Oldies But Goodies: Captain America Comics #17 (1942)
18 août 2012[FRENCH] En 1942 Captain America était déjà largement impliqué dans la Seconde Guerre Mondiale (après tout il avait anticipé la participation de l’Amérique au conflit). Mais il lui restait également du temps pour repousser des menaces un brin plus « exotiques ». Il combattrait ainsi les Sub-Earthmen, peuple dirigé par une certaine reine Medusa, reconnaissable à ses longs cheveux. Ce qui du coup n’est pas sans ouvrir des possibilités liées à l’univers Marvel moderne.
La page de présentation est spectaculaire : Bondissants hors d’une jeep, Captain America et son jeune auxiliaire Bucky s’apprêtent à combattre des guerriers dont le costume fait furieusement penser à celui du Ku-Klux-Klan. Mais ce qui ne manquera pas d’attirer d’abord l’œil du lecteur, ce sont bien les étranges montures de ces guerriers : des vers ! Des vers géants, monstrueux (le dessinateur a cru bon de leur rajouter des yeux pour leur donner une expression) et recouverts de ventouses, en un sens plus proches de chenilles. Et puis que l’épisode s’intitule « la revanche des Sub-Earthmen (terme qu’on pourrait traduire par « Sous-Terriens« ), inutile de vous le cacher plus longtemps : Ces chevaucheurs de vers sont bien les Sub-Earthmen en question…
Mais l’entrée en matière est bien plus tranquille que ce premier aperçu. Quelque part dans le Mid-Ouest l’armée organise des manœuvres militaires. Quelques reporters ont d’ailleurs été conviés à rapporter cette démonstration de force. Et c’est devant la presse que Steve Rogers (l’alter-ego de Captain America) et son faire-valoir Bucky Barnes supplient le sergent Duffy de les laisser participer à ces manœuvres. Mais Duffy est inflexible. Il ne veut pas d’eux ! Ils ont tout simplement manqué à l’appel trop souvent ! Et c’est vrai que, par la force des choses Captain America et Bucky sont souvent obligés de s’éclipser hors du camp pour aller combattre les odieux tueurs nazis ou japonais, s’aventurant même parfois jusqu’en Europe pour combattre les sbires d’Hitler. On comprendra qu’effectivement Rogers et Barnes ont du manquer à l’appel plus d’une fois et sur des périodes étendues. C’est d’ailleurs un poncif du genre : Quand Thor s’aventure longtemps sur Asgard, le médecin Don Blake ne s’occupe pas de ses patients. Quand Matt Murdock est Daredevil trop longtemps, les cas de ses clients en souffrent. Depuis le Silver Age les scénaristes font plus attention à ce genre de retombées. Mais pendant le Golden Age, c’était beaucoup plus rare. Ici le sergent Duffy (qui n’est pas au courant de la double identité du duo) nous offre un rare exemple de retombée tangible pour les absences de Rogers. Que le héros passe pour un poltron (un peu sur le modèle de Clark Kent se faisant passer pour un timoré afin de détourner les soupçons) c’était presque une tradition. Là, on voit clairement que la carrière de Rogers est remise en cause par ses activités secrètes.
Bref, Rogers et Barnes se prennent une engueulade caractérisée devant la presse. Un des journalistes commente alors la fainéantise supposée des deux soldats : « Vous voyez, c’est ce qui ne vas pas avec l’armée américaine ! Alors qu’en Allemagne… ». Un de ces confrères le coupe alors : « C’est n’importe quoi, Knutte ! Certaines fois je me dis que tu es un nazi au lieu d’être un reporter ! Tu critique toujours nos troupes !« . Ben voyons. Bien sur que non que ce cher Knutte n’est pas nazi… Entre son visage patibulaire, ses critiques de l’armée américaine et son nom à consonance germanique… Dans la vraie vie Knutte ne serait peut-être pas nazi (parce qu’il y avait des américains d’ascendance allemande qui n’avaient rien à voir avec les nazis). Mais dans les comics de l’époque, de tels clichés ne pouvaient être utilisés que pour mettre la puce à l’oreille…
Pendant ce temps, même si Steve et Bucky n’auront pas le droit de participer aux manœuvres en elles-mêmes, le sergent a trouvé un moyen de les utiliser indirectement. Il les a collés de corvée : les deux trouffions devront creuser les tranchées nécessaires à l’exercice. Et forcément ça ne fait pas le bonheur de Bucky. Mais soudain leur labeur est interrompu par un bruit d’explosion. Tout le camp semble ravagé par des déflagrations qui se succèdent. C’est comme si Steve et Bucky étaient au milieu d’un champ de mines en train de s’activer. Aussitôt les deux héros décident de céder la place à Captain America et Bucky. Ils s’élancent vers une partie du camp où un incendie est en train de prendre mais… surprennent trois hommes à l’allure suspecte qui sortent du dépôt de munitions. Immédiatement Captain America sait que ces trois-là sont les hommes qu’ils cherchent. Et il faut avouer qu’il ne faut pas sortir de Saint-Cyr pour les suspecter : les trois hommes en civil courent avec… des armes à la main ! Réalisant qu’ils ont deux super-héros à leurs trousses, les fuyards assomment un soldat et lui volent sa jeep. Captain America et Bucky, eux, sautent sur une moto. Alors que Bucky prend le temps de noter qu’ils n’ont pas utilisé de moto depuis une précédente aventure (la rencontre contre le « Satan de Satin »), ils se lancent à la poursuite des saboteurs. Ces derniers ne demanderaient pas mieux qu’ajouter le justicier étoilé à leur tableau de chasse. Ils tirent donc (y compris à coup de mitraillette) sur les héros. Heureusement Cap brandit son bouclier à l’avant de la moto, ce qui protège les deux héros des balles. Mais (et c’est un souci de réalisme finalement peu courant dans les comics de l’époque) pas la roue de la moto… L’engin qui transporte Cap et Bucky part donc dans le décor et la poursuite s’arrête donc par défaut. Ne pouvant rien faire de plus les héros décident de redevenir de simples soldats avant qu’on se rende compte de leur disparition…
Mais si ! On a bien remarqué qu’ils n’étaient plus là ! Quand Steve Rogers et Bucky rejoignent les autres soldats en demandant s’il y a des blessés, le Sergent Duffy les rassure d’abord. Il n’y a que des dégats matériels. Mais il les sermonne à nouveau ! Car au moment d’éteindre les incendies déclenchés par les explosions les deux trouffions étaient une nouvelle fois absents ! Duffy est furieux. Il les mettrait bien aux arrêts, pour les punir. Mais comme ils sont en déplacement en dehors de leur caserne habituelle (le Camp Lehigh), il n’y a pas de bâtiment prévu à cet effet ici. Duffy ne peut donc pas réellement les enfermer. Steve et Bucky échappent donc à la punition. Mais l’alter-ego de Captain America ne se réjouit pas réellement. Il est sur le qui-vive. Les saboteurs pourraient revenir pour terminer leur sale boulot !
