Non pas que cela aurait été souhaitable : La plupart des malfaiteurs dans ces histoires n’étaient que des gangsters « génériques » ou des espions sans envergure. Ils n’avaient rien qui les rendent vraiment mémorable. Sur toutes les aventures de Captain America pendant les années quarante on doit peiner à trouver cinq ou six criminels qui auraient mérité qu’on les perpétue (comme le White Vampire, une ennemi d’Human Torch déjà mentionnée dans cette rubrique). Mais quand c’est le cas, par contre, on tombe sur de véritables petites gemmes, des menaces masquées qui auraient bien mérité une carrière plus conséquente. Vous l’aurez compris, c’est bien à cette dernière catégorie qu’appartient Leopard Woman, personnage auquel nous allons nous intéresser cette fois-ci…
Le lecteur a un aperçu de Leopard Woman dès la page d’introduction : Une femme masquée et vêtue d’un bikini noir (dont le bas semble déchiré) tient en laisse un félin sur le point de mordre la gorge du jeune Bucky. Dans une autre main, elle lève un fouet, prête à frapper. Derrière elle, Captain America fait irruption dans la pièce mais semble incapable d’empêcher le carnage. Le narrateur nous la présente en ces termes : « Leopard Woman ! Étrangement belle… Comme un chat sauvage femelle… Une créature mystérieuse incroyablement féroce, qui se cache dans un manoir solitaire ! Mais il y a des nuits de pleine lune où elle erre, chassant sa proie. Puis avec des griffes qui s’entrechoquent elle avance pour le coup fatal ! Un antagoniste macabre pour Captain America et Bucky, alors qu’ils utilisent leur esprit et leur courage pour essayer de résoudre… l’étrange mystère de Leopard Woman !« .
Leopard Woman semble échappée d’une séance SM ou d’une « partie fine ». Ce n’est pas, loin s’en faut, la première femme basée sur une imagerie fétichiste mais la plupart du temps les dessinateurs s’arrangeait pour que la chose soit plus induite que montrée. On cadrait certaines choses hors champs ou on jouait sur les ombres. Là, dans l’état, Leopard Woman occupe au contraire l’essentiel de cette première page. Elle est en sous-vêtements, autant dire à moitié nue… Au point qu’on pourrait presque se demander si l’expression d’étonnement affichée par Captain America est bien dictée par le souci qu’il se fait pour Bucky… Ou si la tenue très révélatrice de Leopard Woman qui attire son regard…
Tout commence à l’appartement de William Sands, un gestionnaire des eaux de la ville de New York, qui se prépare, avec sa femme pour une réception donnée en l’honneur d’un diplomate polonais. Sans que le couple en ait conscience, ils sont surveillés depuis l’extérieur par deux hommes patibulaires. Ils souhaitent visiblement se débarrasser de Sands. Un des deux malfaiteurs murmure : « Nous l’aurons à la réception !« . Et son complice abonde : « La mort-léopard s’abattra sur lui !« . Quelques instants plus tard, les Sands arrivent à la soirée où le soldat Steve Rogers et son acolyte Bucky ont été chargé de veiller sur les diplomates. Situation qui ne cessera jamais de m’étonner : les ordres initiaux de Steve Rogers étaient de s’installer au Camp Lehigh et, pour éviter les soupçons sur sa double identité de Captain America, de passer pour un troufion normal ou même en dessous de la normale. L’essentiel de sa vie quotidienne à la caserne consiste à se faire prendre pour un imbécile par son supérieur, le Sergent Duffy. Mais, très régulièrement, pour justifier que les héros se trouvent sur les lieux d’un crime, les scénaristes expliquent qu’on a chargé Rogers et le jeune Bucky de veiller sur tel officiel ou projet secret. On peut comprendre qu’en haut de la hiérarchie quelqu’un au courant de l’identité de Captain America tire les ficelles pour qu’il puisse surveiller un événement stratégique. Mais vu du Camp Lehigh, cela revient quand même à confier un nombre impressionnant de surveillance à un grand dadais à peine capable d’éplucher des patates et à la jeune mascotte du régiment. Soit un soldat et demi… A force, cela devrait quand même éveiller quelques soupçons…
Tu crois vraiment que les deux nazis t’ont attaqué par pur hasard ? Bientôt les deux patriotes masqués inspectent tous les terrains marqués sur le plan. Mais ils ne trouvent rien de particulier et, finalement, il ne leur reste plus qu’un endroit à vérifier : le manoir de la comtesse Kyra. C’est leur dernière chance de trouver le moindre indice. En approchant de ce manoir, ils ne peuvent s’empêcher de remarquer l’allure lugubre des lieux.
