier Emile C. Tepperman, le Suicide Squad de 1939 était une organisation ultrasecrète, décrite ainsi dès leur première aventure: Depuis plusieurs années courent des rumeurs à Washington que le FBI a un Suicide Squad – un groupe d’hommes qui n’ont pas de tâches régulières mais qui attendent l’inévitable mission d’où il n’y aura pas de retour » (et la tonalité est finalement assez proche de la scène d’intro de Brave & The Bold #25, quand on y mentionne pour la première fois le Suicide Squad de Rick Flag). Pour appuyer sur le côté « fatal » de l’appartenance à ce groupe secret Tepperman écrivait: « Six mois plus tôt ils étaient cinq. Deux mois plus tôt ils n’étaient plus que quatre. Maintenant ils étaient trois ». Stephen Klaw, Johnny Kerrygan et Dan Murdoch étaient trois agents très spéciaux, de fortes têtes qui ne suivaient pas les règles établies de la hiérarchie mais qui étaient tellement habitués à travailler ensemble qu’ils étaient pratiquement en symbiose. Le trio était tellement conscient d’être condamné à mourir dans le feu de l’action que leur philosophie était toute entière tournée vers l’instant présent. Pour exemple on nous expliquait dès la première nouvelle qu’ils ne s’encombraient jamais de bagages ou qu’ils n’allaient jamais à la blanchisserie. Financièrement à l’abri du besoin, ils se contentaient de jeter leur linge sale et d’acheter des vêtements neufs. Ce Suicide Squad deviendrait vite la vedette d’Ace G-Man, Klaw, Kerrygan et Murdoch vivant un peu plus d’une vingtaine d’aventures entre 1939 et 1943. Le Suicide Squad de 1939 était essentiellement une sorte de GIGN en plus pittoresque, spécialisé dans la chasse aux gangsters et saboteurs nazis. Moins porté vers le fantastique, il ne combattait pas des dinosaures géants comme son homologue de 1959. Et pourtant les points communs sont trop poussés pour qu’on mette tout ça sur le dos de la coïncidence. Robert Kanigher savait forcément ce qu’il savait en écrivant Brave & The Bold # 25… Et comme par la suite, après la version « Rick Flag », DC a introduit diverses autres incarnations du Suicide Squad, il n’est pas impossible d’imaginer qu’à un niveau symbolique Klaw, Kerrygan et Murdoch avait été membres de la première génération de la Task Force X avant de disparaître en 1943 (date de la fin de la parution de leurs aventures). En poussant un peu on peut même imaginer que Klaw, Kerrygan et Murdoch sont les co-équipiers de Flag dans la scène du combat dans le Pacifique. Ils se seraient sacrifiés en demandant à Flag de continuer… DC n’a jamais totalement assumé le lien, mais s’il devait exister, le placer ici, dans ce passage de Brave & The Bold #25 serait parfait…

Brave & The Bold #25, justement ! Revenons-y… Après la nouvelle métamorphose du lézard géant, Le Suicide Squad est désormais bien conscient que tous les attaques n’ont fait qu’une chose : forcer l’évolution du monstre en quelque chose de différent. Mais comment faire pour s’en débarrasser vraiment ? Rick a soudain une idée. Il dirige l’avion vers la base secrète où les attends la fusée lunaire. Les membres de la Task Force X prennent place à bord (à la place des mannequins prévus pour le lancement) et attendent que le grand lézard vienne à proximité de la fusée pour s’en emparer. Quand le monstre monte sur l’engin, la fusée décolle avec les quatre membres du Suicide Squad à bord. Les voici devenus astronautes plus rapidement que prévu, par la force des choses…

Très vite la fusée (avec le lézard toujours perché dessus) prend la direction de la Lune mais Karin objecte : « Nous ne pouvons pas nous poser sur la Lune ! Pas avec cette chose encore sur nous ! Qui sait quelle nouvelle forme elle pourrait prendre ? Quelle nouvelle menace ? ». Et Rick poursuit « Nous sommes encore trop près de la Terre. Nous devons allez plus loin ». Dépassant la Lune, la Task Force X s’enfonce alors dans l’espace, en direction du Soleil. Là, le talent de pilote de Rick lui permet de faire une sorte de dérapage contrôlé avec la fusée et le lézard est éjecté dans l’astre solaire. Ils en sont débarrassés ! Tandis qu’une partie du Suicide Squad se réjouit qu’ils se soient débarrassés de la menace et qu’ils soient enfin libres, leur chef tempère : « Libre ? Nous sommes à 90 millions de miles de la Terre ! ». Avec abnégation, tandis que le cadavre du lézard géant devient une sorte de nouveau planétoïde en orbite autour du Soleil, l’équipe prend d’abord soin d’envoyer à la Terre toutes les informations qu’elle peut sur les effets que ce « vol solaire » peut avoir sur eux. Ce qui fait que finalement, à mi-mots, le Suicide Squad insinue donc que la proximité du Soleil pourrait avoir un effet sur leur organisme… Mais c’est un pas que les auteurs ne sont pas prêts à franchir (dommage, car pour le coup quelque chose de vraiment très proche des Fantastic Four aurait pris naissance dès 1959 et dans l’univers DC en plus !).

L’épisode s’achève sur les quatre héros (surnommés les « Indomitable Four » dans le commentaire, ce qui renforcerait encore plus la ressemblance avec le quatuor plus tardif de Marvel) se préparant au voyage de retour dont l’issue semble incertaine, autant dire « suicidaire ». Ils seraient néanmoins de retour sur la terre ferme dès le numéro suivant, se spécialisant dans la lutte contre diverses créatures géantes. Mais la carrière première du groupe serait courte et ne durerait guère que trois épisodes avant d’être remplacé dès Brave & The Bold #28 par un concept que DC trouvait plus novateur : la Justice League of America qui faisait alors sa première aventure. Et voilà comment la JLA éclipsa les proto-Fantastic Four qui, sous cette forme du moins, n’eurent pas droit à leur propre série. La vraie période de gloire du nom « Suicide Squad » chez DC Comics ne viendrait que dans les années 80, juste après le crossover Legends, quand l’équipe (toujours dirigée par Rick mais métamorphosée en sorte de version costumée des Douze Salopards) recevrait son propre titre. Désormais elle était composée de super-villains recrutés de force pour faire les sales boulots du gouvernement américain (les Thunderbolts post Civil War, tels que réinventés par Mark Millar puis Warren Ellis s’en inspirèrent grandement). Et voilà comme ceux qui étaient passés à un cheveu d’être les Fantastic Four avant l’heure devinrent aussi, plus tard, les modèles des Thunderbolts, tout en faisant le lien avec un vieux concept des magazines « pulp » de 1939 et Godzilla… Une convergence d’influences qui donne plus d’importance historique au Suicide Squad de DC qu’on pourrait le croire au premier abord…

[Xavier Fournier]

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