En fait les répercussions des explosions du camp vont bien plus loin qu’on pourrait le penser. Les ondes de chocs se propagent sous terre… ravageant des galeries habitées par un peuple troglodyte, les Sub-Earthmen. C’est visiblement une civilisation primitive, qui n’a pas les moyens technologiques de comprendre ce qui lui arrive. Même si Timely ne publiait des comics que depuis 1939 et que ce qu’on pourrait étudier comme un univers partagé (bien qu’il ne fût pas pensé de la sorte à l’époque) n’avait que trois ans, la notion d’une race oubliée vivant sous la surface terrestre n’était pas inédite chez cette firme. Dans Mystic Comics #5 (Mars 1941) le géologue Bob Roland avait découvert sous un volcan le terrible Sub-Earth Man (au nom donc très voisin de nos Sub-Earthmen de Captain America Comics #17), un géant dirigeant un peuple nommé les Flame Men. Mais Sub-Earth Man et ses Flame Men était plus proches des futurs Lava Men (ennemis de Thor et des Vengeurs dans l’univers Marvel contemporain). Plus connu, Rockman (surnommé le « Underground Secret Agent« ) avait surgi des entrailles de la Terre dans USA Comics #1 (Août 1941). Comme de bien entendu Rockman venait d’Abyssmia, un royaume installé dans les profondeurs du sol. Tout çà est un peu compliqué par la maxi-série moderne (The Twelve de J. Michael Straczynski et Chris Weston), qui formalise de gros doutes concernant l’existence d’Abyssmia. Tout serait (peut-être) une invention du dénommé Rockman, qui serait en fait un humain de la surface ayant inventé toute l’histoire à la suite d’une dépression. Mais dans le même temps le script de J. Michael Straczynski laisse une porte ouverte au doute dans l’autre sens. Il est possible qu’Abyssmia existe, même si Rockman est le seul à y croire. Dans les années 40, cependant, il est certain que le royaume de Rockman était supposé exister. En tout cas à l’intérieur du récit.
Il serait donc tentant de fusionner les Sub-Earthmen avec l’Abyssmia de Rockman mais certaines choses ne collent pas. D’abord le peuple de Rockman est très avancé technologiquement et est très courant de ce qui se passe à la surface. Les Sub-Earthmen, eux, ressemblent à de véritables hommes préhistoriques. Pourtant les histoires de Rockman fournissent une certaine forme de justification pour l’existence parallèle de différents peuples souterrains : Dans USA Comics #3, Rockman affronte les Pixies, une race de nains qui vit également sous la surface. L’univers Marvel moderne a lui aussi établi l’existence d’un certain nombre de royaumes troglodytes concurrents. Le plus connu est celui de Mole Man (l’Homme-Taupe, bien connu des lecteurs des Quatre Fantastiques) qui dirige ses Moloïdes. On compte aussi les régions dirigées par Tyrannus (apparu dans Hulk vol. 1 #5, janvier 1963) ou par la Reine Kala (à l’origine une adversaire d’Iron Man dans Tales of Suspense #43, juillet 1963). Le principal obstacle à ces rapprochements c’est que Tyrannus dirige plutôt des êtres frêles, semblables à ceux de Mole Man. Et les sujets de la Reine Kala sont des descendants des atlantes, avec une culture qui emprunte à diverses cultures antiques évoluées… Alors que nos Sub-Earthmen, échevelés et primitifs, ne semblent pas avoir le moindre outil. Encore faut-il se souvenir qu’on les observe après que des explosions aient ravagé leurs tunnels… D’ailleurs, on va vite découvrir que les Sub-Earthmen ont une reine qui, elle, ne ressemble absolument pas à une échappée de la Préhistoire. Convaincus que leur dernière heure est venue, les troglodytes implorent en effet leur reine de les sauver. Une reine dont le nom ne peut qu’interpeller le lecteur moderne de Marvel puisqu’elle s’appelle… Medusa !
Medusa, de nos jours, c’est bien entendu le nom de la reine des Inhumans dans les aventures modernes des Quatre Fantastiques, reconnaissable à son ample chevelure rousse qu’elle peut animer selon sa volonté. Cette Medusa de 1942 est différente, tout en ménageant un certain nombre de points communs : La reine Medusa des Sub-Earthmen est vêtue d’une tunique verte, de bas résilles et de chaussures à talons. Et surtout elle porte une imposante masse de cheveux qui lui arrivent presque aux chevilles. Mais elle est brune (là où la Medusa des Inhumans est une rousse éclatante) et ne fait pas mine d’animer spécialement ses cheveux. Il ne peut donc s’agir du même personnage (même en imaginant une très improbable teinture des cheveux), qu’on observerait près de vingt ans avant sa création officielle dans les pages de Fantastic Four. Contrairement à son peuple, la reine Medusa est plus calme. Non, ils ne vont pas mourir… Car elle s’apprête à partager avec eux le secret du tunnel qui mène vers la surface. Les Sub-Earthmen sautent donc sur leurs montures, les créatures monstrueuses aperçues dans l’image de présentation : des vers de terre géants, qui tiennent autant de la chenille que du serpent. Tout ce petit monde monte donc vers le niveau du sol et débouche bientôt à la surface. En arrivant à l’air libre pour la première fois les Sub-Earthmen ne semblent pas spécialement étonnés de découvrir des choses comme la lumière du jour (d’ailleurs ayant vécu une existence troglodyte depuis des générations, ne devraient-ils pas être incapables de voir ?). Ils sont surtout heureux d’être sauvés !