Dehors, Cap et Bucky sont attaqués par deux panthères. Dans un premier temps Captain America peut utiliser son bouclier pour se protéger. Un des félins se jette dessus mais ses griffes ne risquent pas de faire du mal au héros. Bucky n’a pas de bouclier et l’autre léopard noir le plaque par terre. Ce qui interroge sur l’idée que se fait le dessinateur de la férocité de ces animaux. Car il est certain qu’un seul coup de patte de ces panthères suffirait à blesser gravement le jeune garçon. Or, il faut attendre que Captain America arrive à repousser une des bêtes à coups de bouclier avant qu’il puisse se précipiter à l’aide de son assistant. Au bas mot, Bucky est resté quelques dizaines de secondes au sol, attaqué par la panthère. Même en admettant que par chance il ait évité d’être mordu, il aurait du être sévèrement griffé. Là, pour le coup, quand il se relève, son uniforme est pourtant intact. Et les deux héros se retrouvent seuls : les léopards noirs s’enfuient… alors que Cap et Bucky entendent le bruit d’un sifflet qui provient du manoir. C’est ce qu’attendait Captain America : « Allez viens Bucky, c’est l’indice qu’il nous fallait !« .
Pendant ce temps, Kyra se change de manière assez « sensuelle » pour l’époque, ouvrant sa robe de soirée pour révéler la tenue minimaliste de Leopard Woman. On notera d’ailleurs une bizarrerie graphique : la comtesse Kyra a les cheveux courts mais Leopard Woman les porte longs au point qu’ils lui tombent sur les épaules (il faut sans doute en déduire qu’elle porte une perruque pour donner le change). En même temps, elle donne ses ordres à deux domestiques : « Vite, à la tour, il est l’heure du signal ! Captain America ne doit pas nous arrêter maintenant ! Leopard Woman va rendre visite à Sands !« . Les deux domestiques s’installent dans la tour du manoir et attendent. Ils expliquent ainsi que lorsqu’ils recevront le signal, cela voudra dire que l’eau du réservoir est empoisonnée. Leur idée est de contaminer l’eau potable de New York, desservie par ce réservoir, et de tuer « des millions de personnes« . On imagine quelle quantité de poison il faudrait pour que l’eau soit de nature à tuer des « millions de personne » mais enfin…
Pendant ce temps, Captain America et Bucky en sont encore à en découdre avec les panthères. Une nouvelle fois Cap se sert de son bouclier pour se défendre contre les attaques. Mais le héros a une idée. Il lance son bouclier qui tranche la corde qui servait à soulever la cage des léopards noirs. Du coup, la cage retombe dans un grand fracas, ce qui effraie les bêtes. Mais surtout les deux héros peuvent se servir du bout de corde qui pend pour se hisser jusqu’au balcon. Ils sortent de ce piège à temps pour voir de loin la bande s’éloigner en bateau. Ils sautent dans une autre embarcation et s’élancent à leur poursuite. Captain America remarque tout de suite que les comploteurs ont pris la direction du réservoir d’eau. Quand Cap et Bucky arrivent sur la rive, ils découvrent le cadavre d’un des gardes du réservoir, couvert de coups de griffes. Déduisant que tous les vrais gardes ont sans doute été supprimés, Captain America comprend que toutes les personnes présentes dans les installations du réservoir sont forcément des nazis. Bientôt, effectivement, une horde de brutes se rue sur les deux héros. Mais une nouvelle fois Captain America et Bucky peuvent montrer qu’ils sont les meilleurs, Cap arrivant à rosser trois hommes d’un seul coup de poing.