La mention de vers géants pourrait faire penser aux romans de science-fiction de Frank Herbert se déroulant sur la planète Arrakis, parcourue par des « verts des sables » géants. Néanmoins Dune n’a été publié qu’à partir de 1965 et ne peut vraiment pas être considérée comme une inspiration pour le récit qui va suivre. Néanmoins ce n’est pas la littérature consacrée à des vers géants qui manque. On peut noter dès 1843 le Ver Vainqueur d’Edgar Allan Poe. Bram Stoker, lui, publie en 1911 « le repaire du ver blanc », évoquant un ver géant meurtrier pourvu d’yeux qui luisent dans le noir (et qui, du coup, ressemblerait comme un cousin aux créatures qui attaquent Captain America dans cet épisode). L’origine de ces vers-là est sans doute beaucoup plus précise. Mais nous y reviendront plus loin…
Pour en revenir à notre histoire les explosions ont continué. Et la toute dernière a pour effet de faire s’écrouler le tunnel d’où ils viennent d’émerger. Oubliant un peu vite que s’ils étaient restés en dessous ils seraient sans doute morts, les Sub-Earthmen paniquent : « Le tunnel secret s’est refermé ! Nous sommes perdus ! Nous ne pourrons jamais retourner sous terre ! ». Une nouvelle fois la reine Medusa appelle au calme. Elle explique qu’il y a bien longtemps son père lui a parlé des hommes de la surface. Un d’entre eux s’était aventuré parmi les Sub-Earthmen. C’est lui qui a appris au père de Medusa le langage du dessus. Une langue que Medusa elle aussi a apprise. Il ne reste donc plus qu’à chercher un des « hommes du dessus » pour établir le contact… Et un petit détachement se met en route, chevauchant toujours les hideux vers. Ce qui n’est pas franchement une bonne idée. En voyant arriver ces montures monstrueuses, un chasseur perd tout sang-froid et tire. Un des Sub-Earthmen est mortellement touché. Medusa ne comprend pas : « Mais je venais en paix… »
Plus tard, Steve et Bucky profitent d’une permission (tiens donc, vu le savon que leur a passé Duffy on les aurait cru privé de perm’ pour un bon bout de temps) pour aller feuilleter quelques comics (Marvel) au drugstore du coin. C’est là qu’ils écoutent une étrange histoire. Un chasseur explique qu’il a tiré sur des hommes qui chevauchaient d’énormes vers. Les autres clients du drugstore se moquent d’abord de lui. Puis, devant son insistance, ils décident d’avertir le shérif et de se rendre sur les lieux. Steve Rogers et Bucky décident alors de suivre le groupe, au cas où il y aurait quelque chose de vrai là dessous. En fait les deux personnages doivent se douter qu’il y a quelque chose de réel et pas seulement une hallucination de chasseur saoul. Car pendant que le sheriff et quelques curieux se rendent en voiture jusqu’à l’endroit, eux préfèrent enfiler leurs costumes de super-héros. Captain America et Bucky, pour ne pas rajouter à la curiosité, sont obligés d’y aller à pied, en courant sur la route. Du coup, le shérif et les autres hommes arrivent avec quelques minutes d’avance et… voient effectivement les Sub-Earthmen et les vers géants. Selon un comportement qui deviendra plus tard typique pour les citoyens lambda de l’univers Marvel (avoir peur de ce qui est différent), le shérif ordonne alors à tout le monde de… tirer pour tuer !
En un sens, heureusement pour eux que les Sub-Earthmen ont été échaudés par leur précédente rencontre avec des hommes de la surface. Cette fois ils ne laissent pas le bénéfice du doute aux nouveaux arrivants et attaquent avant qu’on leur tire dessus. Les vers géants se ruent sur les véhicules du shérif et de son groupe. Avec l’inconvénient, bien sûr, que si les « hommes de la surface » étaient déjà convaincus qu’il fallait tirer sans sommation sur ces inconnus, l’attaque préventive ne fait que les convaincre de la dangerosité de leurs interlocuteurs. Ils tirent donc et tuent encore quelques Sub-Earthmen (mais sans doute moins que si ceux-ci ne s’étaient pas défendus) sous les yeux horrifiés de la reine Medusa, qui hurle alors en anglais « Ne nous tuez pas ! Mon peuple vient en paix ! Je suis la reine Medusa ! »…
C’est alors que Captain America et Bucky arrivent, enfin, sur les lieux. Et ils sont les seuls qui ont la présence d’esprit d’écouter ce que Medusa hurle. Ils comprennent alors que tout vient d’un horrible malentendu et se précipitent aux côtés de Medusa, ce qui revient à s’interposer entre les tireurs et leur cible. Du coup les tirs cessent effectivement mais le shérif n’a pas dit son dernier mot, arguant que Medusa « n’est pas une femme terrestre » il décide de l’arrêter pour la questionner. Elle est visiblement la seule survivante du détachement (souvenons nous que le reste des Sub-Earthmen est resté posté près de l’endroit où ils sont arrivés à la surface).
Captain America, pour calmer le jeu, explique à Medusa que si elle accompagne le shérif il ne lui arrivera rien. En fait, vu les dispositions du shérif à tirer sur tout ce qui bouge, Captain America s’avance sans doute un peu. Et est-ce qu’il ne serait pas plus logique de prévenir les autorités, de faire venir des scientifiques plutôt que de laisser le sort d’une race inconnue entre les mains d’un shérif crétin ? Sur le coup personne (pas même le scénariste de l’épisode, Otto Binder) ne semble y penser…
Néanmoins, une fois que Medusa a été conduite à la prison de la ville et que Steve et Bucky sont retournés au camp militaire, les deux héros ont des regrets. L’adulte pense à voix haute : « Je suis vraiment désolé pour la reine ! Je ne peux pas dire que ce que les gens vont faire d’elle ! ». Et Bucky renchérit : « Et le reste de son peuple doit se cacher dans les collines ! On doit les aider, Steve ! ». Ils décident alors de s’introduire de nuit dans la prison et de tirer cette affaire au clair. Le soir venu, on observe alors le shérif qui a jeté Medusa au fond d’une cellule en espérant la faire parler. Il veut lui faire dire où se cacher le reste des Sub-Earthmen. Mais Medusa, vu le sort qui a été réservé à son détachement, refuse catégoriquement : « Jamais ! Vous vous contenteriez de les tuer jusque comme vous avez tué les autres ! ». A ce moment-là se passe quelque chose d’assez peu caractéristique pour Captain America. Bucky et lui font irruption dans la prison, neutralisent le shérif et l’enferment dans la cellule après avoir libéré Medusa. Autrement dit Cap et Bucky s’attaquent à un représentant de la Loi et prennent les choses en main sans rien attendre de la justice, ce qui était plus la manière de faire de Batman ou même de Superman dans les premières années de leurs séries respectives. Chez Marvel/Timely, il n’était pas rare que le fougueux Sub-Mariner s’attaque aux policiers s’ils se dressaient sur son chemin. Le premier Human Torch avait une approche plus complexe, ne tenant pas forcément compte des ordres des policiers… tout en étant lui-même Jim Hammond, un agent de police.
Mais Captain America, lui, était en théorie (en tout cas à cette époque) LE boy-scout de Timely Comics, pas le genre à commettre un acte qui ferait de lui un hors-la-loi. En attaquant un shérif et en aidant une prisonnière à s’évader, on est clairement en dehors du registre habituel de Cap. Non pas qu’il ait tort sur le fond. Mais Captain America, avec une liste d’appuis longue comme le bras au sein de l’armée et du FBI aurait normalement pu passer par des solutions plus officielles… Cette attitude est d’ailleurs renforcée par Bucky. Quand le nouveau prisonnier proteste et exige qu’on le fasse sortir puisqu’il est le shérif, Bucky rétorque « Et bien je ne m’en vanterais pas à ta place ! Pas avec l’allure que tu as maintenant ! ». En théorie enfermer un représentant des forces de l’ordre est un crime et ne manquerait pas d’empoisonner les futures relations de Cap et Bucky avec la police. Puisque ce n’est pas le cas dans les épisodes suivants, gageons que, hors champ, les deux héros ont fait inculper le shérif pour le meurtre des Sub-Earthmen tirés comme des lapins un peu plus tôt… Captain America, Bucky et Medusa s’enfuient alors dans les collines. La reine leur explique qu’elle continuera de s’y cacher avec le reste de son peuple. Mais elle explique que, quand les deux héros auront convaincu le reste des hommes de la surface que les Sub-Earthmen viennent en amis, ils seront les bienvenus parmi les siens.
De manière induite, Cap et Bucky laissent Medusa rejoindre son peuple et retournent, eux, à leurs occupations en attendant mieux. Mais quelques jours plus tard les choses se compliquent. Les sentinelles des Sub-Earthmen capturent un homme de la surface qui rôdait près de leur camp. Un homme étrange, drapé de rouge et portant une cagoule, qui est donc directement amené à la reine. L’inconnu se présente alors comme étant le Spook. Un nom diablement bien choisi puisqu’en anglais le mot Spook peut, selon le contexte, identifier un espion ou bien un spectre, le terme venant d’un mot… allemand… qui veut dire fantôme. On est face à un espion allemand qui se déguise en fantôme. Mais Medusa et Sub-Earthmen ne connaissent pas ces détails. Le nouveau venu peut alors tenir un langage de haine. Il leur explique qu’il leur apporte les moyens de se venger, qu’il leur donnera des armes et qu’ils régneront sur le monde de la surface comme ils le faisaient auparavant sous terre…
On a déjà pu voir que Medusa n’était pas spécialement une violente. Elle refuse donc l’offre du Spook en préférant s’en tenir à la paix. Mais là, pour le coup, ses hommes ne sont pas d’accord. D’ailleurs le terme d’hommes est à prendre au littéral : on ne voit que des mâles parmi les Sub-Earthmen, aucune « Sub-Earthwoman » autre que Medusa. A croire qu’elle est la seule femelle de la race (Otto Binder se serait-il inspiré de l’organisation sociale des fourmis ?). Bref, un de ses sujets s’interpose et proteste. Les hommes de la surface ont quand même tué plusieurs de leurs camarades ! Les guerriers réclament une revanche. Et là, d’un seul coup, les Sub-Earthmen décident de se passer de l’avis de leur reine et de voter à main levée pour savoir qui est pour la guerre. La démocratie est en marche, d’une certaine manière, mais clairement manipulée par le Spook. A l’unanimité, les Sub-Earthmen votent pour la guerre. Horrifiée, Medusa décide alors d’abdiquer… Tout se déroule comme le Spook l’avait prévu…
Bientôt les Sub-Earthmen sont équipés d’armes à feu et de costumes blancs pour les rendre plus terrifiants. Ils ressemblent ainsi à des fantômes (et aussi, sans doute pas par accident du point de vue créatif, à des membres du Ku-Klux-Klan). Bien sûr, ils ne manquent pas d’utiliser leurs vers géants pour attaquer la population, le Spook chevauchant lui aussi ces montures grotesques : « Ha Ha, le Führer va conquérir l’Amérique grâce à la terreur ! Et ces Sub-Earthmen stupides vont remplir ce rôle à la perfection ! ». La première ville attaquée ne manque cependant pas d’envoyer un SOS radio. Le message est intercepté par l’armée postée non loin de là, sur les lieux des exercices militaires. Aussitôt il est décidé d’arrêter les manœuvres et d’attaquer, pour de bon, les Sub-Earthmen. Les soldats sont alors mis en rang et on les informe de la menace et de leurs nouveaux ordres. Forcément Steve et Bucky sont là, par la force des choses. Et ils ne comprennent pas trop ce qui se passe. La reine Medusa n’aurait pas tenue sa promesse ? Une nouvelle fois ils s’éclipsent en espérant qu’on ne remarquera pas leur absence (ben voyons, non, ce n’est pas comme si le sergent Duffy leur avait fait la preuve du contraire en début d’épisode !). Vous aurez compris qu’il s’agit pour eux de passer à nouveau leurs costumes de super-héros.
Captain America et Bucky se ruent alors dans les collines en espérant contacter les Sub-Earthmen avant que l’armée américaine attaque. On notera au passage qu’une bonne partie de cet épisode est construite comme un western façon « Danse avec les loups ». Si on fait abstraction de l’origine fantastique des Sub-Earthmen, ils ne sont pas très différents des indiens. Ils vivent dans les collines et ont été injustement attaqués par un shérif. Et là l’Homme Blanc est sur le point de leur envoyer l’armée. Les deux héros ne sont pas dupes. Quelqu’un a du pousser les Sub-Earthmen à la guerre. En cherchant dans les collines environnantes ils trouvent bientôt l’entrée d’une grotte où les troglodytes tiennent un conseil de guerre… en cercle autour d’un feu, ce qui fait que là encore il ne manque guère que des tentes et quelques tipis et des papooses pour nous convaincre que les Sub-Earthmen sont une version fantasmée, une parabole, évoquant de façon structurelle les indiens des westerns. Le Spook est en train de leur expliquer qu’il ne reste plus qu’une dernière attaque et la ville tombera. Ensuite ils attaqueront les autres villes américaines ! Mais Medusa intervient une nouvelle fois, en les implorant d’attaquer les hostilités, de chercher plutôt la paix avec les hommes de la surface qui deviendraient alors leurs amis…
Techniquement le Spook est un homme de la surface avec lequel ils sont devenus amis mais, bien sûr, ce n’est pas ce que voulait dire Medusa. Et ses anciens sujets ne le prennent pas spécialement avec le sourire. Ramassant des cailloux, ils tentent alors de la lapider. Heureusement Cap et Bucky en ont entendu assez pour comprendre que Medusa est toujours leur amie. Ils s’élancent donc à travers la foule de faux spectres et distribuent des coups de poings, venant au secours de l’ex-reine. Malheureusement, si on a l’habitude de voir les deux héros défier des foules d’adversaires malgré un délirant rapport de forces, cette fois il faut compter avec les vers géants. Une de ces bêtes prend Bucky dans sa gueule. Captain America saute alors sur le dos de l’animal et lui enfonce son bouclier dans la tête : « Si tu avais un cerveau, maintenant tu n’en a plus ! ». Un homme qui arrive à battre, seul, un de ces vers ? La scène est assez rare pour surprendre les Sub-Earthmen. Le combat s’arrête donc et Captain America peut alors pousser une harangue devant la foule : « Maintenant écoutez moi, bande de tueurs ! Est-ce que vous allez blâmer tous les hommes de la surface parce que quelques-uns d’entre eux ont perdu la tête et assassiné vos camarades ? Vous voulez la paix et l’amitié ? Nous aussi ! ».
Pour preuve de sa bonne foi, Captain America prévient alors les Sub-Earthmen qu’une armée fait route vers eux. Mais il les assure, comme nouveau gage de bonne volonté, qu’il peut aller au devant des militaires et arrêter l’attaque. Il démontrera ainsi qu’il est l’ami de ces Sous-Terriens. Là, pour le coup, les troglodytes ne savent plus trop sur quel pied danser et décident de s’en remettre à Medusa, en lui affirmant qu’ils la considèrent toujours comme leur reine (et pourtant il y a quelques instants ils étaient en train de la lapider sans le moindre état d’âme. Medusa décide alors de couper la poire en deux. Captain America est libre de partir et de prouver ses dires… Mais seulement si Bucky reste en otage. Cap s’en va alors en se dépêchant… Laissant un Bucky qui n’est quand même pas très à l’aise.