Bien sur, ce n’est pas maintenant que Cap va reculer mais quand il tente un pas, Leopard Woman le griffe avec violence… avant de sauter du toit, en promettant qu’ils se retrouveront. Elle chute alors dans l’obscurité, vers ce qui semble être une mort certaine. Mais Cap est perplexe : « Écoutez ces grognements de chats ! Personne ne pourrait survivre à un tel saut… Et pourtant… Je me demande…« . Puis Captain America redescend s’assurer que Sands va bien. Il retrouve Bucky qui lui demande où est passée la comtesse. Et l’adulte fait une nouvelle fois part de ses doutes : « Elle a sauté, Bucky, mais je sens que nous la rencontrerons à nouveau !« .
En fait, Captain America et Bucky ne se retrouvèrent jamais en face de Leopard Woman, même si le scénario semblait pourtant la positionner comme un personnage pouvant être récurrent. A l’époque, il ne semble pas c’est la ressemblance avec Catwoman qui pouvait poser problème. Elle ne ressemblait pas encore à ça. A la rigueur, on peut imaginer une problématique interne à Marvel/Timely qui publiait, encore à l’époque, des réimpressions de Miss Fury. Et même si le costume de Leopard Woman ressemble à une version « déchirée » de celui de Miss Fury, on peut facilement imaginer que la ressemblance pourrait avoir provoqué l’agacement de Tarpe Mills et, par conséquent, des pressions auprès de l’éditeur. C’est une possibilité mais pas la seule. Leopard Woman fait tâche à un autre niveau. Bien sur, d’une certaine manière, la tenue de la Comtesse Kyra n’est pas plus dévêtue que celle de différentes héroïnes de la jungle, comme Sheena. Dans un contexte urbain, avec le sadisme ajouté du fouet et la cagoule un tantinet SM, avec en plus l’emphase mise par le dessinateur qui ne cherche pas à cacher le corps de Kyra et la montre au contraire assez bien dans certaines pages, Leopard Woman est « sexuée » bien au delà des habitudes des récits de super-héros de l’époque. En un sens, elle anticipe même sur certaines femmes fatales notables apparues plutôt vers la fin des années 40 et le début de la décennie suivante (nous avons par ailleurs traité dans cette rubrique du cas du Sphinx, adversaire de Blue Beetle), qui s’attireront les foudres des associations familiales et du fameux docteur Fredric Wertham. Il est très possible que dès la publication de Captain America Comics #36 l’éditeur aura reçu quelques lettres de parents. Ou tout simplement, peut-être que le personnage ne paraissait pas valoir plus de chose que ça en 1944…
Par la suite, c’est sans doute bien la ressemblance avec Catwoman qui, cette fois-ci, fera qu’on en ressortira pas Leopard Woman dans une des aventures rétroactives de Captain America ou des Invaders de Roy Thomas. Mais aussi, sans doute, le côté dénudé/sadique du personnage qui posera problème. Avec le Comics Code en action dans les années 70, quand bien même moins présent que vingt ans plus tôt, l’utilisation d’une femme en bikini noir sans doute un peu trop « bad girl » aurait été un souci pour Marvel. De nos jours, de telles réserves ne jouent plus et Leopard Woman fait partie de ces ennemis « rétro » qui seraient utilisables à l’occasion. Un jour, peut-être ?
[Xavier Fournier]PS: Les images d’illustrations sont cette fois tirées des microfiches produites dans les années 90 (seule source moderne, à ma connaissance, pour obtenir des images de ce comic-book qui n’a jamais été réimprimé), d’où un certain flou…
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