Dans toutes ces discussions, on a oublié le Spook, qui a entendu, de loin, les propos du porteur de bouclier : « Bah! Je voulais que les Sub-Earthmen détruisent l’armée ! Maintenant Captain America va tout gâcher ! Mais Captain America n’arrivera jamais jusqu’à l’armée pour délivrer son message de paix, ha ha ! ». Et le Spook s’élance à la poursuite du patriote costumé, bien décidé à l’éliminer avant qu’il prévienne les militaires. Le Spook arrive en vue du héros : « La pauvre créature sans défense ! Je me sens presque désolé pour lui… mais pas tout à fait ! ». Et le saboteur masqué tire alors avec sa mitraillette, arrosant Captain America d’une grêle de balles. Comme à son habitude le héros s’abrite derrière son bouclier rond. Mais le choc est suffisant pour lui faire perdre son équilibre. Il bascule dans un ravin et va s’écraser, comme un pantin brisé, sur une sorte de promontoire.
Le Spook jubile ! « Il est foutu ! Ha ha ha ha ! Là où Red Skull (« Crâne Rouge »), Black Talon, Doctor Crime et bien d’autres anti-américains ont échoué, j’ai triomphé ! ». A nouveau le passage démontre une volonté assez atypique pour l’époque d’inscrire le récit dans une chronologie et une continuité tenant compte d’autres aventures. Otto Binder avait déjà fait mention d’un « Satan de Satin » au moment de la poursuite en moto. Il avait aussi mis en scène la rage croissante du Sergent Duffy suite aux absences répétées de Steve Rogers et Bucky Barnes. Le voici qui utiliser plusieurs noms d’ennemis de Captain America. Si la mention du Red Skull est assez courante (le personnage revenait souvent dans les aventures de Captain America), celle du Black Talon est peu être moins évident pour le lecteur contemporain. Et pourtant, après avoir attaqué Captain America, c’est un criminel qui avait aussi tourmenté les Young Allies (le groupe de Bucky et Toro, série écrite, pas tout à fait par hasard, par le même scénariste que Captain America Comics #17). Le Black Talon n’avait rien d’une référence obscure à l’époque et était, derrière le Red Skull et Hitler, un des personnages les plus cités dans l’univers de Captain America pendant le Golden Age. C’est surtout avec Doctor Crime qu’on voit que Binder va au delà du tout venant. Ce n’est d’ailleurs sans doute pas un hasard si en dehors du Red Skull et du Black Talon (deux adversaires de Cap créés par Joe Simon et Jack Kirby) Binder fait appel à Doctor Crime. Dès Captain America Comics #12, Dr. Crime avait été un des premiers ennemis créés après le départ de Simon & Kirby par… Otto Binder lui-même. La phrase du Spook est donc lourde de sens dans le contexte du Golden Age. Elle tend à prouver que les différents criminels ont connaissance les uns des autres, qu’il y a une progression, une continuité d’épisode en épisode (ce qui à l’époque ne coulait pas forcément de sens) et que cette continuité ne se limite pas au « corpus » d’un auteur. Binder reconnait ici non seulement l’existence de ses précédentes histoires sur Captain America ou Young Allies mais aussi les épisodes produits par Simon & Kirby. En un sens Binder se fait l’apôtre d’un univers partagé qui va plus loin que ce que Simon & Kirby avaient établi.
Pendant ce temps, par la force des choses, personne n’a pu prévenir l’armée américaine des tractations de paix en cours avec les Sub-Earthmen. Elle attaque donc, comme initialement prévu. Du haut de leurs collines les troglodytes voient les forces qui se déploient. Et ils sont convaincus qu’ils ont été trompés par Captain America. Immédiatement ils décident de tuer Bucky. Mais Medusa (qui décidément non seulement la seule femme mais aussi le membre le plus sympathique de sa race) s’interpose une nouvelle fois. Elle insiste sur le fait que Bucky est innocent et qu’il n’a rien fait de mal. Elle ordonne qu’on l’épargne. Du coup les Sub-Earthmen se contentent de l’attacher à un poteau. D’ailleurs là encore on peut faire un rapprochement avec le fonctionnement « indien » de ce peuple. Ils ne se contentent pas de ligoter Bucky mais l’attachent à la base de quelque chose qui aurait pu aussi bien être un totem. Pas certain que les vrais indiens se soient beaucoup amusés à attacher des prisonniers au pied d’un totem mais c’est quelque chose que les indiens fictifs adoraient faire dans les films et les BD de l’époque… Ceci dit les ordres de Medusa n’ont été respectés que dans une certaine mesure. Un des Sous-Terrien explique qu’ils vont d’abord aller affronter les « hommes de la surface » et qu’ils garderont la mort du jeune garçon pour plus tard, comme un geste final de revanche !
Commence alors une bataille représentée dans toute sa dimension épique par Al Avison (le dessinateur de l’épisode). Jack Kirby n’aurait sans doute pas hésité à donner une pleine page ou même une double page pour montrer la violence du choc. Mais un cadre plus resserré, Avison montre bien, cependant, la violence du choc, avec des blindés soulevés par la violence des explosions. Mais la violence de ces dernières a un effet que n’avait pas anticipé le Spook. Le bruit est si massif qu’il sort Captain America de sa torpeur. Peut-être qu’au lieu de se vanter d’avoir dépassé Crâne Rouge ou le Doctor Crime, le Spook aurait mieux fait de tirer sur Cap du haut du ravin, alors qu’il ne pouvait pas se protéger derrière son bouclier. Bref, le Spook ne s’est pas assuré que le héros était mort ou hors d’état de lui nuire. Et il a eu tort ! Réalisant que la bataille a commencé, le héros comprend immédiatement que la vie de Bucky est en danger. Il rebrousse chemin, se dirigeant vers le peuple de Medusa.
Pendant ce temps, chez les Sub-Earthmen, on fait triste mine. Car ils ont beau avoir avec eux quelques vers géants, ce n’est pas pour autant que ca leur permet d’égaler la puissance de feu de blindés ou les bombes des avions. Ils réalisent qu’ils sont sur le point de perdre la bataille. Le Spook est furieux. Mais décide de tirer parti de toutes les occasions qui lui reste : « Bah ! Je vous ai donné des armes pour détruire l’armée américaine mais vous avez gâche le travail ! Mais l’ami de Captain America doit mourir de toute manière ! Maintenant ! ». Puis le Spook, mitraillette à la main, se retourne vers Bucky. Medusa tente de le sauver, crie une nouvelle fois qu’il est innocent. Mais ça n’arrête pas le Spook, qui pointe son arme. Heureusement, c’est à ce moment que Captain America arrive, assommant le Spook d’un spectaculaire coup de poing. Ca ne règle cependant pas tous les problèmes. Les Sub-Earthmen ont toutes les raisons de croire que Cap les a trahi, qu’il a fait exprès de ne pas prévenir l’armée. Ils sautent donc dessus Cap… et sur Bucky qui s’est libéré on ne sait trop comment. Même si les agresseurs sont nombreux, les deux héros finissent par reprendre le dessus. Enfin, Captain America peut s’expliquer : « Votre leader masqué doit être celui qui m’a attaqué avant que je puisse faire part de votre offre de paix à l’armée ! Mais je vais aller les prévenir maintenant et arrêter ce massacre insensé ! ».
Captain America et Bucky traversent alors le champ de bataille au péril de leur vie, demandant à rencontrer le général Haywood (qui dirige le camp Lehigh et que les héros avaient déjà croisé plusieurs fois depuis Captain America Comics #5, première apparition de ce gradé). Informé de la proposition de paix, Haywood déclare immédiatement un cessez-le-feu. Plus tard, le général apprend à quelques journalistes que la paix a été signée entre les deux armées. Un des reporters ronchonne alors que l’armée américaine n’en sort pas grandie. Captain America, qui est présent lors de la conférence de presse, reconnaît immédiatement la voix : Hans Knute (écrit avec un seul T, contrairement au début de l’épisode) est… le Spook ! Vu le peu de mal que le scénariste s’était donné pour nous proposer d’autres suspects, la chose n’est pas réellement une surprise. Une nouvelle fois Captain America se rue sur son adversaire et le force à avouer la vérité. Medusa remercie alors Captain America et Bucky pour avoir montré aux Sub-Earthmen la voie de la paix. Ce qui techniquement n’est pas totalement vrai: Les Sub-Earthmen étaient pacifiques et l’avaient déjà trouvé, la voie de la paix, avant qu’on leur tire dessus sans raison. Mais c’est une nuance qui échappe à cette conclusion. Le Spook est capturé, les Sub-Earthmen sont pacifiés. Tout rentre dans l’ordre…
Enfin pas tout à fait. Le scénariste oublie un détail d’importance. L’histoire s’achève alors que Medusa et les Sub-Earthmen sont toujours coincés à la surface. Il aurait suffit d’un rien pour trouver une solution (par exemple établir que la violence du conflit entre les deux armées avait, à force d’explosions, ouvert à nouveau le tunnel). Mais Otto Binder passe à côté de cet aspect de la conclusion. Pour ce qu’on en sait la Reine Medusa et son peuple habitent toujours quelque part dans les collines des USA… En fait c’est toute l’histoire qui n’aurait pas du exister puisque les Sub-Earthmen se retrouvent piégés à la surface… avec des vers géants dont on peut imaginer qu’ils peuvent creuser des galeries également gigantesques. Normalement, au lieu de geindre qu’ils sont piégés, les Sub-Earthmen auraient du s’empresser de faire creuser leurs montures et de retourner dans leur habitat normal. C’est d’ailleurs peut-être ce qu’ils ont fait une fois qu’on leur aura assuré qu’il n’y aurait plus d’explosion au dessus de chez eux…
Si Otto Binder écrivait à l’occasion les aventures de Captain America pour Marvel, il est plus resté dans les esprits pour de nombreux épisodes de Captain Marvel Adventures qu’il a scénarisé pour l’éditeur Fawcett. En mars 1943, quelques mois après la publication de Captain America Comics #17 et ses histoires de vers géants ressemblant à des chenilles, Otto Binder créerait le plus célèbre de tous les vers des comics de super-héros : Mister Mind ! Dans Captain Marvel Adventures #22, le personnage n’est qu’une voix diffusée par la radio. Ce n’est que dans Captain Marvel Adventures #26 (Août 1943) que Mister Mind se montrerait pour de bon : un minuscule ver « évolué » et intelligent, doué de différents pouvoirs télépathiques. Bien sûr Mister Mind ne saurait être confondu avec les vers géants de Medusa. C’est même tout le contraire puisqu’il est d’une taille microscopique et doué de raison. Mais il y a cependant des rapprochements à faire dans la représentation de ces deux types de ver dans l’œuvre d’Otto Binder. Si en apparence tout les oppose, les vers des Sub-Earthmen et Mister Mind ne ressemblent finalement pas à des vers, avec dans les deux cas des caractéristiques anthropomorphes. Les « Sub-Vers » et l’adversaire de Captain Marvel ont des yeux semi-humains (au point que Mister Mind, totalement myope, doit porter des lunettes). Et, dans la plupart des représentations, les deux races ressemblent plus à des chenilles ou à des larves. Ce sera d’ailleurs plus tard officialisé dans les cas de Mister Mind, la bestiole se transformant en une sorte de papillon hideux…
Le lecteur moderne, lui, fixera sans doute plus son attention sur cette mystérieuse reine Medusa et sur son opulente chevelure. Comment faire exister cette Medusa dans la continuité moderne de Marvel ? En gros : Qui peut-être cette Medusa et à quel concept établi peut-on la lier ? Ses Sub-Earthmen et elle ne peuvent pas être rattachés directement au royaume de Mole Man, peuplé par des petits êtres jaunes qu’on ne saurait confondre avec les pseudo-indiens de Captain America Comics #17. Éventuellement on serait tenter de rapprocher Medusa de Tyrannus, immortel né à l’époque de la Rome Antique et régnant lui aussi sur une portion des profondeurs de la Terre. De culture romaine, on comprendrait que Tyrannus ait pu avoir jusque dans les années 40 une épouse (puisque Medusa est identifiée comme reine) issue de la même culture. Mais, là encore, on se heurte à un problème, Tyrannus ne régnant pas, comme on l’a déjà évoqué, sur des personnages qu’on pourrait prendre pour des Sub-Earthmen…
Une autre alternative serait de lier Medusa à Kala, reine d’un royaume troglodyte que nous avons déjà mentionné un peu plus tôt. Même si Kala a une coupe de cheveux infiniment plus normale que Medusa, les deux reines brunes se ressemblent d’une certaine manière. Et Kala dirige une nation peuplée par des êtres humains correspondant à la norme habituelle. Cerise sur le gâteau, dans la première apparition de Kala (Tales of Suspense #43), elle est la seule femme qu’on voit dans ce royaume, tout comme Medusa. Là, les obstacles initiaux se centrent sur deux points. D’abord le peuple de Medusa est quand même caractérisé par l’usage de vers géants. Ce dont Kala et les siens ne semblent pas faire usage dans Tales of Suspense. Mais c’est là où la continuité vient à notre rescousse. Car quand Kala reviendra (j’allais écrire « refera surface ») dans Fantastic Four #127 (octobre 1972), ce sera avec une différence de taille. La Chose, membre des Quatre Fantastiques, s’aventure sous la surface terrestre et « sauve » Kala de ce qu’il pense être un monstre sauvage : Un ver géant qu’il tue sur le champ. Ce n’est qu’après que la Chose réalise que ces vers géants, nommés des Kraawls, servent de monture au peuple de Kala. Précisons au passage que Fantastic Four #127 est écrit par Roy Thomas, un scénariste que nous allons retrouver un peu plus loin…
Reine brune ? Vivant sous la surface ? Régnant sur une race masculine ? Chevauchant des vers géants ? On y est ! Ou presque. Car ce serait trop beau. Kala elle-même est une immortelle et règne visiblement sur son royaume depuis des siècles. Il n’y a pas vraiment la place pour une autre reine qui aurait pu vivre dans les années 40. On ne peut pas, non plus, imaginer que « Medusa » est simplement un surnom que ses sujets auraient donné à Kala à une époque où elle s’était trouvé une coupe de cheveux délirante. La Medusa de 1942 est clairement un personnage pacifique et bon. Là où Kala est foncièrement mauvaise. Qui plus est Tales of Suspense #43 nous montre que Kala ne peut exister à la surface plus de quelques minutes sans devenir très vieille, l’atmosphère qui lui donne sa jeunesse n’existant que dans un environnement sous-terrain. Kala n’aurait jamais pu tenir sur la période décrite dans Captain America Comics #17. Tout au moins on peut imaginer que les vers utilisés par les Sub-Earthmen sont également des Kraawls…
Mais le Mole Man, Tyrannus ou Kala ne sont pas les seuls suspects possibles. A bien y regarder la civilisation des Sub-Earthmen s’approche d’ailleurs plus particulièrement de celle de Grotesk le Sub-Human (apparu comme un antagoniste dans X-Men 41, 1968). Grotesk est un être hirsute, brutal, portant les cheveux longs… et son royaume été détruit par les tests nucléaires des américains, qui ont fait de lui le dernier survivant de sa race (les Gortokians). Ici, nous avons des êtres en grande partie similaires sur le plan visuel, qui sont, à leur façon, victimes des explosions de la surface. Les Sub-Earthmen pourraient se concevoir comme étant les Gortokians vu à un moment précédent de la chronologie, au moment où ils commencent à souffrir de ce qui se passe en surface. Le principal obstacle pour cette théorie, c’est qu’avant leur disparition les Gortokians semblaient, comme les compatriotes de Rockman, posséder de grandes villes et une technologie avancée. Mais il faut dire qu’on voit assez peu le royaume de Medusa avant les explosions et que du coup il y a de la marge, la tenue de la reine elle-même montrant bien que ce n’est pas vraiment un peuple aussi sauvage qu’on pourrait le croire. Le royaume de Medusa pourrait donc être celui des Gortokians (Medusa pourrait, du coup, être une parente de Grotesk). D’ailleurs elle l’est sur le plan créatif…. Officiellement Grotesk est une création du scénariste Roy Thomas. Mais il y un maillon manquant entre Medusa et Grotesk… Un maillon qu’on doit également à Otto Binder et qui explique une bonne partie des similitudes.
Dans Captain Marvel Adventures #125 (1951), Binder créa King Kull (lequel est, comme nous allons le voir, forcément un hommage au Roi Kull, création du romancier Robert E. Howard). Le King Kull de Binder est le monarque d’une race nommée les Submen, qui a été exterminée par les hommes dans l’antiquité. King Kull, une brute hirsute (sans doute inspiré par l’Homme de Neandertal) a trouvé refuge sous terre et s’est plongé en hibernation pendant des siècles. C’est finalement un tremblement de terre qui le réveille. A partir de là King Kull remonte à la surface et n’a plus qu’une hâte : se venger de la race humaine (à la grande consternation de Captain Marvel, qui fera tout pour l’en empêcher). King Kull sera un des principaux adversaires de Captain Marvel dans les années 50, totalisant une quinzaine d’apparitions entre 1951 et 1953. Il n’a rien d’une note de bas page (il fut plus utilisé pendant le Golden Age que Black Adam). S’il devait subsister un doute, Thomas explique lui-même (dans une interview à la revue Comic Book Artist) s’être intéressé aux livres d’Howard surtout après avoir remarqué que l’un d’entre eux était titré King Kull. Thomas précise alors qu’il ne connaissait que l’adversaire de Captain Marvel et que c’est seulement après qu’il a réalisé que le livre d’Howard avait inspiré le nom du personnage de Binder. A l’évidence le Grotesk de Roy Thomas doit beaucoup (sinon tout) au King Kull de Binder. Et ce dernier œuvrait lui-même sur différentes séries selon des thèmes qui lui tenaient à cœur. Car si le poilu King Kull ne peut être confondu avec la jolie reine Medusa, il ressemble par contre énormément à ses sujets (d’ailleurs de « Sub-Earthmen » à « Submen » il n’y a qu’un pas).
Plus encore, c’est la référence au Kull de Robert E. Howard qui nous inspire sur ce qui a été l’influence réelle de Binder. Elle n’a rien d’accidentelle. En 1935, avant d’œuvrer dans les comics, Binder avait été agent littéraire travaillant à l’agence Kline, qui gérait les droits des textes d’Howard (lequel était alors encore vivant). Dans les faits, Binder fut l’agent littéraire de Robert E. Howard sur la fin de sa vie et même après (traitant avec la famille de l’auteur). Binder et Howard échangèrent une correspondance, se rencontrèrent. On attribue même à Binder certaines réécritures de nouvelles qu’Howard livrait dans un style trop brut. Certains spécialistes d’Howard (en particulier Morgan Holmes dans la revue The Cimmerian) pensent même que c’est Otto Binder qui aurait finalisé Almuric, roman d’Howard qui, dans la forme première, n’existait que sous formes de notes. Il est impossible d’en avoir la certitude mais l’anecdote démontre bien l’étendue de leurs rapports. Binder n’ignorait donc rien des nouvelles d’Howard. D’ailleurs il ne songeait visiblement pas à s’en cacher : La mention d’un King Kull ne doit rien au hasard. Et à partir du moment où le lien entre Binder et Howard est fait, il suffit de se tourner vers l’œuvre du romancier pour découvrir « Worms of the Earth » (« les Vers de la Terre », parue Weird Tales, en novembre 1932). Dans cette nouvelle qui s’inscrit dans le cycle des aventures du roi picte Bran Mak Morn, Howard décrit une sous-branche de l’humanité qui a dégénéré à force de vivre sous la surface et qui ressemble désormais au moins en partie… à de grands vers. Les populations troglodytes légendaires ne se limitent pas au seul Howard. Néanmoins, dans le cas présent, on en arrive donc à cette filiation presque officielle (en tout cas reconnue par Binder lui-même via l’usage de «King Kull »). Un autre récit « suspect » d »avoir inspiré ces vers géants est « Valley of the Worm », une autre nouvelle d’Howard dans laquelle le héros affronte un animal gigantesque qui n’a rien d’un ver mais a aussi quelques aspects reptiliens (cependant l’aspect troglodyte reste plis présent dans « Worms of the Earth »). A neuf ans de distance Robert E. Howard a donc clairement influencé à des degrés divers Otto Binder pour la création des Sub-Earthmen de Captain America Comics et des Submen de Captain Marvel Adventures #125. Le King Kull de Binder, à son tour, a inspiré le Grotesk de Roy Thomas. La boucle étant bouclée en décembre 1976, quand Marvel publiera une adaptation de « Worms of the Earth » dans Savage Sword of Conan #16. Le nom du scénariste de cette BD dessinée par Barry Windsor-Smith et Tom Conrad ? Roy Thomas ! Le même Roy Thomas qui allait aussi se charger de l’adaptation de « Valley of the Worm » dans Supernatural Thrillers #3 (1973). Quelle ironie…
Tout ça pour montrer qu’il y a des raisons structurelles profondes pour lesquelles les royaumes de Medusa, King Kull et Grotesk se ressemblent. Pour en revenir, au final, à notre tour d’horizon des raccordements possibles avec la continuité Marvel, la manière de faire la plus brutale serait de fermer les yeux sur la différence de couleur de cheveux et d’expliquer que les deux versions de Medusa (celle de 1942 et celle qu’on connaît dans la continuité actuelle) n’en font qu’une. La vérité, c’est que la Medusa de 1942 peut avoir inspiré la création de la Medusa moderne. Dans les années 60 il n’était pas rare que Stan Lee, Jack Kirby, Steve Ditko et d’autres créateurs de Marvel s’inspirent de vieux comics publiés vingt ans plus tôt pour « créer » des personnages secondaires. En cas de manque d’inspiration, il suffisait de puiser dans les archives pour dépoussiérer un criminel du Golden Age. C’est à cette technique qu’on doit « l’invention » du Ringmaster, adversaire de Spider-Man (dont une première version fit son apparition comme ennemi de Captain America). Les Masters of Evil, le Vulture et d’autres personnages de ce genre furent, eux aussi, modelés d’après des idées antérieures (d’ailleurs au passage notons qu’un premier Mole Man fut créé en 1943 dans Captain America Comics #32 par Otto Binder, justement). Il est permis de penser que la Medusa moderne (apparue en mars 1965 dans Fantastic Four #36) pourrait avoir été créée en suivant un processus similaire. A plus forte raison parce que lors de sa toute première utilisation cette Medusa rousse est vue en train de se cacher dans une grotte. Après, dans les apparitions suivantes du personnage, le concept aurait pris une vie propre, la race de Medusa, les Inhumans, n’ayant clairement rien à voir avec les Sub-Earthmen. Par exemple le royaume des Inhumans n’est pas caché sous terre mais bien en haut d’une montagne (en tout cas au début). Et les Inhumans ont une identité génétique particulière qui fait qu’ils sont tous très différents les uns des autres. On ne pourrait pas les prendre pour des indiens ou des barbares vivants sous la surface. Et partir de là la Medusa brune ne pourrait pas rétroactivement être considérée comme la Medusa rousse. Encore que… Dans Fantastic Four vol.1 #47 (1966), on apprend que les Inhumans utilisent depuis des millénaires une race de serviteurs, les Primitifs Alpha, qui ont une apparence humaine mais sont traités comme des esclaves et vivent… sous la cité des Inhumans. Les Primitifs Alpha (majoritairement des mâles) découlant de la même culture que les Inhumans, ont la même langue. Ils sont en partie troglodytes et ne manqueraient pas de donner un nom semblable à quelque chose ou quelqu’un qui aurait la même allure que la Medusa des Inhumans.
Même si on est bien loin des intentions initiales d’Otto Binder ou de Stan Lee et Jack Kirby, la Medusa de 1942 pourrait être la reine des Primitifs Alpha, qui se serait aventurée au loin que leur habitat naturel. Je sais, je sais… c’est capillotracté. Mais, que voulez-vous, avec une personne chevelue comme la reine Medusa, il ne faut pas s’en étonner !
[Xavier Fournier]
La version française de la nouvelle « Worms of the Earth » (« Les Vers de la Terre ») de Robert E. Howard, est disponible dans le recueil « Bran Mak Morn – L’Intégrale » paru chez Bragelonne).
Et bien, cet épisode a de sacrées ramifications !
Sacré boulot de recherche.
Ces histoires de races souterraines et d’inhumans m’ont fait penser à un récit dans « Europa # 0 » (Marvel Italia) qui évoque l’histoire d’un groupe d’inhumans banni dans un gouffre durant l’inquisition espagnole pour leur apparence « démoniaque ».
Ils survécurent en mangeant les maigres animaux qui vivaient sous terre jusqu’à ce les inquisiteurs jettent des nouveaux « démons » dans le gouffre : un vaisseau Skrull et les cadavres des pilotes Skrulls.
Affamés les inhumans se nourrirent des cadavres des Skrulls et se mirent à muter (comme les habitants de Kings Crossing dans FF annual #17).
Le résultat de cette mutation les transforma en monstres à allure changeante parfois assez proches des Kraawls.
http://buzzretro.buzzcomics.net/Sim/Divers/e0.jpg
Par contre je n’ai jamais trop su si les histoires d’Europa était considérées comme faisant partie de la continuité.
« Par contre je n’ai jamais trop su si les histoires d’Europa était considérées comme faisant partie de la continuité. »
Europa est mentionnée dans la continuité dans le Official Handbook of the Marvel Universe: Teams de 2005. Donc vous voilà rassuré, ils sont dans la continuité. Après, c’est plus un problème de parution non-anglophone (ces épisodes n’ayant jamais été traduits aux USA) qui fait que la plupart des auteurs ignorent l’existence du groupe.
Pour ce qui est de ces Inhumans bouffeurs de Skrulls, je trouve un peu dommage de s’être donné tant de mal à créer des « Inhumans mutants » alors que des Deviants (déjà troglodytes et « changeants ») auraient aussi bien pu faire l’affaire 😉 .
« Europa est mentionnée dans la continuité dans le Official Handbook of the Marvel Universe: Teams de 2005. Donc vous voilà rassuré, ils sont dans la continuité »
Je vais mieux dormir ce soir. ^^
La reine Médusa avait de l’avenir dans la lombriculture …;)
… ou dans un salon de coiffure !
Celà dit,une reine en short et bas résilles au milieu de troglodytes,ça laisse penser que la dame a au moins eu accés à des boutiques de vêtements.Celà dit à une époque où les leaders venus d’autres planètes,d’autres mondes qu’ils soient souterrains ou sous-marins étaient présentés comme hostiles et belliqueux (même Namor n’a pas échappé à ce cliché),le coté pacifique de la Reine Medusa détonne un peu ,c’est à souligner.
J’adore : on part d’un episode et,decryptage aidant,on aborde nombre de theories et de references.